Open Data des décisions de justice : Regards Citoyens s’inquiète de la réforme votée à l’Assemblée
Regards de lion
Le 04 décembre 2018 à 10h31
5 min
Droit
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La réforme du régime de publication des décisions de justice, tout juste adoptée par l’Assemblée nationale, préoccupe grandement l’association Regards Citoyens. Le collectif estime notamment que le législateur s’apprête à « empêcher toute recherche sur la probité des magistrats et la lutte contre les conflits d'intérêts ou la corruption ».
Même si de nombreux arrêts et jugements sont aujourd’hui accessibles à tous sur le site Légifrance, force est de constater que le portail officiel du droit est (très) loin de rassembler l’intégralité des décisions rendues quotidiennement par les magistrats français.
En 2016, lors de l’examen de la loi pour une République numérique, le législateur avait ainsi souhaité que la jurisprudence soit progressivement « mis[e] à la disposition du public à titre gratuit », sur Internet. Et ce après « une analyse du risque de ré-identification des personnes », notamment afin de protéger la vie privée des justiciables.
À l’époque, la secrétaire d’État au Numérique, Axelle Lemaire, s’était farouchement opposée à ces analyses de risque voulues par le Sénat – au motif que cela « reviendrait en pratique à empêcher l'Open Data ». Cette réforme n’a d’ailleurs toujours pas été mise en œuvre, faute notamment de décret d’application.
Vers une pseudonymisation à deux vitesses
Afin de relancer ce chantier, le récent projet de loi de réforme de la justice fait disparaître ces fameuses « analyses de risque ». En lieu et place, toutefois, le gouvernement a proposé une occultation systématique de certains éléments permettant d’identifier des personnes physiques (justiciables, magistrats, greffiers...).
En guise de compromis avec les dispositions votées en première lecture au Sénat, les députés se sont prononcés le 22 novembre dernier en faveur d’un régime à deux vitesses. En l’occurrence, le texte voté par l’Assemblée prévoit :
- Une occultation systématique des « noms et prénom des personnes physiques » mentionnées dans les jugements mis en ligne, « lorsqu’elles sont parties ou tiers » (ce qui exclut donc les professionnels de justice, notamment).
- Une occultation de « tout élément permettant d’identifier les parties, les tiers, les magistrats et les fonctionnaires de greffe », dès lors qu’il y aura un risque d’atteinte « à la sécurité ou au respect de la vie privée de ces personnes ou de leur entourage ».
Lors des débats en séance publique, la majorité a également fait voter un amendement interdisant la réutilisation des « données d’identité des magistrats et des fonctionnaires de greffe » ayant « pour objet ou pour effet d’évaluer, d’analyser, de comparer ou de prédire leurs pratiques professionnelles réelles ou supposées ». Les contrevenants s’exposeront à des peines atteignant cinq ans de prison et 300 000 euros d'amende.
Les députés LREM, menés notamment par Paula Forteza, veulent éviter « un classement des juges et greffiers », la réexploitation des décisions permettant selon « de dire que tel juge est plus répressif que tel autre ou qu’il donne plus souvent raison à un demandeur de sexe féminin qu’à un demandeur de sexe masculin », etc.
Regards Citoyens sort de ses gonds
Le vote de cet amendement a toutefois provoqué la colère de l’association Regards Citoyens. « Le principe fondamental de l'Open Data est justement de n'interdire aucune forme de réutilisation », a notamment rappelé le collectif, hier, au travers d’une série de tweets.
« En empêchant toute forme de réutilisation des noms des magistrats, les députés font le choix d'empêcher toute recherche sur la probité des magistrats et la lutte contre les conflits d'intérêts ou la corruption », s’inquiète l’organisation à l’origine du site « NosDéputés ».
Regards Citoyens en a profité pour dénoncer plus largement la réforme de l’ouverture des décisions de justice voulue par la majorité. Aux yeux de l’association, le législateur est « totalement à côté du sujet » en laissant aux tribunaux la charge de déterminer les arrêts et jugements pouvant porter atteinte « à la sécurité ou au respect de la vie privée » des justiciables ou des professionnels de justice.
« Le législateur doit revoir lui-même le champ des exceptions à la publicité des décisions de justice (...). Il ne peut faire peser cette charge sur les juridictions » insiste le collectif.
Les vendeurs de données juridiques (Dalloz, Lexisnexis, ...) ont déjà organisé la justice à deux vitesses où il faut payer pour avoir accès à l'information juridique. Quitter l'#OpenData en mettant des barrières c'est préserver cette justice à 2 vitesses.
— Tangui Morlier (@teymour) 3 décembre 2018
Au regard des positions du Sénat sur ce dossier et du calendrier politique, il est cependant très peu probable que les parlementaires revoient leur copie dans un sens favorable à Regards Citoyens. Débattu en procédure accélérée (avec une seule lecture par assemblée), le projet de loi de réforme de la justice devrait être prochainement examiné par une commission mixte paritaire, composée de sept députés et sept sénateurs. En cas d’accord, le texte sera alors rapidement entériné par le Parlement.
Open Data des décisions de justice : Regards Citoyens s’inquiète de la réforme votée à l’Assemblée
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Vers une pseudonymisation à deux vitesses
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Regards Citoyens sort de ses gonds
Commentaires (22)
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Abonnez-vousLe 04/12/2018 à 11h55
Y a moins de 1% des décisions publiées et ce n’est absolument pas normal.
En revanche, le prétexte de surveiller la “probité” et la “corruption” des magistrats au travers de l’opendata des décisions de Justice, c’est totalement bidon.
Y a des procédures pour ça et les personnes concernées par la décision ont nécessairement les noms, donc la possibilité d’agir.
Cette association lance un truc en l’air pour tenter d’exister mais ne fait que donner du crédit aux délires complotistes genre tous les Juges sont des lézardiens-illuminatis-francsmaçons, c’est pour ça que les magistrats s’opposent à la publication des données dans l’opendata.
A la limite, l’asso aurait dit on peut pas évaluer les inclinaisons d’un juge sur certains sujets (pro employeur ou salarié, pro bailleur ou locataire etc…) et à considérer qu’il s’agisse d’une information déterminante, on pouvait discuter.
Mais là c’est faire de la suspicion poujadiste à deux ronds. Totalement ridicule comme angle d’attaque.
Je note au passage que le fait que le 3° pouvoir constitutionnel soit réformé sans que l’ordre du jour ne soit communiqué suffisamment à l’avance aux députés pour qu’ils participent, là où le vote a été repris dès hier soir alors qu’initialement annoncé mercredi, ne pose aucun problème à l’association.
Le 04/12/2018 à 13h42
Commentaire à la fois ridicule et empli de préjugés.
On va éviter de répondre sur le délire complotiste et les attaques ad hominem contre l’asso.
Concernant les magistrats, ces derniers sont très loin d’être des gens tout blancs comme tu sembles le penser.
Il ne suffit que de peu de confrontations avec ces individus pour se rendre compte que quelque chose ne tourne pas rond chez pas mal d’entre eux (une sorte de complexe de supériorité exacerbé par leurs années de formation à l’ENM). Cela n’est pas sans causer de nombreux problèmes avec les avocats et leurs clients, et il suffit de consulter le rapport annuel du Conseil Supérieur de la Magistrature pour se faire une idée de la chose.
Pour environ 8 000 magistrats en France,en 2017, il y a eu 245 saisines du CSMsoit 3% de réclamations visant un magistrat en particulier. En comparaison, pour 140 000 policiers en France, en 2016 (année de forte contestation sociale), les saisines contre la police ont été de 1121, soit moins de 1% (avec 3 446 signalements sur plateforme dédiée de l’IGPN).
En proportion, l’activité des magistrats donne lieu à 3 fois plus de réclamation que celle de la police nationale qui est pourtant loin d’être anodine.
Le gros problème est par la suite le corporatisme puissant qui réduit à néant ces réclamations sous des prétextes fallacieux (délai dépassé, plainte mal formulée, etc…) pour en arriver à des sanctions peu nombreuses et sans caractère punitif.
Pour 2017, il y a eu au final 7 décisions, 1 révocation due à un problème d’alcoolisme, le reste étant partagé entre non-lieux et le “blâmes” (qui n’ont strictement aucun effet pénal).
Quasiment aucun contrôle n’existe aujourd’hui, les rares sanctions prises à leur égard sont juste ridicules et les magistrats sont au final libres de faire tout et surtout n’importe quoi.
Au vu de cela, en “évaluant, analysant, comparant et prédisant leurs pratiques professionnelles réelles ou supposées”, nous pouvons contrôler de façon objective et externe les magistrats et vider ceux qui ne devraient pas l’être. Nous pourrons ainsi éviter les risques et dérives actuelles et au final faire en sorte que les 3% de réclamations se transforment 0% plutôt qu’en un 10 ou 20%.
La transparence, c’est pour tout le monde.
Le 05/12/2018 à 11h18
Le 05/12/2018 à 11h36
Le 05/12/2018 à 12h02
Le 05/12/2018 à 13h28
Le 04/12/2018 à 14h02
Bien dit !
Le 04/12/2018 à 14h09
Le 04/12/2018 à 14h11
c’est vrai ! " />
Le 04/12/2018 à 14h41
J’approuve " />
Le 04/12/2018 à 16h13
Le 04/12/2018 à 17h07
Je trouve ça chaud quand même… Je me garde d’avoir une opinion tranchée car les arguments des deux parties sont dignes d’intérêt.
Mais sur la possibilité d’accéder aux données sur une personne… On va vite se retrouver à des chiffres sans contexte (genre lui il condamne à 80% dans tel sens… mais en fait s’il a 80% de dossier qui le justifie…?) exploités par tous ceux que ça arrange.
Et puis après on va étendre ça aux médecins (études financées avec nos impôts, risque vital blabla), avec un classement de la mortalité des patients de chaque praticien.
Et puis en fait on va pouvoir calculer des taux de réussite (avec tout ce que ça a de relatif) sur le reste de la population, pourquoi pas? Le taux de réussite au bac des anciens élèves d’un instituteur etc.
Pour revenir aux juges, ça serait flippant de constater un jour que les magistrats consultent leurs taux et modèrent leurs jugements pour viser le 50% " />
Ouais. La transparence c’est bien, mais en fait ça peut mener à plein de choses.
Le 04/12/2018 à 17h59
Quand on observe les comportements de meute haineuse sur les réseaux sociaux et Internet, souvent fondées sur des foutaises de cassos ou des manipulations diverses,
Le 04/12/2018 à 19h32
Le 04/12/2018 à 20h04
Ça n’empêche pas le benchmarking. On le fait déjà pour les hôpitaux.
Le 04/12/2018 à 22h22
Le 04/12/2018 à 22h24
Le 04/12/2018 à 22h39
” On peut très bien les protéger des réseaux, ça se fait déjà.”
Ah bon ? " /> En les mettant à pied “temporairement” ou en les relocalisant quand la pression remonte la hiérarchie ?
Les décisions sont prises au nom de la République, pas en leur nom..
Le 04/12/2018 à 23h29
J’avoue être très partagé sur ce dossier.
Autant je suis un fervent défenseur de l’opendata et m’énerve des dernières décisions de la CADA, autant l’opendata “extrême” sur les décisions de justice me gêne.
Protéger le nom du personnel judiciaire ma semble important pour plein de raisons. D’ailleurs pour les forces de l’ordre, ils pourront mettre leur matricule à la place de leur nom dans les PV. Décision presque actée. Alors pourquoi pas les magistrats.
J’ai peu également que ca ouvre la porte à la comparaison débridée entre tribunaux ou magistrats et donc à une auto-censure en cas de déviation statistique et donc plus de justice au sens strict.
Le 05/12/2018 à 08h42
Un argument que je ne vois pas ici, c’est le principe de vérifiabilité que le procès a été équitable. Et ce principe semble exclu.
Le 05/12/2018 à 08h57
Le 05/12/2018 à 10h40