Rétention des données de connexion : la loi DRIPA jugée illicite au Royaume-Uni
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Le 30 janvier 2018 à 16h00
6 min
Droit
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Le Data Retention and Investigatory Powers Act (DRIPA) de 2014 vient d’être jugé non conforme par la justice anglaise sur le socle du droit européen et des droits et libertés fondamentaux. C’est ce qu’annonce notamment le National Council for Civil Liberties, une organisation œuvrant pour les droits et libertés fondamentaux.
Nulle surprise dans cette décision : elle s’inscrit dans le sillage direct d’un important arrêt de la Cour de justice de l’Union européenne dit « Télé2 », sollicitée par les juridictions anglaises et suédoises.
Le 21 décembre 2016, la Cour européenne a fermement condamné le régime en vigueur outre-Manche. Des mots clairs, limpides, évidents : est considérée comme illicite toute « réglementation nationale prévoyant, à des fins de lutte contre la criminalité, une conservation généralisée et indifférenciée de l’ensemble des données relatives au trafic et des données de localisation de tous les abonnés et utilisateurs inscrits concernant tous les moyens de communication électronique ».
Le même droit européen, a-t-elle ajouté, s’oppose également à une législation interne qui ne limiterait pas l’accès des données de connexion « aux seules fins de lutte contre la criminalité grave, sans soumettre ledit accès à un contrôle préalable par une juridiction ou une autorité administrative indépendante, et sans exiger que les données en cause soient conservées sur le territoire de l’Union ».
La loi DRIPA décapitée en appel, outre-Manche
Dans un jugement rendu aujourd’hui, la Court of Appeal du Royaume-Uni a pris acte de cette réponse de la CJUE. Très logiquement, elle a considéré que la DRIPA n’était pas dans les clous, faute en substance d’avoir limité la conservation à la criminalité grave, ni encadré l’accès au contrôle préalable d’une juridiction ou d’une autorité indépendante.
Il faut dire que cette loi, bapstisée « Snoopers’ Charter » ou « charte des fouineurs », était très généreuse. Elle autorisait par exemple le ministre de l’Intérieur à ordonner une conservation de l’ensemble des données de connexion glanés par les opérateurs, tout en orchestrant un accès justifié par une ribambelle de raisons : l’intérêt de la sûreté nationale, la prévention ou la détection de la criminalité ou de prévention des troubles à l’ordre public, mais aussi l’intérêt du bien-être économique du Royaume-Uni, etc.
Et encore, la liste n’était pas limitative…
Satisfaction et agacement
Du côté de Liberty, représentée dans ce dossier par le député Tom Watson, l’humeur est à la satisfaction, mais aussi à l’agacement.
Satisfaction puisque cet arrêt vient condamner « le régime de surveillance de masse ». Et pour l’élu travailliste, « cette législation était défectueuse dès l’origine. Elle a été adoptée à la hâte juste avant les vacances parlementaires ».
Agacement car si la DRIPA a expiré le 31 décembre 2016, le nouveau système en vigueur, grâce au Investigatory Powers Act, ne serait toujours pas en pleine harmonie avec l’arrêt Télé2.
Selon eux, en vertu de cette nouvelle disposition, « les agences de renseignement britanniques ont maintenant la capacité de rassembler, stocker et accéder aux données de toute la population – dont les usages en ligne de chaque personne, les sites visités et les applications utilisées ».
La loi Renseignement anglaise et le droit européen
En novembre dernier, sans doute en prévision de cet arrêt, le gouvernement a déjà envisagé d’amender plusieurs dispositions du nouveau texte : des encadrements plus formels, des demandes d'accès aux données limitées aux enquêtes sur des faits passibles d'une peine d'emprisonnement d'au moins six mois (avec quelques exemples à la clé), etc.
Il a aussi lancé une grande consultation. Seulement, constate de son côté l'organisation Open Rights Group, il semble toujours peu motivé à revoir en profondeur le régime de la rétention des données.
Alors que la Cour est invitée désormais à trancher le critère de la criminalité grave, de nouvelles questions préjudicielles sont sur la rampe outre-Manche. Le bras de fer devrait s’engager en particulier sur la doctrine défendue par Theresa May.
Résumée dans le document de consultation précité, elle considère que l’arrêt Télé2 « ne s'applique pas à la conservation ou au recueil des données aux fins de sécurité nationale. Les trois agences de renseignement britanniques (MI5, MI6 et GCHQ) ont principalement en charge la gestion des menaces à la sécurité nationale au Royaume-Uni. Leurs activités, y compris les demandes de données aux finalités prévues par la loi, ne relèvent pas du droit de l’UE et de l'arrêt de la CJUE ».
L'affaire tranchée aujourd'hui montre au contraire que les juridictions anglaises n'ont pas peur de confronter ces législations d'exception au droit européen.
Et en France ?
En France, le sujet des suites de l’arrêt Télé2 revient régulièrement à l’esprit de certains parlementaires, du moins ceux non encore assommés par le silence feutré des autorités.
Cet arrêt fondamental ne concerne pas seulement des bouts de la loi Renseignement de 2015. Lionel Tardy avait par exemple interrogé le Garde des Sceaux pas plus tard qu’en janvier 2017 sur « la validité des demandes formulées au titre d'enquêtes diligentées sous l'autorité du parquet d'une part et d'autre part du droit de communication de l'administration pour des données conservées par les fournisseurs de services de communications électroniques ».
Pour ces cas, remarquait-il, « il n'existe à ce jour aucun contrôle préalable des demandes de l'administration, hormis pour les sujets relevant de l'accès administratif aux données de connexion soumis au contrôle de la CNCTR », la commission nationale de contrôle des techniques du renseignement.
Seul hic, l'élu de la précédente législature n’a pas obtenu de réponse avant son départ de l’Assemblée nationale.
Le sujet devrait également inquiéter le ministère de la Culture, en particulier dans le cadre de la loi Hadopi puisque l’autorité profite justement de la conservation généralisée des données pour adresser ses avertissements. Des prunes sanctionnées 1 500 euros pourraient être un peu éloignées de la « criminalité grave » qu’ont à l’esprit les juges européens.
Rétention des données de connexion : la loi DRIPA jugée illicite au Royaume-Uni
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La loi DRIPA décapitée en appel, outre-Manche
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Satisfaction et agacement
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La loi Renseignement anglaise et le droit européen
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Et en France ?
Commentaires (30)
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Abonnez-vousLe 30/01/2018 à 16h24
J’ai l’impression de voir dans les gouvernements des Sisyphe qui poussent la pierre de la surveillance généralisée avec la CJUE qui doit la repousser à chaque fois… Mais on ferait comment sans la CJUE :/
Le 31/01/2018 à 11h31
En quoi ce que tu dis contredit ce qu’il a dit qui est seulement que le résultat du référendum a été respecté puisque le traité a été abandonné ?
Non, ça ne se discute pas, il a bien été abandonné.
Après, faire un sondage sur ce que voteraient les gens 20 ans après un truc qui a été abandonné, c’est assez inutile, puisqu’il n’est pas question de refaire ce même référendum.
Le 31/01/2018 à 12h15
Le 31/01/2018 à 13h02
Le 31/01/2018 à 13h08
Le 31/01/2018 à 13h12
Le 31/01/2018 à 13h13
Le 31/01/2018 à 13h40
Le 31/01/2018 à 13h43
Le 31/01/2018 à 13h55
Le 31/01/2018 à 14h59
Merci à Fred42 qui me dispense quasiment de répondre, je vais tout même ajouter ma touche.
Le 31/01/2018 à 15h17
Pour le Frexit à la BBC, tu peux difficilement classer BFM comme source à tendance UPR.
Tu vois trop de complots.
Le 31/01/2018 à 16h29
Je ne voyais aucun complot, et de plus l’article est assez clair, pas de risque de Frexit en pratique si on sait lire.
« la France aurait “probablement, dans un contexte similaire”, voté pour la sortie, comme l’a fait la Grande-Bretagne en juin 2016.
Il ajoute cependant que “notre contexte était très différent. Donc je ne veux pas pas faire le moindre pari, mais j’aurais définitivement combattu très durement pour gagner” ce scrutin. »
Je rappelle que même MLP avait changé son fusil d’épaule pendant la campagne, comprenant que le thème de la sortie de l’Euro n’était pas porteur (et encore moins la sortie de l’Europe).
Et je trouve pertinente cette idée :
« Le chef de l’Etat, qui s’exprime en anglais, remet d’ailleurs en cause l’idée même du référendum:
“C’est une erreur de demander juste ‘oui’ ou ‘non’, et de ne pas demander aux gens comment améliorer les choses ou expliquer comment les améliorer.” »
Le 01/02/2018 à 09h52
« aux seules fins de lutte contre la criminalité grave, sans soumettre ledit accès à un contrôle préalable par une juridiction ou une autorité administrative indépendante, et sans exiger que les données en cause soient conservées sur le territoire de l’Union ».
Et ça, c’est permis ? (je ne comprends pas, c’est pour moi équivoque)Ne faut-il pas passer par un juge de toute façon ?
Le 30/01/2018 à 16h27
Seul hic, l’élu de la précédente législature n’a pas obtenu de réponse avant son départ de l’Assemblée nationale.
Urvoas était bien trop occupé refiler à son pote Solère les notes de l’enquête qui le concerne. C’est très occupé un ministre de la Justice, il ne peut pas tout faire !
Le 30/01/2018 à 16h52
Je plains surtout les anglais le jour où ils n’auront plus accès à La CJUE après le Brexit.
Le 30/01/2018 à 18h02
Fallait réfléchir avant, on prend pas de grandes décisions comme on achète un consommable, le SAV existe pas.
Perso, je pleurs pas pour eux.
Le 30/01/2018 à 18h05
Le 30/01/2018 à 18h10
Bon, on attend quoi en France pour faire péter une question préjudicielle auprès de la CJUE ?
Je propose que le prochain qui reçoit une lettre de HADOPI s’y colle.
Le 30/01/2018 à 18h11
Mais, là, c’est la CJUE qui avait statué. Il s’agit bien de l’Union Européenne.
Le 30/01/2018 à 18h11
S’agissant de la décision et de ses répercutions en France, on va voir si nos politiques sont responsables et se saisir du problème ou, comme en matière de garde à vue, impartialité des organes de poursuites et de jugement en matière disciplinaire etc.., s’il faudra attendre des années avant que la CEDH nous cartouche (à moins que le Conseil constit. anticipe la dite cartouche).
Le 30/01/2018 à 18h13
Le 30/01/2018 à 18h17
C’est pour cela que j’ai corrigé, je ne comprenais pas ton erreur. La fatigue l’explique. " />
Le 31/01/2018 à 08h12
Par rapport à l’océan de libertés qu’ils vont retrouver avec le Brexit je ne m’en fais pas pour eux.
Leur économie est déjà au plus haut depuis les années 70.
La CJUE par ailleurs ne s’est pas émue des lois venues de l’UE qui autorisent l’usage d’arme de guerre en cas d’émeute (sans spécifier ce qu’est une émeute). Loi passée par Fillon en son temps 1er ministre, un 14 Juillet.
Et s’il n’y avait que ça, l’UE n’est déjà pas une démocratie de par sa structure, là non plus la CJUE ne semble pas s’en inquiéter. “La séparation des pouvoirs” c’est pourtant la base…
Au moins les Britanniques, eux, ont respecté le résultat du référendum, contrairement à la France.
D’ailleurs, j’en terminerai là avec notre dictature, Macron à la BBC a bien rappelé que aujourd’hui s’il y avait un référendum pour le Frexit les Français seraient majoritairement pour.
On le sait depuis 2005 !
Il n’y a que ceux qui n’écoutent que la propagande des mass-medias qui pensent le contraire.
Don’t take it personal.
Le 31/01/2018 à 08h23
toujours est-il que là les libertés des britanniques ont été protégées par le pouvoir judiciaire de l’UE.
Alors certes tout n’est pas rose ni d’un côté ni de l’autre de la manche, mais tout le reste c’est des conjectures de comptoir.
Le 31/01/2018 à 08h27
Le 31/01/2018 à 10h37
Le 31/01/2018 à 11h00
Le 31/01/2018 à 11h05
J’ai pas envie de répondre aux provocations aujourd’hui, retente demain.
Le 31/01/2018 à 11h22