Pourrait-on imaginer un jour Pascal Rogard manifester coude à coude avec la CNIL et les membres de la Quadrature du Net ? Ce miracle pourrait avoir lieu au regard des positions américaines exprimées dans le cadre d'un accord de libre-échange nommé « Accord sur le Commerce des Services » (ACS) ou en anglais « Trade in Service Agreement » (TISA)
TISA est négocié depuis 2013 par les 23 membres de l’Organisation mondiale du commerce (OMC), dont l’Union européenne. Cet accord est fondamental puisqu’il va encadrer tout le commerce entre ces acteurs qui représentent 70 % du marché sur le terrain des services.
Selon la Commission européenne, ce document « vise à ouvrir les marchés et améliorer les règles dans des domaines tels que l’octroi de licences, les services financiers, les télécommunications, le commerce électronique, le transport maritime et les travailleurs qui se déplacent temporairement à l’étranger pour fournir des services ». Bruxelles devine dans cette suppression des barrières une meilleure fluidité des échanges, soit de jolis leviers pour la croissance et l’emploi.
Ces négociations se sont nouées entre les 23 membres de l'OMC (Australie, Canada, Chili, Hong Kong (Chine), Colombie, Corée, Costa Rica, États-Unis d'Amérique, Islande, Israël, Japon, Liechtenstein, Mexique, Norvège, Nouvelle-Zélande, Pakistan, Panama, Paraguay, Pérou, Suisse, Taipei chinois, Turquie et Union européenne) . « L'ACS est ouvert à tous les membres de l’OMC qui souhaitent libéraliser le commerce des services. La Chine et l’Uruguay ont demandé à prendre part aux négociations. L’UE soutient ces demandes parce qu’elle souhaite que le plus grand nombre possible de pays adhèrent à l’accord » ajoute encore la Commission. C’est une démarche aux effets lourds puisque si une majorité valide cet accord, Tisa pourrait être étendu à tous les membres de l’OMC.
Les curieux pourront continuer à creuser pour trouver les documents préparatoires sur les sites officiels. « Comme toutes les autres négociations commerciales, celles portant sur Tisa ne sont pas publiques et les documents concernés ne sont disponibles que pour les seuls participants » leur répond la Commission qui se dit « soucieuse d’être aussi transparente que possible. »
Seulement, c’est par une voie détournée qu’on peut aujourd’hui prendre conscience des vues américaines sur ce texte. Il faut féliciter ici non Bruxelles, mais d'abord Wikileaks qui avait révélé en juin dernier les chapitres financiers en discussion et désormais l’Associated Whistleblowing press qui a publié au grand jour une version des positions américaines datant d’avril 2014.
Une libre circulation des données personnelles, sans barrière
Dans ce document, l’article X.4 prévoit qu’aucun des pays signataires ne pourra « empêcher un prestataire de service d’un autre pays à l’accord, de transférer, accéder, traiter, ou stocker des informations, notamment des données personnelles, à l’intérieur ou en dehors du territoire, où une telle activité est opérée en lien avec celle du prestataire de service ».
Pour les États-Unis, c'est une belle affaire puisque leur statut de Safe Harbor des entreprises américaines est actuellement menacé en Europe. Pour mémoire, la directive 95/46/CE oblige les États membres européens à interdire les transferts de données à caractère personnel vers un pays tiers qui n'assure pas un niveau de protection adéquat. Or, en 2000, la Commission européenne a reconnu que les entreprises US assuraient « un niveau adéquat de protection des données à caractère personnel ». Par ce constat, elles sont devenues un port sûr (ou « Safe Harbor »), ouvrant grandes les vannes à données personnelles vers les estomacs des gros acteurs américains.
Cependant ce statut est menacé d'abord politiquement. En mars 2014, les eurodéputés ont voté une résolution sur les systèmes américains de surveillance massive, réclamant une suspension immédiate du safe Harbog (ou sphère de sécurité). Ils avaient évidemment en mémoire les révélations Snowden sur les défaillances dans la protection des données des citoyens de l'Union. Le Goliath américain peut également craindre une menace judicaire venue d'un David Autrichien. Une action intentée par un étudiant en droit devant la CJUE via l'Irlande et Facebook pourrait remettre en cause ce confortable statut. S'il emporte cette bataille, chaque Etat membre sera remis dans la boucle décisionnelle pour autoriser ou non les transferts outre-Atlantique.
Voilà pour le contexte. Avec l'aide de Tisa, les États-Unis pourraient finalement sortir tête haute de ce fichu pétrin européen. C'est d'autant plus vrai que la liberté de mouvement de la donnée personnelle que cet accord consacre est épaulée par d'autres dispositions importantes.
Elles se nichent spécialement au sein de l’article X.2.1 qui vise à prévenir la mise en place de barrières trop fâcheuses sur les services en ligne. Son point (iii) veut par exemple empêcher les parties signataires d’exiger l’hébergement local des données traitées par les services informatiques. Soit du pain béni pour Google, Facebook, Amazon ou Apple qui pourraient continuer à aspirer nos fumées personnelles à plein poumon, sans trop de souci. La proposition américaine fait d'ailleurs l’économie d’exceptions fâcheuses comme celle liée au respect de la vie privée ou la protection des données personnelles, leviers qui auraient pu freiner ces transferts « open bar » s’ils avaient été explicitement mentionnés.
Du coup, selon une analyse menée par la professeure de droit Jane Kelsey (université d’Auckland, Nouvelle-Zélande) et le Dr Burcu Kilic (Public Citizen, Washington D.C.), la directive sur les données personnelles pourrait être purement et simplement « effacée » en Europe par la gomme TISA. Pas moins !
Détricoter en douceur la neutralité du Net
Ce projet d'accord prévoit également un volet relatif à la neutralité du net. Les Etats-Unis souhaitent que les utilisateurs puissent accéder aux services et aux applications en ligne, mais sous réserve des mesures raisonnables de gestion de trafic. Le texte est silencieux quant à la liste des mesures pouvant malmener la neutralité du Net, laissant le champ ouvert à l’imagination la plus fertile.
De même, notent les deux juristes, les termes évoquent une « obligation douce » en ce sens que les États reconnaîtraient simplement que les consommateurs puissent profiter de cette liberté d’accès sous condition. Cependant, cette technique est connue des praticiens : on ouvre une brèche pour installer un innocent précédent, avant une prochaine séance de musculation et de vraies obligations.
L’exception culturelle en prend également pour son grade
Ce n’est pas tout. Selon ces deux commentateurs, la proposition américaine pourrait également impacter les politiques culturelles nationales jugées un peu trop protectionnistes.
L’article X.7 prévoit en effet une série d’exceptions pouvant éviter ce grand marché. Seulement, les cas sont hyper restrictifs puisqu’ils visent expressément la conservation des espèces et des ressources naturelles ou les questions de sécurité intérieure. Les États-Unis pourraient du coup profiter de cet accord pour prohiber les politiques culturelles volontaristes imposées par exemple aux acteurs en ligne, spécialement via les mécanismes de quotas peu sensibles aux blockbusters de l'Oncle Sam.
La mesure viendrait à contre-courant des engagements pris par ceux également signataires de la Convention sur la diversité culturelle. Dans les pays qui prévoient de telles restrictions d'accès, « un vendeur sur Internet comme Amazon ne serait plus tenu à l’obligation de rendre disponibles des produits culturels nationaux pour vendre dans ce pays » remarquent les deux juristes.
L'accord est toujours en négociation, sans que les parties aient fixé de date butoir à ces échanges.
Commentaires (53)
#1
Monde de merde ….
#2
Mais jusqu’où oseront-il aller dans l’ignominie avant qu’on se réveille ?
La dérégulation totale, n’amènera que le chaos total, du moins pour nous !
#3
Commission européenne de merde. Prête à signer le moindre papelard que leur présente les USA.
#4
Entre ça et TAFTA… jusqu’où s’arrêteront-ils ? " />
#5
Tous les accords de ce genre impliquant les USA sont toujours bénéfiques pour les corporations américaines et néfastes pour le reste du monde et donc pour le peuple… d’impérialisme US.
#6
Le truc c’est que ces accord sont toujours initié a la demande des (grosse) entreprise … et quand une organisation civil demande le dixième mais dans le sens contraire on l’envoi bouler.
Ça fait combien de traité qui mettent à mal les principes européen ? 2, 4, 6, 8 10 ? Combien sont rendu public et combien sont passé sous les radars ? A force ils vont obligatoirement faire passer tout ce qu’ils souhaitent.
Et le principe de «on peu rien dire sans affaiblir notre position de négociation» est biaisé d’avance, car une foi qu’ils sont autorisé a divulguer (s’il le sont) tout est déjà signé et «on peut plus rien faire contre».
#7
Tiens pour un petit complément :
http://www.lepoint.fr/chroniqueurs-du-point/guerric-poncet/operation-socialist-l…
http://www.lepoint.fr/chroniqueurs-du-point/guerric-poncet/regin-le-graal-de-l-e…
Ceci explique cela…
#8
Les mots me manquent
" />
#9
ACTA, TAFTA, maintenant TISA, sous combien d’acronymes différent vont-ils essayer de nous enfiler ?Et l’EU est complice dans tout ca… .
#10
#11
Ils ont un peu trop TISÉ à la commission…..
#12
#13
Eh ouais… on ne vote pas pour la comission…
C’est beau la démocratie, le droit de vote et tout…. et utile surtout
Vendredi approche et je suis en forme moi!!!
#14
Quand je songe qu’à mes 18 ans, pour la première fois que je votais, on m’avait reproché de voter contre le traité de Maastricht en m’accusant d’être « anti-Européen » (ce que je n’ai jamais été). Il suffisait de lire le bidule pour voir que c’était de la merde. Combien de ceux qui ont voté pour ces traités pourris le feraient encore aujourd’hui ?
Le rôle des traités internationaux, c’est de dépouiller autant que possible les peuples de leur pouvoir décisionnaire (qui n’est pourtant pas bien grand) et tout faire en faveur des méga-corporations.
#15
#16
La source la plus complète que j’ai lue, pour le moment :
http://www.monde-diplomatique.fr/2013/11/WALLACH/49803
Sinon :
http://blogs.mediapart.fr/blog/benjamin-sourice/140813/accords-de-libre-echange-et-ogm-quand-monsanto-dicte-sa-loi
#17
Ah zut ! Quand j’ai lu exception culturelle, j’ai cru que cet accord allait flinguer la RCP et autres joyeusetés de l’EC FR ! " />
Sinon, c’est à " />
#18
Vivement que la Grèce fasse tomber cette Europe morte-vivante.
#19
" />
Merci ! Je cherchais les détails et je les ai trouvés ici grâce à tes liens : ‘Expropriation indirecte en droit int. de l’investissement pour ceux que ca intéresse.
#20
C’est écrit petit et y a pas d’images…
Du coup c’est un texte pour garçons ou filles? (cf l’autre actu qui a l’air de servir de leurre à cerveaux… )
Bon … en vrai c’est super interessant
#21
Fédération ou Empire Humain (ou tout autre nom) avec surement un ami des riches ou une potiche comme chef." />
#22
Je trouve que c’est la partie “gentille” de TiSA ça…
Le volet sur la libéralisation des services est particulièrement violente.
Notemment concernant l’emploi de travailleurs étranger, et le droit du travail du pays le moins disant qui prévaut.
En suisse il y a déjà eu des manif contre ces accords… en France, on préfère se préoccuper des coups de bite du président.
Ces accords étaient censés rester secrets jusqu’à 5 ans après leur mise en application tellement les sujets sont chauds bouillants.
Pour creuser, vous pouvez aussi regarder le sytème visant à détruire les subventions publiques pour passer au “tout privé”
#23
#24
Quand y aura t-il un débat public sur ces traités de merde ? " />
#25
J’ai lu que quelques pages pour l’instant et c’est très intéressant. à noter que ça rejoint certains commentaires sur le plein pouvoir des firmes en marche :
Selon la doctrine de l’effet unique, c’est aux autorités étatiques de « payer » le prix de leur politique quand bien même il s’agit de protéger l’environnement ou la santé publique. Ainsi, peu importe qu’une mesure poursuive un intérêt général, dès lors qu’elle cause indirectement une atteinte substantielle à un investissement, il y a obligation de compenser parce qu’il y a expropriation indirecte.
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#26
parce que c’est justement fait pour qu’il n’y aie pas de débat (d’où les termes “traité” ou “accord”)
#27
" />
Oh tu sais, les images, au bout d’un moment, tu les crées toi-même.
Par exemple, là, je vois un juge avec un marteau, qui va taper sur une immense pièce d’or. Il est de dos, dix fois plus grand qu’un être humain. Il retient nonchalamment de son pied une foule de citoyens en colère, et ce juge est tourné vers les industries, avec une immense pancarte dans le dos où c’est écrit “La démocratie est en cours de jugement”.
#28
" /> manque des guillemets, c’est pas de toi ca, mais de George. " />
#29
#30
#31
Les trucs bizarre qu’autorise les instances européenne des fois sont flippant :
http://www.20minutes.fr/sante/1504083-20141218-brevets-ovules-autorises-justice-…
" />
#32
Pour Maastricht, plus nombreux que ceux qui ont voté non, puisque le référendum a débouché sur 51,05 % de oui.
#33
Par contre concernant le référendum français sur le traité établissant une constitution pour l’Europe, en 2005, le NON recueille 54,68 %.
PS :
Je fais parti de ceux qui ont voté NON au traité de Maastricht, non pas par idée anti-européenne (bien au contraire), mais parce que, m’étant tapé la lecture du bousin (et ayant pal mal bouquiné dessus à l’époque) je ne supportais pas que RIEN ne soit définit précisément.
En gros, il fallait voter OUI pour faire … on ne sait pas quoi.
#34
Je viens de me rendre compte que je parles pas de la même chose.
#35
#36
#37
Avec tous ces noms finissant par A, les vrais conspirationnistes s’avancent en catimini pour mieux nous faire avaler leurs venins
#38
#39
Il est évident qu’il est impossible d’avoir un accord décent avec les USA.
Depuis dix ou vingt ans au fil des traités ils n’ont cessé de vouloir nous imposer des mesures dont le peuple ne veut pas :
* OGM.
* Poulets à la javel.
* Vache aux hormones et lait plein de pus.
* Trafic libre des données personnelles.
* Privatisation de l’éducation, de la santé et de la sécurité.
* Justice privée prévalant sur les états et sacralisant le droit au profit (rendant les hausses du SMIC illégales par ex).
* Surveillance généralisée des communications pour protéger les droits d’auteurs.
* Interdiction pour les labos des pays pauvres de passer outre les brevets US pour produire certains médicaments dont ils ont besoin.
* Etc.
A un moment il faut se rendre à l’évidence et arrêter de vouloir faire un traité avec eux.
#40
Qu’est ce qu’une souris avec des pattes cassée peut negocier avec un éléphant ?
#41
Baaaah qu’ils le fassent, finalement ça poussera peut-être les gens à aller vers des solutions plus sécurisée et plus respectueuse des données personnelles, genre diaspora* .
“Viendez ! Créé votre serveur ! En plus on a des cookies”, personnellement je suis de plus en plus tenté de mettre en place un noeud à la maison.
Ça sert plus à rien de se battre contre ces chimères, qu’ils le fassent leur accord TISA, ils vont tiser nos données comme des porcs, d’accord. Mais plutôt que d’utiliser toute notre énergie et nous fatiguer sans cesse à essayer d’empêcher des accords foireux les uns après les autres, autant utiliser cette motivation pour créer/promouvoir et utiliser des solutions alternative réellement sécurisée, éthique, ouverte et respectueuse de nos données personnelles.
#42
#43
Bon, au lieu de pleurnicher, voici l’homme “à abattre” ( c’est une métaphore, hein " /> )
Karel de Gucht
Avec toutes les casserolles qu’il se trimballe au cul, ce serait bien qu’Anonymous s’occupe un peu de son cas.
Je dis ça, je ne dis rien … " />
#44
#45
Et en plus la Quadrature du Net se casse la gu :http://paigrain.debatpublic.net/?p=9042
#46
Sais-tu que David avait une armure un peu speciale ?
Il était tres petit et le seul à pouvoir la porter, en gros Excalibur bien avant les anglais.
De ce fait, il a pu battre Goliath.
Je nous sens plutot a poil face aux US depuis snowden… .
#47
#48
ACTA, SOPA, PIPA, TAFTA, TISA….. Quand s’arrêteront t’ils?
@waltos des sources sur l’implication de KDG?
Si c’est vrai, ce mec est la lie de l’humanité, une ordure de première .
Je me dit que les Gardians Of Peace , si il voulaient vraiment garder la paix aurait du s’occuper de ce ..je n’arrive pas a parler de lui en tant qu’individu…
Sérieusement, même si je n’ai que peu de sympathie pour un certains
nombres de personnalités connues, c’est la seule personne que je
prendrait plaisir à voir souffrir. Et je suis pacifiste, et non violent.
Et tant pis si me fait sworder a cause de lui. Je tient en général des propos modérés, mais quand je lit son nom, je n’arrive pas à me contenir.
#49
#50
#51
Marc a écris en titre de paragraphe :
“Détricoter en douceur la neutralité du Net”
Si c’est vraiment le cas, ce dont je doute pas une seule seconde, les utilisateurs que nous sommes devraient porter l’affaire devant nos élus au parlement européen pour se faire entendre et surtout écouter.
Il faut, encore une fois, remercier Wikileaks d’avoir fuité ces informations relayées par quelques journalistes en pointe sur le sujet, mais c’est aux citoyens/internautes de se défendre contre ce genre de projet.
" />
#52
On vis dans un monde de merde, faut s’y habitué, après les concombre passeront tout seul….
Et faudra pas attendre quelque chose de bien de mouland pour empecher ca, ce gouvernement ne sert à rien.
Ce que je vois la dedans c’est qu’au moins au US ils savent protéger leur interêt, nous on fait juste de la merde.
#53
“Son point (iii) veut par exemple empêcher les parties signataires
d’exiger l’hébergement local des données traitées par les services
informatiques.”
Mes études de droit, en plus d’être super super légères, sont bien loin en arrière, mais… ça s’articule comment, ce genre de torche cul, par rapport, par exemple, au code de la Défense, qui définit comme infraction pénale le fait de faire sortir des données relatives à des produits, technologies, … assimilés à du matériel de guerre ?
C’est qu’un exemple, mais c’est ce qui me soucie le plus en ce moment.