Pour la cour d’appel de Paris, un chauffeur Uber doit être assimilé à un salarié
Règlement de comptes
Le 11 janvier 2019 à 16h02
5 min
Droit
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La cour d’appel de Paris a jugé hier qu’il existait un « faisceau suffisant d’indices » pour requalifier en contrat de travail la relation entre un chauffeur Uber et la célèbre plateforme. Cet arrêt pourrait avoir d'importantes répercussions, y compris au-delà de l'univers des VTC.
Voilà qui devrait intéresser de nombreuses personnes qui effectuent différentes missions par le biais de sites de mise en relation (livreurs à vélo, etc.), parfois sous le statut d'auto-entrepreneur.
Reprochant à Uber d’avoir « définitivement désactivé son compte », ce qui l’empêchait d'effectuer de nouvelles courses, un chauffeur VTC a décidé, courant 2017, de poursuivre la plateforme devant le conseil de prud’hommes de Paris.
Le plaignant affirme alors que cette rupture s’assimile à un licenciement abusif. À ses yeux, les 2 038 trajets qu’il a effectués entre octobre 2016 et avril 2017 constituaient autant de CDD, qui mériteraient d’être requalifiés en CDI.
Le partenariat avec Uber « s’analyse en un contrat de travail »
Le 28 juin 2018, le conseil de prud’hommes se juge incompétent, le contrat litigieux étant considéré comme « de nature commerciale ». Uber brandissait notamment l’article L8221-6 du Code du travail, en vertu duquel les indépendants immatriculés au répertoire Sirene « sont présumés ne pas être liés avec le donneur d'ordre ».
Hier, la cour d’appel de Paris a toutefois estimé que le plaignant arrivait à renverser cette présomption de non-salariat. Ce même article du Code du travail précise en effet que l'existence d'un contrat de travail (qui n'est pas forcément écrit) peut malgré tout être établie lorsque existe « un lien de subordination juridique permanente » à l'égard du donneur d’ordre.
Fin novembre, la Cour de cassation a justement précisé dans une affaire concernant des livreurs de la plateforme « Take eat easy » que ce lien de subordination était « caractérisé par l’exécution d’un travail sous l’autorité d’un employeur qui a le pouvoir de donner des ordres et des directives, d’en contrôler l’exécution et de sanctionner les manquements de son subordonné ».
Sans citer expressément cet arrêt, la cour d’appel de Paris en a clairement suivi le raisonnement. Elle en a ainsi déduit qu’un « faisceau suffisant d'indices » permettait de « caractériser le lien de subordination » entre le plaignant et Uber.
Directives + contrôle + sanction = lien de subordination
Concernant les ordres et directives tout d’abord, les juges ont retenu que le chauffeur était notamment tenu de suivre « les instructions du GPS de l’application », afin de proposer un trajet considéré comme « efficace ». Ils ont également estimé que le plaignant avait reçu des « directives comportementales », par exemple sur les conversations à ne pas avoir avec les clients ou le refus systématique des pourboires, « peu compatibles avec l’exercice indépendant d’une profession ».
S’agissant du contrôle de l’activité du plaignant, ensuite, « force est de constater que l’application Uber en exerce un en matière d’acceptation des courses », soutient la cour d’appel. Par le biais d’un système d’avertissement s’enclenchant au bout de trois refus, la société incite les chauffeurs à « rester connectés pour espérer effectuer une course et, ainsi, à se tenir constamment, pendant la durée de la connexion, à la disposition [d’Uber], sans pouvoir réellement choisir librement, comme le ferait un chauffeur indépendant, la course qui lui convient ou non ».
De plus, les chauffeurs Uber doivent se soumettre à un système de géolocalisation, lui aussi considéré comme un dispositif de « contrôle » par les magistrats.
En matière enfin de pouvoir de sanction, la cour d’appel affirme que la fixation par Uber d’un « taux d’annulation » de commandes pouvant entraîner la suspension d’un compte « y particip[ait], tout comme la perte définitive d’accès à l’application Uber en cas de signalements de « comportement problématiques » par les utilisateurs ».
Le dossier renvoyé devant les prud'hommes
La cour d’appel enfonce le clou : « Loin de décider librement de l’organisation de son activité, de rechercher une clientèle ou de choisir ses fournisseurs, [le plaignant] a ainsi intégré un service de prestation de transport créé et entièrement organisé par la société Uber (...) à travers l’utilisation duquel il ne constitue aucune clientèle propre, ne fixe pas librement ses tarifs ni les conditions d’exercice de sa prestation de transport, qui sont entièrement régis par la société Uber ».
Les juges ont au passage souligné que le fait de choisir ses jours et horaires de travail n’excluait pas en soit « une relation de travail subordonnée ». « Lorsqu’un chauffeur se connecte à la plateforme Uber, il intègre un service organisé par la société Uber, qui lui donne des directives, en contrôle l’exécution et exerce un pouvoir de sanction à son endroit », insiste la cour d’appel.
L’affaire n’en restera cependant pas là : la cour d’appel a renvoyé l’affaire devant le conseil de prud’hommes de Paris. La juridiction devra réexaminer le dossier, potentiellement afin d'allouer des indemnités de licenciement au plaignant. Ce dernier a pour l'instant obtenu 3 000 euros au titre de ses frais de justice.
Pour la cour d’appel de Paris, un chauffeur Uber doit être assimilé à un salarié
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Le partenariat avec Uber « s’analyse en un contrat de travail »
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Directives + contrôle + sanction = lien de subordination
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Le dossier renvoyé devant les prud'hommes
Commentaires (22)
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Abonnez-vousLe 11/01/2019 à 16h16
Très bien motivé surtout sur la tentative classique de justification de l’absence de subordination parce que tu peux organiser tes horaires. Enfin !
Le 11/01/2019 à 16h19
“il intègre un service organisé par la société Uber, qui lui donne des directives, en contrôle l’exécution et exerce un pouvoir de sanction à son endroit”
En quoi cela fait d’un chauffeur Uber un salarié ?
Cette définition peut tout à fait coller à un prestataire aussi de mon point de vue. (ce qu’il était du fait de son statut d’auto-entrepreneur)
Autant Uber est pas tout blanc (et même carrément grisâtre), autant je trouve que c’est un peu se moquer du monde de se déclarer salarié de Uber alors que les règles étaient posées dès le départ.
Le 11/01/2019 à 16h30
SI j’ai bien compris, c’est justement là dessus que c’est intéressant. Ce n’est pas un salarié sur le papier, mais la cour d’appel estime que la relation entre Uber et un chauffeur peut s’assimiler à celle d’un patron et de son employer. Ce que ça raconte en filigrane c’est que Uber “ferait” de l’embauche dissimulée et c’est pas très joli joli.
Le 11/01/2019 à 16h35
faut TOUT lire…..
Les juges ont au passage souligné que le fait de choisir ses jours et horaires de travail n’excluait pas en soit
« une relation de travail subordonnée ». « Lorsqu’un chauffeur se connecte à la plateforme Uber,
il intègre un service organisé par la société Uber, qui lui donne des directives, en contrôle l’exécution et exerce un pouvoir de sanction à son endroit », insiste la cour d’appel.
Le 11/01/2019 à 16h38
Le 11/01/2019 à 16h40
Ce serait le cas s’il n’existait pas une dépendance je pense. Typiquement, Uber contrôle le chauffeur même quand il n’est pas en course et l’oblige à choisir un chemin “optimum”, ca va plus loin que l’obligation de résulat.
Le soucis c’est qu’à la fin, les règles ne sont pas les même pour tout le monde, parce que c’est du dumping social et que si par ces méthodes, qui sont visiblement (selon cet arrêt) en désaccord avec le droit du travail, uber se retrouvait en situation de monopole (en ayant coulé ceux qui ne veulent pas faire ca), ca dégrade les conditions sociales pour tout le monde.
Dire que c’est comme ca parce qu’ils ont accepté les règles dès le début, c’est en plus assez faux puisque Uber peut faire évoluer les règles comme ca l’arrange…
Le 11/01/2019 à 16h48
Le 11/01/2019 à 18h38
Un prestataire ne reçoit pas de “directives” de son donneur d’ordre dans l’exécution de ses tâches. Un prestataire suit un cahier des charges, exécute sa tâche comme il l’entend et si le donneur d’ordre n’est pas satisfait, il dénonce le contrat commercial.
Uber donne des directives : l’application mobile donne les missions au chauffeur, lui impose des trajets, l’empêche de travailler si un événement ne convient pas à Uber, etc. C’est un lien de subordination d’après la Cour d’Appel de Paris, donc un contrat de travail (direction le Conseil des Prud’hommes).
Le 11/01/2019 à 18h47
Le 11/01/2019 à 18h57
Enfin!
Le 11/01/2019 à 19h40
Dans le désordre :
Perso j’ai mon Quinté gagnant => contrat de travail.
Le 12/01/2019 à 12h12
Oui exactement !
En tout cas ça fait plaisir un peu de bon sens et pour une fois je trouve qu’il y a consensus dans les commentaires, cool on progresse !
Le 12/01/2019 à 12h57
Effectivement, pas de commentaires du style “les Français n’aiment pas ceux qui réussissent”, “la France est encore en retard” et tout le toutim.
Le 13/01/2019 à 10h44
Le 13/01/2019 à 10h58
Dans un cahier des charges il y a des directives, comprendre qu’à chaque commande le livreur suit un cahier des charges où des directives sont à appliquer.
Si le livreur possède son moyen de production (locomotion), qu’il est maître de travailler quand bon lui semble pour la clientèle qu’il souhaite (uber ou autre) alors il est un travailleur indépendant.
Le 13/01/2019 à 12h20
Il y a une différence entre un contrat de travail et un contrat commercial, sinon un client serait automatiquement un employeur. On n’a jamais vu un client venir dire chaque jour à son prestataire ce qu’il doit faire de sa journée (même si le prestataire est libre de prendre ses congés et ses pauses quand il le souhaite).
Si le chauffeur Uber est libre de prendre la clientèle qu’il souhaite (comme vous le dites), c’est un peu antinomique avec le fait que Uber se permette (par exemple) de déconnecter son “prestataire” de l’application (élément indispensable pour travailler avec Uber) s’il refuse trop de courses, ou de décider du trajet à suivre. Ou alors il faut m’expliquer.
Le 13/01/2019 à 15h32
L’entreprise où je suis salarié fait travailler des prestataires pour exécuter des tâches variantes d’un jour à l’autre, elle leur fournit la fourniture, elle supervise chaque jour la manière dont c’est exécuté, elle leur impose même ses horaires, leurs équipements et sa façon de faire et s’en sépare à tout moment au moindre pet de travers. “Mon” entreprise est bien cliente de ces prestataires indépendants et ils ne sont en aucun salarié de “mon”entreprise.
Le 13/01/2019 à 16h20
Si les SS2I respectaient la loi cela se saurait. " />
Du autre côté, cela me permet d’envoyer bouler gentiment mon client sur mes horaires et mes dates de vacances…
Le 14/01/2019 à 08h05
Demande à Google “SSII d” et la première suggestion sera “SSII délit de marchandage” " />
C’est très très courant comme problème.
Par chez moi, on les appelle d’ailleurs des “loueurs d’esclaves”.
Le 14/01/2019 à 10h07
Le 14/01/2019 à 12h15
Ca s’appelle du prêt de main d’oeuvre illicite, pas de la prestation
République Française
Le 14/01/2019 à 18h48