Internet n’a pas été inventé en France
Le 06 avril 2021 à 08h15
4 min
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« La France aurait-elle vraiment pu inventer Internet ? » s'interroge faussement Damien Leloup dans un article paru dans Le Monde. La publication du roman « Comédies françaises », d’Eric Reinhardt, a en effet ravivé des querelles mémorielles quant aux apports des informaticiens français à la création d’Internet. Et réveillé des débats très gaulliens entre anciens ingénieurs et chercheurs de l’époque sur le rôle de l’Etat et les apports de la recherche française à la création d’Internet.
« L’idée que les Américains auraient, en intégrant du datagramme, repris un truc totalement inventé en France, est fausse », précise Valérie Schafer, professeure d’histoire contemporaine à l’université du Luxembourg et autrice d’une thèse de référence sur la création des réseaux français. « Dès le début de Cyclades, il y avait des échanges avec les Américains. Gérard Le Lann, de Cyclades, va dès 1973, un an après le lancement du projet, travailler à Stanford avec l’équipe Arpanet. »
« Les Nord-Américains à l’origine d’Arpanet connaissaient, depuis le début, le concept du datagramme. Si la première version d’Arpanet n’utilisait pas de datagramme pur, ce n’est pas par ignorance, mais parce qu’ils ont fait face à une opposition majeure de la part des constructeurs, IBM, General Electric ou Univac, qui à l’époque avaient un monopole de fait sur les ordinateurs. Ils n’avaient aucune envie de mettre à jour les logiciels de leurs machines, un travail coûteux », se souvient de son côté Gérard Le Lann.
Au passage, il explique avoir fait une découverte étonnante : « Nous nous sommes tous trompés, moi le premier, en faisant remonter l’histoire d’Internet au lancement d’Arpanet en 1969, estime M. Le Lann. Il faut remonter au moins à 1962 et à 1965. Des précurseurs nord-américains et britanniques présentent alors dans des thèses, des publications, des conférences, pratiquement tous les concepts et principes qui vont permettre les travaux d’ingénierie qui donneront Internet. Tout est là. Le rôle de ces précurseurs a été très largement négligé, en partie parce que les documents, anciens, ne sont pas toujours disponibles ou facilement trouvables en ligne. »
Sur certains points, tous les acteurs de l’époque sont d’accord, reconnaît Leloup. Si Arpanet a gagné la bataille, et si Internet s’est finalement développé aux États-Unis, c’est grâce à la conjonction de trois éléments : des financements constants, une alliance réussie entre universités, armée et entreprises et, surtout, une volonté politique incarnée plus tard par la figure du vice-président Al Gore (1993 - 2001), qui fera une promotion sans faille d’Internet.
A contrario, la France n’a pas su faire la jonction entre l’armée, le secteur privé et les jeunes ingénieurs des universités, souvent pacifistes et idéalistes. « Les deux tiers des managers d’Internet sont sortis du Lincoln Lab du MIT. Personne là-bas ne s’est jamais inquiété du fait qu’on y trouve aussi bien la Rand Corporation [think-tank de recherche militaire] que des idéalistes », estime M. Le Lann.
Le 06 avril 2021 à 08h15
Commentaires (26)
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Abonnez-vousLe 06/04/2021 à 08h32
Ah, un si beua projet qui a encore fuit la France, comme aujou”dhui et la fuite de nos cerveaux ailleiurs car le secteur de la recherche est sous payé et sous considéré
Le 06/04/2021 à 08h35
Oui, enfin le poc du datagramme a été fait en France… ce qui a dû convaincre les constructeurs?
Bref, les US laisserait un part de reconnaissance aux non-US, la France n’aurait pas besoin d’en faire autant, non?
Le 06/04/2021 à 08h36
On a pas inventé l’internet mais on a inventé le minitel et on aurait bien voulu le timbre électronique à coller sur l’e-mail.
Le 06/04/2021 à 09h30
C’est bien méconnaître le modèle économique du Minitel et du réseau X.25 que de faire ce genre de proposition. Et c’est bien méconnaître celui des postes (qui ressemble à certains égards au modèle économique des FAI actuel).
Le 06/04/2021 à 09h48
Je critique pas le minitel (je l’ai moi-même utilisé), je critique surtout qu’on l’ait inventé et que certains politiciens auraient préféré qu’on y reste, vu certaines discussions législatives …
Mais c’est vrai que j’aurai dû être plus explicite sur ce point.
Et pour le timbre sur l’e-mail : https://www.programmez.com/actualites/le-retour-du-timbre-numerique-13469
Je retrouve pas la source auquel je pensais par contre.
Le 06/04/2021 à 09h32
N’empêche que ma mère faisait ses achats sur 3615 laredoute et qu’elle pouvait payer par carte bancaire directement grâce au lecteur de carte à puce du minitel. Elle trouvait ça intrigant de devoir mettre son numéro de carte bleue en ligne et qu’on puisse payer sans code. D’ailleurs elle me dit souvent encore que le minitel c’était plus rassurant.
Le 06/04/2021 à 08h37
Clair qu’en France il est impossible de faire bosser ensemble le secteur public et le secteur privé contrairement aux US, et on voit ce que ça a donné pour le vaccin :/
Le 06/04/2021 à 08h40
Comme indiqué dans un autre fil, on peut même remonter jusqu’en 1960 où J.C. R. Licklider de la firme Bolt, Beranek & Newman a rédigé un rapport qui définit explicitement Internet :
Le 06/04/2021 à 08h54
Al ManBearPig Gore est surtout fameux pour avoir dit en 1999 :
Tout le monde a bien ri depuis.
Le 06/04/2021 à 09h19
Citation entière du paragraphe en question :
« 5.1 Speed Mismatch Between Men and Computers
Any present-day large-scale computer is too fast and too costly for real-time cooperative thinking with one man. Clearly, for the sake of efficiency and economy, the computer must divide its time among many users. Timesharing systems are currently under active development. There are even arrangements to keep users from “clobbering” anything but their own personal programs.
It seems reasonable to envision, for a time 10 or 15 years hence, a “thinking center” that will incorporate the functions of present-day libraries together with anticipated advances in information storage and retrieval and the symbiotic functions suggested earlier in this paper. The picture readily enlarges itself into a network of such centers, connected to one another by wide-band communication lines and to individual users by leased-wire services. In such a system, the speed of the computers would be balanced, and the cost of the gigantic memories and the sophisticated programs would be divided by the number of users. »
L’article est fondamentalement sur le transhumanisme. Ce paragraphe sur les réseau n’est qu’un tout petit morceau qui est pour lui un simple pré-requis, et non l’objet de ses travaux (pas encore : ça le deviendra quand il rentrera à la DARPA).
Il vend quand même vachement l’idée que les consommateurs se connectent à un ordinateur central, en time sharing, évidemment, puisque c’est ce qu’il a à vendre à ce moment-là chez BBN, pour une symbiose humain-ordinateur. Il annonce à la fois le transhumanisme et le Minitel. En effet, des utilisateurs qui se connectent à des serveurs, eux-même en réseau, c’est tout-à-fait le Minitel. Il manque encore l’idée fondamentale d’Internet : tous les noeuds sont égaux et utilisent le même protocole ; lui, il distingue bien encore les connexions entre les serveurs (wide-band, e.g. transpac), et les connexions des serveurs vers les consommateurs.
Le 06/04/2021 à 12h15
On divise les mêmes systèmes par des mimisecondes aujourd’hui, c’est mickey mouse l’horizon du transhumanisme !
Mais je doute que notre ezcrognomiste en chef s’en préocupe !
Le 06/04/2021 à 12h21
Et alors ? Il n’en reste pas moins que l’idée du réseau décentralisé vient de lui. Que ce concept soit utilisé dans une perspective X ou propective Y n’y change rien. Tu perds ton temps.
Le 07/04/2021 à 05h56
Ce n’est pas un réseau décentralisé :
un réseau dans lequel la couche applicative est en rupture avec la décentralisation de la couche physique ne produit qu’un réseau centralisé vu de l’extérieur.
J’ose espérer que la citation complète te suffise à comprendre qu’en dissociant la perspective initiale ton point de vue sur la spéculation de l’auteur ne te permette pas de dépasser le fétishisme de quelques lignes…
Un réseau décentralisé est celui dans lequel la couche applicative a pour fonction de représenter et “suivre” ou “accompagner” la couche physique des acteurs devenus ambivalents (client et serveur).
Exemple : le pair à pair.
Le 07/04/2021 à 06h03
D’autre part relier par des lignes téléphoniques de particuliers est aussi une forme centralisée de réseau si les particuliers ont recours à un ou des tiers.
Il n’existe donc pas de réseau décentralisé sauf dans le domaine radio…
Le 06/04/2021 à 09h28
Concernant l’IT Al Gore semble quand même le seul politique d’envergure a avoir pris le train en marche. Voire à avoir contribué sinon à construire le train au moins à étendre le réseau.
Le 06/04/2021 à 09h49
Mouais, disons que quand tu représentes 400 Millions d’utilisateurs d’un côté et 50 Millions de l’autre difficile de lutter.
Comme le refus des US de la carte à puce pendant des décennies (brevet français) nous obligeant à conserver une bande magnétique sur les cartes de paiement.
Il n’empêche que le X25 a très bien fonctionné pendant des années dans les milieux industriels sans que personne ne s’en plaigne.
Le 06/04/2021 à 09h55
Malheureusement, 60 plus tard, c’est toujours pareil. La recherche française passe son temps a pleurer à cause des restrictions budgétaires et se pincer le nez devant le privé.
Franchement, sans un changement sérieux de mentalité, on ne s’en sortira jamais (et je ne parle pas que de la recherche là)
Le 06/04/2021 à 10h12
Louis pouzin est un héro, #épicétou
Next INpact
Next INpact
https://www.inria.fr/fr/louis-pouzin-de-reseaux-en-defis
Le 06/04/2021 à 11h01
Si tu savais ce qu’on trouve encore dans l’indus!
Le 06/04/2021 à 11h43
Oui je sais, mais disons que depuis la fermeture de Transpac, on devient quand même très tributaire de la disponibilité de routeurs XoT, ne pas envisager une migration vers IP aujourd’hui, même sur du moyen terme, c’est de l’inconscience.
Le 06/04/2021 à 11h15
Sans blague?
Ni inventé, ni poursuivi d’ailleurs… cf le fameux rapport Théry, daté de 1994, sur “Les autoroutes de l’information”, adressé au Premier Ministre de l’époque, Edouard Balladur.
« son mode de fonctionnement coopératif n’est pas conçu pour offrir des services commerciaux. Sa large ouverture à tous types d’utilisateurs et de services fait apparaître ses limites, notamment son inaptitude à offrir des services de qualité en temps réel de voix ou d’images. »
« Ce réseau est donc mal adapté à la fourniture de services commerciaux. »
https://philippesilberzahn.com/2013/01/07/les-trois-erreurs-prediction-rapport-thery-autoroutes-information-1994/
Le 06/04/2021 à 20h09
la france a t-elle inventé quelque chose dans le numérique? Non.
peut être la carte à puce, dans l’électronique…
mais la france toujours très à la hauteur dans l’industrie classique et traditionnelle, évidemment rien dans le numérique : on ne rattrape pas en un quinquennat vingt ans de retard sur l’oncle sam!
Le 06/04/2021 à 22h42
En même temps, à sa décharge, si on demande à un ingénieur en télécommunications une expertise économique et commerciale des “autoroutes de l’information” (nébuleuse notion), ce n’est pas gagné d’avance (surtout si cette personne est à l’origine du Télétel qui a fait le succès du Minitel).
Le 06/04/2021 à 22h57
Je ne sais pas si ça compte, mais la norme GSM (la base de ce qu’on appelle la 2G maintenant et qui a donné par la suite l’UMTS-3G, puis la 4G-LTE) a été inventée en Europe et s’est finalement imposée dans le monde.
D’ailleurs, l’Uncle Sam n’est pas aux avant-postes depuis toujours (sauf si on parle spécifiquement du secteur de l’informatique avec entre autres le géant IBM), il y a d’abord eu le Japon et maintenant la Chine (dans une certaine mesure, mais qui rivalise de mieux en mieux avec les géants de la tech de l’Ouest US).
Le 07/04/2021 à 07h10
Vu son essor universel, l’idée de Licklider était visionnaire : ta « spéculation » reste du côté du rapport Théry et de ses fourvoiements typiques de la caste technocratique qui fait la ruine de ce pays et dont on est à bon droit de se moquer pour ses tragiques myopies.
Tu peux aussi divaguer sur les nuances de l’aspect dé-/centralisation, Internet est considéré comme décentralisé (d’où son nom, interconnexion de réseaux) au sens qu’il n’existe pas de centre de commande unique/névralgique. L’évolution vers le pair à pair ne fait que renforcer un peu plus cette qualité qui a fait sa réussite par la résilience qu’elle lui procure.
Deal with it.
Le 07/04/2021 à 07h23
Tu confonds le procole avec les autoroutes de l’information. L’un ne faisant que masquer les défauts physiques du second.
Il y a deux commandes tierces : le protocole et les logiques de marché. + les minitels améliorés type GAFAM.
Apprends ou réapprends à utiliser une radio, tu verras qu’internet n’est qu’une métaphore très imparfaite de la propagagtion des ondes dans le vide ou un milieu atmosphérique en réchauffement très Universel, anéfé.