Droit à l’oubli : ce que recommande le comité consultatif de Google

Droit à l’oubli : ce que recommande le comité consultatif de Google

Quatre critères, mais beaucoup de problèmes d'application

Avatar de l'auteur

Marc Rees

Publié dansDroit

09/02/2015
11
Droit à l’oubli : ce que recommande le comité consultatif de Google

Après un tour de plusieurs capitales européennes (dont Paris), le comité consultatif de Google a publié son rapport sur le « droit à l’oubli », ou plus exactement sur le droit à l’effacement dans les moteurs, tel que consacré par la Cour de Justice de l’Union européenne.

Le 13 mai 2014, la CJUE a estimé que les moteurs de recherche étaient responsables des traitements des données personnelles effectués par leurs algorithmes (voir notre présentation et l’émission du 14h42 sur le sujet). Effet mécanique : les Bing, Google et autres services équivalents doivent supprimer les données nominatives dès qu’un certain nombre de critères sont constatés. La directive 95/46 sur la protection des données personnelles (article 6) pose en effet pour principe que le responsable d’un tel traitement doit s’assurer que…

  • Les données à caractère personnel sont traitées loyalement et licitement
  • Les données sont collectées pour des finalités déterminées, explicites et légitimes, et ne sont pas traitées ultérieurement de manière incompatible avec ces finalités
  • Les données sont « adéquates, pertinentes et non excessives au regard des finalités pour lesquelles elles sont collectées et pour lesquelles elles sont traitées ultérieurement »,
  • Les données sont « exactes et, si nécessaire, mises à jour »
  • Les données sont « conservées sous une forme permettant l’identification des personnes concernées pendant une durée n’excédant pas celle nécessaire à la réalisation des finalités pour lesquelles elles sont collectées ou pour lesquelles elles sont traitées ultérieurement. »

Problème, ces critères sont parfois flous : qu’est-ce qu’un traitement de données adéquat, pertinent, non excessif ? Quelle est la portée de ces obligations ? S’appliquent-elles aux seules pages des moteurs européens ou s’étendent-elles à tous les sites, même en .com, du moment qu’ils sont accessibles par les citoyens européens ?

Très tôt après l’arrêt de la CJUE, Google a décidé d’installer un comité consultatif et composé « d’experts » indépendants. L’enjeu ? Faire émerger des critères d’application, œuvrer en faveur de la transparence, mais également témoigner d’un certain dynamisme sur ces questions sensibles. Ces travaux permettent aussi et surtout d'éclairer l'étendue des difficultés rencontrées par les moteurs dans la manipulation de ce droit.

Les quatre critères pour le droit à l’oubli dans les moteurs

Concrètement, le comité a identifié quatre critères pour mettre en jeu, ou non, le « droit à l’oubli » dans le moteur. « Aucun de ces quatre critères est déterminant, et il n’y a pas de hiérarchie » tempère-t-il, d’entrée.

Il s’agira d’abord du rôle joué par le citoyen dans la vie publique : entre les politiciens, présidents de société, célébrités, figure de la religion, star du sport et les simples particuliers, le droit à l’information devra prédominer ou non sur le droit à l’effacement…

Cela concerne ensuite la nature de l’information : vie sexuelle, situation financière, contrats privés ou données d’identifications financières, informations sur l’origine ethnique, les opinions, la religion, les mineurs, etc. informations fausses ou inappropriées… . Cela concerne également les condamnations décidées par des tribunaux. Là encore, sur ce point, tout dépendra de la nature de l’infraction, de la notoriété de la personne, etc. Tous ces critères peuvent également être rabotés sur l’autel de l’intérêt général quand les questions soulevées apportent une contribution au débat social (par exemple sur des cas de possibles fraudes comme on peut le voir aujourd’hui avec le scandale SwissLeaks). Le comité considère aussi que les informations factuelles et vraies, du moins celles qui ne mettent personne en danger, ou les informations historiques, devraient peser contre l’effacement.

La source de l’information (journalistiques, gouvernementales, blogueurs réputés, etc.) est le troisième critère identifié par le comité. Enfin, doit jouer le critère temporel : le temps peut rendre moins pertinente une information, désormais estompée, ou au contraire l’accentuer si le rôle d’une personne privée est devenu plus important dans la société.

Le comité donne parfois l’impression d’enfoncer des portes ouvertes, mais cela tient surtout à l’impossibilité de donner des solutions précises dépendant de chaque cas pratique, et où la marge de manoeuvre de Google sera plus ou moins grande.

 Transparence des critères et accessibilité du formulaire

Dans son rapport, il y a cependant quelques points clairement posés. Le comité recommande par exemple à Google de rendre « facilement accessible » le formulaire d’effacement offert aux internautes. De même, le moteur devrait informer les sites impactés par l’effacement, mais seulement dans les limites permises par la loi puisque cette alerte est susceptible d’alerter l’éditeur des motivations premières de l’internaute.

« Dans les cas complexes, il peut aussi être approprié de notifier le webmaster avant la prise de décision de retrait » afin de fournir « un contexte supplémentaire » pour l’appréciation des critères. Le comité suggère aussi une grande transparence sur le processus et les lignes directrices suivies pour évaluer les demandes.

Application du droit à l’oubli dans l’espace

La question de l’application de l’effacement dans l’espace fait l’objet d’un encadrement tout aussi strict. Selon le comité, il faut limiter le droit à l’oubli aux seules versions européennes du moteur. Certes, une extension planétaire permettrait de muscler le coup de gomme et donc la protection de la donnée personnelle, mais ce serait ignorer que des intérêts concurrents puissent être constatés hors de ces frontières !

De même, cela ouvrirait un précédent si chaque pays pouvait ainsi exiger un nettoyage mondial des données personnelles. On remarquera cependant que la CNIL, qui a également élaboré des pistes sur la question de l'effacement, milite pour une extension mondiale. De même, Google ne se pose parfois pas tant de questions : dans l’affaire Allostreaming, il avait déréférencé mondialement plusieurs sites de streaming suite à une demande des ayants droit français du cinéma focalisée sur la France (voir notre actualité).

Loi sur le numérique et règlement européen sur les données personnelles

Ces solutions ne règlent pas tout, mais elle montre la difficulté éprouvée par les acteurs du numérique dans la manipulation de ces données. Une certitude : on est désormais loin de l’époque tranquille, avant le 13 mai 2014, où les moteurs pouvaient rechercher et afficher beaucoup plus librement des informations personnelles.

Ce sujet va d’ailleurs revenir en force à l’occasion de deux rendez-vous. Il s’agira d’une part du projet de règlement européen  qui prévoit en l’état un véritable droit à l’oubli, justifié par des motivations plus subjectives.

Plus près de nous, la CNIL a déjà plaidé pour une réforme de la loi de 1978 « Informatique et Libertés » en préparation du projet de loi numérique d’Axelle Lemaire prévu pour le trimestre prochain. Elle plaide pour un droit à l’effacement plus musclé au profit des mineurs, qui s’appliquerait à « toute donnée collectée, traitée ou mise en ligne avant les 18 ans de la personne concernée ». Ce droit serait inconditionnel, sans autre motif légitime outre celui de l’âge de l’internaute.

11
Avatar de l'auteur

Écrit par Marc Rees

Tiens, en parlant de ça :

station électrique pour voitures

Voitures électriques : dans la jungle, terrible jungle, des bornes de recharge publiques

Dire que je râlais après les opérateurs de téléphonie mobile…

09:18 Société 28
KDE Plasma 6

KDE Plasma 6 a sa première bêta, le tour des nouveautés

Petite révolution tranquille

17:39 Soft 12
Un homme noir regarde la caméra. Sur son visage, des traits blancs suggèrent un traitement algorithmique.

AI Act et reconnaissance faciale : la France interpelée par 45 eurodéputés

Report minoritaire

15:46 DroitSociété 4

Sommaire de l'article

Introduction

Les quatre critères pour le droit à l’oubli dans les moteurs

 Transparence des critères et accessibilité du formulaire

Application du droit à l’oubli dans l’espace

Loi sur le numérique et règlement européen sur les données personnelles

station électrique pour voitures

Voitures électriques : dans la jungle, terrible jungle, des bornes de recharge publiques

Société 28

#LeBrief : intelligence artificielle à tous les étages, fichier biométrique EURODAC

KDE Plasma 6

KDE Plasma 6 a sa première bêta, le tour des nouveautés

Soft 12
Un homme noir regarde la caméra. Sur son visage, des traits blancs suggèrent un traitement algorithmique.

AI Act et reconnaissance faciale : la France interpelée par 45 eurodéputés

DroitSociété 4
Api

La CNIL préconise l’utilisation des API pour le partage de données personnelles entre organismes

SécuSociété 0
Fouet de l’Arcep avec de la fibre

Orange sanctionnée sur la fibre : l’argumentaire de l’opérateur démonté par l’Arcep

DroitWeb 18
Bombes

Israël – Hamas : comment l’IA intensifie les attaques contre Gaza

IA 14

#LeBrief : bande-annonce GTA VI, guerre électronique, Spotify licencie massivement

Poing Dev

Le poing Dev – Round 7

Next 71
Logo de Gaia-X sour la forme d’un arbre, avec la légende : infrastructure de données en forme de réseau

Gaia-X « vit toujours » et « arrive à des étapes très concrètes »

WebSécu 6

Trois consoles portables en quelques semaines

Hard 37
Une tasse estampillée "Keep calm and carry on teaching"

Cyberrésilience : les compromis (provisoires) du trilogue européen

DroitSécu 3

#LeBrief : fuite de tests ADN 23andMe, le milliard pour Android Messages, il y a 30 ans Hubble voyait clair

#Flock a sa propre vision de l’inclusion

Flock 25
Un Sébastien transformé en lapin par Flock pour imiter le Quoi de neuf Docteur des Looney Tunes

Quoi de neuf à la rédac’ #10 : nous contacter et résumé de la semaine

44
Autoportrait Sébastien

[Autoportrait] Sébastien Gavois : tribulations d’un pigiste devenu rédac’ chef

Next 20
Logo de StreetPress

Pourquoi le site du média StreetPress a été momentanément inaccessible

Droit 21
Amazon re:Invent

re:Invent 2023 : Amazon lance son assistant Q et plusieurs services IA, dont la génération d’images

IA 14
Un œil symbolisant l'Union européenne, et les dissensions et problèmes afférents

Le Conseil de l’UE tire un bilan du RGPD, les États membres réclament des « outils pratiques »

Droit 6

19 associations européennes de consommateurs portent plainte contre Meta

DroitSocials 16

#LeBrief : Ariane 6 l’été prochain, Nextcloud rachète Roundcube, désinformation via la pub

Chiffre et formules mathématiques sur un tableau

CVSS 4.0 : dur, dur, d’être un expert !

Sécu 16
Une tête de fusée siglée Starlink.

Starlink accessible à Gaza sous contrôle de l’administration israélienne

Web 35
Fibre optique

G-PON, XGS-PON et 50G-PON : jusqu’à 50 Gb/s en fibre optique

HardWeb 53
Photo d'un immeuble troué de part en part

Règlement sur la cyber-résilience : les instances européennes en passe de conclure un accord

DroitSécu 10
lexique IA parodie

AGI, GPAI, modèles de fondation… de quoi on parle ?

IA 11

#LeBrief : logiciels libres scientifiques, fermeture de compte Google, « fabriquer » des femmes pour l’inclusion

MIA : l’IA d’enseignement de Gabriel Attal pour faire oublier le classement PISA

IASociété 45

Une main sur laquelle est collée une étiquette où est écrit "human".

AI Act : des inquiétudes de l’impact de la position française sur les droits humains

DroitIA 1

Un tiroir montrant de nombreuses fiches voire fichiers

Une centaine d’ONG dénonce l’expansion du fichier paneuropéen biométrique EURODAC

DroitSécu 0

WhatsApp

Meta coupe le lien entre Instagram et Messenger

Soft 2

Nuage (pour le cloud) avec de la foudre

Cloud : Amazon rejoint Google dans l’enquête de la CMA sur les pratiques de Microsoft

DroitWeb 0

Des billets volent dans les airs.

Mistral AI s’apprête à lever 450 millions d’euros auprès de NVIDIA et a16z

ÉcoIA 0

Commentaires (11)


js2082
Il y a 9 ans


le comité consultatif de deux profs de droit deux stagiaires de Google a publié son rapport sur le « droit à l’oubli »


Qu’on ne s’y trompe pas, sur tout le lot de personnes présentes, je suis certain que pas un seul n’a du écrire une ligne de texte, tout au plus ont-ils lu le rapport, fourni gracieusement par Google (et rédigé par les stagiaires de la boite)


jethro
Il y a 9 ans






js2082 a écrit :

Qu’on ne s’y trompe pas, sur tout le lot de personnes présentes, je suis certain que pas un seul n’a du écrire une ligne de texte, tout au plus ont-ils lu le rapport, fourni gracieusement par Google (et rédigé par les stagiaires de la boite)


Source? <img data-src=" />



John Shaft Abonné
Il y a 9 ans

Evian© <img data-src=" />


shadowfox
Il y a 9 ans

Heureusement que t’as pas dit Vittel©. <img data-src=" />


John Shaft Abonné
Il y a 9 ans

Pour dévoilé un peu de ma vie privée, je viens des Alpes <img data-src=" />


127.0.0.1
Il y a 9 ans

La “finalité” de Google étant d’offrir le meilleur profilage publicitaire à ses clients, la collection de l’intégralité des données personnelles, sans restictions et sans limite de temps, est à la fois adéquate, pertinente et non excessive.

Google wins !


js2082
Il y a 9 ans






127.0.0.1 a écrit :

La “finalité” de Google étant d’offrir le meilleur profilage publicitaire à ses clients, la collection de l’intégralité des données personnelles, sans restictions et sans limite de temps, est à la fois adéquate, pertinente et non excessive.

Google wins !


Cette étude a été faite par des experts totalement indépendants, pas du tout intéressés et non-financés dans leur totalité de leurs dépenses, salaires, primes et bonus par google.









Ou pas.<img data-src=" />



js2082
Il y a 9 ans

As-tu déjà eu l’occasion de travailler dans le milieu universitaire et celui des rapports officiels (notamment ceux des fameux cabinets d’avocats?

Pendant que le prof ou l’avocat est tranquille en train de déjeuner aux frais de la princesse, comment crois-tu que le rapport est écrit?
Le stagiaire est là pour faire le boulot, l’avocat/prof récupère le boulot, appose son nom et signe le tout (sans même le lire parfois).


jethro
Il y a 9 ans






js2082 a écrit :

As-tu déjà eu l’occasion de travailler dans le milieu universitaire et celui des rapports officiels (notamment ceux des fameux cabinets d’avocats?

Pendant que le prof ou l’avocat est tranquille en train de déjeuner aux frais de la princesse, comment crois-tu que le rapport est écrit?
Le stagiaire est là pour faire le boulot, l’avocat/prof récupère le boulot, appose son nom et signe le tout (sans même le lire parfois).


Bienvenue dans le monde merveilleux de l’entreprise.


&nbsp;



WereWindle
Il y a 9 ans






js2082 a écrit :

As-tu déjà eu l’occasion de travailler dans le milieu universitaire et celui des rapports officiels (notamment ceux des fameux cabinets d’avocats?&nbsp;

Pendant que le prof ou l’avocat est tranquille en train de déjeuner aux frais de la princesse, comment crois-tu que le rapport est écrit?&nbsp;
Le stagiaire est là pour faire le boulot, l’avocat/prof récupère le boulot, appose son nom et signe le tout (sans même le lire parfois).




jethro a écrit :

Bienvenue dans le monde merveilleux de l’entreprise.&nbsp;


&nbsp;Ca rappelle la blague du “ma femme est mon actionnaire principal, quand je la sort c’est du travail ou du plaisir ?” <img data-src=" />



vizir67 Abonné
Il y a 9 ans

c’est “une arme : à double-tranchant” comme, elle est, présentée là !!! <img data-src=" />