#ChatControl : la Commissaire européenne visée par plusieurs plaintes et enquêtes
Ylva y avoir du sport, mais moi j'reste tranquille
Le 30 octobre 2023 à 13h52
10 min
Droit
Droit
La Commissaire qui porte la proposition de lutte contre les contenus pédosexuels a admis que l'exécutif de l'UE enquêtait sur sa campagne controversée de publicités ciblées sur la base de critères politiques et religieux. 6 ONG ont réclamé l'ouverture d'une enquête à la Commission européenne, après qu'EDRi ait de son côté déposé une plainte formelle.
Lors d'un échange avec la commission des droits civils, de la justice et des affaires intérieures (LIBE) du Parlement européen, Ylva Johansson, la Commissaire européenne à l'origine de la proposition de règlement de lutte contre les contenus pédosexuels, a admis que l'exécutif de l'UE enquêtait sur la campagne controversée de publicités ciblées qu'elle avait payée pour soutenir sa proposition, relève TechCrunch.
Cette campagne aurait en effet violé les règles publicitaires de Twitter, le RGPD ainsi que le Digital Services Act (DSA), qui proscrivent le recours à du « micro-ciblage », sur la base de critères politiques et religieux.
- Une nouvelle polémique entache la proposition de lutte contre la surveillance des contenus pédosexuels
- #ChatControl : un compromis « historique » exclut la surveillance des messageries en Europe
La campagne, qui aurait ciblé les « Twittos » d'au moins sept pays membres (dont la Belgique, mais pas la France) a cumulé plus de 4 millions de vues. Elle a été paramétrée pour ne pas s'afficher sur les profils de personnes intéressées par Julian Assange (et donc sensibles, a priori, aux questions de surveillance et de vie privée), les responsables politiques européens d'extrême-droite et eurosceptiques, Poutine, le Sinn Fein, le terme « nazi » et, plus étrangement, les chrétiens et la christianophobie.
As my services have been directly accused of illegal acts👇 I think it is import I step in:
— Ylva Johansson (@YlvaJohansson) October 13, 2023
1. @EUHomeAffairs have followed the guidelines & the law 100%
2. The promotion of our proposal is standard normal practice
3. This proposal is about protecting children from sexual abuse https://t.co/zSSAu3684P
Des « points d'interrogation » sur la conformité avec le DSA
Après avoir initialement cherché à rejeter les critiques sur la légalité du microciblage, affirmant dans un tweet au début du mois que la campagne était « 100 % » légale, Mme Johansson a déclaré avoir reçu de « nouvelles informations » relatives à la conformité du DSA, qui méritaient d'être examinées :
« Lorsque j'ai tweeté sur le point 100 % légal, je me suis basée sur les informations dont je disposais. [...] Ensuite, j'ai reçu d'autres informations selon lesquelles il pourrait y avoir des points d'interrogation sur la conformité avec le DSA - et je prends cela très au sérieux. Si c'est le cas, il faut bien sûr en tirer les conséquences. C'est pourquoi il est important que nous nous penchions sur la question. Bien sûr, nous devons toujours nous conformer au règlement, cela ne fait aucun doute. »
La commission LIBE a par ailleurs « insisté à plusieurs reprises », souligne TechCrunch, pour que Mme Johansson fournisse des détails sur la campagne publicitaire microciblée, et notamment sur les raisons pour lesquelles, par exemple, les chrétiens avaient été explicitement exclus de la campagne de microciblage de la Commission :
« Mais elle a refusé de le faire, affirmant qu'elle ne disposait d'aucune information à ce sujet et que c'était à son "service", dont elle a suggéré qu'il était responsable de la campagne, de répondre ».
Elle a également évité de répondre directement aux accusations des députés européens selon lesquelles l'utilisation du microciblage politique par la Commission était « antidémocratique », énumérant un certain nombre d'autres départements de la Commission qui, selon elle, avaient déjà, eux aussi, utilisé des publicités pour promouvoir d'autres propositions législatives :
« Je pense que la Commission doit défendre, expliquer et promouvoir ses propositions. Nous le faisons et nous l'avons fait. Et je pense que c'est une bonne pratique. Parce que nous prenons position et que nous devons défendre notre position. »
Une « série d'insinuations » avec un « ton conspirateur »
Si la plupart des questions qui lui ont été adressées au cours de l'audition d'une heure et demie ont porté sur la controverse suscitée par la campagne publicitaire, précise TechCrunch, les parlementaires ont également insisté auprès de la Commissaire sur un certain nombre d'autres points, « notamment sur l'ampleur du lobbying commercial exercé autour de la proposition de scanner CSAM ».
Une enquête de BalkanInsight avait en effet révélé des contacts étroits de l'équipe de la Commissaire avec une ONG états-unienne de lutte contre la pédocriminalité qui, par ailleurs, commercialise une solution de reconnaissance des contenus pédosexuels, soulevant un potentiel conflit d'intérêt.
En réponse, la Commissaire avait déploré sur son blog avoir « été victime ces dernières semaines d'insultes, de menaces et d'intimidations » de la part des opposants à sa proposition, qui « se sont concentrés sur mon sexe ou sur mon apparence », au point que « la violence de leur langage contrecarre leurs tentatives de se présenter comme des personnes raisonnables dans ce débat » :
« Ils ont fait preuve sur les réseaux sociaux du genre de diffamation que je reconnais de la part des extrémistes d’extrême droite dans le débat sur la migration, mais que je n’attendais pas de la part des défenseurs de la vie privée. Cela inclut des tweets racistes, misogynes et sexistes, car lorsque vous êtes une femme en politique, vous devez être traitée de "sorcière" et de "garce", et pire encore. Laissez-moi vous assurer que cela ne fait que renforcer ma détermination. »
Elle avait en outre qualifié l'enquête de reposer sur une « série d'insinuations » avec un« ton conspirateur » reposant sur « une sélection de réunions que j'ai eues, d'événements auxquels j'ai assisté ou de conférences auxquelles j'ai pris la parole » dans une tentative « de créer l'impression d'une influence financière là où il n'y en a pas ».
Une réponse digne de « spins doctors »
Apostolis Fotiadis, l'un des journalistes co-auteurs de l'enquête, a rétorqué à la commission LIBE que sa réponse ressemblait aux tactiques déployées par les « spin doctors » pour discréditer ce type de révélations, d'autant que le bureau de Mme Johansson avait décliné plusieurs demandes d'interview avant la publication de l'article.
L'enquête reposait, de plus, sur des échanges de courriels et le témoignage d'une « partie prenante clé » indiquant un « accès privilégié » allant « bien au-delà » d'une simple consultation ou d'un échange de points de vue sur la proposition, a détaillé le journaliste :
« Il s'agit d'une chaîne officielle qui discute des invitations, de la manière dont la partie prenante pourrait désigner les experts qui interviendraient dans les ateliers – auxquels assistent d'abord les représentants des États membres, puis les ministres du Conseil lors d'une réunion présidée par le commissaire Johansson. Lorsque nous disons "faciliter", il est évident que les fonctionnaires de l'UE discutent du type d'experts qui seront disponibles pour cette partie prenante particulière afin d'assister à ces réunions et de présenter leur point de vue, ce qui semble être un accès privilégié. »
TechCrunch relève également que Mme Johansson avait été invitée à participer au séminaire du Contrôleur européen de la protection des données (CEPD) consacré à sa proposition de règlement, mais qu'elle aurait refusé d'y assister, « réfutant l'idée que sa proposition équivaut à une surveillance de masse » :
« Aujourd'hui, les entreprises sont autorisées à analyser les contenus lorsqu'elles recherchent des contenus à caractère pédopornographique. [...] Seuls celles qui ne peuvent vraiment pas traiter le problème avec des mesures d'atténuation... et seulement après une décision de justice et pendant une période spécifique, seront autorisés à procéder à la détection. Nous limiterons également le nombre de rapports, de sorte que nous recevrons moins de rapports, mais, espérons-le, de meilleure qualité. »
Elle a également défendu son projet de règlement au motif que « la proposition interdit expressément l'utilisation des technologies de détection à d'autres fins que la détection des abus sexuels commis sur des enfants en ligne, et ce uniquement sur la base d'indicateurs vérifiés d'abus sexuels commis sur des enfants fournis par le Centre de l'UE ».
6 ONG réclament une enquête, EDRi dépose une plainte
La semaine passée, 6 ONG ont réclamé à la présidente de la Commission européenne, Ursula von der Leyen, l'ouverture d'une enquête au sujet de la campagne de promotion micro-ciblée et des accusations de conflits d'intérêts imputés à l'équipe de la Commissaire :
« Sur la base des activités révélées par plusieurs enquêtes médiatiques récentes, nous sommes préoccupés par ce qui semble être un manquement systématique de la DG HOME [ndlr : Direction générale à la Migration, aux Affaires intérieures et à la Citoyenneté] à respecter les règles et principes de la Commission en matière d'éthique, de programme d'amélioration de la réglementation et de protection des données personnelles. Nous sommes en outre troublés par le manque de collecte de preuves et d’action de la Commission européenne pour enquêter de manière objective et approfondie et répondre à ces allégations. »
Les ONG rappellent en outre qu'EDRi, qui regroupe 47 ONG européennes de défense des droits humains et libertés numériques, avait « jugé nécessaire de déposer une plainte formelle » auprès de la Commission européenne, en mai dernier, au motif que la DG HOME aurait « violé ses exigences internes d'impartialité, et peut-être aussi de transparence ».
EDRi lui reprochait notamment d'avoir « rejeté à trois reprises » le fait de pouvoir la rencontrer, alors même que la Commissaire, dans le même temps, rencontrait fréquemment de grandes entreprises technologiques, ainsi que des lobbyistes, « dont plusieurs – malgré leur intention claire d'influencer les institutions européennes – ne sont pas, au moment de la rédaction de cet article, répertoriés dans le registre de transparence de l'UE » :
« En favorisant certaines parties dans le débat tout en en écartant d'autres, la DG HOME présente les activités de lobbying de certaines parties prenantes d'une manière qui pourrait influencer le processus législatif . Plutôt que de respecter leur rôle de serviteurs neutres représentant les meilleurs intérêts de l'UE, la DG HOME en général, et le commissaire Johansson en particulier, sont devenus l'une des voix les plus urgentes et unilatérales qui font pression en faveur d'une loi qui traitera tout le monde comme un suspect et imposera une surveillance de masse de presque toutes nos vies numériques. »
EDRi lui reprochait en outre d'avoir fait état, à plusieurs reprises, d' « allégations inexactes et trompeuses » sur le fonctionnement de la technologie, allant jusqu'à déclarer que « les outils d'analyse CSAM avaient une précision de 99,99 % », écartant la possibilité de faux positifs et donc que des personnes puissent être accusées à tort.
#ChatControl : la Commissaire européenne visée par plusieurs plaintes et enquêtes
-
Des « points d'interrogation » sur la conformité avec le DSA
-
Une « série d'insinuations » avec un « ton conspirateur »
-
Une réponse digne de « spins doctors »
-
6 ONG réclament une enquête, EDRi dépose une plainte
Commentaires (18)
Vous devez être abonné pour pouvoir commenter.
Déjà abonné ? Se connecter
Abonnez-vousLe 30/10/2023 à 14h49
J’aime bien le 3ème point de ses justifications. Son service est accusé d’avoir commis des actes illégaux et elle trouve important de souligner que “le but de cette proposition est de protéger les enfants des abus sexuels”. Y a que moi qui y voit un demi-aveu de culpabilité, style “ok c’est pas légal ce que j’ai fait mais c’est pour sauver des petits enfants donc c’est pas grave” ?
Le 30/10/2023 à 17h19
Exactement ce que je me suis dit…
Ça c’est sûr…
… elle a complètement tort !
C’est pas en bloquant des images qu’on va protéger les enfants d’abus sexuels !
Edit : pour ceux qui (comme moi) se posent la question de ce que c’est qu’un « spin doctor » : c’est un conseiller en communication ou « doreur d’image ».
Le 30/10/2023 à 15h26
Il n’y a rien qui va dans son discours. Ce que je fais n’est pas illégale, la preuve on est pleins à le faire… . On dirait un gamin de 10 ans essayant de justifier une mauvaise note.
Il essaie encore de nous faire croire que la technologie sera limitée à la stricte découverte de contenu pedopornographique, alors que cela fait 30 ans qu’ils appliquent la technique de la grenouille dans la casserole à petit feu.
Le 30/10/2023 à 16h41
Cette histoire de lutte contre la pédopornographie, c’est juste se moquer des victimes et de tous les citoyens de l’U.E. … Soit elle complètement idiote et devrait laisser son poste à un·e autre incompétent·e, soit elle est juste occupée à essayer de créer un précédent pour envoyer massivement valser les droits humains face à la prévention des crimes de droit commun.
Le 30/10/2023 à 16h15
elle se défend mal !
(même si dans le fond de l’affaire….)
Le 30/10/2023 à 18h48
Parce que tu crois que c’est juste bloquer des images?
Le texte du projet de règlement consiste à inspecter toutes les communications , images, texte et voix, et d’identifier non seulement les contenus directement pédopornographiques, mais aussi d’identifier les comportements à risque.
On y parle donc d’inspecter les conversations pour identifier les comportements à risque, pouvant indiquer du “grooming” . Les opérateurs de messagerie devront grosso-modo ouvrir un dossier à charge de l’utilisateur dès qu’ils constatent un contenu problématique et y consigner tous les éléments rencontrés avant de les envoyer à un organisme européen de traitement.
Ce texte va très, très loin dans l’inspection des conversations et l’invasion de la vie privée.
Heureusement, il semble prendre l’eau mais tant qu’il n’est pas mort, il faut continuer à le tuer.
Le 30/10/2023 à 20h23
C’est encore bien pire que ce que je pensais
Le 31/10/2023 à 08h41
Et Ursala Von Der La Hyène, qu’elle nous donne les sms échangés avec Bourla, ou alors en prison !
Le 31/10/2023 à 08h44
Bizarre, je m’attendais à plus de commentaires sur ce sujet.
Le 31/10/2023 à 08h48
C’est Nextinpact… les grands sujets de société ne suscitent jamais autant de commentaires que le bon usage de la langue française… utilise un mot à mauvais escient et tu risque les 20 pages de commentaires et débats sur son usage.
Le 31/10/2023 à 09h20
Notamment parce que je ferais partie intégrale des critiqueurs tout en ayant souvent tort.
Le 31/10/2023 à 09h35
Je ne comprends même pas comment on peut récolter ou cibler ces mots clés, c’est totalement illégal !
Il faudrait peut-être également se retourner vers l’intermédiaire qui a vendu cette prestation, et de Twitter / X qui n’a pas le droit de récolter (et pire détourner pour un usage commercial) ces infos sensibles.
Y’a un milliard d’amende à récupérer de Twitter (4% du CA)
Le 31/10/2023 à 11h42
Bah suffit de lire le Canard enchainé ou Mediapart pour trouver a la pelle ce genre de comportement dans la classe politique… et comme finalement ils continuent a etre élus.
Le 31/10/2023 à 11h57
Oui, enfin, élus, pour la commission, c’est un peu limite comme terme… ils sont placés sauf grosse protestation du parlement européen.
Le 31/10/2023 à 13h13
oui en effet, la commission sont pas élu. Mais je parlais plus généralement de la classe politique dans son entièreté
Le 02/11/2023 à 08h32
Comme un ministre national, quoi.
Le 31/10/2023 à 13h44
Ça sent la corruption à plein nez cette histoire.
Le 01/11/2023 à 12h41
Pour quoi faire ? tous les stéréotypes ont été sortis en quelques commentaires.
Sous ce genre de news, les commentaires n’ont strictement aucune plus value.