Connexion
Abonnez-vous

Luc Lenôtre nous parle de Maestro, son kernel de type Unix écrit en Rust

Noyau rouillé

Luc Lenôtre nous parle de Maestro, son kernel de type Unix écrit en Rust

Maestro est un noyau de type Unix. Développé par un ingénieur français, Luc Lenôtre, il constitue pour l’instant un projet issu d’une passion. Son auteur, à qui nous avons parlé, compte cependant le faire évoluer fortement cette année. Avec, pourquoi pas, une ouverture aux contributions.

Le 10 janvier à 11h53

Lorsque l’on parle de distributions Linux, on évoque souvent son noyau, ou kernel. Il s’agit de la pièce maîtresse dans le système, le composant central sans lequel rien n’est possible. Bien sûr, c’est la même chose dans tous les systèmes. Dans le monde Linux toutefois, le noyau revêt une importance particulière. Il peut d’ailleurs être mis à jour, comme n’importe quel autre composant ou même application.

Luc Lenôtre est un jeune ingénieur français. Il a fait ses armes à l’école 42 et travaille actuellement comme développeur dans une société de marketing. Il a cependant une passion : la programmation système, qu’il a débutée quand il avait 14 ans, après s’être lancé dans le développement à 10 ans. Plus le temps passait, plus il était intéressé par le code bas niveau.

« L’idée d’un kernel a fait son chemin avec le temps. J’ai finalement commencé en 2018, en tant que projet scolaire », nous raconte-t-il. À cette époque, le travail débute en C. « C’était le langage par défaut pour le développement système. L’avantage était aussi que nous l’apprenions à l’école ».

Passage à Rust

Comme aujourd’hui, il s’agissait d’un projet personnel, développé pour le plaisir. « J’aime l’idée de faire fonctionner du code n’appartenant qu’à moi sur mon ordinateur. Pour des questions de plaisir et de contrôle de ce qui s’y passe. C’est fantastique, je trouve, d’avoir son code à soi ».

Au fur et à mesure de l’avancée des travaux cependant, il se rend compte que son code va nécessiter une large refactorisation. À cette époque, une idée lui vient alors : « Je me suis dit qu’en passant à Rust, je pourrais me débarrasser de nombreuses contraintes imposées par le C et supprimer des catégories entières d’erreurs potentielles. La transition a pris environ un an ».

Rust est en effet un langage qualifié de « memory safe ». La gestion de la mémoire étant confiée au compilateur, le développeur n’a plus besoin de la prévoir, notamment dans le cas des pointeurs. En 2019, lors d’une présentation à la conférence Bluehat IL, Matt Miller, du MSRC (Microsoft Security Response Center), constatait ainsi que 70 % des failles corrigées par Microsoft étaient liées à la mémoire.

Depuis sa création en 2006 par Mozilla, le langage Rust a largement gagné en visibilité. Sa maturité l’a fait entrer dans de nombreuses entreprises comme Dropbox, Facebook ou encore AWS. Il est particulièrement adapté au développement système grâce à ses performances élevées. Ces dernières années, on a ainsi vu le Rust se faire une place dans le noyau Linux. Microsoft réécrit certaines bibliothèques de Windows dans ce langage, et même plusieurs parties du noyau.

Maestro aujourd’hui

Actuellement, Maestro représente 48 800 lignes de code environ, réparties sur 615 fichiers. « Idéalement », indique Luc Lenôtre, « il pourrait remplacer le kernel Linux à terme ». Mais la route est encore très longue.

Maestro gère à ce jour 31 % des appels système Linux, plus précisément 135 sur 437. Comme le développeur nous l’explique cependant, « il y a beaucoup d’autres choses que les appels système. Pour obtenir une parité, il faudrait encore des années de travail ». D’autres composants sont présents, comme un gestionnaire de daemons (Solfège, qui gère aussi le boot) ainsi qu’un autre pour les paquets (blimp). Des outils vitaux comme bash, musl et les principaux outils GNU sont donc gérés.

Les fonctionnalités de Maestro sont pour l’instant limitées. Par exemple, le VGA est le seul mode d’affichage géré. Seule l’architecture 32 bits est prise en compte et l’exécution des tâches ne peut se faire que sur un seul cœur. Luc Lenôtre est conscient de ces limitations, qui ne posent aucun problème dans le cadre d’un projet personnel.

Une ouverture à venir aux contributions ?

Maestro reste pour l’instant un « développement-passion ». Cependant, la visibilité accrue de ces derniers jours pourrait changer le destin du projet. « Le code est open source et sous licence MIT sur GitHub. Je veux simplement montrer ce que je fais. Le code n’est pas ouvert aux contributions, mais j’ai reçu une dizaine de demandes. Donc c’est possible », ajoute Luc Lenôtre.

Nous avons demandé quels étaient les développements prévus pour cette année. « J’ai beaucoup de choses prévues. D’abord passer au 64 bits, parce que le 32 bits est obsolète. Je voudrais aussi supporter le multicœur, parce que c’est pareil, plus personne ne fait de monocœur. Je prévois également de me passer du VGA pour afficher plus d’informations. Le plus gros apport pour moi serait d’ajouter le support du réseau, parce qu’il permettrait de récupérer mes propres paquets quand j’en ai besoin ».

Beaucoup de travail en perspective donc. Une passion dévorante ? « J’y passe tout mon temps libre : mes soirs, mes week-ends, mes vacances ». L’ouverture aux contributions extérieures pourrait permettre au projet d’accélérer, mais la nouvelle ampleur et l’inévitable travail de synthèse à réaliser apporteraient leurs propres lots de tâches.

Commentaires (25)

Vous devez être abonné pour pouvoir commenter.

Abonnez-vous
votre avatar
Impressionnant. Après est-ce que son code pourrait un jour être intégré au noyau Linux pour faciliter une migration vers Rust ?
votre avatar
Autant qu'il contribue à Hurd, Linux n'a pas forcément besoin de lui. :fumer:
votre avatar
C'est méchant de ressortir comme ça les vieux dossiers :mdr:
votre avatar
Une "migration" vers Rust ? Ce serait une ré-écriture complète de changer de langage.

Après, il ne faut pas voir cet OS comme étant au même niveau que Linux, ou alors au niveau de Linux 0.01 de 1991. Pas de multi-arch, uniquement 32 bits, pas de multi-core. C'est encore très très rudimentaire.
votre avatar
Et pour qu'il soit utilisable, il lui faut aussi plein de drivers pour gérer le matériel.
votre avatar
Presque au niveau de BeOS quand même.
Oh wait! et si on réécrivait BeOS avec ce nouveau kernel :) ?
votre avatar
Non, très loin de BeOS. Là où BeOS était vraiment très avancé pour son époque, c'était pour le support SMP et le multi-thread, qui était bien plus avancé que sous Linux de la même époque. Alors que là dans Maestro, il n'y a aucun support SMP, même rudimentaire. Zéro.
votre avatar
Au moins il a un langage prévu pour le parallélisme.
votre avatar
C'est peu probable! Maestro est un noyau UNIX like mais, à première vue, ne vise pas à être 100% compatible avec Linux. Si un jour on faisait une migration de Linux en Rust, ce qui est de toute façon déjà peu probable, il faudrait que le code du nouveau noyau ait une API et un comportement 100% compatible.
votre avatar
Tout dépend du niveau de compatibilité attendu.

Les environnements d'exécution, c'est pas nouveau. OpenVMS en avait pour émuler d'anciennes versions, CP/M pour le DOS, Windows NT en avait pour lancer des utilitaires Unix, FreeBSD sait lancer des exécutables Linux (à une époque il était même doué et plus rapide).
Windows d'ailleurs sait toujours différencier différents type d'exécutables .EXE et charger les DLL et l'environnement en conséquence.


Par un moment, les pilotes xfree étaient prévus pour être utilisé sur différents systèmes (Linux, FreeBSD, Solaris) avec le même exécutable quelque soit l'OS.

Linux lui-même doit encore avoir le support du a.out et de l'ELF en même temps, et il a été possible d'exécuter un EXE DOS ou Windows directement depuis le bash.

Des projets pour maintenir "en vie" BeOS étaient basés sur des kernels différents, tout en exécutant des programme natifs BeOS.

Donc lancer un exécutable d'un autre OS proche, c'est faisable et même courant. Après, kernel space, user-space, c'est à choisir.

Si c'est pour avoir un OS compatible Linux pour des conteneurs sans aucun besoin de support matériel, ça doit être assez léger à faire.
votre avatar
Bien sûr, on peut toujours transitionner d'un noyau vers un autre en passant par l'intermédiaire d'une couche de compatibilité, mais on est plus dans le simple changement de langage : je doute que ce dont parlait Refhi.

Et je doute encore plus que l'on puisse se permettre ça sur Linux actuellement. Il y aurait beaucoup trop de problèmes de compatibilité. Pour faire ça sur un produit si établi, il faut être une entité forte comme Apple ou Microsoft. Sur du libre ça conduirait fatalement à des forks et un risque de fragmentation de l'écosystème.

D'ailleurs, même Microsoft a abandonné son expérimentation de remplacement du noyau NT de Windows, de peur de déstabiliser son écosystème.
votre avatar
« Linux lui-même doit encore avoir le support du a.out. »

Je crois me rappeler que ça a été abandonné il y a au moins deux ans, ça.
votre avatar
Chouette projet et belle motivation de la part de son mainteneur !
votre avatar
votre avatar
Il ne s'agit pas encore de réécrire cœur du noyau en Rust, juste de permettre de contribuer en développant des modules (donc principalement des drivers) en Rust.
votre avatar
Toutes les semaines, je vois une news sur la sortie d'un nouvel OS écrit en Rust.
Généralement c'est l'effort d'un petit groupe, voire d'une seule personne.

En tant que (ancien) dev, je trouve ça très impressionnant.
Mais professionnellement parlant, je trouve que ca fait beaucoup de candidats et de ré-inventage de roue.
Le monde pro attend la consolidation de tous ces projets autour d'un ou deux OS supporté par des grands du secteur.

Ca me rappelle l'effervescence des nouveaux framework javascript qui commence à s'agglutiner autour de Angular (Google) et React (Facebook).
votre avatar
Mandatory xkcd :D

Après, je pense que le succès de Linux est aussi grâce à la communauté qui s'est très rapidement construite autour et aux entreprises qui ont investi dedans très tôt (coucou Red Hat ou encore Yggdrasil, première distrib commerciale). Ironiquement, Linux avait été aussi démarré comme projet "perso et sans grosses ambitions comme GNU", et depuis c'est un composant majeur là où Hurd n'a jamais réellement percé alors qu'il est porté par la FSF au même titre que GNU.

Et à côté nous avons pourtant les noyaux BSD qui sont très matures, mais beaucoup moins bruyants que Linux.

Mais c'est aussi la beauté de l'open source, plein de projets qui naissent, se développent, et meurent, avec un cycle de vie inlassable. Parfois le ré-inventage de roue n'est pas forcément une idée négative : ça peut permettre de trouver des approches un peu plus innovantes. Mais sur le plan professionnel, très peu d'entreprises ont l'envie de le faire.
votre avatar
Le problème de BSD, c'est que le support matériel n'a pas suivi. Comme il n'est pas sous licence copyleft, il y a eu moins d'encouragement à étoffer ses pilotes. Les distributions à bases BSD sont fantastiques en pas mal de points, mais la polyvalence n'est pas au rendez-vous. C'est plus une technologie qui est bénéfiques aux OEM'S qu'à une communauté.
votre avatar
Je ne dis pas que c'est négatif.

Je dis que Rust, malgré toutes ses promesses intrinsèques sur la sécurité, ne dispense pas d'avoir la promesses de service/support à long terme. Et que, dans le monde pro, cette promesse de service/support à long terme doit venir d'un grand groupe (question de confiance sur la pérennité).
votre avatar
Après on est jamais à l’abri qu'un petit projet plaise et arrive a fédérer une communauté grandissante jusqu’à intéresser les professionnels. C'est ce qui est arrivé à Linux qui à la base n'était qu'un petit projet sans ambition comparé à Hurd qui envisageait de devenir la référence de l'écosystème GNU.

Beaucoup de projet resteront discrets et oubliés, c'est la dure loi de la sélection naturelle logicielle. 😊
votre avatar
L'idée d'un kernel "de type unix" qui n'est ni 100% linux, ni 100% BSD me laisse perplexe.
Il faut une très bonne valeur ajoutée dans un projet d'OS *nix qui ne soit pas 100% linux/bsd.

Par exemple dans Moturus OS (un autre *nix en Rust), la valeur ajoutée c'est que ca tourne spéficiquement sur KVM/Hypervisor et que l'ABI aussi est en Rust.

Pour moi, que ca soit "ecrit en Rust" n'est pas une valeur ajoutée qui se suffit à elle même.
votre avatar
Tout à fait. Mais là on est dans le cadre du projet personnel. Il n'a pas forcément à apporter une révolution. Il peut tout a fait disparaitre comme la très grande majorité des projets du genre. Ce genre de projet sert quand même à confirmer l'efficacité de Rust pour ce genre de tâche, même si on s'en doutait un peu vu de ses caractéristiques, c'est intéressant d'avoir des retour pratiques.

En effet Moturus OS a une bien meilleure valeur ajoutée. Redox OS d'un autre coté à aussi l’intérêt de miser sur une architecture micro-kernel et de proposer une alternative au traditionnel UNIX.
votre avatar
Pour moi, que ca soit "ecrit en Rust" n'est pas une valeur ajoutée qui se suffit à elle même.
Non, de nos jours la valeur ajoutée serait de dire que le kernel est écrit en nodejs.
votre avatar
ou par une IA. :fumer:
votre avatar
Même pas, c'te feignasse va te dire houalala c'est compliqué.

Comme quoi, l'IA a parfaitement atteint une des principales caractéristique humaines : la flemme.

Luc Lenôtre nous parle de Maestro, son kernel de type Unix écrit en Rust

  • Passage à Rust

  • Maestro aujourd’hui

  • Une ouverture à venir aux contributions ?

Fermer