La France devra subir un nouveau front devant la Cour européenne des droits de l’Homme. Après l’association de la presse judiciaire et l’Ordre des avocats de Paris, nous avons appris que le Conseil national des barreaux s’était à son tour attaqué à la loi du 24 juillet 2015 sur le renseignement.
Cet établissement d'utilité publique, qui représente l'ensemble des avocats exerçant en France, estime que l’entrée en vigueur de ce texte crée de lui-même « une menace de surveillance pour tous ceux auxquels on pourrait l’appliquer ». Selon les informations qui nous ont été communiquées par le CNB, celui-ci juge les différentes techniques de renseignement comme « particulièrement intrusives », susceptibles d’intervenir dans « des affaires particulièrement sensibles qui touchent aux intérêts fondamentaux de la Nation visés à l’article 811 - 2 du Code de la sécurité intérieure ».
Il y aurait ainsi violation de l’article 8 de la CEDH qui proclame le droit de toute personne au respect de sa vie privée, familiale, de son domicile et de sa correspondance.
Trop de flous dans le texte français
La Convention autorise certes les atteintes à ce droit, mais à condition qu’elles soient prévues par la loi et constituent « une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l'ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d'autrui ».
Or, aux yeux du CNB, aucun de ces critères impérieux ne serait respecté. Le texte français souffrirait déjà d’ombres, « faute en particulier d’avoir défini la notion d’informations ou documents ». Cette notion est fondamentale car elle définit le spectre des données pouvant être alpaguées par les outils intrusifs. Certes, le Conseil constitutionnel l’a déjà auscultée sans adresser le moindre reproche, mais il n’a pas levé toutes les incertitudes sur son périmètre.
Autre grief, la situation particulière des avocats. Avec les parlementaires, les journalistes et les magistrats, ces professionnels du droit ne peuvent être visés par ces mesures dans l’exercice de leur mandat. Seulement, le CNB remarque à raison que la loi sur le renseignement ne permet pas de savoir comment se fera le tri entre ce qui relève de cette activité et ce qui en est étranger : en pratique, lorsqu’un avocat sera mis sous surveillance, les services du renseignement ne pourront par avance faire un tel tri. Ils sauront tout, mais seront priés d’oublier illico les secrets relevant des activités professionnelles qui se dévoileraient sur leurs écrans...
La liste des reproches n’est pas terminée : les très vastes finalités excèderaient le critère du « strictement nécessaire » imposé à ce type de législation par la Cour européenne des droits de l’Homme. De même, les outils de surveillance permettraient « une surveillance généralisée et indifférenciée ». Pire encore, le Conseil considère que les mesures de contrôle de ces opérations sont loin d’être suffisantes, aussi bien en préventif par la Commission nationale de contrôle des techniques du renseignement, qu’a posteriori par les juridictions administratives.
Pas de droit à un recours effectif
Sur sa lancée, le CNB, défendu par Me Patrice Spinosi, considère qu’il y a également une atteinte à l’article 13 de la CEDH, lequel protège le droit à un recours effectif devant une instance nationale.
Pourquoi ? La loi sur le renseignement a été déclarée presque intégralement conforme par le Conseil constitutionnel le 23 juillet 2015. Le lendemain, dans la QPC déposée par la Quadrature du Net, FDN et FFDN, ceux que l’on nomme communément les « Sages » ont ajouté qu’ « aucune disposition constitutionnelle ne consacre spécifiquement un droit au secret des échanges et correspondances des avocats et un droit au secret des sources des journalistes » (la décision).
Or, compte tenu de l’autorité des décisions du Conseil constitutionnel, les autres juridictions internes « ne peuvent [désormais] plus faire droit aux arguments » du CNB, « selon lesquels l’existence même des dispositifs de la loi relative au renseignement porte gravement atteinte à son droit au respect de sa vie privée ainsi qu’à son droit à un recours effectif ».
Les recours des journalistes judiciaires, de l’Ordre des avocats de Paris et maintenant du Conseil national des Barreaux devraient profiter pleinement d’une récente décision rendue début décembre par la Cour européenne des droits de l’Homme. Celle-ci a en effet accepté d’examiner la législation russe sur la surveillance des services de communications, sans attendre de violation effective de la vie privée des citoyens.
Commentaires (23)
#1
une instance européenne va examiner une loi russe? c’est quoi ce délire? on va examiner le patriot act américain aussi? remarque y a moyen de rigoler, quelqu’un a du pop corn? " />
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… le début de l’europe !
du traité de 2005 …
Et surtout : vive l’europe.
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Comme la France, la Russie a signé la convention européenne des droits de l’homme, et est donc sensé la respecter (ainsi que les décisions de la CEDH). Dans les faits, aucun de ces deux pays ne la respecte.
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Rappel :http://www.rtl.be/info/monde/international/un-rapport-americain-sur-le-ttip-est-…
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La Convention autorise certes les atteintes à ce droit, mais à condition qu’elles soient
prévues par la loi et constituent « une mesure qui, dans une société démocratique
est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique
du pays, à la défense de l’ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection
de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d’autrui ».
à mon avis : le Gouv. va s’appuyer sur CETTE Loi, là !
et se sera “plié” !
(c’est bien d’avoir essayé quand même)
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tu ne retiens qu’une partie des conditions de l’art. 8
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Yep, l’inscrire dans la Constitution fait que, justement, les Droits de l’Homme ne seraient plus opposables aux lois liberticides… on y perdrait ainsi l’une de nos plus importantes protections contre l’Etat…
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tiens, via un lien de wiki,
@ ceux qui prédisent l’anglais parlé par tout le monde en France “soon”
“11. Considérant que ces dispositions sont également contraires au premier alinéa de l’article 2 de la Constitution en ce qu’elles tendent à reconnaître un droit à pratiquer une langue autre que le français non seulement dans la “vie privée” mais également dans la “vie publique”, à laquelle la Charte rattache la justice et les autorités administratives et services publics ; “ signé le CC.
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