L’armée française veut devenir « le n°1 en Europe de l’IA militaire et dans le Top 3 mondial »
Résoudre un conflit à l'Amiad
La nouvelle Agence ministérielle de l'intelligence artificielle de défense (Amiad), dirigée par un Polytechnicien passé par Google, sera dotée de son propre supercalculateur classifié, d'une enveloppe d'environ 300 millions d'euros par an, et de 300 ingénieurs, chercheurs, doctorants civils et militaires.
Le 11 mars à 10h34
9 min
Économie
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Dans une interview aux Échos, Sébastien Lecornu, ministre des Armées, annonce la création d'une Agence ministérielle de l'intelligence artificielle de défense (Amiad).
Elle « sera dotée de moyens importants, avec une enveloppe d'environ 300 millions d'euros par an », sur les 2 milliards d'euros qui seront dévolus à l'intelligence artificielle en matière de défense entre 2024 et 2030.
« Surtout, elle sera dotée de son propre supercalculateur classifié », précise le ministre, qui « sera le plus gros calculateur dédié à l'IA et classifié en Europe ». Situé au Mont-Valérien à Suresnes, il permettra de « traiter souverainement des données secret-défense » (classification remplacée par « Très Secret » depuis 2021, ndlr) et « non protégées », mais pourra aussi profiter à d'autres ministères, ainsi qu'aux entreprises de la base industrielle et technologique de défense (BITD).
Les armées pourront non seulement tester l'IA embarquée dans les systèmes d'armes « en maintenant un fort degré de protection », détaille le ministre, mais les industries de défense pourront aussi l'utiliser et le nourrir avec leurs données, « sans crainte d'espionnage ». Certaines entreprises de défense, les grandes comme les PME, pourront ainsi « travailler sur un espace militarisé secret ».
« Nous allons très vite lancer la procédure d'acquisition, afin de mettre en service ce supercalculateur en 2025 », via un investissement « qui sera sans doute compris entre 200 et 300 millions d'euros ».
De Villani à Google en passant par la DGA
L'Amiad sera dirigée par Bertrand Rondepierre, ancien responsable des produits futurs de Deepmind, le laboratoire d'intelligence artificielle de Google et lui aussi passé par Polytechnique, comme Arthur Mensch, le cofondateur de Mistral AI. À seulement 34 ans, son CV est déjà bien rempli.
Sur LinkedIn, Rondepierre précise en effet avoir aussi été auteur et rapporteur de la mission confiée à Cédric Villani par le Premier Ministre pour proposer une stratégie nationale en matière d'intelligence artificielle, aujourd'hui connue sur le label AI for Humanity.
Notre dossier sur le rapport de Cédric Villani sur l'intelligence artificielle :
De 2013 à 2018, il avait été chargé, à la Direction générale de l'armement (DGA), du pilotage d'un portefeuille de projets visant à transformer les systèmes autour des technologies de l'intelligence artificielle et du big data pour les besoins de la défense (« e.g. renseignement, cyberdéfense, et besoins transverses comme la maintenance prédictive »).
Il y avait notamment lancé le projet de plateforme big data des armées Artemis.ia (pour ARchitecture de Traitement et d’Exploitation Massive de l’Information multi-Sources), précise La Lettre, « pensé comme une alternative militaire à la solution fournie par l'américain Palantir aux policiers de la DGSI » afin de doter le ministère des Armées d’une solution « souveraine » en matière de stockage et d’exploitation de l’information.
De 2018 à décembre 2023, il avait ensuite contribué à établir les équipes du projet de recherche d'apprentissage profond (Deep Learning) Google Brain à Paris, et chargé des relations avec le milieu académique en France puis en Europe.
Son dernier poste était « Future Products Program lead » chez Google DeepMind, chargé des programmes recherche pour produits futurs auprès de Zoubin Ghahramani, directeur de recherche senior de Google Brain depuis 2020.
Il aurait ainsi été « manager de managers » d'une cinquantaine de projets, d'une quinzaine de « program manager » et de 450 chercheurs.
N°1 en Europe de l'IA militaire et dans le Top 3 mondial
D'ici à 2026, l'agence a vocation à recruter 300 ingénieurs, chercheurs, doctorants civils et militaires afin, ambitionne Sébastien Lecornu, de faire de la France « le numéro 1 en Europe de l'IA militaire et dans le Top 3 mondial ».
Cette agence, dont le volet « recherche » sera basé à l’École polytechnique, et dont le volet « production », sera installé à Bruz (Ille-et-Vilaine), où se trouve la DGA Maîtrise de l'information (ex-CELAR pour Centre d'électronique de l'armement jusqu'à fin 2009), chargé des études, expertises et essais dans les domaines de la guerre électronique des systèmes d'armes, des systèmes d'information, des télécommunications, de la sécurité de l'information et des composants électroniques.
Il précise aussi que depuis qu'un plan pour l'IA militaire a été lancé en 2019, le ministère des Armées « recense déjà plus de 400 cas d'usage, du stade de l'idée au développement en cours », et que l'IA « réinterroge tous les équipements de l'armée, du Rafale au sous-marin nucléaire jusqu'au drone miniaturisé des forces spéciales ».
« Le saut technologique que représente l’intelligence artificielle est sans doute celui qui révolutionnera la manière de faire la guerre. Ou même, plus important encore, de l’éviter comme l’atome en son temps », a également avancé Sébastien Lecornu, ce vendredi 8 mars, en dévoilant la stratégie ministérielle relative à l’intelligence artificielle sur le site de l’École polytechnique.
Le ministère rappelle que la loi de finance pour 2024 consacre 130 millions d’euros à l’IA de Défense, budget qui sera doublé d’ici la fin de la loi de programmation militaire (LPM) 2024 - 2030, qui prévoit un total de 2 milliards d’euros dédiés au domaine. En 2026, près de 800 personnes travailleront sur l’IA au ministère des Armées.
Le site spécialisé Zone Militaire rappelle que, dans cette LPM, « l’objectif poursuivi à travers le développement de l’IA est de s’assurer que les armées puissent traiter de façon autonome le flux de données apporté par les capteurs dont elles disposent et qu’elles consolident ainsi leur capacité d’appréciation des situations stratégiques et tactiques ».
« Cette fonction d’analyse des données grâce à l’usage de l’IA permettra d’optimiser l’ensemble des investissements réalisés dans les capteurs et sera mise au service de l’ensemble des forces armées », précise le texte. « Dans cette perspective, la création d’une ligne budgétaire dédiée aux logiciels d’IA pour la défense sera envisagée et les impacts de l’IA sur la fonction renseignement et sur la chaîne ‘commandement et contrôle’ [C2] seront évalués ».
Une « priorité » depuis 2019 déjà
Le site spécialisé Zone Militaire relève de son côté que la LPM 2019 - 25 avait déjà fait de l’IA une priorité, via le lancement de plusieurs programmes, dont le « très ambitieux » Artemis IA, ou encore TORNADE (pour Traitement Optique et Radar par Neurones Artificiels via Détecteur), confié à l’entreprise Preligens.
La DGA a par ailleurs financé les études MMT (Man-Machine-Teaming, pour l’aviation de chasse du futur) et HYPERION, afin de développer des algorithmes d’IA susceptibles de « contribuer aux performances futures du combat collaboratif terrestre ».
Jusque-là, souligne La Lettre, le pilotage de l'IA était éclaté entre la Direction générale du numérique et des systèmes d'information et de communication (DGNum), l'état-major des armées, l'Agence du numérique de défense (AND) et la Direction interarmées des réseaux d'infrastructure et des systèmes d'information de la défense (Dirisi).
Air & Cosmos note que la France entend exploiter l'IA pour la gestion des vastes quantités de données recueillies sur le champ de bataille, permettant ainsi une prise de décision rapide et informée, essentielle dans le rythme effréné des opérations militaires modernes.
Sébastien Lecornu explique aux Échos qu'elle bouleversera aussi les états-majors : « lorsqu'on voit le nombre d'officiers d'états-majors qui se penchent autour d'une carte pour la planification d'opérations, on peut penser que l'IA pourrait les aider… Ne serait-ce que dans la rédaction de leurs notes de synthèse, afin de dégager plus de temps pour les fonctions militaires et moins pour les tâches administratives ».
L'IA devrait aussi permettre une meilleure maintenance de nos équipements. Le ministre évoque notamment la possibilité que l'ordinateur interne d'un A400M ou d'un Rafale « offre un autodiagnostic », ce qui permettrait d'adapter « bien plus intelligemment » les révisions et les réparations et d'opérer une « révolution » dans la gestion des pièces de rechange. Ce qui pourrait aussi intéresser des compagnies aériennes civiles.
Évoquant la guerre des drones, qui sont « très vite brouillés » en Ukraine, le ministre imagine un drone doté d'IA « qui serait capable de continuer sa mission une fois qu'il a perdu le contact avec son pilote », et qui serait donc bien « plus redoutable » qu'un drone sans IA.
Citant les problèmes d'obus, qui manquent à l'armée ukrainienne, il avance que « le meilleur remède serait d'en consommer moins. S'il vous faut 10 obus pour marquer votre cible ou si vous arrivez à le faire dès le premier coup, cela change la donne. Il y a un travail en cours pour que l'intelligence artificielle assiste l'artilleur en facilitant le verrouillage de la cible ».
« Le Général de Gaulle a lancé le Commissariat à l’énergie atomique en 1945 et le premier sous-marin lanceur d’engins, qui porte la dissuasion nucléaire française, a été lancé en 1972 sous Giscard d’Estaing » [sic, alors que c’était sous la présidence de Georges Pompidou, relève Zone Militaire], a conclu M. Lecornu. « Avec l’AMIAD, j’espère lancer le même processus : doter la France des moyens pour subvenir à ses besoins de façon souveraine sur le long terme. Cette agence est un point de départ, pas d’arrivée ».
L’armée française veut devenir « le n°1 en Europe de l’IA militaire et dans le Top 3 mondial »
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De Villani à Google en passant par la DGA
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N°1 en Europe de l’IA militaire et dans le Top 3 mondial
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Une « priorité » depuis 2019 déjà
Commentaires (21)
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Abonnez-vousModifié le 11/03/2024 à 11h14
Y a Numerama qui expliquait qu'on ne savait pas trop s'il fallait miser sur un nouvel hélico de combat ou si les drones risquent de les rendre obsolète avant leur sortie
https://www.numerama.com/tech/1632074-lerreur-se-paie-cash-le-prochain-helicoptere-de-larmee-francaise-a-t-il-de-lavenir-face-aux-drones.html
Pour l'A400M ou le Rafale, y a pas besoin d'une IA pour faire de la maintenance prédictive. C'est déjà d'application sur des trains avec un programme normal.
Le 11/03/2024 à 16h50
Le 11/03/2024 à 12h08
Le 11/03/2024 à 12h16
Si l'IA est du niveau de l'arme atomique comme suggéré et permet d'éviter des guerres, il faut en parler, c'est de la dissuasion.
Le 11/03/2024 à 14h12
"NOOOOOOOOOOOOOOOO"
Le 11/03/2024 à 16h22
Modifié le 11/03/2024 à 17h51
Quoi de plus dissuasif ? Perso je préfère me faire atomiser direct. En plus une IA générative excellerait dans le domaine.
Le 11/03/2024 à 12h52
Plus qu'à espère que le jour J, il lancera des missiles armés de camemberts plutôt que nucléaire 🤣
Sinon ça ne dérange que moi qu'il soit passé par Google ?
Après, vu le domaine d'activité, je me doute bien que les candidats soient peu nombreux mais j'espère que les américains ne profiteront pas du moment pour tirer sur la fibre patriotique ...
Le 11/03/2024 à 13h13
Je ne comprends pas pourquoi tu parles de "fibre patriotique" pour un Français qui a fait Polytechnique (une école militaire, il faut le rappeler on dirait). On n'acquiert pas la nationalité US en travaillant chez Google, surtout quand ce poste est en France.
Ce passage chez Google montre juste que la France forme les meilleurs dans le métier de l'IA. Ce n'est pas le seul à avoir été recruté à l'étranger.
Le 11/03/2024 à 14h46
Mais malgré tout, on ne peut pas écarter le risque d'espionnage industriel.
Le 11/03/2024 à 18h09
Les américains pourraient tout autant penser la même des contacts qu'il a côtoyé aux US.
PS: tout le monde n'est pas corrompu...
Le 11/03/2024 à 18h03
Effectivement, ça sonne mieux pour le coup.
Le 11/03/2024 à 18h06
Le 12/03/2024 à 16h43
C'est pratique, d'avoir des correspondants. Surtout s'ils sont honorables. ;)
Modifié le 11/03/2024 à 14h04
Car si l'IA donne le "meilleur next move à faire sur le champ de bataille", est-ce que ça ne rend pas la stratégie prédictive fasse à un ennemi qui possède aussi un architecture IA?
Modifié le 11/03/2024 à 14h26
C'est déjà ce qui commence à apparaitre dans le civil.
C'est d'autant plus vrai sur la précision d'une cible militaire. Plus la zone ciblée est précise moins il y a de bavure et moins on consomme d'obus comme le rappelait le Ministre des Armées.
Le 11/03/2024 à 14h47
Le 11/03/2024 à 16h53
Trop tard, déjà fait en Ukraine : Saker Scout.
Le 11/03/2024 à 16h59
Ils ont déposé un brevet et on ne peut pas faire la même chose ?
Le 11/03/2024 à 19h36
Le 11/03/2024 à 20h32
Par contre investir dans de l'IA pour de l’autonome (exemple des drones) je ne sais pas quoi en penser.
Forcement, ça augmente le coût des choses, et on se rend bien compte avec l’Ukraine que sa va glisser vers le brouillage électronique.
J'imagine qu'il sera (ou est) possible de perturber suffisamment l'électronique embarquée pour rendre inutile un drone ?!
Je ne sais pas non plus dans quelle mesure une IA peut gérer une avarie ou situation inédite, comparé à un homme.
Est-ce que sa ne va pas devenir comme à la dune : une attaque avec une arme de la nuit des temps pour passer les boucliers de protection ? La baliste va faire son come-back ?
Le rapport prix / efficacité des armes semble aussi complètement se renverser...
Quand on voit les navires russe coulés avec des drones maritime à 240K€ l'unité ! (Enfin on nous dit pas si il en a fallu 2 ou 500)