Copie privée : les flux uniquement professionnels mis à l’écart par la justice européenne
Plop @Pascal
Le 23 septembre 2016 à 08h00
10 min
Droit
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La Cour de justice de l’Union européenne a rendu un important arrêt en matière de redevance copie privée. Il concerne la question des professionnels, et tout particulièrement l'assujettissement du flux commercial direct.
La copie privée est régie par le droit européen. Dans la directive de 2001 sur le droit d’auteur, le principe est simple : seuls les supports acquis par des particuliers pour leurs usages privés sont soumis à cette redevance destinée à compenser la faculté pour chacun de dupliquer des oeuvres protégées. Ce champ d'application pourtant bien circonscrit est un important foyer à contentieux en Europe.
Un litige s’est ainsi installé en Italie, opposant les titulaires de droits, appuyés par le ministère de la Culture, et plusieurs industriels (HP, Samsung, Dell, Fastweb ; Sony, etc. ). En cause ? La situation des professionnels. Ces différentes entreprises pestent contre la réglementation nationale qui frappe également leur « canal commercial direct ».
Derrière l’expression, on vise la revente de supports à une personne morale (banques, hôpitaux, assurances, établissement d’enseignement, etc.) qui n’a pas d’activité d’achat pour la revente de ces mêmes biens. Des flux qui s’opposent au canal commercial indirect, typiquement une livraison de tablettes à un supermarché qui évidemment ne sait pas, par avance, qui sera l’acheteur final.
Une exemption non appuyée sur des critères objectifs et transparents
L’Italie a fait le choix de frapper tout le monde, à charge pour les acteurs professionnels d’espérer décrocher un accord d’exemption avec les ayants droit, ou bien à défaut de laisser à l’utilisateur final le soin de réclamer le remboursement. Les mauvaises langues y verront un mécanisme très malin, destiné à maximiser les perceptions.
Il suffit en effet d’empiler les contraintes administratives pour les démotiver dans cette course à l’exemption ou au remboursement. Pendant ce temps, les titulaires de droits sont bien contents d’amasser des dizaines de millions d’euros en plus chaque année, qui ne seront pas remboursés.
Dans son arrêt, rendu hier, la CJUE a d’abord rappelé de grands principes : les États membres sont libres de reconnaître ou non la copie privée. Le cas échéant, ils disposent même « d’une large manœuvre pour déterminer qui doit acquitter cette compensation ». Cependant, insistent les juges, le pays qui fait ce choix ne peut prévoir de redevance copie privée qu’à l’égard des appareils et des supports d’enregistrement acquis par des « personnes physiques » pour des « usages de copie privée ».
Il y a donc deux conditions, l'une liée à l'usage, l'autre à la personne. Dès lors, si un importateur a la justification de ce que ses supports mis en circulation sont acquis par des personnes morales qui n’ont pas d’activité d’achat pour la revente (c’est-à-dire qui ont des usages professionnels ou d’archivage) alors « ladite redevance ne doit pas s’appliquer à la fourniture de tels équipements » (§ 40 et 41).
Une décision contraire reviendrait à faire payer des flux à des acteurs qui n’avaient pas à verser le moindre kopek dans les poches des titulaires de droits.
Une mise à l'écart effective des professionnels
En Italie (comme en France), le souci est que l’exemption de ce canal est tributaire d'un accord passé des sociétés de gestion collective en situation de monopole, sans s’appuyer sur des critères objectifs automatiques excluant un pouvoir de souverain d’appréciation.
Un tel régime a été épinglé par la Cour car il est susceptible de générer une intolérable atteinte au principe d’égalité (telle entreprise est exemptée, non celle-ci). En somme, à situation équivalente, le traitement doit impérativement être équivalent, sans exigence supplémentaire pour l’obtention d’un droit (§44).
Ce n'est pas tout : toujours chez nos voisins, l'autre modalité de la mise à l'écart des professionnels - le remboursement - ne peut être demandée que par un utilisateur final. La justice européenne a pilonné cette autre ségrégation, qui consiste à démultiplier les recours afin d’en dissuader les occurrences. Un tel mécanisme vient en effet à rebours du principe du remboursement effectif et non excessivement difficile.
Juridiquement, dans le dispositif de l’arrêt salué par Digital Europe, association des géants de l'informatique, la Cour indique donc que :
« Le droit de l’Union européenne (…) s’oppose à une réglementation nationale, telle que celle en cause au principal, qui, d’une part, subordonne l’exonération du paiement de la redevance pour copie privée des producteurs et des importateurs d’appareils et de supports destinés à un usage manifestement autre que la copie privée à la conclusion d’accords entre une entité, qui dispose d’un monopole légal de la représentation des intérêts des auteurs des œuvres, et les redevables de la compensation ou leurs associations sectorielles, et, d’autre part, prévoit que le remboursement d’une telle redevance, lorsqu’elle a été indûment payée, ne peut être demandé que par l’utilisateur final desdits appareils et supports. »
Les partisans de la fossilisation pourront toujours estimer que deux conditions sont nécessaires pour justifier les foudres européennes : d’une part, un régime d’exemption qui repose sur un accord subjectif, d’autre part, une capacité de remboursement restreinte à telles catégories de personnes, non à toute la chaîne.
Compte des termes de l’arrêt, l’analyse est fragile. En effet, un système de remboursement généralisé ne pourrait excuser la possibilité pour les titulaires de droit de faire perdurer les accords d’exemptions fondés sur des critères subjectifs. Inversement, un système d’exemption fondé sur des critères objectifs ne pourrait excuser un système de remboursement restreint ou très difficile.
« Il est temps que la directive soit appliquée intégralement »
Contacté, Me Cyril Chabert se félicite de cette nouvelle confirmation de la Cour de Justice. Cet avocat du cabinet Chain, qui défend notamment les intérêts de la société Imation, dont l’activité a souffert en 2010, rappelle qu’en France l’assujettissent du canal commercial direct « grève les flux français et provoque une hémorragie des ventes ».
Dans notre pays en effet, et comme en Italie, on oblige un hôpital, une église, une association, un cabinet de comptables, à payer, pour ensuite l’inviter à satisfaire à un processus de remboursement au terme d’une procédure non neutre... Les prétendants doivent ainsi fournir une charte garantissant qu’aucun employé n’enregistrera sur son smartphone son titre favori de Sylvie Vartan... En attendant, l’étude d’impact de la loi de 2011 visait 58 millions d’euros annuels de remboursement, qui ont fondu en pratique en un petit million d’euros sur quatre ans...
« Cette situation est paradoxale, puisqu’un acquéreur professionnel n’a qu’intérêt à acheter à l’étranger ! » estime Me Chabert. « Non seulement il n’a pas à faire des avances indues, mais il fait l’économie d’un parcours du combattant qui, je le rappelle, a été jugé ineffectif par la Commission des affaires culturelles à l’Assemblée nationale dans son rapport du 15 juillet 2015 (voir notre actualité, ndlr). Il est désormais temps que la directive soit, comme dans tous les autres États membres qui ont interrogé la Cour de Justice (l’Autriche, la Belgique, l’Espagne, lla Hollande, l’Italie ….), appliquée intégralement et non de manière régressive. »
Ce professionnel du droit se dit incrédule devant le maintien du régime français en dépit des décisions constantes de la Cour de Justice : « un régime qui incite à l’achat à l’étranger au détriment des opérateurs installés dans nos frontières, de l’État qui se voit privé du flux de TVA, mais également des titulaires de droit puisqu’en favorisant l’attractivité des offres étrangères, on ne fait qu’accélérer la mise en coupe réglée du marché français laissant, en outre, naitre l’idée auprès du grand public que l’achat étranger est plus compétitif et licite ».
Un arrêt à effet immédiat
Fait notable, les titulaires de droit italien, réunis derrière la SIAE, ont sollicité une mesure de bienveillance de la part de la Cour.
Ils lui ont demandé de limiter les effets dans le temps de son arrêt si celui-ci venait à conclure que la réglementation nationale est effectivement bancale. Les lecteurs reconnaitront en transparence la fameuse jurisprudence « AC » du Conseil d’État qui en France, a plusieurs fois dispensé les sociétés de gestion collective de tout remboursement, même lorsque cette annulation était justifiée par l’application de la jurisprudence Padawan (voir cet arrêt).
La Cour a réagi strictement. D’une part, elle rappelle la primauté du droit européen, le fait qu’une décision n’est pas créatrice de droit, mais vient rappeler l’interprétation qui aurait dû primer dès l’entrée en vigueur de la directive. Il ne suffit donc pas de faire mine d’ignorer, puis de trainer la perspective d’une procédure, pour ensuite espérer échapper à son obligation de restituer le « mal acquis » pendant tout le temps gagné.
Le juge national doit donc appliquer les décisions de la Cour immédiatement, aux situations postérieures ou antérieures (et ce depuis le 22 décembre 2002, date de transposition de ladite directive en France).
D’autre part, seule la Cour a le pouvoir de décaler dans le temps les effets d’un arrêt qu’elle rend, et qui s’impose à tout juge national. Elle le décide uniquement sous conditions de bonne foi, d’un risque de répercussions économiques graves et d’une incertitude sur des dispositions du droit de l’Union.
Autant de conditions jugées non réunies
Or, dans sa fameuse affaire Padawan de 2010, elle avait déjà expliqué la situation des professionnels au regard de la copie privée. Les sociétés de gestion collectives malentendantes n’ont qu’à s’en prendre à elles-mêmes : le droit de l'Union était limpide.
En outre, la condition du trouble grave n’a pas été pas démontrée. Les ayants droit italiens, aidés du ministère de la Culture et d’une intervention des autorités françaises, ont bien fait valoir qu’ils ne pourraient pas récupérer des sommes certes indument perçues, mais depuis longtemps réparties et consommées par la chaîne des bénéficiaires. Mais la CJUE n’y a vu qu’une difficulté négligeable.
Imaginerait-on que l’auteur d’un casse soit dispensé de devoir rembourser du simple fait qu’il ait donné une moitié à un oncle sicilien et dépensé le reste dans un casino à Venise ?
Copie privée : les flux uniquement professionnels mis à l’écart par la justice européenne
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Une exemption non appuyée sur des critères objectifs et transparents
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Une mise à l'écart effective des professionnels
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« Il est temps que la directive soit appliquée intégralement »
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Un arrêt à effet immédiat
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Autant de conditions jugées non réunies
Commentaires (31)
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Abonnez-vousLe 23/09/2016 à 09h38
tu paies d’abord et après tu dois demander remboursement (et bon courage) " /> enfin c’est comme ça que ça se passe et comme ça que la Cour dit qu’il ne faudrait pas que ça se passe.
Je ne comprends pas ceux qui sont contre l’Europe, y a qu’à ce niveau qu’il y a des choses un peu intelligentes qui sortent… le pire c’est que malheureusement les nations ont encore trop de pouvoir : la France a fait un beau doigt d’honneur et continue de permettre aux sociétés d’ayants droit de toucher l’argent sur les supports destinés aux pros….
Le 23/09/2016 à 09h51
J’ai peut etre raté ce mail, je ne m’en souviens plus. Une certitude : les disques internes ne sont pas soumis à RCP.
Le 23/09/2016 à 09h59
Ok, merci de la précision.
Pour le mail, je l’avais envoyé depuis mon adresse pro (central-series.com). L’important, c’est que j’ai ma réponse. Merci.
Le 23/09/2016 à 10h16
Ok vu le mail. Donc pas de RCP sur les disques sur les serveurs. L’institution ne peut en outre servir de fondement à la diffusion de contenus, puisque par définition, on sort du cadre d’une copie réservée à l’usage de copiste, en faisant le choix d’un mécanisme destiné à alimenter les rétines de tous les internotres.
En clair, jamais la copie privée me permettrait de justifier la diffusion en stream d’un film au public. C’est là une duplication puis une diffusion à destination du public.
Le 23/09/2016 à 10h32
Très bien. Merci encore pour toutes ces précisions.
Le 23/09/2016 à 12h24
J’aurais aimé avoir un pti paragraphe en plus sur les possibles conséquences pour la France. Est que tous les AD FR vont devoir s’aligner sur cette décision? Vont ils devoir rembourser les trop perçu depuis 2002? Est ce que cette décision casse les arrêté du conseil d’état sur la non retroactivité des remboursements? etc.
Le 23/09/2016 à 13h21
En fait, je pensais ce passage assez clair : “Dans notre pays en effet, et comme en Italie, on oblige un hôpital, une église, une association, un cabinet de comptables, à payer, pour ensuite l’inviter à satisfaire à un processus de remboursement au terme d’une procédure non neutre… Les prétendants doivent ainsi fournir une charte garantissant qu’aucun employé n’enregistrera sur son smartphone son titre favori de Sylvie Vartan… En attendant, l’étude d’impact de la loi de 2011 visait 58 millions d’euros annuels de remboursement, qui ont fondu en pratique en un petit million d’euros sur quatre ans…”
Pour être plus direct : oui cette arrêt va avoir des conséquences directes et sans doute susciter une pluie de procédures pour faire tomber le mécanisme d’exemption des professionnels qui ne fonctionne pas très bien.
La démonstration est éclatante dans le rapport du député Marcel Rogemont l’an passé : « Les remboursements des professionnels restent (…) très limités. L’étude d’impact accompagnant la loi du 20 décembre 2011 évaluait les remboursements à un montant annuel de 58 millions d’euros. Or, selon les
Le 23/09/2016 à 13h38
Il me semble bien que la redevance pour copie privée ne couvre que les copies de contenus culturels licites, et donc exclus les contenus illicites.
Le 23/09/2016 à 13h42
Le 23/09/2016 à 14h09
Grace à ce genre d’article, le sujet me parait au contraire assez clair.
On se fait avoir par des impunis ( plus pour très longtemps j’espère) aux méthodes mafieuses.
Le 23/09/2016 à 15h30
Le 23/09/2016 à 16h45
Merci Marc pour le nième chapitre de ce roman fleuve. J’apprécie particulièrement la dernière phrase. Ça a le mérite de rendre le concept plus clair pour un certain Pascal qui ne manquera pas, malgré cela, de nous faire sa sempiternelle démonstration de bonneteau.
" />
Le 23/09/2016 à 20h00
“Imaginerait-on que l’auteur d’un casse soit dispensé de devoir
rembourser du simple fait qu’il ait donné une moitié à un oncle sicilien
et dépensé le reste dans un casino à Venise ? ”
Excellente comparaison !
Et ça me fait bien plaisir que la SACEM et autre SACD soit obligées et contraintes de rembourser le hold-up permanent qu’elles exercent auprès des hôpitaux ou services de santé (entre autres) …
" />
Le 26/09/2016 à 20h43
Le 23/09/2016 à 08h20
Dès lors, si un importateur a la justification de ce que ses supports mis en circulation sont acquis par des personnes morales qui n’ont pas d’activité d’achat pour la revente (c’est-à-dire qui ont des usages professionnels ou d’archivage) alors « ladite redevance ne doit pas s’appliquer à la fourniture de tels équipements » (§ 40 et 41).
Plus clair, pas possible.
Allez la SACEM, viens te la prendre, ta raclée !
" />" />" />" />" />
Le 23/09/2016 à 08h25
Ouais mais non en France on a l’exception culturelle Française … m’voyez !
Cette taxe est de base une honte…
Le 23/09/2016 à 08h27
Le 23/09/2016 à 08h32
Grace à cette taxe, je peux avoir tous les films et musiques sans rien payer de plus, je vais pas me plaindre " />
Bien sur je n’ai rien téléchargé, ils ont tous atterri sur mon DD je sais pas comment " />
Le 23/09/2016 à 08h33
Le 23/09/2016 à 08h35
Et vite, svp, car il va remplacer “taxe” (en fait compensation ou redevance) par “rémunération”
Le 23/09/2016 à 08h41
Le 23/09/2016 à 08h43
ouh…. on est sur de la fatality la… ^^!
mais bon… en france ils ont le “god mode” activé ^^
Le 23/09/2016 à 08h45
Je suis curieux de voir le réaction des ayant tout les droits … " />
Le 23/09/2016 à 08h49
Le 23/09/2016 à 08h54
“L’Italie a fait le choix de frapper tout le monde, à charge pour les
acteurs professionnels d’espérer décrocher un accord d’exemption avec
les ayants droit, ou bien à défaut de laisser à l’utilisateur final le
soin de réclamer le remboursement. Les mauvaises langues y verront un
mécanisme très malin, destiné à maximiser les perceptions.
Il suffit en effet d’empiler les contraintes administratives pour les
démotiver dans cette course à l’exemption ou au remboursement. Pendant
ce temps, les titulaires de droits sont bien contents d’amasser des
dizaines de millions d’euros en plus chaque année, qui ne seront pas
remboursés.”
Je crois que ça me rappelle un autre pays… " />
Ah ben j’avais pas lu la première phrase du paragraphe suivant.
Le 23/09/2016 à 09h00
Du coup, à quand la même chose en France ? " />
Le 23/09/2016 à 09h06
cela va nécessairement alimenter des contentieux en cours ou à venir
Le 23/09/2016 à 09h17
Merci Marc pour cette tranche de rigolade.
Le 23/09/2016 à 09h24
;)
je regrette que le sujet soit si complexe…mais derrière, c’est une machine de guerre avec des 100enes de millions d’euros en jeu dans toute l’europe.
Le 23/09/2016 à 09h31
Merci pour cet article qui répond en gros à une demande que j’avais faite à Marc par mail.
J’ai cependant une petite question technique (pour voir si je suis bien).
Je possède ma société, et cette société fait appel à un DataCenter pour stocker plusieurs dizaines de To de données. Le DataCenter a donc acheté des disques pour stocker ces données.
1 - Donc, le datacenter, en tant que professionnel, ne paye pas la redevance ?
2 - Comme il reste propriétaire des disques, et que je suis par ailleurs un professionnel, la redevance n’est pas transitoire et je suis aussi exempté ?
A priori, c’est comme ça que je le comprends.
Le 23/09/2016 à 08h08
Réponse de la France dans quelques heures : “On en a rien à branler, on continue à racketer tout le monde”