L’administration Biden « menace » et « perturbe » le marché des logiciels espions étatiques
ONG vs NSO
Le 24 avril 2023 à 06h54
5 min
Droit
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Les déclarations de l'administration Biden visant à restreindre l'utilisation par des acteurs étatiques de logiciels espions « susceptibles de poser un risque pour la sécurité nationale ou de cibler le personnel américain » représentent « une menace sérieuse pour le secteur de la surveillance numérique » et « perturbent le marché », rapporte The Hill.
« Des fabricants de logiciels espions ont exprimé leurs inquiétudes quant à l'impact de l'action de M. Biden sur l'industrie », explique James Lewis, vice-président senior et directeur du programme des technologies stratégiques au Center for Strategic and International Studies : « certains d'entre eux m'ont dit qu'ils n'étaient pas sûrs de pouvoir rester en activité ».
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Le marché américain est considéré comme « très lucratif »
« Les États-Unis sont l'un des marchés les plus importants et les plus recherchés dans le domaine de la technologie », précise Michael De Dora, responsable de la campagne américaine d'Access Now, une ONG de défense des droits numériques :
« Les fabricants de logiciels espions ont donc moins de pouvoir d'achat si l'un des plus grands marchés pour leurs technologies leur est essentiellement fermé. Cela a d'énormes implications mondiales pour le marché des logiciels espions. »
Ron Deibert, le directeur de Citizen Lab, qui documente depuis des années les dérives et atteintes aux droits humains posées par les logiciels espions étatiques, qualifie les décisions et déclarations de l'administration Biden de « très grosse affaire », parce que le marché américain est considéré comme « très lucratif », mais également parce qu'il « pourrait légitimer leurs activités dans le monde entier » : « cela leur ouvre de nombreuses portes et leur donne un sceau d'approbation ».
« L'industrie des logiciels espions commence à se rendre compte que "les affaires courantes sont terminées" parce qu'avant l'ordonnance "c'était vraiment le Far West [où] il n'y avait pas de conséquences [significatives] autres que la mauvaise publicité de la vente à certains des pires autocrates du monde" » ajoute Ron Deibert.
Un chiffre d'affaires estimé à 12 milliards de dollars
Le chiffre d'affaires de ce secteur d'activité serait estimé à 12 milliards de dollars, rapporte The Hill, qui précise cela dit ne pas être à même de le vérifier, non plus que d'obtenir une estimation du nombre d'entreprises de logiciels espions dans le monde, « car l'industrie opère souvent dans le secret pour échapper à la transparence et à l'obligation de rendre des comptes ».
Access Now relève que les entreprises en question « changent constamment de nom, créent de nouvelles filiales ». Mais l'ONG aurait néanmoins identifié « au moins 17 sociétés de logiciels espions différentes, dont la plupart sont des filiales ou des sociétés affiliées à d'autres entreprises ».
« Au moins 74 gouvernements » auraient conclu des contrats avec des sociétés commerciales, « dont la plupart sont basées en Israël, afin d'obtenir des logiciels espions ou des outils de criminalistique numérique », entre 2011 et 2023, estime de son côté la Fondation Carnegie pour la paix internationale :
« Sur ces 74 gouvernements, 44 ont été identifiés comme des autocraties, tandis que 30 se sont révélés être des démocraties libérales. »
NSO réclame un cadre réglementaire, les ONG un moratoire
Dans une déclaration à The Hill, un porte-parole de NSO Group a indiqué que les technologies de l'entreprise « ne sont vendues qu'aux alliés des États-Unis et d'Israël, en particulier en Europe occidentale, et sont conformes aux intérêts de la sécurité nationale des États-Unis et des agences gouvernementales chargées de l'application de la loi dans le monde entier ».
Le porte-parole a ajouté que l'entreprise « a demandé à plusieurs reprises la mise en place d'un cadre réglementaire international pour empêcher les gouvernements d'utiliser à mauvais escient les logiciels espions commerciaux ».
- NSO dénombre 22 utilisateurs actifs de son logiciel espion Pegasus dans 12 pays européens
- NSO aurait empêché une dizaine de ses clients de pouvoir continuer à utiliser Pegasus
Michael De Dora, porte-parole d'Access Now, rétorque que de nombreuses ONG « ont exhorté les pays à demander un moratoire sur la vente et l'utilisation de la technologie des logiciels espions jusqu'à ce que les gouvernements puissent établir des garde-fous sur l'utilisation des logiciels espions afin qu'ils ne puissent pas être utilisés de manière abusive » :
« Nous pensons que les gouvernements doivent adopter un moratoire afin de mettre en place au moins un système qui garantirait que les logiciels espions et les technologies de surveillance sont utilisés correctement. »
« Je pense que certaines formes de technologies d'espionnage sont naturellement incompatibles avec les droits de l'homme parce qu'elles sont si invasives et si puissantes qu'il est impossible de les utiliser de manière proportionnée, conformément à la loi et aux droits de l'homme internationaux », précise-t-il.
- Des pistes pour freiner le développement de logiciels espion étatiques
- Un appel à l'interdiction des logiciels espion
L’administration Biden « menace » et « perturbe » le marché des logiciels espions étatiques
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Le marché américain est considéré comme « très lucratif »
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NSO réclame un cadre réglementaire, les ONG un moratoire
Commentaires (21)
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Abonnez-vousLe 24/04/2023 à 07h45
“L’humanisme vs le réalisme”, épisode 475.
Spoiler: à la fin, c’est le réalisme qui gagne.
Le 24/04/2023 à 08h09
L’état « menace » et « perturbe » le marché de la vente d’automobile d’occasion dans les pays du tiers-monde, d’après un porte-parole du principal groupe de voleurs de voiture en France.
Le groupe explique lutter contre les inégalités nord-sud en développant le marché automobile dans les pays les plus pauvres, mais la police et la douane abusent de leur autorité pour les en empêcher.
Le 24/04/2023 à 09h35
Le 24/04/2023 à 08h48
Quelle amateurisme/langue de bois ! Le cadre réglementaire existe déjà et il se nomme “Arrangement de Wassenaar” … Libre à Israél d’y adhérer pour vendre leurs solutions de surveillance numérique aux pays adhérents.
Le 24/04/2023 à 10h59
J’ai cru que c’était un poisson d’avril ^^
Le 24/04/2023 à 12h17
Quelqu’un peut-il me donner les raisons d’être LÉGITIMES de ces systèmes ?
Le 24/04/2023 à 12h46
le terrorisme et surtout l’attaque des tours jumelles de 2001 au USA
Le 24/04/2023 à 13h05
Comment ce genre de logiciels qui attaque des cibles précises aurait pu éviter l’attaque de 2001 ?
Le 24/04/2023 à 14h36
T’espionnes les voisins pour savoir quand ils t’espionnent pour être au courant avant de le découvrir par mégarde
Plus sérieusement, espionnage ciblé de personnes d’intérêt (intérêt économique ou politique).
En ciblant toutes les personnes suspectes ! Tous les non patriotes américains
Le 24/04/2023 à 15h41
ISS a certes commencé ses activités post-2001, quand les USA sont entrés en guerre contre le terrorisme & Cie ; pour ce qui est des logiciels espion type Pegasus, c’est la réponse au problème “going dark” posé par le recours massif aux messageries chiffrées de bout en bout post-Snowden : les autorités ne peuvent plus placer leurs utilisateurs sur écoute du fait de l’E2EE, les logiciels espion sont donc le seul recours.
Le 24/04/2023 à 18h21
OK pour les logiciels eux-mêmes. Maintenant, quid de la légitimité d’en faire un business ?
Là, vous parlez du point de vue d’un Etat, mais ceux dont on parle ici ne sont pas des logiciels étatiques, mais ceux commerciaux, si je ne m’abuse.
Qu’un État fasse de tels logiciels pour les utiliser de leur côté me pose moins de problème qu’avoir une entreprise qui donne cette possibilité à potentiellement n’importe qui.
Le 24/04/2023 à 20h30
NSO a le statut d’un fabriquant d’armes. L’état israélien leur interdit officiellement de vendre leur soft à des acteurs non étatiques, et limite la liste des clients acceptables, comme le fait la France avec Dassault, Nexter, Thales, DCN & co.
Les critiques envers NSO (et Israël) portent sur leur définition de client acceptable (comme pour la France qui ne vent ses systèmes d’armes qu’a des démocraties exemplaires comme l’Arabie Saoudite)
Le 25/04/2023 à 08h36
Je ne sais pas pour NSO, et à priori les garde-fous n’ont pas fonctionné, mais qu’en est-il des autres entreprises du même genre ?
Qu’est-ce qui t’empêche de faire et vendre un tel système depuis un pays très “libre” sur ces questions ?
Le 25/04/2023 à 10h32
Comme indiqué dans cet article consacré au marché des logiciels espions, de nombreux pays ne disposent pas des compétences internes pour développer eux-mêmes ce type d’armes numériques.
Or, et dans le même temps, de nombreux anciens membres (et développeurs, hackers) de services de renseignement (israéliens notamment) gagnent bien plus d’argent en continuant dans le secteur privé à faire fructifier ce qu’ils avaient appris dans leurs services respectifs…
La vente à l’export de ces armes numériques est bien évidemment réservée aux gouvernements, forces de l’ordre et services de renseignement, et contrôlée par les pays dont ils ressortent, cf l’arrangement de Wassenaar sur le contrôle des exportations d’armes conventionnelles et de biens et technologies à double usage, signé par 42 pays (mais pas Israël, l’un des principaux fournisseurs de logiciels espions étatiques).
Le 25/04/2023 à 21h41
Merci pour les précisions !
Le 24/04/2023 à 13h05
Correction : tu donnes là les excuses, pas les raisons légitimes.
Le 24/04/2023 à 13h13
Espionner un gouvernement hostile (genre celui d’un des 2 pays avec 11 fuseaux horaires) pour savoir par exemple si les hauts responsables du dit gouvernement préparent l’invasion d’un de leur voisin. Ou avoir une idée de la stratégie commerciale d’un gros groupe militaire avec lequel on est en concurrence
Après, le gros soucis c’est l’éternel débat bouclier contre épée : pour que ces softs soient utiles, il faut laisser les appareils, y compris ceux des alliées/compatriotes vulnérables aux même attaques.
Le 24/04/2023 à 14h40
Oublie les alliés, y’a que toi qui compte dans ce cas là.
Les autres sont là pour te filer des infos, par pour que tu leur en donne.
Regarde avec la France, la Grande Bretagne, l’Australie, le Japon, les Pays-bas, l’Allemagne, …
America first ;)
Le 24/04/2023 à 16h22
Un des deux pays auxquels tu penses n’a qu’un fuseau horaire (et ne s’étend “que” sur 5).
Le 24/04/2023 à 19h45
Les régimes autoritaires chinois et russes ne seront pas satisfaits de cette décision, ce qui signifie que c’est une excellente décision pour les États-Unis et les sociétés ouvertes. Il n’y a plus qu’à attendre que les trolls des régimes répressifs se pointent pour dévier..
Le 25/04/2023 à 07h47
Hors sujet complet ! La Chine et la Russie ne vendaient pas de logiciels espions aux États-Unis.
Le principal pays touché par cette mesure est Israël comme indiqué dans la brève.