Copie privée : Acer, Motorola et Sony condamnées à payer 47 millions d’euros
Bonne année Copie France !
Le 22 janvier 2018 à 10h28
7 min
Droit
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Les trois fabricants de supports ont été condamnés le 19 janvier 2018 par le tribunal de grande instance de Paris à payer quelque 47 millions d’euros à Copie France, la société perceptrice de la « rémunération » pour copie privée. Une somme correspondant aux redevances dues pour la période du 1er janvier 2013 au 1er juillet 2017.
Acer Computer France, à l’instar des deux autres fabricants de supports assujettis, avait suspendu le paiement de la redevance copie privée au début de l’année 2013.
À l’époque, cette redevance avait été calculée sur le fondement du barème n°15 voté par la Commission copie privée. Une instance de 12 ayants droit, 6 représentants des consommateurs et 6 autres des industriels, chargée d’établir l’assiette et le taux de redevance visant les tablettes, smartphones, disques durs externes, clefs USB, box, etc.
Pour prendre les devants, les fabricants avaient assigné Copie France pour contester leur créance. Pourquoi ? Car à l’époque, plusieurs industriels suspectaient l’illégalité de ce barème 15, voté après leur démission, au point qu’ils l’avaient attaqué devant le Conseil d’État.
Toutefois, le 19 novembre 2014, la haute juridiction administrative a rejeté leur recours en annulation (voir notre actualité).
Mieux, en référé, le 27 septembre 2016, le TGI de Paris a ordonné aux trois fabricants le paiement d’une provision sur les sommes finalement dues depuis janvier 2013. Tous se sont exécutés, mais défendus par Me Soubelet-Caroit, ils ont poursuivi leur action au fond devant le TGI de Paris.
Des redevances qui ne frappent pas des copies privées
Selon eux, le droit français n’est pas dans les clous du droit européen, en particulier de la directive 2001/29 sur le droit d’auteur, parce que la décision 15 contestée vient frapper trois sortes de copies ne constituant pas des copies privées.
Les premières concernent les copies de sauvegarde ou de migration.
Les deuxièmes visent les copies déjà autorisées par les ayants droit. Or, ponctionner de la redevance sur les supports qui servent à accueillir par exemple les cinq copies autorisées par iTunes engendre finalement une surcompensation des ayants droit. Ceux-ci ont en effet déjà contractualisé ces duplications, contre paiement d’une licence.
Enfin, la décision 15 n’exclurait pas correctement les copies effectuées par des professionnels : s’il existe une présomption que les supports achetés par les personnes physiques tombent dans le champ de la copie privée, une autre présomption doit exclure les supports achetés par les professionnels. Certes, il existe en France un mécanisme de remboursement de ces acteurs, mais les montants rétrocédés sont dérisoires.
Une série de questions préjudicielles
Calculette en main, chacun a demandé un abattement de 78 %. Ils ont également soulevé une question préjudicielle pour faire éprouver ce régime sur l’autel de la Cour de justice de l’Union européenne :
- « Une législation nationale permettant de soumettre à la redevance pour copie privée tous types de copies, sans aucune distinction de leur finalité et, par là même, du préjudice potentiel qu’elles seraient susceptibles de causer aux titulaires de droits, est-elle conforme à la directive 2001/29 telle qu’interprétée par la Cour de justice de l’Union européenne, en particulier aux principes de juste équilibre et d’interprétation stricte des exceptions ? »
- « Une législation nationale autorisant les titulaires de droits à autoriser, le cas échéant moyennant rémunération, des actes de reproduction à usage privé tout en soumettant ces mêmes copies à la redevance pour copie privée, est-elle conforme à l’article 5.2 b de la directive 2001/29 tel qu’interprété par la Cour de justice de l’Union européenne ? »
- « Un système national de redevance pour copie privée dans lequel il incombe à tout professionnel, personne physique ou morale, pour bénéficier de l’exclusion du paiement de ladite redevance, d’apporter la preuve de l’absence de tout usage de copie privée des matériels acquis à des fins professionnelles qu’ils soient, ou non, mis à disposition de tiers, à des fins professionnelles, est-il conforme à l’article 5.2 b de la directive 2001/29 tel qu’interprété par la Cour de justice de l’Union européenne ? »
- « Un système national de redevance pour copie privée dans lequel l’exonération ou le remboursement du redevable est, en toutes hypothèses, conditionné à la conclusion d’une convention d’exonération par l’utilisateur final professionnel est-il conforme à l’article 5.2 b de la directive 2001/29 tel qu’interprété par la Cour de justice de l’Union européenne ? »
Les arguments en défense de Copie France
En face, Copie France a répondu que ces fabricants en demandaient finalement beaucoup trop au tribunal : réécrire la décision 15, qui est un acte règlementaire, en lui ajoutant des paramètres supplémentaires. Réécrire la loi du 20 décembre 2011 sur la copie privée en faisant bénéficier, « en totale contradiction avec le droit de l’Union, le redevable (…) d’une exonération de plein droit, grâce à une présomption d’usage professionnel ».
Sur le cas d'iTunes (et ses équivalents), le percepteur de la copie privée ajoute que « l’autorisation d’un auteur à la reproduction de son œuvre n’a aucune conséquence sur la rémunération équitable, de sorte qu’il ne peut être reproché de ne pas avoir exclu de l’assiette de la rémunération, les copies contractuellement autorisées ».
Enfin, le barème 15 a été établi en concertation au sein de la commission copie privée et il exclut bien les copies ne constituant pas des actes de copie privée.
Toujours selon cette société civile, le droit français est enfin conforme à la directive sur le droit d’auteur, prévoyant une exception des biens achetés par les professionnels grâce à un mécanisme de remboursement ou d’exception.
Pas d’effet direct de la directive sur le droit d’auteur
Le TGI de Paris va suivre les positions de Copie France. Suivre les prétentions des demandeurs, reviendrait à réécrire les dispositions légales et règlementaires, « ce qui excède manifestement les limites de l’intervention du juge ».
Par exemple, imaginer un mécanisme d’exonération totale pour tous les supports acquis par les professionnels impliquerait de réécrire la loi du 20 décembre 2011, ce qui n’est pas dans son pouvoir.
De plus, et surtout, aucun des fabricants n’est en droit d’invoquer directement la directive de 2001 sur le droit d’auteur, et ce dans l'espoir d'écarter les dispositions nationales qui seraient, comme ils le soutiennent, contraires à celle-ci. Une règle qui tient au fait que les directives n’ont pas d’effets directs dans les litiges privés, ici entre une société civile et une société commerciale.
Le tribunal a enfin balayé rapidement la question préjudicielle, jugeant cette procédure non nécessaire.
Plus de 47 millions d’euros à payer
Au final, Sony Mobile Communications AB sera condamnée au paiement des redevances pour copie privée dues pour la période entre le 1er janvier 2013 et le 1er juillet 2017, soit 27,61 millions d’euros. Acer sera condamnée pour sa part à 12,17 millions d’euros, et Motorola à 7,5 millions d’euros, soit au total un peu plus de 47 millions d’euros.
Compte tenu des sommes en jeu, il ne serait pas étonnant que les fabricants fassent appel, d’autant que la CJUE a considéré dans un arrêt du 22 septembre 2016 que les flux identifiés comme uniquement professionnels devaient bien être mis à l’écart de toute perception.
De plus, dans la lignée d'un autre arrêt de la CJUE (dit Foster), la Cour de cassation a jugé que le droit européen pouvait avoir un effet direct, lorsqu’un organisme d’un État dispose de pouvoirs exorbitants, ce qui pourrait être le cas de Copie France, société de perception agréée par le ministère de la Culture disposant d'agents assermentés.
- Télécharger le jugement Motorola du 19 janvier 2018
- Télécharger le jugement Sony du 19 janvier 2018
- Télécharger le jugement Acer du 19 janvier 2018
Copie privée : Acer, Motorola et Sony condamnées à payer 47 millions d’euros
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Des redevances qui ne frappent pas des copies privées
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Une série de questions préjudicielles
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Les arguments en défense de Copie France
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Pas d’effet direct de la directive sur le droit d’auteur
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Plus de 47 millions d’euros à payer
Commentaires (29)
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Abonnez-vousLe 22/01/2018 à 11h02
> Suivre les prétentions des demandeurs, reviendrait à réécrire les dispositions légales et règlementaires, « ce qui excède manifestement les limites de l’intervention du juge ».
>Le tribunal a enfin balayé rapidement la question préjudicielle, jugeant cette procédure non nécessaire.
Donc en gros : on n’a pas le droit de vous donner raison parce qu’on est pas assez puissants, mais on ne va pas demander à ceux qui sont assez puissants pour le faire, parce que ce n’est pas nécessaire. Intéressant…
Le 22/01/2018 à 11h14
Copie France est une société louche
https://www.societe.com/societe/societe-pour-la-perception-de-la-remuneration-de…
Le 22/01/2018 à 11h29
0 salarié
Chiffre d’affaire non déclaré
C’est pas illégal ca?
Le 22/01/2018 à 11h58
Le 22/01/2018 à 12h22
Ils se sont pas juste trompés de juridiction et de cible ? Je ne suis pas connaisseur, mis effectivement on ne demande pas aux tribunaux nationaux de faire modifier une loi, leur travail c’est de juger si les lois existantes sont appliquées, et de dire de manière probante à ceux qui ne les ont pas appliquées de le faire.
Il ne faudrait pas plutôt attaquer la France auprès d’un tribunal européen, pour avoir mis en place une loi nationale contraire au droit européen ?
Le 22/01/2018 à 13h03
Le tribunal est là pour faire appliquer la loi.
Et la loi c’est à un barème pifométrique créé à partir d’études d’usage pipeau.
Vive la République, vive la France !
Le 22/01/2018 à 13h15
Le TGI n’avait pas d’autre choix, sauf peut-être à suivre les demande que questions préjudicielles. Le vrai fautif est d’abord le Conseil d’État qui n’a pas annulé le barème. Ce barème étant valide légalement, le TGI devait l’appliquer.
Le 22/01/2018 à 14h15
Je cite un § de l’article:
Sur le cas d’iTunes (et ses équivalents), le percepteur de la copie privée ajoute que « l’autorisation d’un auteur à la reproduction de son œuvre n’a aucune conséquence sur la rémunération équitable, de sorte qu’il ne peut être reproché de ne pas avoir exclu de l’assiette de la rémunération, les copies contractuellement autorisées ».
Je l’ai lu une vingtaine de fois, ça fait une demi-heure que je butte dessus, est-ce que quelqu’un peut me traduire ça en Français normal ? La langue de bois avec négation de contre-négation, j’y arrive pas. " />
Le 22/01/2018 à 14h18
“Activité (Code NAF ou APE) : Autre création artistique”
J’adore l’intitulé: la belle bande de branquignoles, ils ne créent rien, ils ne font que s’engraisser le fion sans bouger de leurs fauteuils.
Le 22/01/2018 à 14h28
La rémuneration équitable (rémunération des artistes et producteurs pour l’utilisation par des professionnel de la musique) n’a rien a voir avec la copie privée. (qui taxe les supports). En gros ils disent qu’ils ne “taxent” pas la même chose même si il se peut que des professionnels payer d’un coté pour l’utilisation faite et de l’autre pour le stockage.
Le 22/01/2018 à 14h33
Si je comprends bien , on dit que si un auteur autorise les gens à recopier son oeuvre, ça n’exonère pas pour autant du paiement de la copie privée car elle est verse à un collectif.
Du coup même si Apple a négocié directement avec les auteurs l’autorisation de faire 5 copies d’une oeuvre, ce n’est pas pour autant qu’il ne faut pas payer les droits de copie privée sur le support.
Le 22/01/2018 à 14h42
Le 22/01/2018 à 14h56
Mais du coup, la négociation sert à rien ?
Le 22/01/2018 à 14h58
Merci aux commentaires #10 et #11 ! " />
Le 22/01/2018 à 15h38
Ben si, elle t’autorise à faire 5 copies légales que tu peux utiliser simultanément (si j’ai bien suivi).
La RCP, elle, s’applique aux copies de sauvegardes (donc que tu n’écoutes pas) ou liées à un souci de support (genre pour le lire sur un système qui ne supporte pas le DRM utilisé). Alors qu’avec la négo Apple, tu as le droit de l’écouter dans ta voiture pendant que ta femme l’écoute au salon et ton gamin dans sa chambre. Ce que tu n’as pas le droit de faire en temps normal.
Le 22/01/2018 à 15h59
Non.
La RCP ne s’applique pas aux sauvegardes, le droit à sauvegarde s’applique uniquement aux logiciels.
La RCP donne le droit à faire une copie privée que l’on peut utiliser pour jouir de l’œuvre.
Les ayants-droit répondent n’importe quoi sur ce sujet, mais comme ils veulent maximiser leurs profits, ils sont prêts à mentir.
Comme cité juste au-dessus, “elle est une rémunération compensatoire pour les auteurs des oeuvres copiées dans un cadre non commercial et non professionnel.”. Elle ne peut donc pas s’appliquer à un droit de copie exercé dans un cadre commercial quand Apple te permet de faire 5 copies contre ton argent.
Le 22/01/2018 à 16h28
Le 22/01/2018 à 16h30
J’ai voulu rester simple mais rectifier de grosses erreurs.
Le 22/01/2018 à 16h59
De plus, dans la lignée d’un autre arrêt de la CJUE (dit Foster), la Cour de cassation a jugé que le droit européen pouvait avoir un effet direct,
lorsqu’un organisme d’un État dispose de pouvoirs exorbitants, ce qui
pourrait être le cas de Copie France, société de perception agréée par le ministère de la Culture disposant d’agents assermentés.
L’une des quatre conditions posées par l’arrêt FOSTER, pour qu’un particulier puisse invoquer l’effet direct d’une directive à l’encontre d’un organisme étatique suppose que ce dernier accomplisse un service d’intérêt général.
Or Copie France ou plutôt la société pour la perception de la rémunération de la copie audiovisuelle et sonore est un mandataire dont “l’objet principal consiste à gérer le droit d’auteur ou les droits
voisins de celui-ci pour le compte de plusieurs titulaires de ces droits” (nouveau statut de l’organisme de gestion collective de l’art.321-1-I CPI ou nouveau statut de l’organisme de gestion indépendant art. 321-6 CPI).
L’agrément de Copie France du 20/12/2016 fait référence à l’ancien statut de SPRD, qui était lui aussi un mandataire des seuls intérêts particuliers des titulaires de droits d’auteur et/ou voisins.
Aussi, il n’est pas possible d’invoquer la jurisprudence Foster contre Copie France
Le 22/01/2018 à 16h59
Pour pouvoir attaquer à la CJUE il faut avoir épuiser les recours devant la juridiction nationale correspondante.
Dans tout les cas le TGI ne peut pas déjuger une loi, donc la procédure va suivre son cours en appel puis probablement en cassation et en suite à la CJUE.
Dénouement dans 3⁄5 ans
Le 22/01/2018 à 17h30
Ah OK donc c’est un jugement sans importance dont le résultat était prévisible et qui ne sert qu’à accéder au niveau souhaité.
Le 22/01/2018 à 18h24
Le 22/01/2018 à 18h36
Si, mais la sanction et peanuts." />
Le 22/01/2018 à 18h48
Ce jugement n’est pas totalement “ sans importance”, car en matière de Redevance pour Copie Privée, la CJUE a pour jurisprudence constante, depuis l’arrêt PADAWAN :
“Dans la mesure où les dispositions de la directive 2001⁄29 ne règlent pas explicitement les différents éléments du système de compensation équitable, les États membres disposent d’une large marge d’appréciation pour déterminer qui doit acquitter cette compensation. Il en est de même en ce qui concerne la détermination de la forme, des modalités et du niveau éventuel de cette compensation ” (cf. par ex. point 27, CJUE, C-110⁄15, 22 septembre 2016 ).
Aussi, le TGI de Paris rappelle qu’en matière d’exonération de RCP, la voie la plus simple est un lobbying devant les parlementaires nationaux, plutôt que la voie judiciaire.
Le 22/01/2018 à 18h49
Le 22/01/2018 à 20h26
Le 22/01/2018 à 20h40
Le 23/01/2018 à 10h23
Cela fait des années que je n’achète plus de supports pour mes fichiers. Vieux disques durs et récupération me suffissent largement. Les CD et DVD vieillissent doucement dans leurs boites non déballées ni ouvertes. Et de toutes façons , faut être fous pour acheter en France !!
Le 23/01/2018 à 12h58
sinon tu achètes des disques durs internes, qui ne sont pas (pas encore ?) soumis à RCP, et un adaptateur à 15€ suffit à les transformer en DD externe." />