Un tueur en série confondu par ses traces numériques, téléphoniques et bancaires
Le tueur avait trop borné
Le 11 août 2023 à 13h50
10 min
Droit
Droit
La police de New-York a interpellé le 13 juillet dernier un homme suspecté d'avoir tué plusieurs prostituées dont les corps avaient été retrouvés en 2010 et 2011. Ses empreintes téléphonique, bancaire et numérique le relient à trois d'entre elles.
Un document produit par un enquêteur de la police du comté de Suffolk, dans l'État de New York, rappelle que l'affaire du « tueur en série de Long Island » (aussi appelé le tueur de la plage de Gilgo ou l'éventreur de la Craiglist, qui avait fait l'objet de nombreux documentaires et fictions) remonte à décembre 2010, lorsqu'un officier de police découvrit des restes humains sur la plage de Gilgo à Long Island, dans l'État de New York aux États-Unis.
Deux jours plus tard, la police découvrait les restes de trois autres cadavres aux alentours. Faits troublants, les victimes (Melissa Barthelemy, Megan Waterman, Amber Costello et Maureen Brainard-Barnes) étaient toutes des femmes de petites tailles, âgées de 22 à 27 ans, prostituées et leurs corps, dénudés, placés à environ 150 mètres les unes des autres :
« En outre, chacune des quatre victimes a été retrouvée dans une position similaire, attachée de la même manière par des ceintures ou du ruban adhésif, et trois d'entre elles ont été retrouvées enveloppées dans un matériau de type toile de jute. »
De plus, toutes avaient été en contact peu avant leur disparition avec une personne utilisant un « burner phone » (i.e. dont l'identité de l'utilisateur n'a été ni associée ni vérifiée), et les téléphones de deux des quatre victimes avaient été utilisés par le tueur après leur décès. Il s'en était servi pour défier des membres de la famille de ses victimes et leur dire qu'il les avait violées et tuées.
Le tuyau du co-locataire
En janvier 2022, le « cold case » était confié à une nouvelle équipe d'enquêteurs chevronnés, qui entreprit de réexaminer chacune des pièces recueillies. Dave Schaller, qui était à l'époque le co-locataire d'Amber Costello, a expliqué à Associated Press avoir fourni aux détectives une description de la personne qu'il croyait être le tueur.
L'homme qu'ils recherchaient était une figure imposante de type Frankenstein avec un « regard vide » qui conduisait une Chevrolet Avalanche (un pick-up vendu exclusivement en Amérique du Nord) de première génération.
La veille de la disparition de Costello, qui se prostituait occasionnellement pour financer son addiction à l'héroïne, Schaller était rentré chez eux pour trouver l'inconnu menaçant sa co-locatrice, qui s'était enfermée dans la salle de bain. Les deux hommes en étaient venus aux mains, l'intrus repartant finalement au volant de son pick-up.
Interrogé au sujet de la disparition de Costello en 2011, Schaller n'avait mentionné ni cette altercation, ni l'existence du pick-up, se bornant à expliquer que le client avait appelé Amber plusieurs fois ce jour-là, en la « cajolant » et en lui promettant de gagner 1 500 $, soit « presque six fois » le montant des passes habituelles.
La photo que Rex Heuermann fournissait sur son site web
Le document ne dénombre pas combien de personnes vivant à Long Island possédait à l'époque une Chevrolet Avalanche de première génération, mais précise avoir envoyé 300 réquisitions judiciaires au sujet de l'un d'entre eux, Rex Heuermann, un architecte de 59 ans mesurant 1,93 mètre et pesant 110 kilos, travaillant à Midtown Manhattan, un quartier d'affaires de New York, et dont la description correspondait à celle du dernier client d'Amber Costello.
Les téléphones qui bornent
Non content de vivre à Massapequa Park, un village de Long Island non loin de là où avaient disparu les victimes, l'étude de ses relevés téléphoniques révéla qu'il avait borné à proximité :
- des téléphones portables utilisés pour organiser les rencontres avec trois des quatre victimes,
- des appels malveillants passés à l'un des parents de Melissa Barthelemy,
- d'un appel passé par un détective sur le téléphone portable de cette dernière alors qu'il enquêtait sur sa disparition, et
- des appels vérifiant la messagerie vocale sur le téléphone portable de Maureen Brainard-Barnes après la disparition de cette dernière.
De plus, les téléphones des victimes, ainsi que les « burner phones » utilisés pour les contacter, avaient, eux aussi, tous bornés à Massapequa Park et/ou Manhattan, non loin des bureaux de Rex Heuermann. A contrario, les relevés téléphoniques de la femme de ce dernier indiquaient qu'elle était toujours en déplacement, hors de New York, les jours où disparurent trois des quatre victimes.
Dans une note de bas de page, la police précise ne pas avoir été en capacité de vérifier si l'épouse de l'architecte était aussi absente lors de la disparition de Maureen Brainard-Barnes, tuée en 2007, parce que les relevés téléphoniques de 2007 ne sont plus disponibles. Elle n'explique pas, par contre, ce pourquoi les relevés téléphoniques de 2010 étaient encore accessibles en 2022.
Le document relève par ailleurs que si les relevés géolocalisés des téléphones de Rex Heuermann datant de 2010 ne sont plus disponibles, les factures de ses abonnements téléphoniques, ainsi que ses relevés American Express, ont montré « de nombreux cas » où ils se situaient « aux mêmes endroits » que les « burner phones » utilisés pour entrer en contact avec les prostituées. Les relevés indiquent qu'il était également à proximité des deux téléphones que le meurtrier avait utilisés pour interroger leurs répondeurs et appeler leurs proches après les avoir tuées.
De plus, et « de manière significative », les enquêteurs n'ont pu trouver « aucun cas » où Heuermann ne se trouvait pas à proximité des antennes où ces « burner phones » avaient borné.
« Par exemple », le 10 juillet 2009, dernier jour où Melissa Barthelemy a été vue en vie, son téléphone et celui de Rex Heuermann « se trouvaient tous deux dans la région de Massapequa et ont voyagé ensemble vers la ville de New York », avant de revenir tous deux en direction de Massapequa.
Le 17 juillet 2009, vers 12 h 40, le meurtrier avait par ailleurs téléphoné à la famille de Mme Barthelemy en bornant à une antenne située à 725 mètres (0,45 mile) des bureaux de Rex Heuermann, dont les relevés téléphoniques indiquent que ce jour-là, à 13 h 45, il était bien à New York.
Les 22 et 23 juillet, à 18 h 51 et 13 h 39, le « burner phone » bornait à une antenne située à 257 mètres (0,16 mile) des bureaux de Rex Heuermann, dont les relevés téléphoniques indiquent des appels là encore localisés à New York à ces heures-là.
Le téléphone de Melissa Barthelemy cessa par ailleurs de borner à partir du 10 août 2009, alors que Rex Heuermann venait de partir en Islande, mais se reconnecta au lendemain de son retour de voyage le 18 août.
Le 19, vers 19 h 23, le meurtrier utilisait le téléphone de Melissa Barthelemy pour téléphoner à sa famille, en bornant à 853 mètres (0,53 mile) des bureaux de Rex Heuermann, dont les relevés téléphoniques indiquent des appels situés à New York à 19 h 16 et 19 h 28.
Le 26, le meurtrier retéléphonait à la famille de Melissa Barthelemy entre 11 h 29 et 11 h 34 en bornant à 676 mètres (0,42 mile) des bureaux de Rex Heuermann, dont les relevés téléphoniques indiquent un appel le situant à New York à 11 h 38.
« Pourquoi le tueur en série de Long Island n'a pas été arrêté ? »
Les données du compte American Express ont en outre permis aux enquêteurs de découvrir de nombreux paiements via Google Play au profit de Tinder ainsi que l'utilisation par Rex Heuermann d'autres « burner phones » et adresses e-mail pseudonymes (mais reliées à l'adresse IP de son domicile) pour contacter des prostituées.
Les recherches associées à l'un de ses comptes GMail pseudonymes ont par ailleurs révélé « des milliers de recherches liées aux travailleuses du sexe, à la pornographie sadique, liée à la torture et la pédopornographie » révélant des fantasmes particulièrement violents.
Les enquêteurs ont également découvert qu'il avait effectué « plus de 200 recherches, entre mars 2022 et juin 2023 », au sujet de tueurs en série actifs et connus ainsi que sur les disparitions de Maureen Brainard-Barnes, Melissa Barthelemy, Megan Waterman et Amber Costello, « et l'enquête sur leurs meurtres », dont notamment :
- Pourquoi les forces de l'ordre n'ont-elles pas pu localiser les appels passés par le tueur en série de long island ?
- Pourquoi le tueur en série de Long Island n'a-t-il pas été arrêté ?
- Appel téléphonique du tueur en série de Long Island
- 8 terrifiants tueurs en série en activité (introuvables)
- Cartographie des victimes de meurtres de Long Island
- Le tueur en série de Long Island et Gilgo Beach
Heuermann avait également recherché des podcasts et documentaires consacrés au tueur de Long Island, « ainsi que pour visionner à plusieurs reprises des centaines d'images représentant les victimes assassinées et les membres de leur famille immédiate » et, « de manière significative », a également recherché et consulté des articles concernant le groupe de travail même qui enquêtait sur lui, ainsi que Gilgonews.com, le site web créé par la police au sujet du meurtrier de la plage de Gilgo.
Non content d'avoir été géolocalisé alors que son téléphone personnel, et ses « burner phones », bornaient aux mêmes antennes, Heuermann rachetait aussi des minutes de conversations téléphoniques en cash, mais dans des magasins disposant de caméras de vidéosurveillance. Il s'était aussi pris en selfie, stockant les photographies sur ses comptes « pseudonymes ».
Les preuves par l'ADN
L'analyse de cheveux humains récupérés sur la boucle d'une ceinture utilisée pour ligoter Maureen Brainard-Barnes, et les rubans adhésifs utilisés pour ligoter Megan Waterman et Amber Costello, avait révélé qu'ils appartenaient à une femme d'origine caucasienne/européenne, mais l'expertise génétique ne permettait pas, à l'époque, d'en savoir plus.
En juillet 2022, un enquêteur récupérait 11 bouteilles dans une poubelle utilisée par Rex Heuermann. Et en 2023, deux laboratoires, chargés de comparer les cheveux prélevés sur les dépouilles des victimes aux ADN présents dans les bouteilles, concluaient que les cheveux correspondaient à l'ADN de l'épouse de Rex Heuermann.
Les enquêteurs, ayant par ailleurs relevé qu'elle était systématiquement en déplacement lors des meurtres des victimes du tueur de Long Island, sont donc arrivés à la conclusion que c'était Rex Heuermann lui-même qui, par « contamination », les avait transférés sur les dépouilles des femmes qu'il avait tuées.
En janvier 2023, les enquêteurs récupéraient par ailleurs une boîte à pizza en carton que Rex Heuermann venait de jeter dans une poubelle publique non loin de ses bureaux à Manhattan. L'analyse de la croute de pizza qu'elle contenait révéla un profil ADN mitochondrial identique à celui présent dans un cheveu masculin récupéré dans la toile de jute utilisée pour envelopper la dépouille de Megan Waterman.
Heuermann a plaidé non coupable des trois meurtres dont il a été accusé, et insisté sur le fait qu'il n'avait pas commis ces crimes, a déclaré son avocat. « Choquée » et « dégoûtée », sa femme Asa Ellerup a réclamé le divorce.
Melissa Moore, la fille d'un tueur en série surnommé The Happy Face Killer (Le Tueur au Smiley), a lancé une cagnotte de soutien à Asa Ellerup et à ses deux enfants afin de les aider à « commencer une nouvelle vie ». Lancée fin juillet, elle a déjà recueilli près de 42 000 dollars.
Un tueur en série confondu par ses traces numériques, téléphoniques et bancaires
-
Le tuyau du co-locataire
-
Les téléphones qui bornent
-
« Pourquoi le tueur en série de Long Island n'a pas été arrêté ? »
-
Les preuves par l'ADN
Commentaires (11)
Vous devez être abonné pour pouvoir commenter.
Déjà abonné ? Se connecter
Abonnez-vousLe 11/08/2023 à 15h30
Plus un fait divers qu’un sujet de droit, mais bon la méthode d’analyse du bornage des différents téléphones et le recoupage des données est intéressante.
Pour du NXi c’était quand même synthétisable sur le côté technique/data plutôt que de faire un “dossier”, on est pas dans “Faites entrer l’accusé”
Le 11/08/2023 à 15h35
Moralité de l’histoire : mangez toujours vos croûtes de pizza
Le 11/08/2023 à 15h46
Une démonstration que l’anonymat fantasmé sur les réseaux est un bien un fantasme. Avec toutes les activités du quotidien qui impliquent l’utilisation d’outils et de services numériques, il est illusoire de croire qu’on ne laisse pas de trace.
Le 14/08/2023 à 11h05
Et une démonstration aussi que les moyens existent depuis fort longtemps pour attraper les délinquants & criminels, et qu’ainsi, la surveillance de masse pour attraper quelques individus est un prétexte sécuritaire servant donc d’autres finalités.
Le 11/08/2023 à 19h15
Pour les traces Email je comprends (Google logue toutes les IPs d’utilisation ? sur 10ans ?) mais pour les bornages je suis étonné que les opérateurs conserve tous les bornage sur des durées pareille. Ça en fait des données par terminal et par opérateur ! Quelqu’un sait si c’est pareil en France ? J’en étais resté aux seules fadettes (liste des numéros appelés).
Le 11/08/2023 à 20h20
10 ans c’est une durée légale de conservation pour certains documents. Tout ce qui concerne la facturation, donc le début d’un appel doit en faire partie. Les fameux documents SOX.
Le 12/08/2023 à 07h06
OK, mais le bornage à une antenne X ou Y n’est pas un élément de facturation n’est-ce pas ?
Le 13/08/2023 à 14h27
Je confirme la rétention de 10 ans “réglementaire” pour les “réquisitions judiciaires”, cela fait parti des “obligations Légales” de tout opérateur télécom opérant sur le territoire FRANÇAIS.
j’ai eu a administré un outils de localisation de bornage “il y a + de 15 ans” chez un Opérateur Français. Vous pouvez considéré que c’est “la base” des d’outils que les sociétés TELECOM fournissent aux services de police.
a mon époque c’était un historique de 2 ans glissant accessible en temps réel + accès a des recherches 10 ans restitué 2 fois /semaines (la recherche en elle même pouvant être longue… car les données a plus de 2 ans sont archivés sur différents supports (même automatisé, çà prends du temps))
Le 14/08/2023 à 06h35
Une preuve de plus, selon moi, que la police peut faire son travail sans avoir accès au contenu des échanges.
Le 14/08/2023 à 11h23
Partir de sa conclusion ne me semble pas être la meilleure des choses à faire pour constater une situation. Plutôt qu’une image romantisée d’intentions cachées, je pense que la surenchère de lois sécuritaires toutes aussi inapplicables et les unes que les autres est plutôt causée par une absence de compréhension des enjeux et concepts du numérique de la part du législateur couplée à une radicalisation de plus en plus forte du discours politique. Incompréhension certainement appuyée par des études diverses auxquelles personne ne comprend grand chose.
Ce genre de situation se retrouve aussi en entreprise. Les cabinets de conseil qui font des audit et études, restituent celles-ci auprès de décisionnaires, mais qui n’ont compris que le tiers (quand elle a eu une véritable pertinence) alors qu’il y a pourtant de vraies problématiques à traiter.
Le 17/08/2023 à 17h27
Qu’est-ce que tu englobes précisément dans le terme de “surveillance de masse” ?
Là on a déjà du bornage qui est conservé pendant des années, ça rentre dans ta définition ou pas ?
Quant aux supposées “autres finalités”, mais encore ?
“romantisée”, j’ai pas compris l’adjectif :-) . Tu parles du côté “roman”, truc écrit et inventé ?
J’aurais plutôt parlé d’une tendance conspirationniste.