Nouvelles technologies : les doléances des juges antiterroristes
Voeux 2016
Le 30 décembre 2015 à 13h00
6 min
Droit
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Après les attentats du 13 novembre, une mission de suivi de l’état d’urgence a été lancée au Sénat. À cette occasion, plusieurs juges antiterroristes ont fait état des problèmes rencontrés dans leur quotidien face aux évolutions technologiques.
Dans cet échange organisé le 9 décembre dernier, et désormais retranscrit sur le site du Sénat, Laurence Le Vert, première vice-présidente chargée de l'instruction à la section antiterroriste et atteintes à la sûreté de l'État au tribunal de grande instance de Paris, et David Bénichou, vice-président chargé de l'instruction à la section antiterroriste et atteintes à la sureté de l'État au TGI de Paris ont ainsi fait part de leur doléance.
« L'évolution des technologies pose problème, expose la magistrate. Pour les djihadistes, c'est une arme de guerre. Pour nous, c'est un risque de destruction de nos procédures ». Pourquoi ? Tout simplement parce que « la majeure partie des preuves est issue de supports divers, téléphones, tablettes, disques durs, DVD, clefs USB et cartes SD ainsi que des interceptions de flux internet et téléphoniques ». Or, le Code de procédure pénal oblige « la mise à disposition de l'intégralité du contenu du dossier à la défense des parties », le dossier d’instruction devant être « à tout moment complet, lisible et accessible. »
L'interception des échanges, le flux et le stock
Un autre souci mis en exergue par son collègue : la question des interceptions judiciaires, qui permet au juge de mettre sur écoute un échange téléphonique ou électronique (mail, etc.). Ces interceptions ne s’intéressent qu’au flux futur, non au stock existant.
Pour qu’un magistrat puisse prendre connaissance des mails déjà reçus ou envoyés, il doit donc impérativement basculer sur la perquisition, qui est tout sauf discrète. « Cela suppose de prévenir l'intéressé et de réaliser la saisie des données en sa présence ! (…) La saisie des correspondances électroniques déjà arrivées ne peut se faire que sous forme de perquisition supprime toute confidentialité à l'enquête, puisque la loi oblige à prévenir le perquisitionné et lui permettre d'assister à cette opération, ou de désigner des représentants. »
Le problème des comptes Gmail et Hotmail
De même, lorsque la personne ciblée utilise un compte distant. David Bénichou rappelle que joue ici l’article 57 - 1 du code de procédure pénale, lequel conditionne cette perquisition distante à l’existence d’engagements internationaux signés par la France avec le autre pays hôte. Cependant, « un compte Gmail ou Hotmail n'est pas situé en France et aucun accord international n'autorise la saisie extraterritoriale de données. Cela nécessite une demande d'entraide pénale, qui nous placerait dans des délais inconciliables avec l'enquête. Et les avocats savent de mieux en mieux arguer de l'absence d'accord international... »
Le juge suggère donc une piste de réforme : « aligner la saisie des correspondances passées sur celle des interceptions des correspondances à venir, quitte à prévoir un délai d'antériorité, pourquoi pas calqué sur la prescription ». Pour lui, en effet, « il s'agit du même type d'atteinte à la vie privée : les garanties qui valent pour l'une valent pour l'autre ». L’idée n’est pas tombée dans l’oreille d’un sourd puisque Philippe Bas, président de la Commission des lois au Sénat, a déjà déposé une proposition de loi contre le terrorisme visant notamment à créer « un régime autonome de saisie de données de messagerie électronique, indépendant de la perquisition, lorsque l’adresse électronique fait déjà l’objet d’une interception des correspondances électroniques ». Adopté, le texte permettrait aux officiers et agents de police judiciaire à « accéder, en tous lieux, aux correspondances numériques émises ou reçues. »
Deux chevaux de Troie légaux harnachés au ministère de la Justice
La captation des données à distance soulève aussi des difficultés. Depuis la LOPPSI 2 du 14 mars 2011, le juge d'instruction peut, après avis du procureur de la République, autoriser par ordonnance motivée les officiers et agents de police judiciaire « à mettre en place un dispositif technique ayant pour objet, sans le consentement des intéressés, d'accéder, en tous lieux, à des données informatiques, de les enregistrer, les conserver et les transmettre, telles qu'elles s'affichent sur un écran pour l'utilisateur d'un système de traitement automatisé de données ou telles qu'il les y introduit par saisie de caractères ». Seulement ces chevaux de Troie galopent surtout dans les codes Dalloz, moins dans les bureaux des magistrats. David Bénichou en explique la raison : « nous ne pouvons recourir qu'à des outils préalablement autorisés par une commission spécifique de l'ANSSI » (voir sur ce sujet, notre actualité).
Il révèle ainsi qu’un seul cheval de Trorie « légal » était autorisé en 2014 puis deux depuis… C’est très peu et même rien puisque « le ministère de la Justice ne les a toujours pas mis à notre disposition » se lamente le juge antiterroriste. Et il n’est pas certain que l’idée soit favorablement accueillie par le ministère de l’Intérieur : « Les services de renseignement monopolisent les outils et ne les mettent pas à notre disposition, par crainte de les voir divulgués », poursuit David Bénichou. « Ils ont pourtant une durée de vie très courte. Contrairement au contre-espionnage, la lutte contre le terrorisme est avant tout un problème judiciaire : nous avons un besoin opérationnel constant de ces éléments. »
« Quel est l'intérêt de donner au juge, dans la loi, des techniques d'enquête, mais de ne pas leur donner les moyens de les mettre en oeuvre ? » écorne encore le magistrat. Le sénateur Philippe Bas a là aussi pris sa plume pour injecter ces suggestions dans sa proposition de loi contre le terrorisme. Il voudrait que les juges puissent faire appel à des experts ou centres techniques d’assistance (CTA) afin de faire concevoir ces chevaux de Troie.
Le futur projet de loi sécuritaire du gouvernement
Au gouvernement, l'une des doléances a déjà été entendue également dans un texte rédigé après les attentats du 13 novembre.
Dans les grandes lignes esquissées le 23 décembre par Bernard Cazeneuve et Christiane Taubira, il est ainsi prévu de permettre « l’interception des messages déjà archivés » indique ce document. D’autres mesures sont sur le feu, citons l’utilisation des IMSI catcher dès le stade de l’enquête ou de l’instruction, du moins en matière de criminalité organisée, outre la sonorisation, la fixation d’images, la captation des données en enquête de flagrance ou préliminaire, et un droit de communication renforcé dans les mains de TRACFIN ciblant les groupements chargés d’assurer l’interopérabilité et la sécurité des paiements par cartes bancaires.
Nouvelles technologies : les doléances des juges antiterroristes
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L'interception des échanges, le flux et le stock
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Deux chevaux de Troie légaux harnachés au ministère de la Justice
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Le futur projet de loi sécuritaire du gouvernement
Commentaires (27)
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Abonnez-vousLe 01/01/2016 à 22h46
D’autant plus que le terroriste est pas forcément débile non plus, il va pas garder des mails incriminants….
Mais bon, on imposera sans doute à google de le faire pour lui " />
enfin, là au moins on parle de procédure impliquant des juges, c’est pas si mal.
Le 03/01/2016 à 12h33
La fin d’un système … s’écroulant sous son propre poids.
Cela m’est pesant.
Le 05/01/2016 à 00h10
Le 05/01/2016 à 00h14
Le 30/12/2015 à 13h14
Pas pratique comme clavier, il y a trois fois la touche R….
(bon vais lire l’article " />)
Le 30/12/2015 à 13h29
Et après ce brillant exposé des mesures, rappelons que les terroristes des attentats de Paris communiquaient par SMS, donc sans aucun chiffrement, par l’intermédiaire de téléphones avec cartes prépayées…
Le 30/12/2015 à 13h32
Vous, vous allez vous prendre une perquisition “administrative” pour remise en question de la sainte parole Cazeneuvienne " />
Le 30/12/2015 à 13h34
Le 30/12/2015 à 13h37
Haaaaaaaaaaan, et moi je discute avec vous, quelle folie !!!!
Si une boite noire du gouvernement m’écoute, je ne connais pas ce monsieur, d’ailleurs je ne suis pas là ^^
Le 30/12/2015 à 13h37
Grosse promo sur les pigeons voyageurs.
Le 30/12/2015 à 13h45
“compte Gmail ou Hotmail n’est pas situé en France et aucun accord international n’autorise la saisie extraterritoriale de données. Cela nécessite une demande d’entraide pénale, qui nous placerait dans des délais inconciliables avec l’enquête. Et les avocats savent de mieux en mieux arguer de l’absence d’accord international… »Alors ils sont où les neuneus anti google qui passent leur temps à gueuler ? holalala ceux qui garantissent le mieux la vie privée sont précisément les très gros décriés à l’étranger qui peuvent facilement s’opposer à une demande de communications des pièces.
Le 30/12/2015 à 13h50
Tu confonds la coquetterie et la classe !
Ce n’est pas parce que l’information est moins accessible aux législateurs en France que la vie privée reste privée… Combien de boîtes payent google & co pour savoir que tu aimes les brosses à dent ou les poneys ?
Elle n’est pas privée pour tout le monde… C’est surtout ça le problème avec les grosses boîtes US.
Le 30/12/2015 à 13h51
Le 30/12/2015 à 13h56
Le 30/12/2015 à 14h04
« le ministère de la Justice ne les a toujours pas mis à note disposition »
Le 30/12/2015 à 15h38
Je pensais aussi avoir entendu que les terroristes avaient communiqué par SMS, mais tout à l’heure j’ai lu un article disant qu’ils utilisaient également l’application Telegram… :/
Source
Le 30/12/2015 à 15h46
J’ai lu un article disant qu’ils utilisaient aussi la PS4 " />
Le 30/12/2015 à 16h35
Or, le Code de procédure pénal oblige « la mise à disposition de l’intégralité du contenu du dossier à la défense des parties », le dossier d’instruction devant être « à tout moment complet, lisible et accessible. »
Je ne vois pas où est le problème ? C’est galère à transmettre à la défense ?
Ou bien c’est le fait que tout individu ait droit à un procès équitable ?
Pour qu’un magistrat puisse prendre connaissance des mails déjà reçus ou envoyés, il doit donc impérativement basculer sur la perquisition, qui est tout sauf discrète. « Cela suppose de prévenir l’intéressé et de réaliser la saisie des données en sa présence ! (…) La saisie des correspondances électroniques déjà arrivées ne peut se faire que sous forme de perquisition supprime toute confidentialité à l’enquête, puisque la loi oblige à prévenir le perquisitionné et lui permettre d’assister à cette opération, ou de désigner des représentants. »
Euh, c’est déjà le cas avec les correspondance imprimée sur du bois d’arbre. On les entendait pas se plaindre à l’époque
Le 30/12/2015 à 16h40
Le 30/12/2015 à 16h57
Bah euh… C’est quand même pratique pour un terrorisateur d’avoir une pub ciblée (si je peux dire ça comme ça) pour s’équiper, se tenir informer des promotions en cour et des dernières nouveautés " />
Le 30/12/2015 à 17h12
Tout a fait d’accord avec les juges. Il faut absolument réformer le code de procédure pénal afin de pouvoir enquêter sur Sarkozy.
Heu… je voulais dire “enquêter sur les terroristes”.
Lapsus.
Le 30/12/2015 à 21h46
Et bientôt on interdit le courrier papier pour les mêmes raisons aussi ?? (a savoir qu’il est impossible d’ob
tenir la correspondance passée des terroristes sans perquisition physique …)
Au passage y’a une faille dans leur truc, si jamais l’interface n’est pas un écran, ça marche plus " />
Le 30/12/2015 à 22h31
Pas faux.
Du coup, il faudrait mieux saisir uniquement les fichiers intéressants (même si ça doit prendre des heures pour faire la sélection). Si demain il y a une perquisition chez moi, je doute que les flics repartent avec tous les livres de ma bibliothèque ou tout les films de ma DVDthèque. Pourtant, c’est un peu (beaucoup) ce qu’ils font en aspirant toutes les données
Le 31/12/2015 à 12h31
Au moins, les juges réfléchissent et ne proposent pas des “solutions” en 140 caractères.
Le 31/12/2015 à 13h52
Le 31/12/2015 à 15h00
Le 31/12/2015 à 20h04