Retour sur la condamnation du magazine Téléchargement pour « incitation au piratage »
Ils avaient un peu trop chargé l'eMule
Le 04 février 2016 à 08h10
6 min
Droit
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À l’appui de la décision rendue le 12 juin dernier par le tribunal correctionnel de Nanterre, Next INpact revient aujourd’hui sur la condamnation du magazine Téléchargement. Son éditeur a écopé d’une amende de 10 000 euros pour « incitation au piratage », une première en France.
À l’origine de la procédure : la SCPP (Société civile des producteurs phonographiques), qui compte parmi ses membres les principales majors de la musique – à commencer par Universal, Warner et Sony. La puissante organisation d’ayants droit a manifestement guère apprécié certains passages du fameux magazine daté des mois d’août et septembre 2014. Outre une couverture promettant « Films, séries, musiques & jeux – Les meilleurs logiciels et sites GRATUITS pour downloader ! », le tout sur fond de tête de mort recouverte d’une arobase, les lecteurs pouvaient profiter au fil des pages :
- D’explications concernant des sites de téléchargement direct (Wawacity, Libertyland...). « Comment télécharger encore plus de contenu pirate, proposaient les auteurs ? Grâce à Google et aux boards pirates, vous avez très certainement listé plusieurs bonnes adresses dans vos favoris. Que diriez-vous de démultiplier le nombre de vos entrées, et parallèlement celui de vos films, grâce à quelques bons sites web pleins à craquer de films, jeux vidéo, e-books, photos, vidéos, logiciels, applications, musiques, clips et consorts ? »
- De descriptions de logiciels tels que µTorrent ou BitComet, avec des mentions du type : « Inutile de sonder les profondeurs du Deep Web à la recherche de fichiers pirates à télécharger, Google se charge de les faire remonter à la surface. Quelques mots clés judicieusement trouvés, une poignée de clics et vous remplirez vos disques durs dans la joie et la bonne humeur... Nous vous offrons un tour d’horizon des meilleurs clients Torrent plus quelques conseils et astuces pour vous régaler. »
- De présentations de logiciels comme eMule, MorphXT ou P2P Rocket, avec des commentaires tels que : « Faites le plein de DivX et de MP3 pour ne plus être dépendants de votre famille, de vos amis et de vos collègues de bureaux. On vous donne l’adresse des meilleurs clients Peer2Peer et on explique en prime comment récupérer des masses de fichiers sans s’énerver. »
Résultat, la SARL responsable du magazine (Les Éditions de Montreuil) a été citée à comparaître devant le tribunal de grande instance de Nanterre pour violation de l’article L335-2-1 du Code de la propriété intellectuelle. Introduit par la loi DADVSI de 2006, à une époque où le peer-to-peer avait le vent en poupe, cet article punit de 3 ans de prison et de 300 000 euros d’amende le fait « d'inciter sciemment » à l’usage de tout « logiciel manifestement destiné à la mise à disposition du public non autorisée d'œuvres ou d'objets protégés ».
Des passages accablants
Après avoir ausculté les écrits litigieux, les magistrats en charge du dossier n’ont pu que constater que ceux-ci étaient accablants... Voici quelques-uns des passages passés au surligneur par le tribunal :
- « Si vous êtes pris en flagrant délit de téléchargement illicite, vous êtes théoriquement susceptibles de finir devant Mr le juge (...) privilégiez les sites hébergés dans des pays où l’on est moins regardant sur le piratage de grosses productions américaines ».
- « Vous n’êtes pas censés déposer des films sur le web, à moins d’en détenir les droits (...) en faisant cela, vous contrevenez au droit français, vous risquez de voir vos fichiers supprimés sitôt l’upload terminé (...) afin d’éviter les mauvaises surprises (...) veillez à modifier son titre de façon à ce qu’il ne soit pas repérable par les robots des sites de stockage en quête de contenus illicites ».
- « Les fichiers hébergés sur les plateformes sont le plus souvent issus du petit monde des pirates, donc hors la loi [et qu’]en tapant les bons mots-clés sur Internet, on peut facilement mettre le doigt sur ces sites pleins à craquer de liens menant vers des plateformes de téléchargement ».
Les juges ont clairement écarté les éléments de défense avancés par les Éditions de Montreuil, pour qui les articles litigieux visaient à mettre en garde les lecteurs contre les risques du téléchargement illégal. Leur décision conclut en effet que c’est « en connaissance du caractère illicite des logiciels que la revue Téléchargement conseille et préconise à ses lecteurs l’emploi des logiciels et la consultation des sites litigieux, à seule fin de leur permettre de télécharger, de manière illicite, des œuvres et objets protégés ». Le tribunal note au passage qu’il importe peu que les responsables du magazine n’aient « pas tiré d’autre profit de la commission de l’infraction que celui tiré de la vente de la revue incriminée au moyen d’un titre accrocheur, voire racoleur ».
Alors que la défense invoquait également les droits de la presse, le tribunal a balayé cet argument au motif que l’exercice de la liberté d’expression « peut être soumis à certaines restrictions dès lors que, prévues par la loi, elles constituent des sauvegardes nécessaires, notamment, à la protection des droits d’autrui, et, d’autre part, que l’article 17 de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne permet aux États d’instaurer une protection spécifique de la propriété intellectuelle ».
Il n'y aura pas d'appel
La sanction ? 10 000 euros d’amende – soit grosso modo l’argent récolté pour la vente des 6 038 exemplaires du numéro litigieux, la publication de la décision dans Le Parisien et le Journal du dimanche (dans la limite de 3 000 euros), 1 000 euros d’indemnités à verser à la SCPP au titre de son préjudice moral, plus 1 500 euros au titre de ses frais de justice. Si elle s’était félicitée de cette condamnation, l’organisation de producteurs a en réalité obtenu des dommages et intérêts bien moindres que ce qu’elle réclamait : 50 000 euros.
Frédéric Gras, l’avocat des Éditions de Montreuil, nous a confirmé que son client n’avait pas interjeté appel de ce jugement et que la décision était dès lors devenue « définitive ».
Retour sur la condamnation du magazine Téléchargement pour « incitation au piratage »
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Des passages accablants
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Il n'y aura pas d'appel
Commentaires (48)
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Abonnez-vousLe 04/02/2016 à 11h15
Le 04/02/2016 à 11h16
Le 04/02/2016 à 11h24
Le 04/02/2016 à 11h33
Lis la phrase en page 4 de l’arrêt.
Le 04/02/2016 à 11h34
Depuis que je connais ce mag (et pour l’avoir suivi de très très près…), je me suis toujours demandé comment il avait pu échapper à ce type “d’aventure judiciaire”…
Le 04/02/2016 à 11h50
Le 04/02/2016 à 11h59
Le 04/02/2016 à 12h18
ça m’a interpellé aussi. Les logiciels n’ont clairement rien d’illégal. Uniquement, et parfois (souvent bon…) le contenu partagé l’est. Du coup, je me pose les mêmes questions.
Le 04/02/2016 à 12h24
Note que ça ne change rien au verdict, puisque la condamnation porte sur les explication pour récupérer des fichiers sur des sites qui eux, sont bien illicites pour le coup. Il me semble que wawamania a bien été déclaré illicite dans une procédure de blocage, contrairement aux logiciels de p2p.
Le 04/02/2016 à 12h28
Celle-ci ? : “Attendu qu’il en résulte que c’est ainsi en connaissance du caractère illicite des logiciels que la revue Téléchargement conseille et préconise à ses lecteurs l’emploi des logiciels et la consultation des sites litigieux, à seule fin de leur permettre de télécharger, de manière illicite, des œuvres et des objets protégés ; […]” (page 4, début du quatrième paragraphe)
Mouais, je ne sais pas trop. J’entends bien ce que nous dit Blackdream. Je reste prudent.
Déjà avec le vocabulaire… “caractère illicite des logiciels” (un aspect, un trait, un cas particulier). A mon sens, rien qui ne vient qualifier ces logiciels de totalement illicites - seulement ici dans ce contexte avec justement, cette utilisation.
On retrouve la même nuance avec “sites litigieux” : qui donnent lieu à un arbitrage. Je n’y vois pas ici une preuve formelle d’illégalité.
Pour moi ça parle bien d’utilisation : à seule fin de leur permettre de télécharger, de manière illicite. Dans ce contexte alors, les logiciels exploités revêtent certainement un caractère illicite
Reste que je ne suis pas du tout calé en droit - leur prose est tellement compliquée, formée de tellement de nuance. Difficile.
Le 04/02/2016 à 13h01
“Caractère” : Signe distinctif de quelque chose ou de quelqu’un. (définition prise sur google).
Donc “Caractère des locigiels” : Signe distinctif des locigiels
Du coup, le caractère étant “illicite”, l’expression veux dire que l’un des signes distinctifs des logiciels est d’être illicite. Hors ce n’est pas vrai.
Pour te répondre plus précisément (“rien qui ne vient qualifier ces logiciels de totalement illicites”) : rien n’est en partie légale ou illégale. Ces logiciels sont légaux. Leur utilisation est légale. Leur utilisation a des fin illégales est, bien sûr illégale. Si le juge dis que le logiciel est illégale, c’est faux, de même si il dis que son utilisation est illégale. Ce qui est illégale, c’est de télécharger des fichiers soumis au droit d’auteur sans en avoir les droits. Si tu veux, c’est aussi faux que si je disais que les voitures qui peuvent rouler à plus de 130km/h ont un caractère illicite. C’est faux : acheter une voiture c’est légal, utiliser la voiture c’est légal, et rouler à plus de 130km/h c’est illégal. Par contre, une voiture qui ne pourrait pas rouler en dessous de 130km/h serait sans doute illégale, en tout cas son utilisation le serait.
Mais encore une fois (je le redis sinon js2082 va encore parlé de mauvaise fois) : faire la promotion de sites bloqués par la justice enlève tout doute sur la légitimité du verdict.
Le 04/02/2016 à 13h09
Ok ok. Bah peut être bien.
Le 04/02/2016 à 13h11
Si ça ne venait pas d’un juge, clairement ça ne m’aurai pas choqué. Mais là, un peu quand même.
Le 04/02/2016 à 13h12
+1 C’est effectivement retourner le travail des ayants droits contre eux, en toute finesse et en toute légalité.
Franchement le magazine s’en sort extrêmement bien. Vu le foutage de gueule affiché (“on vous apprend à niquer la loi”), je me serais attendu à de la condamnation pénale pour le dirigeant…
Mais bon, les juges ont bien joué. La sanction est suffisamment présente malgré tout pour marquer le coup (> tous leurs bénéfices) et permettre aux ayants droits de parader, tout en étant suffisamment douce pour éviter toute tentation de faire appel.
Le 04/02/2016 à 22h31
Le 03/02/2016 à 17h02
Hmm au vu des éléments présentés, la sanction est plutôt clémente :(
(cela ne m’empêche pas de trouver l’article de loi qui à servi de justification au jugement complétement aberrant ^^)
Le 04/02/2016 à 08h17
eMule ? Ca existe encore, ça ?
Le 04/02/2016 à 08h18
Et le reste ce n’est pas de l’incitation au piratage (chronologie des médias, pubs obligatoires, DRM…) ??
Le 04/02/2016 à 08h22
Le magazine s’en sort bien.
Le 04/02/2016 à 08h30
c’est ce qui s’appelle :
Le 04/02/2016 à 08h30
Le 04/02/2016 à 08h32
En bonus, 6038 personnes ont pas été capables de trouver directement sur internet les informations fournies par le magazine. " />
Le 04/02/2016 à 08h40
On devrait pouvoir attribuer des prix Darwins aux entreprises commerciales.
Le 04/02/2016 à 08h43
Tu m’étonnes qu’ils ne font pas appel, doivent être bien contents de s’en tirer avec 10k€.
Parfois à force de chercher on finit par trouver.
Le 04/02/2016 à 08h44
Les parasites réclament leur du.
Les journalistes de ce magasine n’ont fait que du travail de journalisme, ce ne sont pas eux qui mettent à disposition les fichiers illégaux.
Les ayants droit volent la recette de ce journal.
Le 04/02/2016 à 08h55
T’as oublié le " />. " />
Qu’on soit d’accord ou pas, le “piratage” est illégal, et ce qu’ils ont écrit, c’est carrément de l’apologie, là. Je suis plutôt d’accord avec les autres: au vu des âneries qu’ils ont écrit, ils s’en sortent très bien…
Le 04/02/2016 à 08h55
Le 04/02/2016 à 09h01
c’est pas deja ce qu’ils font quand ils font des reportages sur Saint-IOuen, Tremblay-en-France, Marseilles ou autre ? Ils en achètent même parfois
Le 04/02/2016 à 09h03
Faut quand même être con, logique qu’avec de tels articles, les ayants droits aient porté plainte, comme d’autres je trouve qu’ils s’en sortent plutôt bien.
Le 04/02/2016 à 09h05
En même temps, ils n’ont pas été très fin. Tu ne fait pas le tutos pour le parfait script kiddies. Surtout, ça n’a aucun intérêt. Non, personnellement là où il y a un intérêt journalistique et de vulgarisation scientifique, c’est de montrer le fonctionnement et d’expliquer les failles du systèmes. Par exemple, tu expliques comment TMG cherche les “pirates” et tu pointes les faiblesses de leur méthode. Tu ne donnes pas la listes des meilleurs sites de téléchargement, tu donnes la listes des sites à abattre des ayants droits (ils en font une très bonnes chaque année, toi tu ne fait qu’une news sur leurs rapport, ils devraient t’être reconnaissant que tu informes le public sur leur rapport).
Le 04/02/2016 à 09h13
Le 04/02/2016 à 09h21
Le 04/02/2016 à 09h23
Ha, mais TMG à lui tout seul mérite un dossier voir un numéro spécial. Tu fais une double page rien qu’avec des article du genre “lorsque le téléchargement direct n’était peut-être pas illégale” ou “Pendant que TMG traqué les lignes non sécurisé, ils ne protégeaient pas la leur”…
Le 04/02/2016 à 09h23
“en connaissance du caractère illicite des logiciels que la revue Téléchargement conseille et préconise”Il n’y a que moi que ça choque ? Ces logiciels ne sont absolument pas illégaux. Je comprend la condamnation qui est justifiée vu les conseils sur le téléchargement illégal, par contre cette phrase est une faute judiciaire.
Le 04/02/2016 à 09h24
Chiche ! " />
Le 04/02/2016 à 09h28
+1
Le 04/02/2016 à 09h38
Raccourci peut-être mais en attendant, sauf erreur de ma part, il est au conseil d’administration de TMG
Le 04/02/2016 à 09h56
Le 04/02/2016 à 09h59
C’est comme torrent et mule, ça dépend de l’usage qu’on en fait. Parce que si on extrapole au max, ben faudrait qu’ils attaquent les FAI, dont l’un des arguments de vente est le débit qui permet de dl/upload comme un porc
Le 04/02/2016 à 10h02
Le 04/02/2016 à 10h08
En Allemagne, Youtube a été jugé non responsable du téléchargement illégal de ses utilisateurs.
Le 04/02/2016 à 10h16
Oui en Allemagne. Car en France, les AD feraient des commentaires qui atteindraient le point godwin dès le premier mot
Le 04/02/2016 à 10h21
Ben quand tu vois qu’ils font l’apologie du téléchargement illégal à longueur de page ben voilà quoi… ils n’ont pas été condamnés parce qu’ils disent qu’utiliser bittorrent permet de faire du P2P mais bien parce qu’ils disent voilà la liste des sites pour télécharger illégalement, les outils pour le faire etc…
Le 04/02/2016 à 10h33
L’arrêt décrit tous ces logiciels comme illicites, ce qui n’est pas le cas.
Le 04/02/2016 à 10h46
Je n’ai pas lu l’arrêt (pas le temps, ni l’envie). Si c’est le cas, je suis d’accord pour dire que ce n’est pas bon, mais de ce j’avais compris c’est bien la présentation sous forme de kit prêt à l’emploi qui est condamnée.
Le 04/02/2016 à 10h50
C’est aussi dans l’article, “passages accablants”
Le 04/02/2016 à 10h50
Reli bien, j’ai bien précisé que la condamnation est justifié. Par contre, que le juge indique que ces logiciels sont illégaux, c’est tout simplement faux.
Le 04/02/2016 à 11h07