Pédocriminalité : vers une validation en urgence de l’usine à gaz pour surveiller les messageries
Peeping cops
Le groupe de travail des polices européennes a multiplié les réunions (sept en trois mois) pour finaliser les « questions techniques » liées à la proposition de règlement « établissant des règles pour prévenir et combattre les abus sexuels concernant les enfants ». Il a poussé à son adoption la semaine prochaine, avant la fin de la présidence belge du Conseil de l'UE le 30 juin.
Le 12 juin à 17h34
6 min
Droit
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La présidence du Conseil de l'UE veut faire adopter la proposition de règlement européen de surveillance des contenus pédosexuels, révèle l'ex-eurodéputé pirate allemand Patrick Breyer, en pointe contre l'adoption de ce texte. Il est surnommé #ChatControl parce qu'il vise à scanner l'ensemble des images partagées par les utilisateurs de messageries (cf nos actus).
D'après ses informations, le COREPER II (pour Comité des représentants permanents, l'organisme de l'Union européenne qui prépare les travaux du Conseil de l'Union européenne), composé des représentants permanents de chacun des États membres, devrait adopter le projet de « compromis » récemment proposé par la Belgique, qui préside le Conseil de l'Union européenne jusqu'au 30 juin.
Sept réunions en 96 jours
Un rapport (.pdf) sur l'état d'avancement des travaux, daté du 7 juin dernier, souligne que sous la présidence belge, le groupe de travail « Law Enforcement Working Party - Police » (LEWP-P) a consacré « beaucoup de temps et d'efforts » à l'examen de nouvelles approches de la proposition de règlement « établissant des règles pour prévenir et combattre les abus sexuels concernant les enfants ». Même chose -pour la rédaction des textes de compromis, en y consacrant rien moins que sept réunions entre le 1er mars et le 4 juin.
La présidence s'y serait efforcée de « répondre aux préoccupations exprimées par certaines délégations en ce qui concerne la proportionnalité et le ciblage des ordres de détection et la cybersécurité ». Elle a notamment proposé « deux éléments constitutifs interdépendants » :
- l'amélioration de l'évaluation et de la catégorisation des risques des services, classés dans trois catégories : « risque élevé », « risque moyen » ou « risque faible », afin de « rendre les injonctions de détection plus ciblées »,
- la protection de la cybersécurité et des données chiffrées, « tout en maintenant les services utilisant le chiffrement de bout en bout dans le champ d'application des injonctions de détection ».
Une « surveillance de masse » du chiffrement de bout en bout
La présidence belge a, en effet, proposé de maintenir les services utilisant le chiffrement de bout en bout (E2EE) dans le champ d'application des injonctions de détection adressées aux services à haut risque. « À condition que cela n'oblige pas les fournisseurs à créer un accès aux données chiffrées de bout en bout », et que les technologies utilisées pour la détection « soient examinées en ce qui concerne leur efficacité, leur impact sur les droits fondamentaux et les risques pour la cybersécurité ».
La proposition belge de « compromis » prévoit dès lors un mécanisme scannant l'ensemble des photos et vidéos avant qu'elles ne soient envoyées dans les messageries, au moment où les utilisateurs vont les chercher dans la galerie de leurs terminaux, ou lorsqu'ils s'en serviront pour enregistrer des images à la volée.
Le « compromis » belge prévoit également que les utilisateurs « consentent » à cette surveillance : ils auront certes la possibilité de la refuser, mais ne pourront dès lors plus partager photos, vidéos et URL (les contenus audio ont aussi été exclus).
Un « consentement » contraint, et donc a priori contraire au RGPD, qui entraînera ce que l'ONG EDRi qualifie de « surveillance de masse », en violation du droit de correspondance protégé par la CEDH et la Charte des droits fondamentaux de l'UE.
Des « questions techniques » et une « usine à gaz »
Le texte ne précise pas, cela dit, comment seraient identifiées puis scannées les URL partagées par les utilisateurs. Rien non plus sur les informations qui seront envoyées aux personnes dont les images ou URL auraient été identifiées CSAM (pour « child sexual abuse material »). Rien aussi sur les procédures qu'elles pourraient mettre en œuvre pour contester ce type de signalement, au regard du risque particulièrement élevé de « faux positifs ».
Comme nous le relevions dans notre précédent article sur cette « usine à gaz », il n'évoque pas non plus les mesures qui pourraient être prises pour ne pas alerter les utilisateurs dont les contenus relèveraient véritablement de CSAM ou « les activités constituant la sollicitation d'enfants ("grooming") ». Un pédophile découvrant que les images ou URL qu'il prévoyait d'envoyer ont été bloquées pourrait en effet être tenté d'effacer les autres traces susceptibles de l'incriminer.
Le courrier n'en relève pas moins que, lors de la réunion du LEWP-P du 4 juin 2024, la présidence a noté qu'il n'était « pas nécessaire de poursuivre l'examen au niveau technique, étant donné que toutes les questions techniques avaient été traitées de manière exhaustive ». Elle n’a pour autant pas rendu publics les détails de la mise en œuvre de ces « questions techniques » :
« La présidence est déterminée à parvenir à un compromis et a l'intention, à la suite de la présentation de l'état d'avancement des travaux lors de la session du Conseil du 13 juin 2024, de publier un texte de compromis et d'inviter ensuite le Comité des représentants permanents à approuver un mandat de négociation partiel. »
Alexandre Archambault, avocat spécialiste du droit du numérique, relève que le texte devra ensuite être validé par le Parlement, tout en déplorant un mode opératoire « en catimini », à l'image de celui qui avait présidé à l'adoption du blocage des contenus sans juge.
Et en catimini (même mode opératoire que pour le blocage sans juge promis-juré-ça-ne-sera-que-pour-la pédopornographie), le scan de chaque échange privé est en passe d'être imposé.
— Alec ن Archambault (@AlexArchambault) June 12, 2024
Certes cela devra être "validé" par le Parlement 🇪🇺, mais la brèche est làhttps://t.co/1C5I89T5V8
Le courrier rappelle que la présidence belge avait aussi tenu à préciser que la détection ne devrait pas s'appliquer aux comptes utilisés par l'État à des fins de sécurité nationale, de maintien de l'ordre ou à des fins militaires. Mais sans que l'on comprenne non plus comment, techniquement, cela serait possible, sauf à créer une liste des personnes à ne pas surveiller, ironise Alexandre Archambault.
MàJ à 18h49 avec la remarque d'Alexandre Archambault sur la liste des personnes à ne pas surveiller.
Pédocriminalité : vers une validation en urgence de l’usine à gaz pour surveiller les messageries
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Sept réunions en 96 jours
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Une « surveillance de masse » du chiffrement de bout en bout
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Des « questions techniques » et une « usine à gaz »
Commentaires (36)
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Abonnez-vousLe 12/06/2024 à 18h33
Le 12/06/2024 à 19h12
Le 12/06/2024 à 19h18
Le 12/06/2024 à 18h46
Scan intégral du terminal (phone/ordi/tablette/etc.)
Cool la proportionalité.
Et les faux positifs, si j'ai les photos de mes gamins à la plage, qui ne regardent que moi.
Et je ne parle même pas des photos que les ados s'envoient.
Le 12/06/2024 à 19h13
Le 12/06/2024 à 19h21
En bref, ne t'inquiète pas.
"un mécanisme scannant l'ensemble des photos et vidéos avant qu'elles ne soient envoyées dans les messageries, au moment où les utilisateurs vont les chercher dans la galerie de leurs terminaux, ou lorsqu'ils s'en serviront pour enregistrer des images à la volée."
Tu pourras donc toujours recevoir des photos pédophiles depuis tes amis n'habitant pas l'Europe. Car c'est uniquement à l'envoi que c'est scanné, pas à la réception.
Le 15/06/2024 à 11h44
Il reste les photos de famille qu'il faudra filtrer avant envoie. Et même, je me souviens de ces comptes gmail qui ont été supprimé pendant le COVID, les docteurs demandant des photos pour un diag' distant, et bim. Next en avait parlé je crois.
Le 12/06/2024 à 19h15
Le 12/06/2024 à 18h58
Heureusement, je pourrais toujours stocker ma collection sur mon smartphone sans les envoyer en cochant la case "je suis pédophile, mais je ne veux pas allez en prison, alors je ne partage pas mes photos".
Plus sérieusement, c'est tout simplement ridicule.
Techniquement:
- S'il y a un "contrôle des images via une IA" lors de l'ajout de photo à un message, alors ça passera forcement via l'API photo. Bon bah il suffira que les vilaines appli passent par l'API fichier en intégrant une galerie...
- Il se passe quoi si on envoi un zip avec la photo dedans... je suis un méchant pédophile, parce que je contourne la sécurité inviolable rédigée par des Bisounours débiles payés avec mes impôts pour pondre des kilomètres de conneries à la minute.
*"S'il vous plaît, messieurs les pédophiles, auriez vous l'obligeance:
- d'utiliser un smartphone compatible avec l'analyse d'image via IA
- d'utiliser les applications officielles certifiées par l'Europe scannant vos photos
- de cocher la case nous autorisant à scanner vos photos (c'est important, svp)
- d'envoyer des photos pédophiles à vos contacts pédophiles
- facultatif: pourriez vous aussi, svp, nous donner l'accès à vos contact, cela nous aiderait beaucoup
- merci infiniment"*
Sérieux, y a que des lèches cul au parlement? une bande de "oui, oui, vous avez raison maître"... Y a personne pour leur dire qu'ils sont complètement cons?
Quand je me dis que ces TdC sont payés par mes impôts, ça me donne envi de voter RN...
Le 12/06/2024 à 19h12
Pas d'accord sur la solution proposée. C'est tomber dans le même piège qu'eux : c'est pas parce qu'une solution paraît simple qu'elle est valable.
Modifié le 12/06/2024 à 20h53
Si tu as un smartphone Android, au mieux tu peux espérer installer LineageOS si tu s'en sors bien mais la quasi-totalité des usagers ne le fera pas. Si tu as un iPhone, tu n'as que iOS et si tu as un ordinateur Apple tu n'as que MacOS.
Dès lors, l'Europe peut exiger de Alphabet et Apple de blacklister toute application de messagerie qui ne joue pas le jeu. PlayProtect et son équivalent Apple existent déjà, et il y a déjà eu des désinstallations forcées d'apps dans l'histoire... Donc si pendant un temps des QKSMS et K-9 Mail et autres permettront de contourner, ça fonctionnera jusqu'à leur blacklistage. Certes ce sera contournable en multipliant les forks, jusqu'à ce que l'Europe fournisse une whitelist à respecter à la place.
On peut aussi imaginer qu'avec la généralisation des NPUs que Windows sera équipé pour vérifier le contenu que l'on expédie par webmail. Ce n'est pas comme si c'était compliqué, ça existe déjà (Recall, après un ajustement ça fera le job) ! Une fenêtre du navigateur pour demander l'autorisation et c'est parti. C'est juste une question de quelques années.
Bref, je n'ai pas l'impression que ce soit tant une usine à gaz que cela, c'est très faisable et c'est bien le problème.
Au final on crie à la montée de l'extrème-droite en Europe et notamment en France, mais on n'en avait pas besoin en fait, on avait juste besoin de la Belgique. Déjà que je ne les aimais pas tellement, ce sera pire dans quelques jours Je propose une bonne l'invasion pour régler définitivement le problème
Le 12/06/2024 à 21h42
Si le texte passe, il sera simplement inapplicable. Les constructeurs ne maintiennent pas les OS, ça veut dire que pendant quasiment 10 ans, t'auras des gens fliqués et d'autres non. Et un pédophile, c'est pas forcément un neuneu, il va pas utiliser un tel fliqué...
Modifié le 13/06/2024 à 06h01
Qui plus est, Alphabet est capable d'effacer des applications sur les devices des usagers peu importe leur provenance, ce qui est d'ailleurs spécifié dans les Conditions d'utilisation de Google Play :
Afin de vous protéger contre les logiciels malveillants tiers, les URL présentant un risque et d'autres problèmes de sécurité, Google peut recevoir des informations concernant votre Appareil, par exemple au sujet [...] des applications installées sur votre Appareil depuis Google Play ou d'autres sources. Nous pouvons vous avertir si nous considérons qu'une URL ou une application est dangereuse, et nous pouvons également la désinstaller ou bloquer son installation sur votre Appareil si sa dangerosité pour les appareils, les données ou les utilisateurs est avérée.[...]
Il suffit de dire que les applications de messagerie non-homologuées sont dangereuses et ça passera. Vraiment je ne vois pas l'inapplicabilité de ce texte, les outils les plus critiques pour son exécution existent déjà.
Oui, il est bien spécifié que « Vous pouvez désactiver certaines de ces protections dans les paramètres de votre Appareil » ce que j'ai fait pour faire taire ce PlayProtect pénible, mais je doute que ça empêche Alphabet d'effacer une application pour autant.
La seule façon serait d'installer LineageOS SANS les services Google. Les plus déterminés le feront, ils seront suspects par défaut et leur faible nombre réduira la charge de travail pour les services de renseignement. Les usagers normaux eux se laisseront contrôler automatiquement peu importe les futures extensions à d'autres « causes », et ce sera ça en moins à surveiller.
Le 13/06/2024 à 09h37
Le 13/06/2024 à 09h40
Le 13/06/2024 à 09h51
Un/plusieurs OS libres pour les smartphones va commencer à devenir une urgence.
Le 13/06/2024 à 10h43
Le 13/06/2024 à 13h25
Le 13/06/2024 à 18h10
Le 13/06/2024 à 14h44
Le 13/06/2024 à 10h54
Le 13/06/2024 à 13h27
Virus Belge
Sinon, je suis globalement d'accord avec toi.
Le 12/06/2024 à 20h50
Il m’apparaît plutôt destiné à surveiller tous les échanges privés et chiffrés de bout en bout.
Le 12/06/2024 à 21h15
Et une Union Européenne qui n'a plus de places pour les droits fondamentaux n'a pas à continuer à exister.
Le 12/06/2024 à 21h45
Si l'Europe devient la justification à la perte de droits fondamentaux, alors elle doit disparaitre.
Le 13/06/2024 à 07h33
Le 13/06/2024 à 08h41
Avec un texte européen, on nous dira en France que c'est pas de la faute au gvnt, c'est a cause de l'Europe.
Fondamentalement, je suis pro Europe pour peser dans le monde, et car beaucoup de décisions européennes étaient pertinentes et allaient dans le bon sens.
Mais si l'Europe se gangrène de politicards corrompus, c'est une nouvelle force a devoir combattre.
Autrement dit, combattre une décision de merde française, on y arrive encore parfois. Mais combattre une décision de merde française, en adéquation avec une décision européenne, ca risque d'être beaucoup plus compliqué.
Le 13/06/2024 à 09h14
Bref, c'est une fois de plus une boite de Pandore qu'il ne faut surtout pas ouvrir. En plus techniquement, c'est impossible à mettre en place sans backdoor et sans violer le secret des correspondances.
Ca fait partie d'un fantasme techniciste. Certains politiciens incultes sur le numérique pensent que ce type de techno est efficace, pas si chère, maitrisable et autonome. En fait on le sait bien, pour lutter contre les affreux, 80% du taf est fait par du renseignement humain. La techno est juste là pour séparer le bon grain de l'ivraie et accélérer les traitements de données.
Modifié le 12/06/2024 à 22h45
Le médecin lui demande de lui envoyer quelques photos pour un 1er diagnostic rapide. Il envoie les photos par messagerie instantanée mais les photos sont aussi sauvegardées en automatique sur son Google Photos (comme pour mon téléphone d'ailleurs).
3 jours plus tard, compte Google totalement verrouillé. Des semaines à batailler avec Google, même avec le support du médecin qui a écrit un email à Google pour expliquer et je ne sais même pas s’il a pu récupérer son compte Google au final. Super…
Quand le mieux est l’ennemi du bien…
.
Le 12/06/2024 à 23h00
Le 13/06/2024 à 10h51
Le 13/06/2024 à 19h35
Le 16/06/2024 à 00h40
Le 16/06/2024 à 03h14
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Le 16/06/2024 à 11h37
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