Données de connexion : interview de Me Spinosi, avocat de la Quadrature, FDN et FFDN
Vers un débat général sur la surveillance des données de connexion ?
Le 02 juin 2015 à 07h31
6 min
Droit
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Hier, le rapporteur public a considéré que la question prioritaire de constitutionnalité soulevée par La Quadrature du Net, French Data Network (FDN) et la Fédération des Fournisseurs d’accès à internet associatifs (FFDN) méritait une transmission au Conseil constitutionnel (notre compte rendu). La balle est maintenant dans le camp du Conseil d’État qui, s’il n’est pas lié par ses conclusions, les suit généralement. Nous avons interrogé en sortie d’audience Me Patrice Spinosi, l’avocat des requérants.
En 2013, lors des débats du projet de loi Programmation militaire, la Quadrature du Net, la FDN et la FFDN n’avaient eu de cesse de dénoncer les flous du régime français de la surveillance des réseaux. Malheureusement, ni les parlementaires, ni le gouvernement n’ont souhaité les faire examiner par le Conseil constitutionnel.
En avril 2015, ces mêmes acteurs ont donc soulevé une question prioritaire de constitutionnalité visant à contrôler le dispositif désormais appliqué. Une première étape importante s’est déroulée hier au Conseil d’État. Pour mémoire, dans les contentieux avec l’État, celui-ci est chargé de jauger notamment du caractère « sérieux » des QPC avant de les transmettre au Conseil constitutionnel.
Hier, à Paris, le rapporteur public a lui aussi considéré que cette fameuse LPM souffre de brèches. En effet, elle autorise d’une main les services du renseignement à avaler quantité de données (les « informations et documents ») dans les bras des acteurs du Net et des télécoms sur simple « sollicitation » de leur réseau. Dans l’autre, elle ne protègerait pas assez les professions à risques, à savoir les avocats et les journalistes dont les sources sont potentiellement malmenées. C’est ce dernier point qui suscite dans son esprit le plus d’interrogations. De par sa fonction - recommander des solutions de droit au Conseil d’État - il lui suggère donc de transmettre l'ensemble du dossier aux neuf sages de la rue Montpensier. L'affaire est un beau grain de sable pour le projet de loi sur le Renseignement, débattu à partir d’aujourd’hui au Sénat. En effet, ce dernier amplifie la surveillance initiée par la loi de programmation militaire, en s’appuyant à plein régime sur ses rouages. En sortie d’audience, nous avons recueilli les impressions de Me Spinosi, avocat de la Quadrature du Net, FDN et FFDN.
Quelle analyse faites-vous des conclusions du rapporteur public ?
Ce sont des conclusions à la transmission de la question prioritaire de constitutionnalité, comme on pouvait l’espérer. Il s’arrête tout particulièrement sur la question des atteintes aux secrets, celui des avocats et des journalistes, et c’est évidemment l’un des points centraux de la QPC qui a été déposée. Il considère que ces éléments sont sérieux, que les temps ont changé et qu’aujourd’hui, l’utilisation des données est devenue quelque chose de courant et particulièrement attentatoire aux libertés. Pour l’ensemble de ces raisons, il suggère que le Conseil constitutionnel puisse se prononcer sur cette question de société, qui est la possibilité aujourd’hui pour l’administration de saisir et conserver des données personnelles.
Pour autant, le rapporteur a considéré qu’il n’y avait pas de difficultés sur les notions d’« informations et documents » et de « sollicitation du réseau ». Avez-vous été convaincu par sa démonstration ?
Pas forcément. Il estime que la loi est suffisamment précise par référence à d’autres dispositifs. Or, la loi, en elle-même, ne l’est pas et il est forcé de le reconnaître. C’est peut-être d’ailleurs la raison pour laquelle, quand bien même il considère que ces questions à elles seules ne justifieraient pas une transmission, il conclut pourtant qu’il convient de transmettre la totalité de la question y compris cette difficulté relative à la précision du texte de la loi. S’il est suivi, comme on peut l’espérer, il appartiendra au Conseil constitutionnel d’apprécier cette argumentation. Celui-ci sera donc appelé à juger de la totalité des arguments de cette QPC sans que le Conseil d’État puisse faire le filtre à cet égard.
Dans l’agenda, comment va s’articuler cette possible saisine avec celles prévues pour la loi sur le Renseignement, promise par le Président de la République et les députés ?
Il est certain que la saisine par voie de QPC va avoir une influence directe sur ces autres saisines puisque l’ensemble des arguments présentés dans notre cadre ont été jugés sérieux et leurs auteurs seraient donc bien avisés de les reprendre. Évidemment, il y aura une imbrication. Le rapporteur public a évoqué la possibilité que ces saisines soient traitées en même temps ce qui permettrait au Conseil constitutionnel de statuer tout à la fois sur la QPC, qui lui serait envoyée, et sur la saisine de l’exécutif et des parlementaires. Cela aboutirait à ce qu’il y ait un débat général au Conseil constitutionnel sur ces questions relatives aux interceptions et à la conservation des données. Cette conjonction est une première, elle donnerait lieu potentiellement à un traitement global sur les deux formes, a priori et a posteriori, dont le Conseil constitutionnel peut être aujourd’hui saisi.
Les sénateurs socialistes ont déposé plusieurs amendements visant à remplacer justement l’expression « informations et documents » par celles de « données de connexion » (notre actualité). Êtes-vous d’accord avec cette substitution ?
Il est certain qu’il y a une maladresse de rédaction de la part de la loi. Le rapporteur public, dans ses conclusions, l’a aussi relevé : s’il n’en déduit pas qu’il y pourrait y avoir pour lui un doute sur la portée exacte de la loi, il pourrait y avoir utilement une réserve d’interprétation. Potentiellement donc, le Conseil constitutionnel, puisqu’il est susceptible d’être saisi de cette question aussi, pourrait même ne pas entrer en voie d’annulation, mais au moins, faire une réserve d’interprétation pour bien limiter cette définition des « informations et documents » dans le sens de ces amendements.
Cette précision est nécessaire, mais elle peut venir soit de la loi elle-même, c’est l’hypothèse de l’amendement, soit de la décision d’une cour suprême. Ce serait évidemment le cas s’il y avait une réserve d’interprétation soit du Conseil constitutionnel soit dans le cadre d’une décision à venir de la part du Conseil d’État.
Merci Me Spinosi.
Données de connexion : interview de Me Spinosi, avocat de la Quadrature, FDN et FFDN
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Quelle analyse faites-vous des conclusions du rapporteur public ?
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Pour autant, le rapporteur a considéré qu’il n’y avait pas de difficultés sur les notions d’« informations et documents » et de « sollicitation du réseau ». Avez-vous été convaincu par sa démonstration ?
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Dans l’agenda, comment va s’articuler cette possible saisine avec celles prévues pour la loi sur le Renseignement, promise par le Président de la République et les députés ?
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Les sénateurs socialistes ont déposé plusieurs amendements visant à remplacer justement l’expression « informations et documents » par celles de « données de connexion » (notre actualité). Êtes-vous d’accord avec cette substitution ?
Commentaires (25)
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Abonnez-vousLe 02/06/2015 à 07h49
Le 02/06/2015 à 07h54
Ah ok ! Comme je l’ai écrit hier c’est en train de se transformer en bourbier : simultanément le parlement le CC, le CE et le gouvernement au milieu, ça va être la saga de l’été !
Le 02/06/2015 à 07h57
Oui, et c’est une première dans l’histoire du CC, selon Me Spinosi. Le fait est aussi qu’une modification des définitions “informations et documents” pourrait faire l’effet d’un joli chateau de cartes. La pression est immense sur les juges.
Le 02/06/2015 à 08h16
Est ce qu’il y a eu une levée de boucliers pour la partie protégeant les parlementaires au même titres que les journalistes et avocats ?
Le 02/06/2015 à 09h13
Moi ce qui me taraude est la partie suivante :
“En 2013, lors des débats du projet de loi Programmation militaire, la Quadrature du Net, la FDN et la FFDN n’avaient eu de cesse de dénoncer les flous du régime français de la surveillance des réseaux. Malheureusement, ni les parlementaires, ni le gouvernement n’ont souhaité les faire examiner par le Conseil constitutionnel.”
Pourquoi lors de ces débats, l’ensemble des corps législatif et exécutif ont-ils fait la sourde-oreille alors que ces associations n’ont eu de cesse de soulever le manque de clarté ?
D’autre part, pourquoi seulement les avocats et journalistes et ne pas inclure dans la surveillance les parlementaires ?
Le 02/06/2015 à 09h39
Ah, ce Spino, toujours prêt à l’ouvrir dès qu’il voit un micro…
Le 02/06/2015 à 09h48
Pourquoi lors de ces débats, l’ensemble des corps législatif et exécutif ont-ils fait la sourde-oreille alors que ces associations n’ont eu de cesse de soulever le manque de clarté ?
Parce que ces associations n’ont pas le même poids médiatique qu’une coalition journalistes+avocats. Les uns sont des barbus dans un garage, alors que les autres sont les porte-étendards de la défense de la liberté républicaine.
Autant l’establishment politique peut se permettre d’ignorer les protestations vigoureuses des barbus, autant il fait très attention aux mouvements d’humeur des baveux.
Le 02/06/2015 à 10h11
Merci de ces précisions.
Ceci dit, avec cette nouvelle action, leur poids sera revu à la hausse si cette dernière aboutit.
En espérant qu’à l’avenir, les parlementaires respectent un peu plus l’avis du peuple qui les élit.
Le 02/06/2015 à 10h26
Le 02/06/2015 à 10h42
Le 02/06/2015 à 11h03
Même si ce n’est généralement pas déterminant, il y a quand même de plus en plus de barbus (et de barbues, faut respecter la parité) auditionnés à l’Assemblée ou au Sénat. Or, la loi ne se fait pas dans l’hémicycle, c’est trop tard. Donc être invité en amont c’est un progrès significatif.
Maintenant, le poids des journalistes qui relayent (la plupart) servilement la com’ gouvernementale ou des avocats qui peuvent complètement bloquer la justice reste et restera sans commune mesure.
Le 02/06/2015 à 12h16
Je ne remet pas en question le sérieux de la mise en oeuvre de leurs actions. Juste le poids politico-médiatique de leur parole.
Quand ce collectif hurle devant le CC “vous touchez aux libertés individuelles du peuple” ca a moins de poids que lorsqu’un avocat en robe murmure devant le micro de BFM “il y a atteinte aux droits de la défense”…
Le 02/06/2015 à 12h23
“Il est certain qu’il y a une maladresse de rédaction de la part de la loi …” (sic)
C’est vraiment affaire de maladresse, à ce niveau? Je ne puis le croire, compte tenu de l’acharnement politico-médiatique des Valls and co, notamment en utilisant la procédure d’urgence, pour faire passer ce texte. CQFD.
Le 02/06/2015 à 12h25
Le 02/06/2015 à 12h28
Le 02/06/2015 à 12h30
Le 02/06/2015 à 07h47
J’ai du mal à comprendre la dernière phrase : dans quelles circonstances le CE pourrait contredire le CC ? Si après la saisine, le CC ne trouve rien à redire sur les « informations et documents », il y a alors autorité de la chose jugée et ce, en dernier recours " />
Le 02/06/2015 à 12h48
Comme je le disais plus haut, l’important pour l’establishment politique ce n’est pas la mobilisation effective des avocats. Ce qui est important pour eux c’est la possibilité de mobilisation des avocats et des journalistes. Ce sont des corporation (lobbies, groupes) qui représentent un risque d’un point de vue politique. Idem avec les routiers, les médecins, les étudiants,…
Malheureusement, le vulgaire geek internaute ne fait pas peur au politique. Donc le pouvoir de nuisance de LQN/FDN sur sa seule base de militant est assez faible.
Le 02/06/2015 à 12h52
Pourtant les journalistes se sont pas mal mobilisés, bien sûr notre Marc national mais il y eu aussi une journée complète en accès libre sur Médiapart, des articles très complémentaires sur Rue89 par Andréa Fradin, Le Monde et Libération n’étaient pas en reste, etc.
En revanche, comme d’habitude, il ne fallait rien attendre d’un journal télévisé, déjà sur un sujet simple… alors avec un texte très complexe juridiquement et techniquement, je suis content de ne plus avoir de télé.
Le véritable problème, c’est qu’en moyenne tout le monde s’en fout et « si c’est pour lutter contre le terrorisme, alors… ».
Le seul problème c’est que des exégètes amateurs ont quand même réussi à faire suffisamment de bruit pour que le président de la République s’engage publiquement à déferrer le texte devant le Conseil constitutionnel, à ce qu’un groupe de députés le fasse aussi et coïncidence calendaire, le Conseil d’état pourrait être de la partie ! Autrement dit, la com’ bien huilée du gouvernement et la simple formalité d’enregistrement initiale est en train de se transformer en calvaire qui sera long et à l’issue incertaine.
Ça ne m’étonnerai pas que les « baveux » en remettent une bonne couche, ils sont cruels.
Le 02/06/2015 à 13h06
Le 02/06/2015 à 18h36
En tout cas, pour mieux comprendre la barbe, il va falloir aller à Pas Sage en Seine pour assister à la conf parlant de “[l]a barbe, approche technique et culturelle, en lien avec l’informatique et les discriminations.” " />
Le 02/06/2015 à 21h09
Le pire c’est que le prochain attentat j’en connais qui seraient capable d’aller le leur reprocher sauce “vous voyez on vous avez dit que tout fliquer c’était mieux”
Le 03/06/2015 à 07h02
Le 03/06/2015 à 07h18
L’été, c’est pas cette période de l’année dont profite généralement le gouvernement pour entériner des mesures impopulaires ?
Le 03/06/2015 à 09h34