JO 2024 : les 3 « solutions algorithmiques » de vidéosurveillance du ministère de l’Intérieur
RGPDés
Les trois prestataires de vidéosurveillance algorithmique choisis par la place Beauvau s'illustrent, non seulement par l'éventail de leurs solutions de détection et de suivi, mais également par l'importance qu'ils accordent au respect de la protection de la vie privée et du RGPD.
Le 10 janvier à 15h23
14 min
IA et algorithmes
IA
Le ministère de l'Intérieur vient de publier l'avis d'attribution de son marché de « solutions algorithmiques de vidéo-protection », en prévision des Jeux Olympiques de Paris 2024, au sujet desquelles nous avions déjà consacré moult articles.
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Une dizaine d'entreprises avaient postulé aux quatre lots, composés chacun de quatre prestations : la fourniture d'une solution algorithmique, l'installation et le démontage de la solution, la formation et prise en main des acteurs du terrain, et l'accompagnement à la mise en œuvre de la solution.
Le marché, initialement estimé, en août dernier dans l'appel d'offres, à 2 millions d'euros (soit 500 000 euros par lot), a finalement été attribué à trois sociétés françaises : Wintics, Videtics et ChapsVision, pour 8 millions d'euros (2 millions par lot), soit le « montant maximum autorisé ».
« On fait l'analogie avec les ombres chinoises »
Le premier et le quatrième lot, concernant respectivement le déploiement dans la région Ile-de-France et « sur des transports en commun et infrastructures associées (gares, stations) », ont été remportés par Wintics, dont le système Cityvision serait exploité par 20 000 caméras connectées dans 40 villes et infrastructures de 7 pays.
Au Parisien, ses fondateurs expliquaient que son système n'avait pas besoin d'images de haute qualité pour fonctionner, reconnaître les catégories ciblées et la nature des actions à repérer : « on fait l'analogie avec les ombres chinoises, décrit Quentin Barenne. Il n'y a strictement aucune analyse biométrique. On regarde plutôt les contours, et ça donne au logiciel une idée de quel est le sujet ».
L'entreprise se positionne principalement sur trois segments : la « gestion des flux de mobilité (comptage multi-modes, analyse des trajectoires aux carrefours, observatoire du stationnement, etc.) », la sécurité des espaces publics (« détection des mauvais usages de la voirie, détection de situations dangereuses »), et la propreté et l’environnement (propreté des points d’apport volontaires, détection des dépôts sauvages).
Elle propose une « solution souveraine entièrement conçue en France » qui « s’appuie sur des serveurs installés localement chez les clients pour garantir un niveau de sécurité et de souveraineté des données maximal ».
« Mettre la technologie au service de l'intérêt général »
« Une des motivations principales à la création de Wintics était de mettre la technologie au service de l'intérêt général, mais dans le respect des libertés individuelles et avec une très forte éthique professionnelle », expliquait Matthias Houllier, l'un de ses trois co-fondateurs, au Parisien.
L'entreprise, créée en 2017, témoigne sur son site de « son attachement profond au respect des libertés publiques », précise vouloir promouvoir « le développement éthique de cette technologie » et attacher « une très grande importance au respect des libertés individuelles ».
Le tout, « dans une démarche constante de mise en conformité avec le RGPD », afin de respecter « ses grands principes de privacy by design and by default ».
Wintics
Son logiciel Cityvision, précise Wintics, « ne produit que des données strictement anonymes sans avoir recours à aucune technique d’identification personnelle », et « n’intègre aucune technologie de reconnaissance faciale ni de lecture de plaques d’immatriculation ».
L’analyse des flux vidéo par Cityvision « est par ailleurs exclusivement réalisée en temps réel sans aucun enregistrement de vidéo ni d’image », effectué dans les locaux mêmes de ses clients, et non dans le cloud, et « sans aucune réutilisation par Wintics ».
« Une IA éthique au service de l'Humanité »
Videtics, qui a remporté le lot de déploiement dans les régions Provence Alpes Côte d'Azur, Rhône-Alpes, Outre-mer et Corse, a de son côté été créée en 2019 « au cœur de Sophia Antipolis, berceau d'exception de l'IA française ».
Ses trois co-fondateurs expliquent l'avoir « imaginée autour d'une vision commune : une IA éthique au service de l'Humanité ». D'où son nom, « fusion de ses 3 composantes primaires : Vidéo -Éthique - Analytics ».
« Nous accordons une attention particulière à la protection de la vie privée des citoyens et nous nous engageons à utiliser les données de manière responsable et anonyme », de sorte de pouvoir aider ses clients à « concilier innovation et respect des droits individuels ».
Elle se positionne, elle aussi, aux confins de la gestion de l'espace à la sécurisation des zones à risque, en passant par le trafic, les dépôts sauvages, l'optimisation des transports en commun et la lutte contre les intrusions.
Détecter et suivre les chapeaux, sacs à dos et à main
Sa suite logicielle « Videtics Perception ® » propose des « fonctionnalités avancées » allant de « l'anonymisation des personnes détectées » jusqu'à la création de cartes de chaleur ou de passage en fonction de la fréquentation, de l'affluence et de la densité, en passant par la capacité de différencier les personnes des animaux et de la végétation, afin de réduire les fausses alertes, ou encore « l'attribution d'attributs spécifiques ».
Ses systèmes de détection et de recherche de personnes bénéficieraient de « fonctionnalités poussées » permettant de spécifier une période ou des attributs vestimentaires « tels que la couleur et la longueur des vêtements, la présence de chapeau, ainsi que les accessoires comme les sacs à dos ou les sacs à main ».
Videtics précise qu'en matière d'anonymisation et de floutage dynamique, il est possible de « flouter les visages, les corps entiers et même le haut du pare-brise des véhicules », mais également de « détecter les chutes, les accidents du travail et les personnes affaiblies ».
La protection des personnes serait par ailleurs « renforcée grâce à la détection de posture », et qu'une « alerte silencieuse est déclenchée en cas de détection des mains en l'air, assurant ainsi la sécurité des individus ».
En matière de détection et recherche de véhicule, il serait possible d'effectuer des recherches « basées sur la période, la date/heure, la classe de véhicule (PL, camion berline, camionnette, moto, vélo) et même identifier jusqu'à 12 couleurs différentes ».
Mais également de créer et gérer « des dossiers dédiés pour chaque véhicule détecté », de repérer les véhicules à contresens ou encore d'estimer la vitesse des personnes, des véhicules tels que voitures, camions, vélos, ainsi que des bateaux, afin de « visualiser les flux des véhicules ».
« Surveiller, mais avec le cœur »
Le troisième lot de déploiement « dans une autre région de la France métropolitaine » a été attribué à ChapsVision, qui se présente comme un « spécialiste du traitement souverain de la donnée », qui avait été créé afin d'offrir une alternative française à Palantir, et qui « compte près de 600 collaborateurs, 600 clients grands comptes, et a réalisé un CA de 100 M€ en 2022 ».
L'entreprise, créée en 2019, a en effet depuis réussi à lever 200 millions d'euros afin de racheter, à ce jour, un total de 17 entreprises, dont plus de la moitié, réunie dans sa branche CyberGov, travaille pour les services de police judiciaire et de renseignement.
Y figurent notamment Elektron, spécialiste des interceptions judiciaires (qui avait elle-même racheté Nexa, l'ex filiale d'Amesys, après la mise en examen de quatre de ses dirigeants pour complicité de torture pour avoir vendu un système de surveillance de masse aux services de renseignement militaire de Kadhafi), le spécialiste de la géolocalisation policière Deveryware et l'éditeur de logiciel d'analyse des traces téléphoniques et d'aide à la rédaction de procédures judiciaires Ockham Solutions.
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Après être devenu millionnaire en revendant sa précédente entreprise à BlackRock, pour 1,3 milliard de dollars, son PDG Olivier Dellenbach voudrait désormais entrer en Bourse pour que les bénéfices de ChapsVision financent la fondation philanthropique HappyCap (combinaison de Happiness et Handicap) qu'il a créée avec son épouse afin d'aider les « enfants qui ne parlent pas » à pouvoir communiquer.
Père d'une fille atteinte d'un handicap mental, comme nous l'avions raconté, Olivier Dellenbach ne voit aucune contradiction à financer un projet philanthropique grâce aux bénéfices issus d'entreprises de surveillance des télécommunications : « Nous avons mis en place une doctrine très claire sur ce point. Nous nous sommes séparés de certains clients et nous avons établi une liste noire par pays. Pas d'interception de masse, ni de logiciels d'intrusion à la Pegasus, le logiciel espion israélien qui fait scandale. Surveiller, mais avec le cœur. »
« Temps, longueur, largeur, hauteur, voie, vitesse et distance / temps jusqu’au véhicule précédent »
ChapsVision avait également racheté en juillet 2023 l’expert belge de l’intelligence artificielle appliquée au traitement vidéo ACIC, une spin-off issu d’un centre de recherche (MULTITEL) et de laboratoires universitaires (UCLouvain, UMons).
Ses solutions de « vidéosurveillance automatisée » proposent notamment une application d’analyse vidéo permettant la « détection précise » de présence « dans une zone prédéfinie et restreinte », qui produit une alarme « lorsqu’un objet d’une classe préalablement sélectionnée est détecté dans une zone sécurisée ».
Ses « algorithmes intelligents » s’adapteraient aux conditions environnementales « pour limiter les fausses alarmes dues à des mouvements parasites ou à des changements d’éclairage ».
Ils permettraient la « détection automatique d’activité en temps réel », la « surveillance des zones restreintes extérieures », ou encore la détection d’intrusion en intérieur, de personnes sur les rails, de franchissement de barrière, de « multiples régions de détection » et « cibles par caméra », ainsi que « jusqu’à quatre règles simultanées ».
Son application d’analyse vidéo « ACIC StillnessDetection® » permettrait le déclenchement d'une alarme « lorsqu’un objet d’une classe préalablement sélectionnée est abandonné ou retiré pendant une certaine période », en fonction de « jusqu’à quatre règles de détection par flux vidéo sur deux scénarios différents ».
Son algorithme « AutoTracking® » permettrait d’automatiser le « tracking en mode continu et autonome d’un objet / personne au travers d’un pilotage fluide d’une caméra PTZ (pan-tilt-zoom) », de sorte que « la cible reste en permanence dans le champ de vision de la caméra dès la première détection ».
Sa solution « Counting AI » propose de son côté un « système de comptage de cibles par caméra fiable et précis » permettant de « suivre en temps réel l’évolution du nombre de clients, de visiteurs ou de passagers ».
Elle propose aussi le « comptage en temps réel » du franchissement d’une ligne, la « personnalisation de l’objet » à compter (personne, voiture, vélo, port du masque…), dans une rue, sur des carrefours, à l’entrée ou dans un parking.
Son « système de dénombrement de personnes ou objets au sein d’une zone définie » ACIC Numbering permettrait pour sa part d’obtenir « une évolution de l’occupation d’un espace dans le temps et d’en améliorer la gestion », et de « qualifier ou classifier les types d’occupation (voitures/personnes/objets/ …) ».
Sa « solution » de gestion et de surveillance de trafic routier permettrait « le traitement simultané de plusieurs voies de circulation en extérieur et dans les tunnels » en temps réel, et donc le « comptage des véhicules individuels ou des données relatives aux taux de circulation », ainsi que la détection des « incidents dans le champ de vue d’une caméra dédiée ou déjà installée ».
Elle propose la détection des mesures individuelles des véhicules (« temps, longueur, largeur, hauteur, voie, vitesse et distance / temps jusqu’au véhicule précédent »), du flux de trafic, de l'occupation des voies et de l'évaluation de la vitesse de roulage, la classification intégrée jusqu’à cinq classes de véhicules, la détection de contresens, de « présence arrêtée et suspecte dans une zone réglementée » et la « classification des flux de trafic et détection de baisse de vitesse anormale ».
Ses « solutions d’anonymisation » AcicPrivacy permettraient de « placer une zone de flou ou une occlusion sur différents types d’objets » (visages, personnes, plaques d'immatriculation) « grâce à une technologie d’intelligence artificielle et un suivi de la cible dans l’image en temps réel ».
ChapsVision s'est également doté d'un Comité d’éthique indépendant en septembre 2023. Présidé par l’Ambassadeur de France, Jean-David Levitte, ex-conseiller diplomatique et sherpa de Jacques Chirac et Nicolas Sarkozy lorsqu'ils étaient présidents de la République.
Y figurent également Francis Delon, ex-Secrétaire général de la défense nationale (SGDN) et président de la Commission nationale de contrôle des techniques de renseignement (CNCTR), Jan Kleijssen, consultant indépendant et ancien directeur du Conseil de l’Europe et Yann Padova, avocat aux Barreaux de Paris et Bruxelles, ancien secrétaire général de la CNIL de 2006 à 2012, qui avait été « shorlisté » en 2019 parmi les trois candidats pour être le futur « contrôleur européen des données » (CEPD ou EDPS en anglais) et qui avait été débauché en 2023 par un cabinet californien pour défendre les GAFAM à Bruxelles.
Une expérimentation abandonnée suite à un recours administratif
La Lettre (ex-Lettre A) précise que « l'attribution de ce marché par le ministère de l'Intérieur a été retardée par un recours administratif » déposé par « une petite société du secteur de la vidéosurveillance, écartée avant même d'avoir pu officiellement se porter candidate » (et dont le nom n'a pas été rendu public), ce qui a « mené à l'annulation d'une expérimentation préalable prévue sur le marché de Noël parisien ».
L'expérimentation devait notamment permettre aux entreprises retenues de « tester et d'affiner leurs solutions en situation réelle, notamment pour dissiper le "bruit" de leurs analyses, à savoir les erreurs d'appréciation liées aux changements d'éclairage, aux ombres ou aux conditions environnementales ».
Ce recours administratif, détaille La Lettre, « a également entraîné la suspension des expérimentations envisagées par la RATP et la SNCF pour renforcer la sécurité de leurs quais et voies », et notamment « surveiller leurs voies, détecter d'éventuels bagages abandonnés ou repérer les mouvements de foule sur leurs quais ».
JO 2024 : les 3 « solutions algorithmiques » de vidéosurveillance du ministère de l’Intérieur
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Détecter et suivre les chapeaux, sacs à dos et à main
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« Surveiller, mais avec le cœur »
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« Temps, longueur, largeur, hauteur, voie, vitesse et distance / temps jusqu’au véhicule précédent »
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Une expérimentation abandonnée suite à un recours administratif
Commentaires (13)
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Abonnez-vousLe 10/01/2024 à 15h53
PS : J'ai toujours du mal avec "algorithmes intelligents" je ne comprends jamais en quoi ils sont "intelligents" ?
Si c'est un algo. et bien le programme ne fait que répondre au cas prévu (ou plutôt au cas imprévu dans ce cas-ci) ?
Le 10/01/2024 à 17h29
Le 11/01/2024 à 01h43
Le 11/01/2024 à 10h47
Si il y a un système de Poids et de scores, et bien c'est que ça été penser par programmeur du logiciel/algo. donc l'intelligence n'est pas dans l'algo. ?
Fais je une erreur de raisonnement ?
Le 12/01/2024 à 02h08
Le 10/01/2024 à 17h47
Promis, juré craché : ce ne sera pas reconduit après les JO, on respecte le RGPD, il n'y a pas d'identification au faciès, on fait mieux que les 50% du logiciel de la SNCF.
Le 11/01/2024 à 11h08
Le 10/01/2024 à 17h49
/me file s'acheter un chapeau chinois pour passer gruger l'IA
Le 10/01/2024 à 22h38
Déjà que ça c'est du chinois pour les occupants actuels du pouvoir...
Le 11/01/2024 à 10h19
Le 11/01/2024 à 15h08
(2 millions par lot) x 3 = 6 millions d'euros, pas 8, ou bien j'ai loupé quelque chose ?!?
Le 11/01/2024 à 15h16
Le 12/01/2024 à 02h09