Un problème de copie privée, de DRM ? Voilà comment saisir la Hadopi
Pour le prix d'une LRAR
Le 05 novembre 2018 à 10h59
6 min
Droit
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Saisie par nos soins, la Hadopi a rendu la semaine dernière son avis sur les restrictions imposées sur l’enregistrement des chaînes par Molotov. Une excellente occasion de décrire la voie à suivre si vous souhaitez vous aussi appeler la haute autorité à la rescousse.
Comment saisir la Hadopi pour obtenir un avis sur une difficulté relative aux exceptions au droit d’auteur ? La marche à suivre est formellement simple. Une lettre recommandée avec accusé de réception suffit. Exceptés ces frais d'expédition, la procédure est gratuite. Elle n’exige pas l’intervention d’un avocat ou d’un conseil.
Pour être plus précis, deux voies de saisine existent. L’une débouche sur un avis simple, l’autre, beaucoup plus rugueuse, permet d’obtenir une injonction, au besoin épaulée par une astreinte.
La procédure d'avis simple
La procédure pour avis simple est prévue à l’article L.331 - 36 du Code de la propriété intellectuelle. Comme le spécifie son alinéa 1, la haute autorité peut être saisie pour avis de toute question relative à l'interopérabilité des mesures techniques de protection (MTP).
Cette voie n’est ouverte qu’aux éditeurs de logiciel, fabricants de systèmes techniques et tous les autres exploitants concernés. C’est celle qu’avait utilisée l’association VideoLAN par exemple en 2012.
Celle qui retient notre attention est inscrite à l’alinéa 2 qui prévoit que la Hadopi « peut également être saisie pour avis, par une personne bénéficiaire de l'une des exceptions mentionnées au 2° de l'article L. 331 - 31 ou par la personne morale agréée qui la représente, de toute question relative à la mise en œuvre effective de cette exception ».
Explication : cette fois, tous les bénéficiaires d’une série d’exceptions au droit d’auteur ou une association de consommateurs peuvent saisir la Rue de Texel, dès lors qu’une « question » est soulevée dans sa mise en œuvre effective. Toutes les exceptions ne sont pas prises en compte. Cela ne concerne que :
- La copie privée (2° des L.122 - 5 et L. 211 - 3)
- L’exception pédagogique (e du 3° du 122 - 5, 3° de l'article L. 211 - 3, 4° de l'article L. 342 - 3)
- L’exception ouverte aux bibliothèques (6° et 7° des articles 122 - 5 et L. 211 - 3, 3° de l'article L. 342 - 3)
Les critères – une « question » relative à la « mise en œuvre effective » de ces exceptions – sont très vastes. Cela peut donc concerner une difficulté d’interprétation, un problème de restriction quelconque.
Dans le cas du service d’enregistrement Molotov, nous avions énuméré devant l’autorité les obstacles imposés par les chaînes TF1 et M6 sur le service en ligne, en lui demandant en conséquence de se pencher sur leur compatibilité avec le Code de la propriété intellectuelle, en particulier avec l’article L.331 - 9 du même code.
Cet article explique en effet que les éditeurs et les distributeurs de services de télévision ne peuvent recourir à des mesures techniques qui auraient pour effet de priver le public du bénéfice de l'exception pour copie privée.
Copie de notre saisine de la Hadopi relative aux restrictions imposées sur Molotov.tv
La procédure est longue. Notre saisine a été enregistrée le 26 avril, mais ce n’est que le 29 octobre, soit six mois plus tard, que l’avis a été rendu. Pourquoi un tel délai ? Car la Hadopi a dû auditionner de nombreux acteurs concernés, le service Molotov, les chaînes de télévision et d’autres personnes morales, outre l’auteur de la saisine.
Stratégiquement non neutre, cette délibération n’a cependant aucun effet coercitif. En droit, ce n’est qu’un avis simple, en ce sens que les sociétés mises en cause peuvent décider de l’ignorer comme le respecter en tout ou partie.
Pour obtenir une décision plus rugueuse, il faut cette fois opter pour une autre solution, celle du règlement des différends.
La procédure de règlement des différends
Selon l’article L.331 - 33 du Code de la propriété intellectuelle, cette voie est ouverte à toutes les personnes s’estimant bénéficiaires d’une exception au droit d’auteur, ou à leur représentant (une association de consommateurs, principalement). Il s’agit cette fois de soulever devant la Hadopi un « différend portant sur les restrictions que les mesures techniques de protection (…) apportent au bénéfice desdites exceptions ».
En clair, un usager considère qu’un verrou technique l’empêche de bénéficier d’une des exceptions au monopole de l’auteur, comme l’exception de copie privée.
Là encore une LRAR suffit, comme le prévient l'article R.331 - 56 qui détaille les mentions obligatoires (coordonnées, l'objet de la saisine, etc.). Décrit à l’article L.331 - 35, le parcours se poursuit par une tentative de conciliation entre les parties. Si elle est fructueuse, le procès-verbal de l’autorité a force exécutoire. Il fait même l'objet d'un dépôt au greffe du tribunal d'instance.
Si la conciliation échoue dans un délai de deux mois à compter de la saisine, la Haute Autorité rend cette fois une décision motivée, « après avoir mis les intéressés à même de présenter leurs observations ».
Cette décision peut être un rejet ou une injonction obligeant le poseur de verrou à lever ses restrictions. Fait intéressant, la Hadopi peut à ce titre assortir sa décision d’une astreinte, et donc une somme à payer pour chaque jour de retard. Les décisions sont rendues publiques, dans le respect des secrets, en particulier industriels et commerciaux. Elles sont attaquables devant la Cour d’appel de Paris, dans le cadre d’un recours à effet suspensif.
Précisons pour finir qu'en vertu d'un dispositif spécifique, les personnes morales et les bibliothèques peuvent également saisir la Hadopi d’un différend relatif aux verrous imposés sur les textes numérisés, au bénéfice des personnes handicapées
Il n’y a eu, dans toute l’histoire de l’institution, qu’un seul règlement des différends, portant justement sur cette dernière exception. Il a été rendu en 2016 à la demande d’une association de masseurs kinésithérapeutes aveugles et malvoyants qui se plaignait qu’un éditeur refuse de lui transmettre des ouvrages sous forme numérique. Cette première s’est achevée par un règlement amiable.
Pour mémoire, nous utiliserons ce second levier si l’avis simple obtenu la semaine dernière n’est pas suivi d’effet dans les relations entre les chaînes et Molotov.
Le 05 novembre 2018 à 10h59
Un problème de copie privée, de DRM ? Voilà comment saisir la Hadopi
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La procédure d'avis simple
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La procédure de règlement des différends
Commentaires (31)
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Abonnez-vousLe 05/11/2018 à 11h03
#1
Sympa comme article ! Par contre, j’ai un souci particulier qui s’en rapproche pour certains films mais j’aimerais savoir si ça rentre en ligne de mire ou pas :
j’ai récemment acheté la trilogie Retour vers le futur en BluRay. Depuis un certain temps, Warner propose dans ses BluRay des codes pour récupérer des versions numériques (sous DRM UV) desdits films. C’est cool !… Sauf que les codes sont limités dans le temps, et à ma date d’achat cela faisait plus d’un an et demi que c’était foutu.
Je peux faire une réclamation ou pas ?
Le 05/11/2018 à 11h25
#2
Je ne suis pas juriste mais pour moi c’est plus de l’ordre du droit à la consomation.
Le 05/11/2018 à 11h36
#3
Le 05/11/2018 à 11h41
#4
Le 05/11/2018 à 12h05
#5
Bonjour Marc,
Merci pour cette explication.
Petite question cependant, dans le cas d’une box qui limite l’export des enregistrements liés à certaines chaines (ou, si je fait le parallèle avec l’affaire Molotov), vers qui se retourner ?
Les chaines (dont on sait qu’elles sont à l’origine des restrictions) ou le fournisseur de la box (/ Molotov) ?
Merci d’avance pour votre réponse.
Le 05/11/2018 à 12h39
#6
Peux on saisir la Hadopi de cette manière parce que l’on se fait racketter à l’achat de chaque disque dur / clé USB / CD vierge / smartphone ? " />
Le 05/11/2018 à 12h48
#7
La 1ère question à ce poser est de savoir si cette limitation est due à un DRM.
Si la réponse à cette question est “oui”, la réponse à ta question est “personne”. " />
Le 05/11/2018 à 13h31
#8
Le 05/11/2018 à 13h33
#9
Le 05/11/2018 à 14h03
#10
Hum… personne pour se poser la principale question à la lecture de cet article?
Qui avait déjà entendu parler “de masseurs kinésithérapeutes aveugles” ???
Le 05/11/2018 à 14h43
#11
Le 05/11/2018 à 15h57
#12
Dans le prochain rapport annuel d’exercice de la HADOPI, on pourra regarder l’explosion du nombre de saisie par des particuliers… " />
Le 05/11/2018 à 16h25
#13
Parce que je n’ai pas de matos pour le faire ? Mon lecteur BluRay est un lecteur classique sous la TV, pas dans le PC. De plus, si une offre numérique existe et est gratuite si j’achète le disque, je veux pouvoir en profiter sans avoir à découvrir que j’ai acheté le coffret 1 an et demi trop tard.
Sinon, merci à vous tous pour vos réponses !
Le 05/11/2018 à 16h27
#14
Le 05/11/2018 à 16h36
#15
Le 05/11/2018 à 16h38
#16
Le 05/11/2018 à 17h28
#17
Donc au final la Hadopi a une utilité et doit donc être maintenue ?
Le 05/11/2018 à 17h30
#18
Et de toute façon, j’suis pas sûr que ça vaille le coup …
J’ai eu un code UV avec mon DVD “007 Spectre” (DVD = 720p) et le seul fournisseur de contenu pour la France, c’était Google.
Le format qu’il propose est (au max) en 480p … " />
Le 05/11/2018 à 17h36
#19
Le 05/11/2018 à 17h52
#20
Le 05/11/2018 à 18h24
#21
La RCP ne correspond qu’aux copies légales, un rip, dès lors qu’il contourne un protection (cad toujours pour un blu-ray), est illégal
Cela étant, j’ai du mal à imaginer qu’un juge condamnerait quelqu’un pour possession de contrefaçons (rips), tout en ayant les blu-ray associés dans un carton au grenier. Si quelqu’un connait de la jurisprudence sur ce type de situation, je suis preneur!
Le 05/11/2018 à 18h32
#22
Le 05/11/2018 à 19h44
#23
Le 05/11/2018 à 21h05
#24
.
Le 05/11/2018 à 21h15
#25
La Hadopi a toujours eu ces deux missions: répression contre les consommateurs pirates, pression pour l’offre légale de l’autre (tant information des gentils consommateurs que lobbying auprès des producteurs, a priori). Dans la philosophie du truc, difficile de faire l’un sans l’autre, pour avoir l’air un minimum constructive. Surtout, l’idée derrière était d’arriver au moment où les pirates ne pourraient plus dire qu’ils étaient dans leur bon droit en l’absence d’offre légale de qualité. Après, on en pense ce qu’on veut.
Pour rappel, plein de gens acceptaient quand même de se fader les pubs horribles d’un T411 ou, plus fort encore, de payer un abonnement à Megaupload à 10 €, plus cher que les Netflix et consorts de l’époque.
Le 05/11/2018 à 22h28
#26
Juste pour infos, la copie numérique fait combien de Go ? Histoire de savoir si c’est une vraie copie ou un fichier du même genre que sur les plateformes de streaming/téléchargement (légales). Merci.
Le 06/11/2018 à 10h02
#27
…et l’autre pour répondre aux consommateurs avec des réponses plus ou moins pertinentes
c’est, SURTOUT, là qu’on l’attend (s.v.p.—<pas de “réponses-bateaux”, hein !!! " />
Le 07/11/2018 à 18h51
#28
Le 08/11/2018 à 07h56
#29
Bonjour Marc,
Dans le même odre d’idées, j’avais accès à des films sur NoLim. Depuis, comme relayé par NxI, le service a été transféré à Canal. J’ai voulu effctué le transfert, mais Canal m’indique que le service n’est pas disponible dans mon pays (Belgique). Y a-t-il quelque chose que je puisse faire (hors VPN, comme suggéré sur le forum), des personnes à contacter ou autre ?
Le 08/11/2018 à 08h30
#30
Un problème de date sur des codes UV pour télécharger Retour vers le Futur ?
Easy, il suffit de repartir vers le passé ;) !
de rien.
Le 08/11/2018 à 08h37
#31
Tous les commentaires me confortent dans l’idée qu’UV c’est toujours autant de la daube …
Pour les problèmes de dates dépassées, si ce n’était pas indiqué sur l’emballage à l’achat (SUR le produit et non pas sur une petite fiche papier insérée dans le boitier) je propose de contacter la DGCCRF directement.
Bien souvent ces produits peuvent rester de long mois dans les stocks ou les linéaires des magasins.
Présenter la possibilité de télécharger la copie numérique comme argument de vente sans informer l’acheteur potentiel que l’offre est limitée dans le temps est clairement trompeur.