Il y a peu, Bouygues Telecom, Free, Orange et SFR publiaient leurs résultats du premier semestre 2014. Free était alors toujours premier sur le mobile, tandis que Bouygues Telecom caracolait en tête dans le fixe. Mais qu'en est-il des années précédentes ? Nous avons décidé de faire le point en remontant dans le temps, jusqu'à 10 ans en arrière.

Les télécoms en pleine évolution, et cela n'est pas près de se calmer

Ce n'est pas un secret : le petit monde des télécoms est chamboulé ces dernières années, que ce soit dans le domaine du fixe comme dans celui du mobile. Et en premier lieu par l'arrivée de Free Mobile comme quatrième opérateur, celui-ci ayant largement contribué à la modification du paysage depuis 2012. Il talonne d'ailleurs désormais d'assez près le troisième acteur du marché : Bouygues Telecom et ses neuf millions d'abonnés. Notez que dans l'ADSL par contre, la situation s'inverse puisque Bouygues Telecom est le premier recruteur, et ce, depuis le début de l'année. L'offre Bbox à 19,99 euros semble fonctionner correctement en attirant de nombreux clients (plus de 200 000 sur les deux premiers trimestres).

Mais tout cela devrait encore fortement évoluer et après le rachat de SFR et Virgin Mobile par Numericable. Et il sera probablement question d'autres rapprochements au cours des mois et des années qui viennent. Cela pourrait ne concerner que les réseaux, comme prévu pour Bouygues et SFR, mais une fusion ou un rachat entre opérateurs n'est pas totalement à exclure.

Si l'on a un temps pensé que Bouygues pourrait rejoindre Free, cela semble pour le moment dans l'impasse, du moins en façade. Free a en effet les yeux tournés vers T-Mobile, tandis qu'Orange reste en retrait pour le moment. Mais son PDG n'exclut pas pour autant de participer à une consolidation du marché.

D'un coup de DeLorean, voyons ce qui s'est passé au cours des 10 dernières années 

Quoi qu'il en soit, nous avons décidé de regarder ces modifications avec une perspective plus lointaine qu'à notre habitude. Nous avons en effet cherché à aire le point sur le recrutement des différents protagonistes sur les dix dernières années (jusqu'à fin 2003).

Pour cela, nous nous sommes basés sur les résultats financiers publiés par les différents groupes, du moins lorsque cela était possible. Chez Free pas de soucis, tout comme chez Bouygues Telecom d'ailleurs : tous les documents sont directement disponibles en ligne. Chez Orange par contre, on ne peut remonter que jusqu'en 2007 sur le site de la société. Pour les années précédentes, les bilans financiers ne sont pas disponibles en ligne, nous avons néanmoins pu nous les récupérer.

Chez SFR, les résultats dans le mobile ne sont que partiellement diffusés entre fin 2003 et 2007. Nous avons donc fait sans les résultats semestriels, mais cela ne change pas grand-chose au final, la situation sur l'année étant connue avec précision. Nous n'avons par contre pas pu récupérer de chiffres sur le fixe avant 2008 et le rachat de Neuf Cegetel.

Dans le fixe, Orange en tête, Free et SFR se suivent, tandis que Bouygues est dernier

Sur le graphique ci-dessous dédié au marché du fixe, on ne trouve donc que les valeurs de Free et d'Orange sur l'ensemble de la période, Bouygues Télécom s'étant lancé en dernier avec sa Bbox. Cette même année, on note une petite pointe du côté de Free, elle correspond au rachat d'Alice, ce qui a permis au FAI de s'octroyer la seconde place au détriment de SFR.

Elle sera perdue quelques mois plus tard, avant de finalement la retrouver au second semestre 2012, bien aidé par le lancement de Free Mobile (voir cette actualité concernant la relation entre les deux) :

 
La progression de chaque FAI

On remarque également que Bouygues Telecom n'a jamais atteint les mêmes niveaux que ses concurrents. Le FAI s'est en effet lancé bien tard en partant de zéro et, contrairement à Free dans le mobile, il n'a pas connu d'engouement particulier lors de son lancement. Même si sa progression est constante depuis, elle ne fait que suivre la tendance globale du marché, qui a subi un gros ralentissement en 2013. Le plus touché est d'ailleurs SFR qui n'a gagné que 224 000 clients entre fin 2012 et juin 2014. 

On compte ainsi seulement 213 000 clients de plus pour la Bbox, contre plus de 400 000 en 2010 et 2011. L'année 2012 est un peu particulière avec 559 000 abonnés supplémentaires, mais près de 300 000 venaient alors du rachat de l'offre proposée par Darty. En 2014, les choses pourraient changer avec déjà plus de 200 000 nouveaux clients sur le premier semestre, avec deux trimestres relativement stables à plus de 100 000 chacun. Une performance à renouveler lors des prochains relevés et la barre des 400 000 pourrait alors de nouveau être franchie. 

La progression générale du marché-SFR n'apparaît qu'à partir de 2008, faute de chiffres

Concernant la bonne performance de Bouygues Telecom, Stéphane Richard a une théorie : il n'y aurait que peu de résiliations chez les FAI, Bouygues recrute donc massivement de nouveaux abonnés mais ce ne sont pas des migrations. Selon le PDG d'Orange, cela explique le fait que sa société et ses concurrents n'aient pas baissé les prix. Une analyse qui est au moins en partie confirmée par les chiffres qui montrent que le marché évolue effectivement à la hausse, sans que l'on note de gros perdants qui évolueraient au détriment des autres.

Malgré le ralentissement, on compte un peu moins de 900 000 nouveaux abonnés au total en 2013 et un peu plus de 400 000 sur les six premiers mois de 2014. Orange caracole d'ailleurs toujours en tête, et de loin, avec plus de 10 millions d'abonnés, ce qui est presque autant que Free et SFR réunis, et surtout près de cinq fois Bouygues Telecom.

Il est par contre intéressant de remarquer que la courbe de l'opérateur a commencé à fléchir lorsque SFR puis Bouygues se sont lancés sur ce marché. Cela ne l'empêche pas d'être le second recruteur sur la période qui commencent à la fin de 2008. Sur un peu moins de 7 millions de nouveaux abonnés, les chiffres se répartissent ainsi :

• Bouygues : 2,21 millions
• Orange : 1,85 millions
• Free : 1,51 millions
• SFR : 1,42 millions

Free Mobile compte déjà près de 10 millions d'abonnés, mais à quel prix ?

Passons maintenant au mobile, avec une situation plus chaotique, surtout depuis 2012. En effet, lorsque Free Mobile s'est lancé, les autres opérateurs ont tous perdu des clients. Leur fidélité est moins forte sur ce marché, malgré les périodes d'engagement de certains contrats, surtout grâce à une procédure de portabilité simple, qui n'a rien à voir avec ce qui se passe sur le fixe. Il faut en effet parfois résilier soi-même sa ligne, supporter un délai plus ou moins long sans connexion et renvoyer la box fournie avec l'abonnement. De quoi freiner les phobiques des tâches administratives.

Ainsi, la filiale d'Iliad détient 9,1 millions de lignes en seulement deux ans d'existence, soit un peu plus de 13 % du marché. Après un démarrage sur les chapeaux de roues avec plus de 5 millions de clients en un an (dont 3,6 millions sur le 1er semestre 2012), la situation s'est néanmoins quelque peu « calmée » avec un surplus de 2,8 millions en 2013, ce qui est tout de même sans commune mesure avec ses concurrents. Et avec plus d'un million de nouveaux clients sur le premier semestre, le trublion vise les 2 millions d'ici la fin de l'année.

Attention tout de même, cela mélange aussi bien les offres gratuites ou à deux euros que celles qui sont à 15/20 euros, sans que l'on puisse avoir le détail de la répartition. De plus, chaque foyer peut ainsi compter pour plusieurs lignes assez facilement, ce qui n'est pas le cas sur le marché du fixe. C'est aussi ce qui explique que l'on se retrouve avec plus de 68 millions de lignes mobiles pour « seulement » 23 millions d'abonnés sur le fixe.

La progression générale du marché

Bouygues Telecom dans le viseur, tout en faisant du tort à Orange et SFR

Quoi qu'il en soit, 2011 a été une année relativement calme pour Bouygues Telecom, Orange et SFR avec 537 000 clients de plus à eux trois, contre plus 2 000 000 les années précédentes. 2012 a par contre été exceptionnel avec plus de 4,5 millions de nouveaux abonnements (en comptant Free Mobile), contre plus de 3 000 000 en 2013. Il faut remonter en 2005 pour arriver à un tel score.

En 2012 et 2013, Bouygues Telecom n'est ainsi pas vraiment à la fête et c'est celui qui souffre le plus de l'arrivée du quatrième opérateur malgré une bonne réactivité dans les annonces et les offres. Il comptait ainsi 157 000 clients de moins fin 2013, B&You compris. Chez Orange, ce sont 76 000 clients qui sont partis en deux ans, tandis que chez SFR l'addition se situe dans la moyenne : 109 000.

Ces trois cas sont néanmoins assez différents les uns des autres. Orange qui aura finalement été le moins touché avait continué de recruter en 2012, avec 100 000 clients de plus. Mais c'est en 2013 que les choses se sont gâtées avec près de 15 000 clients perdus par mois. Bouygues était un peu dans la même situation. Avec un compteur à zéro en 2012, c'est finalement en 2013 que la douloureuse est passée, et avec elle, le départ des 157 000 abonnés.

SFR a de son côté payé un lourd tribut dès l'arrivée de Free Mobile, du fait de sa grosse part d'abonnés aux offres prépayées. c'est ainsi plus de 773 000 clients qui sont partis en une seule année, un chiffre qui a été rattrapé par un gros effort de recrutement en 2013, qui a permis d'en récupérer un peu plus de 85 % (664 000).

Les opérateurs commencent enfin à retrouver des bilans positifs, sauf Bouygues

Et si le premier trimestre de 2014 était dans la même veine, avec un bilan négatif pour les trois opérateurs, la période d'avril à juin était celle du retour des recrutements pour Orange et SFR. Le premier reste néanmoins dans le rouge sur la première moitié de l'année alors que le second s'en tire avec un peu plus de 20 000 nouveaux abonnés. Le premier bilan de 2014 est un peu moins dramatique puisque SFR a gagné à nouveau des abonnés entre janvier et juin. Orange en a encore perdu 58 000 environ, mais était dans le vert sur le second trimestre.

On comprend d'ailleurs bien la situation à la vue du graphique suivant. La courbe de progression de Free continue de grimper fortement, et de se rapprocher d'un Bouygues Telecom qui est dans une phase de baisse. Ce dernier est d'autant plus esseulé que SFR devrait encore se renforcer avec son rachat par Numericable, qui dispose lui aussi d'abonnés mobiles.

Si Free Mobile réussit son pari de grimper à deux millions d'abonnés en 2014 et que Bouygues ne se rattrape pas, il pourrait donc se faire dépasser. Mais c'est uniquement via un rapprochement entre les deux que l'on pourrait se retrouver avec un opérateur en situation de se positionner devant SFR, et de devenir un réel danger pour le N°1 du marché : Orange.

La progression de chaque opérateur : Bouygues Telecom bientôt rattrapé par Free Mobile

On s'était dit rendez-vous dans 10 ans...

Comme nous venons de le voir, les deux dernières années ont été relativement agitées, mais est-ce suffisant pour changer la donne sur une décennie ? Pour cela, nous avons fait le bilan du nombre de clients recrutés par chaque société de fin 2003 à fin 2013, sur le fixe et sur le mobile. Mais avant de rentrer dans les détails, voici une petite liste des grandes dates dont il faut tenir compte :

• Février 2003 : Freebox v2

• Janvier 2004 : Freebox v3
• Septembre 2004 : Lancement de la Livebox et de la Freebox v4

• Mai 2005 : Fusion entre Neuf et Cegetel
• Mai 2006 : Lancement de Freebox v5 (HD)
• Septembre 2006 : Neuf Cegetel rachète AOL
• Octobre 2006 : SFR rachète Télé 2 fixe
• Janvier 2007 : Lancement de l'offre ADSL de SFR (Neufbox 4)
• Mai 2007 : Neuf Cegetel rachète Club Internet

• Avril 2008 : SFR prend le contrôle de Neuf Cegetel
• Octobre 2008 : Lancement de la Bbox
• Décembre 2008 : Neufbox 5 (fibre optique)

• Mai 2009 : Lancement Ideo (quadruple play)
• Octobre 2009 : Rachat de Télé 2 mobile par Virgin Mobile
• Octobre 2009 : Livebox 2

• Avril 2010 : Lancement Multi Packs de SFR (Quadruple play)
• Août 2010 : Lancement Open (quadruple play)
• Novembre 2010 : Neufbox Evolution
• Décembre 2010 : Freebox Révolution

• Janvier 2012 : Lancement des offres mobiles de Free
• Mai 2012 : Lancement Bbox Sensation
• Mai 2012 : Rachat de Darty Télécom par Bouygues
• Janvier 2013 : Livebox Play
• Mai 2013 : Neufbox Evolution compatible VDSL2
• Juin 2013 : Freebox Crystal

• Mars 2014 : Rachat de SFR par Altice/Numericable

Comme nous avons pu le voir dans notre analyse, les forces en présences sont bien établies. Orange est premier sur les deux marchés, avec 27 millions abonnés sur le mobile et 10,2 millions sur le fixe. Si SFR se rapproche peu à peu dans le premier cas, il est à la traine dès lors que l'on parle de l'ADSL, du VDSL et de la fibre. C'est sans doute ici que le rapprochement avec Numericable a du sens. Il sera d'ailleurs intéressant d'analyser l'évolution de nos chiffres une fois cette opération finalisée.

Free a de son côté réussi à se faire une bonne place sur le fixe et le mobile. Arrivé presque au niveau de Bouygues dans le second cas en seulement deux ans, mais surtout grâce à des forfaits à très faible coût, il est le second FAI de France devant SFR, pour le moment. C'est finalement Bouygues qui s'en tire le plus mal à l'heure du bilan.

Une offre fixe qui évolue à la hausse mais qui aura du mal à combler un retard de trois millions d'abonnés, un nombre de clients en baisse sur le mobile alors que ses concurrents sont dans une phase de reprise... cela montre que malgré les efforts de la société, ses tarifs agressifs et sa volonté d'être premier à proposer la 4G et la 4G+, les clients ne sont pas au rendez-vous. Sans une nouvelle dynamique, il n'y a qu'à travers des rapprochements que la société pourra réellement trouver sa place :

10 ans de recrutement : à quel rythme et pour en arriver où ?

Et qu'en est-il du recrutement dans le détail sur ces dix dernières années ? Dans le fixe tout d'abord : sans surprise, le premier est Orange et sa position d'historique. Avec 8,7 millions de nouveaux abonnés, suivi par Free avec 5,1 millions, le petit dernier est Bouygues Telecom avec 2 millions. Pour SFR, impossible d'établir le compte exact puisque le FAI a recruté 1,4 millions d'abonnés depuis 2008, mais a hérité des 3,8 millions de Neuf Cegetel lors de son rachat, sans que l'on puisse avoir le détail année par année. Il est néanmoins assez proche de Free.

Dans le mobile par contre, la filiale d'Iliad vole la vedette à Orange et SFR avec seulement deux ans d'ancienneté : 8 millions de lignes crées, dont probablement une bonne partie à 0/2 euros, contre un peu moins de 7 millions pour les deux autres. Bouygues Telecom ferme la marche avec 4,7 millions de nouveaux abonnés « seulement » en 10 ans :

Alors que SFR vient de se faire racheter par Altice Numericable, on comprend donc aisément pourquoi Bouygues Telecom se retrouve esseulé : en 10 ans, il a recruté deux fois moins d'abonnés que Free et Orange, plus ou moins selon les secteurs. Si 2012 était un bon cru sur le fixe, cela a clairement changé en 2013. Espérons que l'offre lancée en début d'année et l'arrivée de la box Miami changeront la donne, même si sur le fond, la situation restera la même vu les écarts avec la concurrence.

Les douze mois à venir seront néanmoins essentiels. Avec le développement du VDSL et de la fibre, l'arrivée de nouvelles boxs, de solutions comme Android TV et peut être une capacité renforcée pour les clients de changer de FAI plus facilement, il y a du mouvement à prévoir. Et ce n'est pas un mal, car si le mobile se développe fortement, on voit que le rythme de recrutement sur le fixe est en panne. Il faut dire que les foyers sont déjà largement équipés, que les zones oubliées ne sont toujours pas une priorité pour les FAI et que le développement du très haut débit ne marque pas non plus par sa rapidité. Ces axes devront donc être creusés, parfois sous l'impulsion des pouvoirs publics, qui ne se font pas vraiment entendre de manière concrète sur ces sujets ces derniers mois. 

Terminons avec un chiffre « amusant » sur les cinq dernières années : si nous enlevons Free pour nous concentrer sur Bouygues, Orange et SFR, on note que dans le fixe, entre 2009 et 2013, ils ont respectivement recruté 1,70, 1,78 et 1,37 million de clients. Dans le mobile : 1,54, 1,81 et 1,70 million. Des chiffres relativement proches qui montrent que la population n'étant pas intéressée par les offres de la société de Xavier Niel n'affichent pas vraiment de préférence pour l'un ou l'autre. Sans doute la preuve qu'il leur faudra chercher un peu plus à se démarquer à l'avenir pour vraiment faire bouger les lignes.