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Le dispositif de lutte contre les survols illicites de drones se dessine

Les Parrot sont cuites

Le dispositif de lutte contre les survols illicites de drones se dessine

Le 29 mai 2015 à 16h00

Hier, se tenait à Paris un colloque international intitulé « Drones civils : opportunités et risques ». Des représentants des ministères de l’Intérieur et de la Justice y ont présenté les pistes d’évolutions législatives et réglementaires actuellement suivies par le gouvernement. Les aspects techniques – détection et neutralisation d’appareils dangereux – furent également évoqués. Compte rendu.

Même si les survols illicites de sites sensibles (centrales nucléaires, Palais de l’Élysée, etc.) font bien moins parler d’eux depuis quelques mois, les dizaines d’incidents survenus notamment en octobre dernier ont manifestement marqué les pouvoirs publics. La semaine dernière, le Sénat a définitivement adopté une proposition de loi prévoyant entre autres que le gouvernement remette au Parlement, avant le 30 septembre, un rapport présentant « les solutions techniques et capacitaires envisageables afin d'améliorer la détection et la neutralisation [des drones], ainsi que les adaptations juridiques nécessaires afin de réprimer de telles infractions ». En clair, il s'agit ni plus ni moins que de mettre sur la table un maximum d'outils pertinents pour se protéger face à de nouveaux incidents de ce type. 

Ce document proposera une synthèse des vastes travaux engagés par le Secrétariat général de la défense et de la sécurité nationale (SGDSN), qui est administrativement rattaché à Matignon, suite aux incidents de l’année dernière. Un premier rapport a en effet été remis à Manuel Valls au mois de janvier, et trois groupes de travail ont depuis été mis en place pour poursuivre l’exploration des pistes qui furent ainsi dégagées. Le premier vise à mieux identifier les menaces que peuvent représenter les drones civils (qu’ils soient utilisés par des entreprises, des particuliers amateurs d’aéromodélisme ou le grand public). Le second porte sur les moyens de détection et de neutralisation des appareils dangereux, tandis que le troisième se penche sur les questions d’ordre juridique.

L’institution organisait hier un colloque international, afin justement d’évoquer publiquement ces travaux en cours. Le tout sous les yeux de nombreux professionnels du secteur (dont le célèbre fabriquant Parrot), soucieux que les évolutions à venir ne portent pas atteinte au développement de leurs activités économiques... Next INpact était sur place.

Une menace « bien réelle » pour les autorités

Première interrogation, les drones civils constituent-ils une véritable menace pour la sécurité publique ? Pour l’Armée française, ça ne fait guère de doute. « Pour nous, c'est une menace qui est réelle, qui est émergente, qui est complexe et qui est surtout très évolutive : on ne sait pas ce dont sera fait demain » a ainsi affirmé le général de division Éric Darras, au nom de la Direction générale de la gendarmerie nationale (DGGN). Les risques sont en effet nombreux, du drone qui sert à transporter des explosifs, en passant par les drones qui s'écraseraient volontairement sur des personnalités, etc. 

drones colloque SGDSN
Denis Mercier aux côtés d'Éric Darras - Crédits : Xavier Berne (licence: CC by SA 3.0)

Pour le chef d’état-major de l’Armée de l’air Denis Mercier, les éventuelles menaces terroristes ne sont toutefois pas toujours les plus préoccupantes. « Ce qui est de mon point de vue la menace d'aujourd'hui – et c'est ce qui est nouveau – ce sont les actions involontaires et non malveillantes mais qui peuvent présenter des risques, notamment pour nos militaires ». Le général a plus concrètement fait référence à ces particuliers qui effectueraient des vols dans des zones certes désertes, mais où des avions de chasse peuvent procéder à des exercices à basse altitude (ce qui est normalement indiqué sur les cartes aériennes). Des survols réalisés « en toute bonne foi » par des particuliers venant s’amuser avec leur dernier joujou à la mode, mais qui peuvent se muer en véritables « boulets de canon » pour les appareils de l'armée, en cas de collision.

Beaucoup de signalements de survols illicites, mais peu de cas avérés

Les intervenants qui se sont succédés ont au passage eu l’occasion de faire un point sur les récents incidents survenus au fil des derniers mois. Éric Darras, de la gendarmerie nationale, a expliqué que 89 survols de sites sensibles avaient été signalés, dont seuls « 27 avérés à la suite des investigations judiciaires ». 37 de ces signalements concernaient des centrales nucléaires (pour 19 cas avérés).

Ce constat de nombreux cas non élucidés fut partagé par Régis Guyonnet, de la Préfecture de police de Paris. Depuis le début de l’année 2015, 87 signalements ont été faits auprès des autorités de la capitale, dont 77 restent un mystère... « Il y a de fortes suspicions de confusion avec d'autres aéronefs. On soupçonne même certaines de nos équipes d'avoir couru après des avions en phase finale d'atterrissage... » à reconnu l’intéressé, non sans provoquer quelques sourires dans le public.

Au niveau national, et tous sites confondus, c’est un total de 203 signalements de survols illicites de drones qui ont été comptabilisés par le ministère de la Justice. Aurélien Létocart, magistrat représentant la Direction des affaires criminelles et des grâces (DAGC), a précisé que 63 procédures judiciaires avaient ainsi été ouvertes, « dont 55 sont à ce jour clôturées ». « En tout et pour tout, et c'est assez modeste, 13 affaires judiciaires ont été pleinement résolues » a-t-il indiqué.

La méconnaissance de la réglementation parmi les principales raisons des condamnations

Et en termes de condamnations ? « La réponse pénale qui a été apportée à l'ensemble de ces affaires se structure essentiellement autour de la confiscation des drones, mais également, selon les cas, du prononcé d'un rappel à la loi ou d'une amende à l'encontre du télépilote. » Des amendes qui n’auraient que rarement dépassé les 1 000 euros selon Aurélien Létocart. Ce fut par exemple le cas pour ce journaliste d’Al-Jazeera qui avait fait voler un drone dans le bois de Boulogne, ou bien pour cet homme qui s’était amusé au niveau de la Tour Eiffel.

Si ces sanctions peuvent sembler bien minces au regard de l’arsenal législatif actuellement en vigueur – le non-respect des règles de sécurité applicables aux drones est notamment passible d’un an de prison et de 75 000 euros d’amende, le magistrat a fait valoir que la réponse pénale avait été « parfaitement individualisée et proportionnée à la gravité des faits poursuivis ». Et pour cause. « On observe que la réalité des procédures menées à leur terme témoigne en fait d'actions isolées, essentiellement fondées sur la méconnaissance de la réglementation en vigueur, et dépourvues de toute intention de nuire » a ajouté Aurélien Létocart. Un constat confirmé notamment par Régis Guyonnet, de la Préfecture de police de Paris, qui a expliqué que les personnes placées en garde à vue ces derniers mois étaient pour la plupart des touristes originaires de Russie, des Émirats, des pays d’Asie, etc.

« Si la répétition initiale des survols de zones sensibles pouvait laisser craindre à l'origine l'existence d'actions concertées à des fins criminelles, ce constat doit aujourd'hui être largement relativisé, en l'absence d'éléments matériels sous-tendant une telle hypothèse et porté à la connaissance du ministère de la Justice et de l'autorité judiciaire » a d’ailleurs conclut le représentant du ministère de Justice – une façon de signifier qu’il convenait selon lui de ne pas réagir trop hâtivement.

Un « démonstrateur » pour la détection et la neutralisation des drones sous 18 mois

La deuxième interrogation concernait, suite à ce bilan, les réponses qu’il conviendra d’y apporter dans les prochains mois. Le SGDSN a en effet déjà commencé à travailler à la mise en œuvre de solutions opérationnelles. « Sur la partie capacitaire, il y a eu des tests à capsule, dans le sud-est de la France, où on a testé tout ce qui existe sur le marché, nous a expliqué un porte-parole de l’institution. On a eu une vingtaine d'industriels, une quarantaine de briques technologiques permettant de détecter un drone, de les neutraliser, etc. Parallèlement, on a lancé un appel à projets. Deux projets ont été retenus, et peut-être bientôt un troisième. C’est avec ces projets qu’on va développer sous 12 à 18 mois un démonstrateur qui permettra de répondre à tous les défis qui sont posés » (voir à ce sujet cet article du Monde).

Mais comme l’a résumé le général d’armée aérienne Denis Mercier, la détection est « assez simple », puisqu’il y a déjà « de bons résultats dans ce domaine-là » (caméras thermiques, etc.). C’est en fait du côté de l’identification et de la neutralisation des appareils dangereux que les choses se corsent... « La neutralisation c'est plus compliqué parce qu'il faut bien analyser, selon les cas, le type de dommage collatéral ». Abattre un drone au-dessus d’une ville telle que Paris risque par exemple de conduire l’appareil à s’écraser sur des civils en contrebas.

Un recours aux armes facilité sur le plan législatif ?

Le choix des « armes » se révèle également délicat. « On a tout essayé : jet d'eau, filet, etc. » a raconté Denis Mercier. « On a essayé avec des tireurs d'élite, avec de la chevrotine,... Mais ça nécessite des distances très courtes donc ça ne marche pas dans tous les cas ». La meilleure option, selon lui ? « Le brouillage. Encore faut-il qu'on analyse bien les dommages que ça pourrait causer sur d'autres utilisateurs de ces signaux », tels que des avions ou d’autres appareils télépilotés proches.

L’usage des armes à l’encontre des drones est d’ailleurs une piste très sérieusement étudiée par le groupe de travail dédié aux questions juridiques. « Force est de constater qu'à ce jour, aucun des fondements juridiques existants ne permet de justifier dans tous les cas de figure et toutes les hypothèses le recours aux armes contre un drone », a ainsi affirmé Aurélien Létocart, au nom du ministère de la Justice. « C'est pourquoi on peut estimer opportun, ou en tout cas appeler de nos vœux, un nouveau cas d'engagement de la force en cas de survol par un drone de zones dont la liste sera fixée préalablement par la loi. » Selon lui, « la création d'un tel dispositif légal paraîtrait parfaitement adapté afin de mieux sécuriser un tel usage des armes, de sécuriser également les agents qui seraient amenés à recourir aux armes, et en fournissant un cadre juridique général et adapté ».

Vers de nouvelles obligations pour les pilotes de drones

Représentant le ministère de l’Intérieur, Thomas Andrieux a ensuite énuméré quelques-unes des « nombreuses pistes d'amélioration de la législation et de la réglementation » qui « vont être travaillées dans les mois qui viennent ». Selon le Directeur des libertés publiques et des affaires juridiques (DLPAJ) de la Place Beauvau, « la création d'un cadre juridique adéquat s'impose. Le statu-quo n'est pas possible ». Voici les pistes actuellement examinées par l’exécutif :

  • Une synthèse de la règlementation obligatoire. « Faut-il imposer par voie législative aux constructeurs de fournir avec leurs produits une notice destinée à informer les utilisateurs sur les conditions d'utilisation du produit ? » s’est faussement interrogé le numéro un de la DLPAJ. Cette fameuse notice, qui reprend synthétiquement les principales règles à respecter, a été élaborée l’année dernière sous la houlette de la Direction générale de l’aviation civile, mais n’est pour l’instant intégrée dans les boîtes de drones neufs que sur la base du volontariat. Parrot et DJI ont notamment accepté de jouer le jeu.
drones dgac notice
Crédits : DGAC
  • Une notice plus complète. Ce document pourrait en outre « être complété pour sensibiliser sur les problématiques de responsabilité » a ajouté Thomas Andrieu. Plus concrètement, il serait question d’insister sur les aspects de responsabilité civile et d’assurance.
  • Un brevet pour les pilotes de drone. « Faut-il créer une obligation de formation minimale de sensibilisation aux règles aériennes et de partage de l'espace aérien, aux règles faisant l'objet de restrictions particulières, ou bien encore sur le respect des libertés individuelles et la protection de la vie privée ? » a-t-il prudemment poursuivi. « On sait que déjà, existe dans les arrêtés applicables aujourd'hui, pour la catégorie B, une esquisse de ce type d'obligation. Peut-être faut-il aller plus loin. »
  • Immatriculation obligatoire. Cette piste, déjà évoquée par le ministre Bernard Cazeneuve, a sans grande surprise été une nouvelle fois vantée. « Cette logique d'immatriculation doit être explorée » a soutenu Thomas Andrieu, en référence aux obligations qui pèsent aujourd’hui sur les propriétaires d’autres aéronefs civils (ULM, planeurs...) – lesquels s’acquittent au passage de 91 euros de droits d’immatriculation. Tout en insistant sur le fait qu’il convenait de « faire un tri entre les différents types de drones (poids, capacités...) » auxquels ce nouveau dispositif pourrait s’appliquer – ainsi qu’aux « lourdeurs éventuelles que cela créérait » – le représentant de la Place Beauvau a clairement passé cette option au surligneur.
  • Signalement électronique des drones. « Même chose s'agissant du signalement électronique par puce, qui est une piste actuellement à l'étude », a-t-il poursuivi. Si cette solution « n'est pas exclusive puisqu'il existe d'autres dispositifs de signalement électronique disponibles sur le marché », elle suscite quoi qu’il en soit l’attention du ministère de l’Intérieur. L’objectif ? Pouvoir détecter plus facilement un drone qui serait par exemple doté d’une carte SIM, grâce aux antennes relais. « L'exercice le plus délicat sera de fixer à quel type de drone on va les appliquer – les plus importants, les plus lourds... Ce sont ces critères-là qu'il va falloir affiner dans les mois qui viennent, en lien avec la profession » a insisté Thomas Andrieu.

L’intéressé a néanmoins voulu rassurer son auditoire : « La lutte contre l'usage malveillant des drones ne doit pas conduire à réglementer excessivement ce secteur économique en expansion ni une pratique de loisir en plein essor (...). Il y a peut-être des obligations nouvelles à imposer. C'est la question qui est posée aujourd'hui. Il va falloir les confronter et savoir à qui on les impose. Le critère de la taille et du poids de l'appareil étant évidemment déterminant à nos yeux. » En clair, ces nouvelles obligations pourraient avant tout concerner les pilotes de drones assez sophistiqués, et non pas les appareils très grand public. Ce qui devrait satisfaire les professionnels du secteur, à l’heure où Bercy cherche par de nombreux moyens à pousser leurs exportations

Commentaires (9)

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Un drone pour aller directement “capturer” les drones récalcitrant serait le moyen le moins dangereux, il serait peut être temps que la police s’y mette. Les militaires ont pris déjà beaucoup de retard ça à l’air d’être pareil dans les forces de police.

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Quoi ?!? Comment je vais faire moi si je ne peux pas survoler mon drone ? <img data-src=" />

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Super leur 5 propositions… Les 2 premières devraient déjà être en vigueur, et les 3 dernières sont au bon vouloir du pilote…. Autant dire que, pour les cas de survols illicites, c’est voué à l’échec…

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Technologiques ou non je ne pense pas que 40 briques suffiront à défendre les sites sensibles de notre grande nations contre les hordes de drones voulant la détruire. Je retourne à mon projet d’usine de casques, au passage je cherche des partenaires.

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Tirnon a écrit :



Un drone pour aller directement “capturer” les drones récalcitrant serait le moyen le moins dangereux, il serait peut être temps que la police s’y mette. Les militaires ont pris déjà beaucoup de retard ça à l’air d’être pareil dans les forces de police.





Cela semble extrêmement difficile et facile à éviter par le pilote en infraction…&nbsp;


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Les petits avec un flashball sa doit être jouable ou un net gun.<img data-src=" />

Le dispositif de lutte contre les survols illicites de drones se dessine

  • Une menace « bien réelle » pour les autorités

  • Beaucoup de signalements de survols illicites, mais peu de cas avérés

  • La méconnaissance de la réglementation parmi les principales raisons des condamnations

  • Un « démonstrateur » pour la détection et la neutralisation des drones sous 18 mois

  • Un recours aux armes facilité sur le plan législatif ?

  • Vers de nouvelles obligations pour les pilotes de drones

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