Mobile : les opérateurs signent un accord « historique » à la teneur bien floue
La montagne et la possible souris
Le 16 janvier 2018 à 16h30
7 min
Société numérique
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Après l'Internet fixe le mois dernier, les réseaux mobiles ont droit à leur plan du gouvernement. Il a convenu d'un accord avec les opérateurs, après des mois de négociations. Malgré une annonce « historique », le contenu exact de ce nouveau plan est encore inconnu, comme le regrettent un sénateur et une association de consommateurs.
Ce week-end, le gouvernement a (enfin) annoncé la signature d'un accord « historique » sur la couverture mobile, après le début de longues négociations en septembre. La promesse : « généraliser une couverture mobile de qualité dès 2020 » en accélérant les investissements des opérateurs mobiles. Cet accord, censé résorber les zones blanches, est le dernier d'une lignée illustre, dont le précédent datait de mai 2015.
Dans les grandes lignes, les seules publiées pour le moment, l'accord amène une exigence de « bonne couverture » sur tout le territoire, selon les termes de l'Arcep. Pour la 2G, cela correspond à l'extérieur et dans certains cas l'intérieur, et non pas seulement dehors. Pour l'Internet mobile, l'autorité est encore bien en peine de fournir une définition. Tout juste le gouvernement signale-t-il que la voix sur Wi-Fi devra contribuer à la couverture en intérieur. Une solution économique pour les opérateurs, que certains proposent déjà via les box ADSL et fibre.
Surtout, les opérateurs sont censés accélérer la pose de sites mobiles. 5 000 nouveaux dans les prochaines années. Une nouvelle partie sera mutualisée. Actuellement, cette mise en commun est menée dans les zones blanches, où aucun opérateur n'est présent. Elle pourrait donc s'étendre aux zones grises, où un seul propose son réseau. Nouveauté : les opérateurs prennent à leur charge les coûts de déploiement, jusqu'ici supportés par les collectivités locales (avec soutien de l'État) pour les points hauts.
N'imaginons tout de même pas de vague d'altruisme : ces engagements, obtenus après trois mois de négociations parfois houleuses, ont leurs contreparties par l'État.
Un plan qui manque encore de précision
En novembre, les deux responsables chargées de la résorption des zones blanches et du guichet France Mobile, par lequel les élus locaux remontent les problèmes aux opérateurs, ont dressé un bilan en demi-teinte de l'action du gouvernement... Pointant notamment l'inefficacité du dispositif pour régler les problèmes effectivement remontés aux groupes télécoms (voir notre analyse).
« Au cours des trois prochaines années nous engagerons la couverture d’autant de zones que l’ensemble des programmes gouvernementaux depuis quinze ans » promet le ministère de la Cohésion des territoires, en référence aux échecs successifs des plans de couverture lancés depuis 2003.
Au Journal du dimanche, le secrétaire d'État Julien Denormandie déclare que les opérateurs « s'engagent à consentir plus de trois milliards d'euros d'efforts financiers pour y arriver ». Sur cinq ans, précise Le Monde. Il se garde bien de préciser si ces investissements étaient déjà prévus. Une telle somme, lissée sur plusieurs années, ne représenterait pas un engagement inédit pour les groupes télécoms, qui ont dépensé 2,7 milliards d'euros dans leurs réseaux mobiles en 2016.
Chez RTL, le patron d'Orange, Stéphane Richard, promet 7 500 nouvelles antennes pour les quatre groupes. L'opérateur historique consent à 800 millions d'euros d'investissements supplémentaires sur dix ans. Pour référence, il a engrangé 4,5 milliards d'euros de revenus au troisième trimestre 2017 en France.
Des contreparties connues de longue date
En échange de leurs efforts, les opérateurs ont donc droit à un renouvèlement sans surcoût des fréquences mobiles, et un possible plafonnement de l'impôt sur les antennes (Ifer). « On sécurise [aux opérateurs] le fait qu'ils pourront garder les fréquences qu'ils utilisent déjà. Ils paient des redevances, mais on ne les augmente pas » affirme Sébastien Soriano sur Europe 1.
Comme annoncé depuis quelques mois, le gouvernement abandonne des recettes supplémentaires au profit d'engagements de couverture contraignants ; un mot encore récent dans la bouche de l'exécutif. Ces nouvelles règles doivent être contractualisées avec l'Arcep dans les nouveaux contrats de licences pour les fréquences 900, 1 800 et 2 100 MHz. Comprendre donc que ces engagements seront individuels. Ces contreparties font l'unanimité du secteur, notamment auprès des associations de collectivités.
Le ministère de la Cohésion des territoires promet donc la 4G pour toute la population (déjà promise pour 2020). Cela correspondrait à 10 000 communes pour un million d'habitants. Les principaux axes de transport sont aussi concernés, en plus de futures « dispositions sur la couverture des trains régionaux ».
Une mutualisation à couteaux tirés
Selon Le Monde, la réattribution des fréquences sera l'occasion d'étoffer le portefeuille de fréquences de Free Mobile, le parent pauvre du secteur. Malgré tout, la mutualisation ne serait pas aussi forte qu'espéré par Free Mobile.
Ce dernier espérait mettre massivement en commun ses antennes avec celles de ses concurrents en zones peu denses, pour gagner rapidement en couverture. Une perspective dénoncée fin novembre par Orange et SFR (voir notre compte rendu), qui y voyaient un cadeau à Free, principal bénéficiaire d'un tel mouvement.
Cette mutualisation forte était une demande de l'Arcep, dans ses négociations avec les opérateurs entre septembre et décembre. Plus de 10 000 sites auraient pu être concernées.
Orange aurait été tenté de négocier en direct avec le gouvernement, en passant outre la négociation multipartite organisée par le régulateur. Fin novembre, son secrétaire général Pierre Louette assurait tout de même qu'il n'y avait pas de plan de contournement de l'autorité.
Selon Le Monde, toujours, l'opérateur historique, premier investisseur du secteur, aurait obtenu gain de cause auprès de son actionnaire public. Au lieu de la dizaine de milliers d'antennes mutualisées envisagées, le chiffre tournerait plutôt entre 6 000 et 7 000. À RTL, Stéphane Richard d'Orange assure la pose de 7 500 antennes supplémentaires, principalement en zones rurales, pour « un doublement ou triplement de capacité »... au doigt mouillé.
Le Sénat réclame le contenu de l'accord, l'Afutt des garanties supplémentaires
« Nous avons été entendus ! » se félicite l'Avicca, une association de collectivités qui estime avoir été suivie sur la plupart de ses demandes. Cette alégresse n'a pas passé les portes du palais du Luxembourg. Le sénateur Hervé Maurey réclame l'accord au gouvernement, s'étonnant de ne pas en connaître la teneur. « Sur plusieurs points, l’accord privilégie une obligation de moyens, sans définir d’obligation de résultat à une échéance clairement identifiée » déclare-t-il dans un communiqué.
« Julien Denormandie poursuit une longue série de promesses faites aux consommateurs depuis plusieurs années » constate pour sa part l'Association française des utilisateurs de télécommunications (Afutt), dans un communiqué (PDF). Elle demande d'étendre la définition des zones blanches à l'absence de couverture « au premier mur » en intérieur, ainsi qu'une définition précise du bon débit en 2G, 3G et 4G.
Enfin, elle réclame de développer le très haut débit mobile partout sur le territoire, via la 4G. « Cela veut dire se projeter bien au-delà des 3 milliards et des 5 000 pylônes par opérateur annoncés sur trois ans » juge l'association.
« La transparence sur l’avancée de ces déploiements sera totale » promet le gouvernement, via les chiffres trimestriels de l'Arcep. Ces derniers seront à surveiller de près. Dans ses communiqués, l'institution n'insiste pas sur l'année de retard prise par les collectivités dans la construction des pylônes en zones blanches, nécessaires aux opérateurs pour poser leurs antennes mutualisées.
En attendant, nous avons demandé une copie de l'accord au ministère de la Cohésion des territoires. S'il existe bien et que l'administration nous en refuse l'accès, une saisine de la CADA suivra au plus tard le mois prochain.
Mobile : les opérateurs signent un accord « historique » à la teneur bien floue
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Un plan qui manque encore de précision
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Des contreparties connues de longue date
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Une mutualisation à couteaux tirés
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Le Sénat réclame le contenu de l'accord, l'Afutt des garanties supplémentaires
Commentaires (26)
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Abonnez-vousLe 17/01/2018 à 08h38
Si j’ai bien compris, les licences de fréquences de la 2G sont prolongées de 10 ans et il n’y aura donc pas d’enchères aux échéances 2021, 2022, 2024 pour Orange/SFR/BouyguesTel (Free obtenant des réattributions de parmi ces fréquences). Et les redevances annuelles (200 millions d’euros) comme l’Ifer (impôt sur les fréquences) seront gelés (pas d’augmentation).
Le 17/01/2018 à 10h23
C’est pas juste du SIP (VoIP donc) avec une qos spécifique ?
Le 17/01/2018 à 10h52
L’état pense que si les opérateurs ont moins a payer pour les licences ils vont pouvoir investir plus pour supprimer les zones blanches.
Le 17/01/2018 à 12h03
Le 17/01/2018 à 12h05
Le 17/01/2018 à 13h11
Free est toujours prêt à profiter du travail des autres, ça ne change pas.
Le 17/01/2018 à 21h02
On pourrait se passer de la 2G, depuis le temps que ça nous coute " />
Free fait très bien sans, alors que son itinérance s’éteint…
Le 18/01/2018 à 09h51
Les fréquences de la 2G vont servir à la 5G " />
Le 18/01/2018 à 10h01
Ceci-dit la 5G, c’est pas pour l’année prochaine dans les zones les moins denses (c’est pire que le réseau 3G).
Le 18/01/2018 à 10h09
Free et le réseau, ça fait et ça fera toujours 2. Free ce sont des terminaisons de réseaux, certes plutôt efficaces, mais question réseau, ce sera toujours la location du réseau des autres (en l’occurrence celui de Orange et celui de SFR).
Free, EI Telecom : même combat (à part le choix du positionnement de ses propres antennes-relais).
Le 16/01/2018 à 16h37
J’espère que leur plan prévoit la gestion des cas de refus d’implantation toussa… (généralement les mêmes qui signent la pétition pour avoir la 4G dans leur village et celle pour interdire la pose d’antenne relais dans leur village)
Le 16/01/2018 à 16h51
Le 16/01/2018 à 16h51
S’il existe bien sur papier et que l’administration nous en refuse l’accès, une requête CADA suivra le mois prochain.
M. CADAAAAA, on est (encore) làààà… " />
A force, il va falloir déménager NxI directement dans le même immeuble, ce sera plus rapide.
Et faudra pas oublier de leur apporter des croissants et des pains aux chocolats, ça fait toujours plaisir." />
Le 16/01/2018 à 17h06
Le 16/01/2018 à 17h18
Quand j’ai lu les différentes annonces de cet accord dans la presse, j’ai rien noté de nouveau. Les contraintes me semble être les mêmes que pour les dernières licences 4G. Pas besoin d’étendre les contraintes à la 3G, autant accélérer sur la 4G.
Ce qui m’intéresserait de savoir c’est quelles amendes pourra mettre l’ARCEP si l’accord n’est pas suivi. Car si il y a pas de bâtons, il y a pas de motivation. SFR et son déploiement en zone rurale de la 4G en est un bon exemple: le déploiement n’a jamais été aussi rapide depuis la menace de l’ARCEP.
Le 16/01/2018 à 18h26
Le 16/01/2018 à 18h29
“L’opérateur historique consent à 800 millions d’euros d’investissements
supplémentaires sur dix ans. Pour référence, il a engrangé 4,5 milliards
d’euros de revenus au troisième trimestre 2017 en France”
ça fait un rapport en 225 : 1 euro d’investissement supplémentaire, pour 225 euros de bénéfice.
(sur 10 ans)
Ils se sont saignés !
Le 16/01/2018 à 18h32
Le 16/01/2018 à 18h59
Dans ses communiqués, l’institution n’insiste pas sur l’année de retard prise par les collectivités dans la construction des pylônes en zones blanches, nécessaires aux opérateurs pour poser leurs antennes mutualisées.
Encore un truc que les collectivités ne feront pas faute d’argent, la faute à la fin de la taxe d’habitation et des nouvelles responsabilités que l’état transfert aux régions (sans les budgets qui vont avec).
Le 16/01/2018 à 19h05
Aux dernières nouvelles “revenus” ne signifie pas “bénéfice”, donc à moins d’un éclaircissement il s’agit plutôt du chiffre d’affaires.
Le 16/01/2018 à 19h11
Le 16/01/2018 à 20h07
Le 16/01/2018 à 23h04
Il s’agit effectivement du chiffre d’affaires, voir la slide 10 de la communication financière du dernier trimestre :
https://www.orange.com/fr/content/download/44719/1338285/version/3/file/T3%20201…
Accessoirement, Orange étant de loin le plus gros opérateur en France, il ne faut pas uniquement se baser sur lui pour apprécier “l’effort” d’investissement qui sera fourni par les opérateurs.
Le 16/01/2018 à 23h21
Il ne faut pas être dupe, la négociations pour la future 5G commencent là.
Les opérateurs font le dos rond, demandent de l’aide à tous les acteurs, mais ils savent que la couverture de ces zones non-rentables est obligatoire pour obtenir les fréquences pour la 5G.
Donc ça traine, ça demande du temps, des aides, des protocoles de mutualisation, bref, tout pour faire miroiter la couverture de zones blanches, sans pour autant le faire, histoire de continuer à dire qu’on fait un truc.
Les campagnes auront la 2G/3G quand la 5G sera déployée. Pas avant.
Le 17/01/2018 à 06h20
Il me semble avoir entendu à France Info que l’un des gros intérêts pour les opérateurs est que les prochaines ventes de licences ne sont pas faites aux enchères, donc permettant aux opérateurs de mieux pouvoir planifier les investissements.
A moins que ça ne se confonde avec le renouvellement sans surcoût qui est évoqué dans l’article, ce n’était pas déjà le cas avant quand il y a eu celui des fréquences 2G et 3G ?
Le 17/01/2018 à 08h03