Les enquêtes sous pseudonyme en passe d’être généralisées à la plupart des crimes et délits en ligne
Du képi au masque
Le 31 octobre 2018 à 13h57
4 min
Droit
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Dans le cadre du projet de loi sur la justice, l’enquête sous pseudonyme, aujourd’hui cantonnée à certains secteurs, devrait être généralisée à l’ensemble des crimes et délits commis sur Internet. Du moins, ceux passibles d’une peine d’au moins trois ans de prison.
Actuellement en discussion à l’Assemblée nationale, l’article 28 du projet de loi de réforme de la justice va étendre la possibilité pour les cyberpatrouilles de réaliser des enquêtes sous pseudonyme.
Il suffira que le crime ou le délit en cause soit commis par un moyen de communication électronique et puni d’au moins trois ans d’emprisonnement. Un tel critère permettra ainsi de faire entrer la lutte contre la contrefaçon dans le périmètre de ces infiltrations numériques.
Concrètement, il faudra que les nécessités de l’enquête ou de l’instruction le justifient. Ceci posé, les officiers ou agents de police judiciaire agissant au cours de l’enquête ou sur commission rogatoire pourront procéder à plusieurs actes en ligne comme « participer à des échanges électroniques, y compris avec les personnes susceptibles d’être les auteurs de ces infractions ».
Ni provocation, ni stratagème
De même, il leur sera possible d’ « extraire ou conserver par ce moyen les données sur les personnes susceptibles d’être les auteurs de ces infractions et tout élément de preuve », outre, après autorisation du procureur de la République ou du juge d’instruction, « acquérir tout contenu, produit, substance, prélèvement ou service, y compris illicites, ou transmettre en réponse à une demande expresse des contenus illicites ».
Une condition formelle a été posée : l’enquêteur devra être affecté dans un service spécialisé et spécialement habilité à cette fin. Le texte prévient que ces actes commis en ligne, sous le contrôle du procureur de la République, ne pourront jamais constituer une provocation ou une incitation à commettre une infraction. De même, les forces de l’ordre ne pourront « recourir à des procédés frauduleux ou à des stratagèmes de nature à déterminer des agissements délictueux ».
Dans le texte initialement présenté par le gouvernement, ces enquêtes devaient être ouvertes pour tous les crimes et délits. La condition des trois ans d’emprisonnement, précisée lors des travaux parlementaires au Sénat, vient un peu limiter sa portée, jugée alors trop large.
Unification du régime des infiltrations numériques
S’opère en tout cas ici l’unification du régime d’enquête sous pseudonyme qu’avait préconisé le rapport de Jacques Beaume et Franck Natali, relatif à l’amélioration et la simplification de la procédure pénale. Un mouvement dénoncé par le Syndicat de la magistrature, qui y voit une généralisation des « régimes dérogatoires en procédure pénale ».
Historiquement, les cyberpatrouilles avaient été introduites par la loi du 5 mars 2007 relative à la prévention de la délinquance, d’abord à l’encontre de la traite des êtres humains, le proxénétisme et les atteintes aux mineurs.
La LOPPSI de 2011 les a ensuite étendues au terrorisme. Citons encore la loi du 13 novembre 2014, qui les a rendues possibles à l'encontre de l’ensemble des infractions relatives à la délinquance et la criminalité organisée, outre les délits d’atteintes aux systèmes de traitement automatisé mis en œuvre par l’État, toujours commis en bande organisée.
Le texte sera examiné par les députés en séance publique à partir du 19 novembre prochain.
Les enquêtes sous pseudonyme en passe d’être généralisées à la plupart des crimes et délits en ligne
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Ni provocation, ni stratagème
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Unification du régime des infiltrations numériques
Commentaires (15)
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Abonnez-vousLe 31/10/2018 à 14h36
oh mon Dieu on va avoir des flics infiltrés sur NXI pour débusquer les délinquants à la sécurisation de leur accès internet! " />
Le 31/10/2018 à 14h43
Génial!
A l’époque de la Loi Perben, en 2004, on avait une levée de boucliers contre ce type de pratiques, craignant que de l’infiltration à l’incitation il pouvait y avoir un pas trop facilement franchi. Après pas mal de discussions, le procédé devait être strictement encadré et limité à certains types de délits ou crimes, notamment pour cibler la criminalité organisée et plus particulièrement les organisations mafieuses internationales.
Partant du point de départ fixé par la CEDH, celle-ci se bornant simplement à écarter l’incitation (ceci bien avant Perben, puisque la première décision c’est 1998), l’idée a fait son petit bonhomme de chemin chez nous depuis 14 ans, de sorte qu’aujourd’hui on entérine la pratique pour tout et n’importe quoi, et en faisant un encadrement plus que limité; pas de provocation ou stratagème (en sachant qu’en pratique la distinction entre infiltration et provocation est ténue).
Il ne nous reste plus qu’une étape mais déjà toute trouvée, la CEDH accepte maintenant la provocation ou l’incitation policière si par ailleurs le comportement délictueux (ou criminel) est préexistant…
Comme dit Badinter, on est pas le pays des droits de l’homme mais celui où on en parle le plus !
Le 31/10/2018 à 14h45
Un mouvement dénoncé par le Syndicat de la magistrature, qui y voit une généralisation des « régimes dérogatoires en procédure pénale ».
Historiquement, les cyberpatrouilles avaient été introduites par la loi du 5 mars 2007 relative à la prévention de la délinquance, d’abord à l’encontre de la traite des êtres humains, le proxénétisme et les atteintes aux mineurs.
ça a l’air de les surprendre… C’était la même pour les mesures de surveillance (jusqu’à devenir de masse) ou l’accès aux fichiers…
Le 31/10/2018 à 16h43
La méthode utilisée (gradualisme ou dite du syndrome de la grenouille) n’est pas nouvelle : on commence petit, puis on avance doucement, point par point avec éventuellement un décalage dans le temps, pour faire accepter ce qui ne l’aurait jamais été si proposé d’emblée en entier.
C’est la méthode de base de tous les totalitaristes en herbe (même ceux qui ne se connaissent pas). On sait comment cela commence mais on sait aussi comment cela finit.
“L’homme vivant sous la servitude des lois prend sans s’en douter une âme d’esclave.”
— Georges Ripert
Le 31/10/2018 à 17h37
Le 31/10/2018 à 18h12
Bof d’ici 3ans on aura notre propre Bolsonaro à la tête de l’état on va passer du mode grenouille comme dit plus haut au mode bbq. En espérant qu’une fois ce mauvais moment passé on reviendra à un gouvernement normal avec des lois normales dont toutes leurs conneries seront expurgés. Comme après 39-45. Nos politiques ne comprennent que ça :_(
Le 31/10/2018 à 18h48
Depuis le temps qu’on fait manger des couleuvres aux gens, le retour de bâton est assuré. Tu as oublié le président normal dans ton futur noir.
Le 01/11/2018 à 21h54
Dans la vraie vie, la police a le droit d’infiltrer une organisation criminelle.
Sur Internet, ben c’est la vraie vie quand même.
Le principe de loyauté de la preuve étant consacré par la justice dans sa pratique récente, je ne vois pas en quoi les craintes formulées ici trouveraient le début du commencement d’une justification rationnelle.
Le 02/11/2018 à 16h51
Marrant, j’ai l’impression que les gens prennent mal cette nouvelle. Je vois pas pourquoi. Je suis bien content d’être sous pseudonymat, alors pourquoi les flics (ou n’importe qui d’autre) ne pourraient pas ?
Ceux à qui ça pose problème, vous utilisez systématiquement votre « vraie » personnalité sur Internet ?
Le 02/11/2018 à 17h49
Le 03/11/2018 à 11h43
Le 03/11/2018 à 16h50
Le 03/11/2018 à 17h26
Dans les articles que j’ai lu récemment, sur un “courrier international” il y avait un article sur un “hôpital pour policiers” qui soignent les dépressions de ce corps de métier.
L’article terminait sur l’un des patient qui se demandait pourquoi en France il y avait tant de défiance dans l’institution policière dans la population en général (pas seulement dans les banlieues, hein), contrairement à d’autres pays européens….
J’ai été surpris de cette question vu que ça fait quand même des décennies que le corps policier montre une certaine servilité envers la puissance dominante (ex: vel d’hiv), et est utilisé comme bandit manchot de la part de l’état autant que comme organe de protection des citoyens - ce qui n’est pas forcément le cas ailleurs.
C’est la raison pour laquelle ces textes sur le renseignement font si peur : En France, il est difficile d’imaginer que la police (et/ou leurs chefs) se cantonneront au maintient de l’ordre, lorsque ces mêmes outils peuvent être tout aussi efficacement utilisés pour augmenter encore la pression sur les personnes (notamment financière) , mais aussi opposition de toute sorte (j’y inclue tant l’opposition politique que les actions militantes telles que celles de Greenpeace , L214 ou autres encore).
Oui, c’est sans aucun doute un procès d’intention, excepté que quand les technologies sont en place il est trop tard pour reculer, prête à être utilisé par les gouvernements totalitaires.
A ce jour, je regrette grandement d’avoir des enfants : J’ai honte du monde et de la société qu’on leur laisse.
Le 05/11/2018 à 13h49
Je vois, le problème c’est pas tant le pseudonyme que le but indiqué. Effectivement, oui, je suis tout à fait d’accord avec toi, pour le coup.
Le 05/11/2018 à 17h59