FNAEG : la CNIL s’alarme de l’extension du fichier national des empreintes génétiques
Une sombre histoire d'ADN codant
Le 16 novembre 2018 à 16h11
8 min
Droit
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« Un amendement technique, mais qui a une portée un peu supérieure ». Voilà comment Didier Paris, député LREM, rapporteur du projet de loi Justice, a introduit son texte passé comme une lettre à la poste en commission des lois ce 9 novembre. Il concerne le fichier national des empreintes génétiques. La CNIL vient d'émettre ses réserves.
La disposition, adoptée avec un laconique « avis favorable » de la ministre de la Justice, Nicole Belloubet, a été présentée comme une réponse à une récente jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’Homme.
Pour rappel, le 22 juin 2017, la juridiction condamnait la France pour fichage abusif. À l’index, le fichier national des empreintes génétiques (FNAEG). D’abord créé contre les délinquants sexuels sur mineurs (loi du 17 juin 1998 relative à la prévention et à la répression des infractions de nature sexuelle), puis étendu en 2001 au terrorisme notamment, et aujourd’hui à un grand nombre d’infractions.
C’est dans ces conditions qu’en mars 2008, un syndicaliste avait été condamné en France à deux mois d’emprisonnement avec sursis pour avoir donné des coups de parapluie à des gendarmes durant une manifestation. Le 24 décembre, il était convoqué par la police pour un prélèvement biologique afin de nourrir le FNAEG .
L’homme a toutefois refusé ce prélèvement qui allait être stocké dans cette base durant 40 longues années. Pour ce refus, il fut condamné à 500 euros par la justice. Peine confirmée devant la Cour de cassation.
Cependant, saisie par ce manifestant, la Cour européenne des droits de l’Homme lui a donné raison. Elle a considéré que « le régime actuel de conservation des profils ADN dans le FNAEG, auquel le requérant s’est opposé en refusant le prélèvement, n’offre pas, en raison tant de sa durée que de l’absence de possibilité d’effacement, une protection suffisante à l’intéressé. Elle ne traduit donc pas un juste équilibre entre les intérêts publics et privés concurrents en jeu ».
Conclusion : la France fut condamnée devant la CEDH pour son aspirateur à données génétiques quelque peu trop ample. « Il importe dans ces conditions de mettre en conformité notre droit dans les plus brefs délais pour garantir aux poursuites la sécurité juridique nécessaire » avait réagi mi-octobre 2018, le rapport parlementaire sur les fichiers mis à la disposition des forces de sécurité. Un rapport présenté par les députés Didier Paris et Pierre Morel-À-L'Huissier.
Une procédure d'effacement dans le FNAEG, suite à la condamnation de la France...
Retour au projet de loi sur la justice. L’amendement adopté la semaine dernière en commission vient mettre notre droit au diapason de cet arrêt Aycaguer du 22 juin 2017 (à 01:13:00 de cette vidéo).
Une fois le vote finalisé par le Parlement, les empreintes génétiques des personnes pourront être effacées à la demande des intéressés, exercée auprès du procureur de la République. Si ce dernier refuse, un recours sera possible devant le président de la chambre d’instruction.
De même, l’effacement des empreintes sera prononcé dès lors que la conservation des données n’est plus nécessaire au regard de la finalité du fichier. Une personne condamnée ne pourra néanmoins former sa demande qu’après un délai fixé par décret. Enfin, lorsqu’une personne condamnée refusera de se soumettre au prélèvement, ce refus entraînera le retrait des seuls crédits de réduction de peine liés aux faits qui lui sont reprochés.
... Un ADN qui n'aura plus à être « non codant »
Seulement, au détour de cette rustine, le rapporteur LREM a fait sauter, avec la bénédiction de la ministre de la Justice, une garantie fixée par le code de procédure pénale. Celle qui consistait à limiter le FNAEG à l'ADN non codant, qui représente environ 98 % du génome humain.
Aujourd’hui, prévient l’article 706-56-1-1, dans le cadre d’une enquête ou d’une information judiciaire, le procureur de la République ou le juge d'instruction peut demander au service gestionnaire du fichier d’effectuer une comparaison entre l'empreinte génétique enregistrée et celles des personnes soupçonnées d’être auteurs d’une infraction.
Cette comparaison doit être opérée à partir des seuls segments d’ADN « non codants » dont les segments sont aujourd'hui fixés par cet article. « Les segments dits non codants sont supposés ne délivrer aucune information sur les caractéristiques physiologiques, morphologiques et héréditaires d'une personne » expliquait en 2017 ce rapport universitaire.
Avec de tels marqueurs, hormis celui relatif au sexe, « il serait impossible avec l'échantillon prélevé de déterminer le métabolisme, la couleur des yeux ou de la peau, l'état de santé de la personne fichée » assure Thierry Vallat, avocat au Barreau de Paris.
Cette exclusion visait initialement la volonté de rendre impossible la révélation d'éventuelles prédispositions génétiques (notamment les maladies). Elle fut introduite à la demande de la CNIL. Dans un rapport de 2001 relatif à « la valeur scientifique de l'utilisation des empreintes génétiques dans le domaine judiciaire » le député Christian Cabal évoquait des considérations éthiques : « les loci [position fixe d’un marqueur sur un chromosome, NDLR] retenus ne devaient pas fournir des informations sur un éventuel trait génétique étranger à l'objectif d'identification poursuivi, telle que la mise en évidence de maladies génétiques ».
Éthique de l'ethnique
Seulement, prévient le rapport universitaire précité, « les progrès scientifiques ont montré que l’analyse de certaines parties jusque-là considérées comme non codantes permettent de révéler des caractéristiques personnelles de l’individu telles que son origine ethnogéographique ou certaines affections ».
Information confirmée également dans cet interview de Mediapart de 2011. La CNIL, à l'époque s'était dit « attentive aux évolutions scientifiques dans ce domaine et ne manquerait pas d’appeler l’attention des autorités compétentes s’il devait s’avérer que certains segments d’ADN sont en réalité "codants" au sens de l’article 706 - 54 du Code de procédure pénale ».
Cette évolution a justement été mise en avant vendredi dernier en commission des lois. Avant le vote favorable, le député Paris a soutenu en ce sens que la notion d’ADN non codant était désormais devenue ancienne et inadaptée. Cette contrainte pouvait même en l’état devenir « un véritable handicap d’adaptation textuelle aux évolutions des nouvelles technologies ». Sans plus de détail sur ces fameux projets.
Pour Dalloz-Actualités, une certitude : « la suppression pure et simple de ce mot modifiera en profondeur la destinée du FNAEG, en permettant d’inclure dans le fichier des éléments d’ADN relatifs à l’apparence ou l’origine des personnes ».
Au passage, la commission a autorisé également que les recherches en parentalité ne soient pas limitées aux parents en ligne directe (voir le cas de l’affaire Kulik, décrit par le site de la gendarmerie nationale).
Les réserves de la CNIL
Contactée hier, la CNIL a publié aujourd'hui un communiqué. Elle rappelle que ce fichier, « compte tenu des données très sensibles qui y sont conservées et du nombre de personnes directement concernées (2.9 millions de profils et 480 000 traces non identifiées), a toujours fait l’objet d’une attention particulière ».
« Si des évolutions techniques et scientifiques pourraient conduire à se réinterroger sur le rôle fonctionnel joué le cas échéant par les segments non codants de l’ADN, ajoute-t-elle, la CNIL estime en tout état de cause que toute modification substantielle de ce fichier doit faire l’objet d’une réflexion approfondie et concertée ».
Une telle réflexion a été évincée en commission des lois puisque le texte n’a fait l’objet d’aucun développement, sans même n'avoir été envisagé dans l’étude d’impact du projet de loi.
La suppression de cette garantie soulève dès lors des questions de « proportionnalité » du fichier et est susceptible « d’entraîner des risques graves pour la vie privée et la protection des personnes pouvant être ciblées ».
FNAEG : la CNIL s’alarme de l’extension du fichier national des empreintes génétiques
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Une procédure d'effacement dans le FNAEG, suite à la condamnation de la France...
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... Un ADN qui n'aura plus à être « non codant »
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Éthique de l'ethnique
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Les réserves de la CNIL
Commentaires (26)
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Abonnez-vousLe 17/11/2018 à 23h54
Automatique ?!?! faut pas rêver … " />
Le 19/11/2018 à 07h32
La CEDH reproche à la France que la loi n’offre pas une protection suffisante aux personnes fichées.
Le rapport parlementaire propose donc, lui, « de mettre en conformité notre droit
dans les plus brefs délais » , non pour rétablir la protection des personnes fichées, mais « pour garantir aux poursuites la sécurité
juridique nécessaire ».
Magnifique!
Le 16/11/2018 à 16h26
Il me semble que cette histoire d’ADN “non codant” a été battue en brèche par l’épigénétique.
Le 16/11/2018 à 16h27
La France, le pays des droits de l’homme Gattaca
Le 16/11/2018 à 17h14
De même, l’effacement des empreintes sera prononcé dès lors que la conservation des données n’est plus nécessaire au regard de la finalité du fichier.
Est-ce à dire que si une plainte pour infraction est classée sans suite, l’effacement est automatique ?
Le 16/11/2018 à 17h18
2.9 millions de profils
Donc il y a une centaine de pédophiles et de terroristes condamnés dans chaque village français? " />
Quel pays remplis de tarés… à moins que ce soit l’état qui ne respecte pas la loi et perd donc en légitimité… " />
Le 16/11/2018 à 17h21
Comment est-ce qu’il peut y avoir 2,9 million de profils dans le FNAEG en 20 ans d’existence ?
=> ça fait un rythme de ~402 personnes par jour, dimanches et féries compris !?
edit: semi-grilled " />
Le 16/11/2018 à 17h29
“Un ADN qui n’aura plus à être « non codant »” " />
Terrifiant! Ecœurant! Il n’y a pas de mot pour décrire mon sentiment à cet instant!
Qu’il s’agisse d’inconscience crasse ou de volonté parfaitement consciente; le député qui a osé porter cet amendement et le ministre qui l’a de facto validé viennent de porter l’un des coups les plus graves à nos principes républicains, et porteront une lourde responsabilité dans quelques années.
Dire aujourd’hui qu’il y a un risque veut dire demain qu’il se réalisera avec certitude, avec les conséquences liées à un fichage des délinquants (ou potentiels délinquants) par l’origine. (rien que d’écrire ça fait frémir).
Le 16/11/2018 à 17h39
Le 16/11/2018 à 17h45
En fait, quand on s’y attarde, on a l’impression que tout est fait pour supprimer le moindre garde-fou, la moindre gène, la moindre possibilité de contestation juridique.
Et, en même temps… (petite référence à une certaine personne)… tout est fait pour faire monter la haine, la peur des autres, la violence des uns contre les autres.
A vrai dire, si le souhait de notre président était de faire émerger à nouveau à la tête de notre pays un gouvernement fasciste ou une dictature, il ne pourrait pas s’y prendre de la meilleure manière.
Le 16/11/2018 à 18h32
Le 16/11/2018 à 18h36
Travail, famille, Macronie.
J’ai honte d’être français.
Le 16/11/2018 à 18h53
Le 16/11/2018 à 19h17
Je partage ton sentiment, sauf sur un point : ces gens-là ne sont responsables de rien.
Le 16/11/2018 à 19h20
Le 16/11/2018 à 19h26
Le 16/11/2018 à 19h36
Leur inconséquence n’est pas plus blâmable que celle de ceux qui se sont engagés collectivement à les mettre en place.
“Dieu se rit des hommes qui se plaignent des conséquences dont ils chérissent les causes.”
— Bossuet
Le 16/11/2018 à 20h39
On parle ici du sens premier à savoir “codant pour des protéines”, soit effectivement en gros 1% du génome.
L’épigénétisme est plutot lié au controle de l’expression d’un gène et surtout le fait que certains caractères ne sont pas uniquement liés à nos parents mais également à l’environnement (je simplifie)
En revanche c’est le concept d’ADN poubelle qui a été enterré, notamment via le projet ENCODE qui montre, en gros, que l’ensemble de génome à une bien une fonction.
Le 16/11/2018 à 21h12
Le 17/11/2018 à 08h14
Mes connaissances en génie génétique sont minces comme du papier à cigarette, cependant ce que je comprends de l’amendement et de sa validation presque effective, c’est qu’il faut absolument refuser de rentrer dans ce fichier fourre tout qu’est le FNAEG … Quelques soient les motifs argumentés par les autorités policières. " />
40 ans de conservation des données, on explose tous les scores !
" />
Le 17/11/2018 à 08h50
Au-delà des maths, que représente le chiffre de « 400 personnes » ? Voici 3 comparaisons :
D’après les stats du recensement (INSEE publication de 2009, chiffres de 2006) on trouve en France à peu près 18 mille communes de 400 habitants ou moins, soit à peu près la moitié des communes françaises, pour à peu près 5,5% de la population (~3,5 millions de personnes).
Le FNAEG fiche, chaque jour depuis 20 ans en moyenne, l’équivalent d’une commune entière.
En termes de population, les 8 mille communes ayant de 200 à 399 habitants cumulent seulement 2,3 millions de gens, soit 600 mille personnes de moins que le FNAEG.
D’après les chiffres de l’éducation nationale (2016-17) on trouve en France 7.100 collèges pour un total de 3.325.400 collégiens, ce qui donne une moyenne de ~468 collégiens par collège.
Le FNAEG fiche, chaque jour depuis 20 ans en moyenne, l’équivalent d’un collège presque entier.
En termes de population, le FNAEG contient au total 2,9 millions d’individus plus 480 mille traces, soit un cumul de 3,38 million de fiches, ce qui fait plus que l’ensemble des collégiens de France (~55 mille en plus, une ville moyenne).
On compte presque 68 millions d’habitants en France, donc le FNAEG contient ~4,25% de la population : cela représente 17 personnes sur 400 habitants. Selon la compagnie, l’aménagement intérieur et la version, un avion assez répandu comme le Boeing 747 embarque peu ou prou 400 passagers, donc sur chaque vol cela ferait à peu près 15 à 20 personnes fichées au FNAEG. Ou bien en moyenne sur 20 ans, l’équivalent d’un avion fiché chaque jour.
Le 17/11/2018 à 09h22
Le 17/11/2018 à 10h11
D’après ce que j’ai compris de la CADA, c’est pour demander des documents qui existent ! Mais quand on va voir sur la page Wikipédia du FNAEG, on découvre dans les notes de bas de page (#23 et suivantes) que les données de Wikipédia ne sont pas issues d’un document officiel, mais en fait obtenues suite à des questions parlementaires d’un seul député EELV Sergio Coronado, qui n’a pas été réélu en 2017.
Là, il s’agirait plus de mettre en place une procédure de curation du FNAEG, et un contrôle indépendant, sinon effectivement je vois mal comment on pourrait avoir des réponses fiables : aucun député ne semble avoir repris le flambeau ; et les derniers chiffres sont issus d’une annexe à un appel d’offre de maintenance, ce qui montre le peu de considération qui est porté à la publication de stats significatives et au contrôle de ce fichier ; hormis le contrôle de son coût lorsque la Cour des Comptes s’en mêle pour dire qu’il y a des doublons et que ça coûte cher (février 2017, voir page Wikipédia juste sous les stats)…
On notera d’ailleurs l’incohérence entre les chiffres de la CNIL (2,9m au 15/11/2018) et ceux de Wikipédia (3,4m en 2016) : d’où vient la grosse différence d’1/2m ? des demandes d’effacement ? des doublons retirés ?
Et d’ailleurs comment un fichier national automatisé peut-il en premier lieu avoir enregistré des doublons alors qu’il est destiné à être un outil pour permettre des recherches et des identifications ? comment se fait-il que l’effacement ne soit pas automatique dès qu’il est de droit ? je suis quasi sur qu’en cherchant un peu on va découvrir qu’ils ont oublié d’effacer les personnes décédées faute de demande de leur part…
Bref, même sans l’ajout de l’ADN dit “non-codant”, c’est déjà géré de manière dangereuse et il se disent que comme ça fait 20 ans que ça dure, autant faire encore pire " />
Le 17/11/2018 à 10h18
Je sais que c’est nul mais je ne résiste pas :
“Dans les gènes, y’a pas de plaisir.” " />
" />
Le 17/11/2018 à 12h21
Le 17/11/2018 à 14h22