Au Parlement européen, une pétition veut encourager la création d’un Linux souverain
Souverain pour qui ?
Un Autrichien anonyme a déposé au Parlement européen une pétition pour encourager le développement d’une distribution souveraine pour le Vieux continent. S’il y a peu de chances qu’elle récolte suffisamment de votes au vu de la complexité du sujet, elle vient mettre le doigt sur de nombreuses problématiques actuelles, dont la dépendance aux grandes sociétés américaines.
Le 19 novembre à 10h42
7 min
Société numérique
Société
« Le pétitionnaire demande à l'Union européenne de développer et de mettre en œuvre activement un système d'exploitation basé sur Linux, appelé "EU-Linux", dans les administrations publiques de tous les États membres de l'UE. Cette initiative vise à réduire la dépendance à l'égard des produits Microsoft, à garantir la conformité au règlement général sur la protection des données (RGPD) et à promouvoir la transparence, la durabilité et la souveraineté numérique au sein de l'UE », décrit ainsi la page web consacrée à la pétition sur le site du Parlement européen.
On peut lire également que l’auteur insiste sur l’importance « d'utiliser des alternatives open-source à Microsoft 365, telles que LibreOffice et Nextcloud, et suggère l'adoption du système d'exploitation mobile E/OS pour les appareils gouvernementaux ». Il fait en outre mention des créations d’emplois qu’un tel projet provoquerait.
Cette pétition, qui porte le numéro 0729/2024, a été enregistrée par N. W. et cumule un peu moins de 2 000 signatures à l’heure où nous écrivons ces lignes. En l’état, à moins d’un large engouement – potentiellement par le biais de relais dans la presse – cette initiative a peu de chances d’aboutir. Pourtant, l’idée est séduisante et met en lumière plusieurs thématiques récurrentes.
Des avantages « évidents »
L’initiative, repérée notamment par le développeur Stéfane Fermigier (coprésident du CNLL notamment), a de quoi séduire. Ce dernier, dans une analyse publiée sur son site et sur LinuxFR.org, pointe les nombreux avantages qu’il y aurait à promouvoir un tel système. Après tout, Linux est un matériau particulièrement flexible et adaptable à tous les besoins, c’est l’une de ses plus grandes forces, avec la transparence de son code libre.
L’Union européenne n’aurait donc qu’à « tirer parti de cette diversité pour adopter ou personnaliser une version qui répond aux besoins spécifiques de l'administration publique ». D’autant que des outils spécialisés existent pour configurer précisément une distribution (Yocto, Linux From Scratch…).
Les économies sont bien sûr mises en avant, notamment sur les licences des logiciels propriétaires. Plus loin, l’auteur aborde d’ailleurs le cas de la gendarmerie française, qui a basculé sur Ubuntu 70 000 ordinateurs à partir de 2008. Les économies réalisées avaient été estimées à environ 9 millions d’euros par an. Avec le temps, le système a été personnalisé (en partenariat avec Canonical) pour répondre à des besoins plus spécifiques et est devenu GendBuntu.
La transparence et la sécurité seraient également au programme : un code libre, donc auditable, « permet aux experts en sécurité d'identifier et de corriger proactivement les vulnérabilités, assurant une plateforme résiliente et adaptable aux menaces cybernétiques évolutives ». L’Union pourrait aussi choisir précisément les composants dans son système, réduisant d’autant la surface d’attaque.
Mais c’est bien la dépendance aux logiciels propriétaires qui est pointée du doigt. « En exerçant un contrôle direct sur le code source, l'UE peut garantir les plus hauts niveaux de confidentialité des données et protéger les informations sensibles contre toute interférence étrangère », affirme ainsi Fermigier. En outre, un EU-Linux garantirait le respect du RGPD et autres normes de confidentialité
Au fait, c’est quoi la souveraineté ?
L’idée d’un système souverain dans un État ou un groupe d’États n’est pas nouvelle, loin de là. On se souvient qu’en 2016, la question avait enflammé brièvement l’Assemblée, sous l’impulsion de la députée Delphine Batho. Stéphane Bortzmeyer s’était fendu d’un billet de blog pour résumer la situation, notant à quel point la proposition avait été mal gérée. Il interrogeait également la notion de souveraineté, alors très imprécise.
Son avis n’a que peu changé en huit ans. « Ce qui me fascine, c’est que nous avons déjà discuté de ces sujets à plusieurs reprises, et que rien n’a évolué. J’ai l’impression que l’on recommence cette conversation depuis le début à chaque fois », nous a-t-il indiqué lors d’un échange téléphonique. Il pose surtout la question : « Quand on dit OS souverain, c’est bien joli, mais de quoi on parle ? ».
Ce point n’est pas abordé par la pétition. Comme en 2016, la question est donc de savoir si l’on parle de créer un OS depuis zéro, ou bien de partir d’une base existante comme Debian, Ubuntu, Fedora ou autre. « Si j’étais devant l’auteur de la pétition, je lui demanderais : d’accord pour partir d’un système existant, mais dans ce cas, si l’on parle d’une Ubuntu ou d’une Fedora, qu’est-ce qui manque ? ». Il note cependant qu’au moins, « la proposition serait réaliste », car créer un système depuis une page blanche est colossal et « déraisonnable ».
Rejetant toute notion d’évidence, l’ingénieur déplore l’absence de discussion technique sur le sujet, comme si l’étiquette « souverain » « répondait à toutes les questions ». Et quand bien même, il interroge la visée politique d’un tel système : s’agit-il de se détacher simplement des grandes entreprises américaines ou de contrôler plus étroitement les citoyens européens ? « On ne sait pas qui a proposé cette idée. La version indulgente serait de dire qu’il s’agit d’une personne qui ne s’y connait pas trop, mais qui veut bien faire. Dans une version plus cynique, on pourrait dire que la pétition a des visées politiques et est volontairement floue ».
Il rappelle également que la France s’était déjà lancée dans le développement d’un OS spécifique : CLIP, qui avait été créé par l’ANSSI sur une base Hardened Gentoo à destination de l’administration française. L’objectif était alors de fournir un système très sécurisé, pour mieux protéger les données sensibles. Son développement a cependant été arrêté, le projet étant aujourd’hui archivé. En outre, sur son site officiel, l’ANSSI indique que CLIP ne pouvait pas être considéré comme « souverain ». Son code source reste consultable sur GitHub.
/e/OS pour les smartphones
Si la pétition pousse surtout en avant l’idée d’un système Linux européen pour les administrations, elle propose par ailleurs que /e/OS soit utilisé sur les appareils mobiles. Ce n’est pas précisé dans la phrase, mais on suppose qu’il s’agit d’équiper le personnel administratif, pas les Européens eux-mêmes.
Rappelons que /e/OS, créé par Gaël Duval (fondateur de Mandrake/Mandriva) est un système basé sur Android, orienté vie privée et dépourvu de mouchards. On le trouve sur les smartphones Murena ainsi que sur des versions dédiées des Fairphone 4 et 5.
Interrogé, Gaël Duval nous indique simplement être satisfait que la plateforme /e/OS « commence à devenir visible ». « On espère que ça va faire bouger les institutions », a-t-il ajouté. Il évoque « une prise de conscience » dans l’Union européenne, notamment « en termes d’indépendance stratégique ».
Au Parlement européen, une pétition veut encourager la création d’un Linux souverain
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Des avantages « évidents »
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Au fait, c’est quoi la souveraineté ?
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/e/OS pour les smartphones
Commentaires (29)
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Abonnez-vousLe 19/11/2024 à 10h52
Le 19/11/2024 à 10h59
L'objectif n°1 semble être de virer le propriétaire, donc les distros classiques répondent déjà au besoin. Tout est forkable en cas de besoin. Ou alors c'est pour mettre une étiquette "made in EU" qui claque.
Le 19/11/2024 à 11h04
Le 19/11/2024 à 12h38
Le 19/11/2024 à 11h40
Le 19/11/2024 à 13h44
(Après j’ai rien contre opensuse, c’est la distribution qui m’a fait découvrir Linux il y a 20 ans et j’y retourne régulièrement)
Le 19/11/2024 à 18h26
Le 19/11/2024 à 20h53
Le 19/11/2024 à 12h17
Et on peut évidemment inclure le logiciel libres sur ces mêmes distributions ("non, tu n'utilises pas Google comme navigateur").
Le 19/11/2024 à 14h14
Le 19/11/2024 à 16h31
Modifié le 19/11/2024 à 16h53
En tout cas, pour le on premise ils sont compétitifs en général. Les boîtes qui font du Linux assoment ou si on baisse le prix on tombe sur une sacré bande de mamaillous...
Bref, Linux ou Ms, actuellement le budget serait assez proche côté OS serveurs. Côté infra de sécu, c'est compliqué: peu de boîte ont la couverture de Ms sur du Linux - et d'ailleurs Ms le couvre en Azure.
Un exemple: chez Redhat, on me propose une facturation à l'instance d'OS. Rapidement, Ms avec les licences datacenter est moins cher et plus souple.
Comptablement parlant, rester sur Ms est un statu quo - migrer est un risque et un surcoût qui ne peut pas être discuté sans une volonté stratégique/politique.
Sauf qu'actuellement, les ressources infos sont concentrées sur la sécu, les usages et la rentabilité des applis - les OS c'est secondaire.
Ceci dit, je guette les opportunités :)
Le 20/11/2024 à 00h31
Le 19/11/2024 à 16h41
Le 19/11/2024 à 16h54
Le 19/11/2024 à 16h56
Le 19/11/2024 à 18h59
Sauf que en compta publique, les "droits d'usage" on les passe souvent en investissement, et les charges salariales nécessaires à faire en interne c'est du fonctionnement -> le budget que les établissement publics doivent réduire.
Le 19/11/2024 à 12h23
Le 19/11/2024 à 14h10
Modifié le 19/11/2024 à 17h47
Le 19/11/2024 à 18h03
Le 20/11/2024 à 11h22
Le 20/11/2024 à 11h30
Modifié le 21/11/2024 à 10h02
- UBUNTU (Origine Anglaise)
- OPENSUSE (Origine Allemande)
- MAGEIA (Origine Française, issue de Mandrake et de Mandriva)
- ZORIN OS (Origine Irlandaise)
Le 21/11/2024 à 09h37
Réponse: non. L'origine de la distro ne donne aucune garantie.
Pour faire une distro "souveraine", il faudrait identifier tous les éléments nécessaire à construire l'OS, et en assurer le contrôle.
Et au-delà... faire un système de signature numérique qui dépende de chaînes hébergées en Europe uniquement, et dont le financement serait européen uniquement.
(parce qu'un truc rigolo, ce serait que les US arrêtent de fournir des certificats ou émettent des annulations de certificats en masse :) )
Le 24/11/2024 à 18h18
Le 24/11/2024 à 19h16
Le fondateur de la société est anglo-sud-africain et la société est bien anglaise.
Le 26/11/2024 à 14h15
Modifié le 24/11/2024 à 18h21
Alors certes, la France n'est pas toute l'Europe mais si la globalité de nos administrations avaient migré elles aussi, cela aurait pu provoquer un effet boule de neige.
Et pourquoi pas une prise de conscience générale de notre très forte dépendance aux logiciels propriétaires et la réalisation d'un OS 'Made In EU' indépendant ... On peut rêver bien sûr