Copie privée : les ayants droit condamnés à rembourser 1 million d’euros à Auchan et Carrefour
Auchan en profiter !
Le 26 mai 2015 à 07h49
8 min
Droit
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Le 22 mai dernier, Copie France a été condamné par le tribunal de grande instance de Paris à rembourser un trop versé de 1,08 million d’euros à Auchan et Carrefour. Les sociétés espéraient plus de dix fois plus. En vain.
La vie tumultueuse de la redevance pour copie privée a été marquée en France par plusieurs annulations de barèmes décidées par le Conseil d’État (là et là par exemple). Les douze représentants des ayants droit présents en force au sein de la commission copie privée ont en effet fait adopter des prélèvements musclés à l'aide de deux leviers : les pratiques de copies illicites et les duplications professionnelles. Problème : ces usages, qui ont permis de justifier des taux en hausse, sont découplés de la redevance pour copie privée. Pour le premier, il s’agit de contrefaçons dont la réparation se compense par les seuls dommages et intérêts. Pour les seconds, le droit européen n’autorise ce prélèvement qu’à l’égard des particuliers pour leurs usages privés. Bref, il exclut tout prélèvement des entreprises et autres structures (associations, etc.).
Face à une pluie d’annulations qui ont parsemé ces dernières années, certaines grandes sociétés ont fait leur compte. Elles ont en effet payé de la redevance copie privée calculée sur des barèmes soit torpillés par la justice, soit méconnaissant ces principes ignorés par les ayants droit. C’est dans ces conditions qu’en avril 2011, Carrefour Import, Carrefour Hypermarché et Auchan ont réclamé de Copie France, percepteur des ayants droit, la restitution de millions d’euros adossés aux lecteurs MP3, MP4, disques durs externes, tablettes, CD-R, DVD-R mis en circulation par elles.
Mais les choses ne sont pas si simples dans le monde feutré de la copie privée, où les règles sont parfois d’une étonnante subtilité.
Attachantes règles de rattachement
Carrefour Import espérait par exemple un retour de 3 millions d’euros pour les produits entrés sur le marché entre 2008 à 2011. Pourquoi ? La société considère qu’elle n’avait rien à payer sur le fondement de quatre décisions de la commission copie privée (9, 10, 11, 13), concernant cette période. Toutes ont en effet été annulées par la justice administrative. Cependant, dans son jugement du 22 mai, le tribunal de grande instance de Paris a repoussé l’analyse : déjà, la première vague des supports en litige (essentiellement des baladeurs MP3 et MP4) a été administrativement rattachable à d’autres décisions (la 6 et la 7). Pour déterminer ce critère de filiation, les juges se sont appuyés non sur la date de facturation (correspondant en effet aux dates des décisions 9, 10, 11, et 13), mais sur celle des sorties de stocks (touchant cette fois à l’agenda de la 6 et 7).
Pas d’effet direct de la directive droit d’auteur dans un litige privé
Pas de souci ! Carrefour Import a rétorqué que la décision 6 n’a certes pas été annulée, mais celle-ci serait inapplicable, car incompatible avec le droit européen. En effet, cet ancien barème n’excluait pas les professionnels de son périmètre. Il y a aurait donc une erreur manifeste dans l’application du droit puisque la législation européenne, disions-nous, épargne les pros. Le TGI a là encore repoussé l’argument : la directive sur le droit d’auteur, qui encadre la copie privée en Europe, peut être invoquée par une personne privée dans un litige l’opposant à l’État, non à une autre personne privée (pas d’effet direct horizontal, disent les juristes). Circulez !
Pour les ayants droit, l’analyse est une très bonne nouvelle qui permettra d’aiguiser les armes contre d’autres contentieux. Cependant, tout n’est pas rose : ce point avait justement été esquivé par Imation. En novembre 2013, devant la cour d’appel de Paris, statuant toutefois en référé, la société avait utilement fait valoir que les sociétés de gestion collectives étant armées d’agents assermentés, disposant de prérogatives fortes pour la gestion du service public culturel, elles disposaient d’une sorte de coloration publique. En clair, elles apparaissent à bien des égards comme une émanation de l’État, plus que comme une simple personne morale de droit privé. Conclusion pour ce fabricant de supports : il serait possible d’appliquer les rigueurs du droit européen dans un litige d’apparence privée (la question est actuellement examinée au fond).
Pas de rétroactivité des barèmes annulés
À l’égard de la décision 7, Carrefour Import a rappelé au juge que ce barème a lui aussi été annulé. Mais dans son jugement, le TGI de Paris s’est remémoré la douce générosité du Conseil d’État : il a certes torpillé le barème 7, mais uniquement pour l’avenir, exception faite des contentieux en cours. La société en question n’ayant pas introduit à l’époque de procédure devant les juges, sa demande s’est donc heurtée à un mur : « tous les paiements intervenus au vu des factures basées sur les décisions 6 et 7 étaient justifiées et ne peuvent donc donner lieu à aucune répétition » (remboursement d’un enrichissement sans droit, dans le jargon), lui ont opposé les juges, ce 22 mai.
Mais pourquoi cette annulation non rétroactive ? C’est dans la quasi totalité des cas une habitude au Conseil d’État, dès lors qu’il se penche sur les bugs de la copie privée. En effet, les sommes prélevées par Copie France les années précédentes ont depuis belle lurette été réparties entre les différentes sociétés de gestion collective (SACEM, SACD, SCPP, Adami, Spedidam, etc.) puis dans les poches des créateurs, sans oublier les 25 % des flux qui ont financé des festivals et autres soutiens à la culture. Bref, impossible de faire machine arrière ! Cette état de fait représente un confortable cadeau pour les ayants droit, puisqu’au total, depuis 2001, la masse des sommes prélevées indument dépasse les centaines de millions d’euros.
Carrefour obtient malgré tout 430 000 euros
La victoire de Copie France n’a cependant pas été totale. Pourquoi ? Une seconde vague de produits importés par Carrefour était bien rattachable à la décision 11 (lecteurs MP3 et MP4, entre janvier 2009 et décembre 2011). Mieux, Carrefour Import avait eu bon nez d’introduire une action peu avant la décision du Conseil d’État. La société était donc assurée d’obtenir le remboursement de la redevance payée sur le fondement de barème illicite !
En fait, loin de là. Droit français et européen sur les genoux, le TGI a jugé que le paiement de la redevance est dans tous les cas obligatoire, car dans le même temps, les utilisateurs finaux ont pu réaliser des copies privées. Seule concession, tenant compte qu’une partie des produits a été vendue à une clientèle professionnelle, corrigeant les barèmes, il a simplement obligé Copie France à restituer un trop versé de 230 000 euros à Carrefour Import.
Dans un second litige, il s’agissait toujours de Carrefour, mais dans sa composante « hypermarché ». Les agendas, les arguments et les réponses ont été identiques, sauf que cette fois, Copie France a été condamnée à rendre 200 000 euros au titre des baladeurs MP3 et MP4 commercialisés entre janvier 2009 et décembre 2011.
Et 650 000 euros restitués à Auchan
Enfin, le TGI a été appelé le même jour à trancher un dernier litige opposant Auchan à Copie France. Le terrain de guerre ? La redevance payée sur les lecteurs MP3 et MP4, les clefs USB, les disques durs externes, tablettes, CD-R, etc. qui garnissent ses rayons. Selon elle, plus de 7,4 millions d’euros ont été indument versés aux ayants droit, car, là aussi, reposant sur des barèmes annulés ou peu en phase avec le droit européen.
La réponse du TGI sera là encore la même : les directives n’ont pas d’effet direct dans les litiges privés, les barèmes annulés ne l’ont été que pour l’avenir, laissant inattaquable les prélèvements passés, peu importe qu’ils soient illicites. Enfin, s’agissant des sommes effectivement litigieuses, les utilisateurs ont pu dans le même temps réaliser des copies privées. Il serait donc inique de laisser les ayants droit sans le sou.
Calculatrice dans une main, arrêts du Conseil d’État dans l’autre, le TGI a cependant considéré qu’il y avait bien eu un trop versé sur deux périodes : entre janvier 2009 à décembre 2011 (CD-R, CD-RW, DVD-R, DVD-RW, baladeurs MP3 et MP4, clés USB, disques durs externes) et février à décembre 2011 (tablettes tactiles). Pourquoi ? Car Auchan a dû payer de la redevance pour des produits qu'elle a vendus à des pros. Bon prince, le TGI a demandé aux ayants droit de lui restituer 650 000 euros.
Au final, Copie France devra donc verser 1,08 million d’euros à Auchan et Carrefour (Hyper et Import). Une goutte d'eau face aux 200 - 250 millions d'euros prélevés chaque année. Les trois entreprises réclamaient la restitution de 13,5 millions d’euros.
Copie privée : les ayants droit condamnés à rembourser 1 million d’euros à Auchan et Carrefour
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Attachantes règles de rattachement
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Pas d’effet direct de la directive droit d’auteur dans un litige privé
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Pas de rétroactivité des barèmes annulés
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Carrefour obtient malgré tout 430 000 euros
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Et 650 000 euros restitués à Auchan
Commentaires (32)
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Abonnez-vousLe 27/05/2015 à 04h37
la directive sur le droit d’auteur, qui encadre la copie privée en Europe, peut être invoquée par une personne privée dans un litige l’opposant à l’État, non à une autre personne privée
Alors ça c’est vraiment trop fort … Il suffit de charger une société privée de la collecte d’une taxe pour qu’on n’ait plus aucun recours. On ne peut pas attaquer l’état puisque c’est Copie France qui fait la collecte, et on ne peut pas attaquer Copie France parce que ce n’est pas l’état. Petit tour de prestigiditation du juge et hop! L’article de loi disparaît.
Le 26/05/2015 à 08h10
Le beurre et l’argent du beurre pour Auchan et Carrefour donc, car au final ce n’est pas le consommateur qui va récupérer les quelques centimes de trop qu’il a payé lors de son achat …
Le 26/05/2015 à 08h12
Mouarf, mouarf, mouarf. Les grandes enseignes se font rembourser la copie privé.
Donc si on vie dans un monde ou la justice se rend réellement, soit :
Encore une belle illustration du gros n’importe quoi qu’est ce montage fiscal…
EDIT : je suis trop lent
Le 26/05/2015 à 08h13
Le “consommateur” peut aussi se prendre en main tout seul plutot que d’attendre que d’autre le fasse pour lui…
Qui parlait du beurre, de l’argent du beurre ….. ? Et d’attendre que les choses viennent toutes cuites dans sa poche…
Sinon il y a l’UFC (par exemple) qui, si elle est saisie du dossier, pourra organiser une action de groupe…
Le 26/05/2015 à 08h14
@LeDucRouge vrai mais tu fais comment pour retracer les personnes qui ont effectivement acheté des supports ? Mis en place d’un super fichier des consommateurs ? D’où l’intérêt que les barèmes soient correctement élaborés, à défaut et à tout le moins, qu’il soit possible de rembourser les intermédiaires qui ont trop versé.
Le 26/05/2015 à 08h15
Certes mais les class actions sont arrivées très récemment en France. On verra pour la prochaine “affaire” du même genre.
Le 26/05/2015 à 08h16
J’imagine que l’argument “mais vous aviez bien refacturé ce prélèvement à vos client” n’est pas un argument juridique valable … tant que l’étiquette ne dit pas clairement “dont X euros de taxe copie privée”.
Et comme c’est toujours pas fait, on continue de marcher sur la tête.
(Accessoirement, je pense que le jour où la taxe sera clairement présente sur l’étiquette, il se peut que plus de gens s’interessent au sujet, parce que c’est loin d’être “quelques centimes” comme le mentionnaire le duc rouge, ça peut osciller entre quelques euros et quelques dizaines d’euros en fonction de ce qu’on achète).
Le 26/05/2015 à 08h20
Le “superfichier”, il existe déjà, il s’appelle la carte fidélité.
Il a déjà été utilisé dans le cas de rappel de produits alimentaires faisant courir un danger pour le consommateur, notamment sur des steaks hachés surgelés chez Leclerc.
Après, quid de la durée de rétention des données.
Le 26/05/2015 à 08h23
Le 26/05/2015 à 08h31
Cette carte n’est pas obligatoire. Et ce ne sera que partiel.
Le 26/05/2015 à 08h38
D’où l’importance de scanner les tickets de caisses de certains achats….
Perso, plutôt que de les stocker (et les perdre la plupart du temps…..) Je les scan (mieux que la simple photo) et les stocks à l’aide d’une appli genre Evernote.
J’ai eu une fois à faire jouer la garantie sur un appareil électroménager, j’ai envoyé la copie du ticket et de la facture au SAV, c’est passé sans probleme.
Pour les achats via le Net, la question ne se pose pas, les factures sont quasi systématiquement conservées dans son historique/profil
Le 26/05/2015 à 08h48
Oui, il faut évidemment les scanner (ce que je fais aussi) car nombre de factures devient illisibles (ou partiellement) au bout de quelques mois.
Sachant que sur le net on reçoit toutes les factures en pdf donc y’a aucun soucis pour tout archiver.
Et en plus la recherche devient un jeu d’enfant, en 5 sec on a le résultat.
Le 26/05/2015 à 08h50
Étonnantque aucun cybermachant ne vendent ce genre d’article en demandant un numéro de Siret pour prouver qu’il s’agit bien d’une utilisation professionnelle, ainsi plus besoin de payer les redevances.
Le 26/05/2015 à 08h57
Il me semble qu’il y a ldlc prohttp://www.ldlc-pro.com/, qui a le catalogue ldlc mais qui est dédié aux professionnels, et qui affiche ses prix en HT et TTC
A confirmer cependant pour le numéro de SIRET (jamais testé).
Le 26/05/2015 à 08h59
Le 26/05/2015 à 09h10
Pour ldlc-pro, ils retirent uniquement la TVA pour afficher leur prix HT.
La copie privée française est comprise dans ce prix HT. Et apparemment le prix de la copie privée apparait sur la facture finale d’après le support ldlc-pro.
Je pense qu’avec ça, les pro français peuvent se faire rembourser, mais après combien de démarche…
Je suis Belge et si je commande chez eux, ils ne veulent pas faire le prix du matériel sans la cote part copie privée, dixit le support ldlc-pro…
Et impossible de se faire rembourser en Belgique : J’ai contacté CopieFrance qui m’a redirigée vers Auvibel (équivalent Belgique). C’est chez eux la seule personne qui m’a répondu franchement et dans les détails. Eux ne peuvent rien faire car la copie privée est perçue en France. Les pro Belges ou consommateurs Belges qui commandent en France ne doivent pas être soumis à cette cote part copie privée française, le vendeurs Français ne peut pas la facturer.
Donc ldlc-pro comme le reste sont tous en tord. Mais le système étant tellement opaque, comme récupérer ces montant que l’on ne doit pas payer ? Je me sois pas porter plainte et faire des démarches en france pour même pas 50€ à récupérer… J’ai déjà fais toutes les démarches avant vente possibles sans succès…
Le 26/05/2015 à 09h10
Ca existe deja…
Edit : over grilled…
Le 26/05/2015 à 09h14
Le 26/05/2015 à 09h43
Là encore, c’est partiel.
Le 26/05/2015 à 09h45
Le 26/05/2015 à 11h27
Le 26/05/2015 à 11h33
Le 26/05/2015 à 12h16
” Au final, Copie France devra donc verser 1,08 million d’euros à Auchan et Carrefour……..”
j’en suis RAVI !!!!!!" />
pour UNE FOIS, que ça va dans l’autre sens !
d’habitude, c’est EUX qui récoltent –> “pas, toujours, les MÊMES, hein” ?
Le 26/05/2015 à 12h38
Bin si il existe, mais par l’intermédiaire des associations qui soit s’autosaisissent, soit sont saisies par leurs adhérents.
Quand au seul pouvoir des associations, il repose aussi sur deux choses… Leurs adhérents et de leur investissement dans leur “combat”.
Parle en au trop opérateurs condamnés pour entente illégale.
Ils ont été condamnés, ils ont payés. Aprés si les consommateurs ne se sont pas manifestés… C’est un autre probleme.
Le 26/05/2015 à 13h59
Le 26/05/2015 à 14h25
Certes.
Même si dans le principe cette rétribution est cohérente, c’est juste que les barèmes sont délirants et qu’il faut qu’ils se calment sur la branlette.
Le 26/05/2015 à 16h19
Tu croise le ticket de caisse avec la paiement CB ou chéque et tu retrouve facilement le client
Le 26/05/2015 à 16h32
Donc comment en arrive-t-on à rembourser Auchan et Carrefour alors que pour eux, il n’y a pas de préjudice ?
Le 26/05/2015 à 16h35
Le 26/05/2015 à 16h43
C’est le principe des intermédiaires qui touchent de l’argent “gratuitement” on appelle ça aussi des ayants droits en dehors du petit monde de la grande distribution " />
Le 26/05/2015 à 17h13
Le 26/05/2015 à 18h23
J’ose espérer que c’est une étape vers la destruction de ce système, que la sanction ne sera un jour plus la seule solution envisagée par des vampires !
(en parlant de ça, j’ai constaté ce week-end la réapparition de moustiques, ces ignobles suceurs de sang, à mort !)