Aux yeux de la Cour de justice de l’Union européenne, le fait de vendre simultanément différents biens neufs et d’occasion sur Internet ne suffit pas à qualifier automatiquement le vendeur de « professionnel ». L'institution estime qu’il appartient en ce sens aux juridictions nationales d’en juger, au cas par cas.
Une personne qui vend de nombreux biens via Internet doit-elle être considérée comme un « professionnel », dès lors astreint à différentes obligations en lien avec le droit commercial (respect du droit de rétractation, etc.) ? La Cour de justice de l’Union européenne s’est prononcée hier sur cette question, qui intéressera probablement certains utilisateurs de sites tels que Leboncoin ou eBay.
Le litige, né en Bulgarie en 2014, opposait une utilisatrice du site OLX à une personne lui avait acheté par ce biais une montre de luxe. Estimant que le produit ne correspondait pas aux caractéristiques décrites dans l’annonce, l’acquéreur avait souhaité le retourner afin d’en obtenir le remboursement. Ce qu’avait refusé la vendeuse.
L’affaire s’est de ce fait poursuivie jusque devant la Commission bulgare de protection des consommateurs (CPC), qui a fini par transmettre une question préjudicielle à la CJUE, afin que cette dernière l’aide à interpréter le droit européen.
La notion de « professionnel » se révèle « particulièrement large », note la CJUE
La juridiction bulgare souhaitait savoir si le fait de publier « simultanément » huit annonces « offrant à la vente divers produits » permettait d’assimiler les activités du vendeur à des « pratiques commerciales », susceptibles d’entrer dans le champ de la directive 2005/29/CE sur les pratiques commerciales déloyales.
Réponse de la CJUE : la personne « qui publie sur un site Internet, simultanément, un certain nombre d’annonces offrant à la vente des biens neufs et d’occasion, telle que la [vendeuse mise en cause], ne saurait être qualifiée de « professionnel » ». Ouf ? Pas forcément.
Si les magistrats restent relativement vagues sur le nombre et le type d’annonces qui permettent de changer la qualification de certaines activités de revente, c’est parce qu’il appartient selon eux aux juridictions nationales de statuer sur ce point « au cas par cas ».
La Cour explique en ce sens que « le législateur de l’Union a consacré une conception particulièrement large de la notion de « professionnel », laquelle vise « toute personne physique ou morale » dès lors qu’elle exerce une activité rémunérée ». Le droit européen n’exclut d’ailleurs de son champ d’application « ni les entités poursuivant une mission d’intérêt général ni celles qui revêtent un statut de droit public ».
Renvoi aux juridictions nationales
Pour être considérée comme un « professionnel » au sens de la législation européenne, poursuivent les juges, « la personne physique ou morale en cause doit agir à des « fins qui entrent dans le cadre de son activité commerciale, industrielle, artisanale ou libérale » ou au nom ou pour le compte d’un professionnel ».
Dès lors, la justice bulgare devra examiner, « sur la base de tous les éléments de fait dont elle dispose », si la personne mise en cause dans cette affaire agissait dans le cadre d’une « activité commerciale, industrielle, artisanale ou libérale », ou « au nom ou pour le compte d’un professionnel ».
Pour guider les juges nationaux, la CJUE explique que ceux-ci pourront en particulier vérifier :
- « Si la vente sur la plateforme en ligne a été réalisée de manière organisée, si cette vente a un but lucratif »
- « Si le vendeur dispose d’informations et de compétences techniques relatives aux produits qu’il propose à la vente dont le consommateur ne dispose pas nécessairement »
- « Si le vendeur a un statut juridique qui lui permet de réaliser des actes de commerce, et dans quelle mesure la vente en ligne est liée à l’activité commerciale ou professionnelle du vendeur »
- « Si le vendeur est assujetti à la TVA »
- « Si le vendeur, agissant au nom d’un professionnel déterminé ou pour son compte ou par l’intermédiaire d’une autre personne agissant en son nom et pour son compte, a perçu une rémunération ou un intéressement »
- « Si le vendeur achète des biens nouveaux ou d’occasion en vue de les revendre, conférant ainsi à cette activité un caractère de régularité, une fréquence et/ou une simultanéité par rapport à son activité commerciale ou professionnelle »
- « Si les produits en vente sont tous du même type ou de la même valeur, en particulier, si l’offre est concentrée sur un nombre restreint de produits »
L’arrêt souligne néanmoins que ces critères « ne sont ni exhaustifs ni exclusifs ». Résultat, « le fait de remplir un ou plusieurs de ces critères ne détermine pas, à lui seul, la qualification à retenir à l’égard du vendeur en ligne au regard de la notion de « professionnel » ».
Et en France ?
En France, l’article L121-1 du Code du commerce prévient que « sont commerçants ceux qui exercent des actes de commerce et en font leur profession habituelle ». L’article L110-1 dresse une liste non exhaustive de ces actes, dont le fait d’acheter un bien pour le revendre.
Le ministère de l’Économie et des finances explique de son côté que les ventes « occasionnelles et réalisées dans le cadre de la gestion du patrimoine privé » (poussette d’occasion, etc.) ne relèvent pas d’une activité professionnelle, tandis que le fait d’acheter par exemple des bijoux pour les revendre présente en principe un caractère professionnel.
Il revient toutefois aux juges d’apprécier les critères fixés par le Code du commerce, dont celui de l’habitude. Aucun seuil n’est donné par la loi, mais vendre trois livres ou trois maisons chaque année ne sera normalement pas apprécié de la même façon.
Commentaires (13)
#1
Estimant que le produit ne correspondait pas aux caractéristiques décrites dans l’annonce, l’acquéreur avait souhaité le retourner afin d’en obtenir le remboursement. Ce qu’avait refusé la vendeuse.
Je m’étonne de l’aspect porté devant la CJUE : en quoi le caractère professionnel du vendeur est-il pertinent ? Je veux dire, si l’annonce ne correspond pas à l’objet, il est logique d’annuler la vente, quelles que soient les parties, non ? Autant je peux comprendre qu’un consommateur soit mieux protégé face à un professionnel, autant je ne comprends pas pourquoi ce n’est pas sur l’exactitude de la description de l’objet que le débat porte. Qu’est-ce qui m’échappe ?
#2
Avant de décider la cour a demandé à la CJUE s’il fallait considérer le vendeur comme un pro ou comme un particulier.
Ca ma paraît assez sain : si je vends une voiture d’occasion, en tant que particulier, de profession informaticien, je n’ai aucune compétence pour détecter un problème sur la voiture. Donc si l’acheteur me dit “il y a une durite qui a pété 2 semaines après l’achat”, ben, trop tard. Si je suis un professionnel, là, je suis supposé le savoir, donc je dois prévenir le client pour qu’il achète en connaissance de cause (ou n’achète pas, ou je répare avant de lui vendre)
On ne sait pas plus que “le produit ne correspond pas aux caractéristiques” mais il y a plein de “ne correspond pas” que moi, particulier, je ne suis pas capable de détecter. (si ma soeur vend un disque “sur port USB”, le décrit tel quel, et qu’en fait, c’est un USB3 et que l’acheteur n’a pas d’USB3… il peut rien faire, ma soeur elle est pas informaticienne, elle ne sait pas faire la différence…
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Probablement qu’en Bulgarie la loi ne permet pas de se retourner contre un vendeur particulier, quel que soit le motif. Et donc la requalification du vendeur en professionnel était le seul angle d’attaque qu’avait la victime.
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Xavier tu peux ajouter qu’en France, outre les critères énoncés, la qualité de professionnel doit s’apprécier in concreto.
Aussi, un professionnel qui à titre personnel vend un bien qu’il vend habituellement dans son activité professionnelle, sera reconnu comme un professionnel et non comme un particulier (profane).
(classiquement, le gérant d’un petit garage qui se dit qu’il va vendre à titre perso une bagnole qu’il sent pas pour éviter les obligations du Code de la conso. C’est naturellement également applicable si la vente se fait par internet via le boncoin par exemple).
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C’est pas une question d’argent c’est une question de savoir si c’est une source de revenu régulière.
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La question du vice caché se pose par rapport à la présomption de la connaissance du vice et son incidence sur la charge de la preuve: