ALICEM : la biométrie de l’identité numérique sur mobile fait tiquer la CNIL
Face2Face
Le 16 mai 2019 à 15h49
7 min
Droit
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S’identifier sur un service en ligne officiel avec une application biométrique. Voilà l’ambition d’un décret publié ce matin au Journal officiel. Le texte a toutefois suscité des critiques de la CNIL, fondées sur le règlement général sur la protection des données personnelles, pointilleux sur la question de la reconnaissance faciale.
Ce décret au J.O. paru ce jour crée un nouveau moyen d'identification électronique, l’ « Authentification en ligne certifiée sur mobile » ou ALICEM. Derrière ce bel acronyme, les titulaires d’un passeport biométrique ou d’un titre de séjour étranger électronique vont bientôt pouvoir se créer « une identité numérique » à partir de leur titre.
La procédure se fera sur smartphone, via une application mobile, avec pour finalité l’identification et l’authentification auprès des fournisseurs de services en ligne publics ou privés et avant tout, FranceConnect (notre actualité).
Ce système de reconnaissance se fera « au moyen d'un équipement terminal de communications électroniques doté d'un dispositif permettant la lecture sans contact », explique le décret. Le texte évoque aussi un système de reconnaissance faciale, au besoin « dynamique ». Pour permettre la délivrance de cette clef d'identification électronique, à chaque utilisation de l'application, le traitement se mettra jonction avec le fichier national de contrôle de la validité des titres.
Des données stockées sur mobile, d'autres centralisées
Le traitement enregistre avant tout une ribambelle de données personnelles :
Des données d’identification de l'usager :
- Le nom ;
- Le nom d'usage ;
- Le(s) prénom(s) ;
- La date de naissance ;
- Le pays de naissance ;
- Le département de naissance ;
- Le lieu de naissance ;
- La nationalité ;
- Le sexe ;
- La taille et la couleur des yeux ;
- L'adresse postale ;
- La photographie de l'usager extraite du titre ;
- La photographie de l'usager prise avec son équipement terminal de communications électroniques pour la reconnaissance faciale ;
- La vidéo prise par l'usager avec son équipement terminal de communications électroniques pour la reconnaissance faciale dynamique ;
- L'adresse électronique ;
- Le numéro d'appel de l'équipement terminal de communications électroniques ;
- L'identifiant technique associé au compte de l'usager ;
Des données permettant l'identification du titre détenu par l'usager :
- Le numéro du titre ;
- L'autorité de délivrance ;
- La date de délivrance ;
- La date d'expiration ;
- La clé publique permettant de certifier l'authenticité du titre ;
Des données relatives à l'historique des transactions associées au compte ALICEM :
- Le nom du fournisseur de service ;
- La catégorie de la transaction ;
- Une description courte du fournisseur de service ;
- Une description longue du fournisseur de service ;
- Le statut de la transaction ;
- La date de la transaction ;
- La date de mise à jour de la transaction ;
- La date d'expiration de la transaction ;
- La priorité de la transaction ;
Enfin « l'identifiant unique du service de notification, aux fins d'identification de l'équipement terminal de communications électroniques ».
L'accès et la transmission de ces données personnelles
Pour l’heure, seuls peuvent accéder à une partie des données enregistrées les agents des services du ministère de l'Intérieur chargés de la maîtrise d'ouvrage du traitement et ceux de l'Agence nationale des titres sécurisés, chargés de la maîtrise d'œuvre, tous étant « individuellement désignés et habilités par leur directeur ».
Ces données sont la taille et la couleur des yeux, l’adresse de la postale, la photo du titre, la photographie de l'usager prise avec son smartphone, pour la reconnaissance faciale ou la vidéo pour la partie dynamique, le mail, le numéro d'appel de l'équipement terminal de communications électroniques, l'identifiant technique associé au compte de l'usager.
Mais l’accès et la transmission ne sont pas deux opérations identiques. Seront destinataires des données personnelles comme le nom, l’adresse, le mail, etc. la DINSIC (direction interministérielle du numérique et du système d'information et de communication de l'État), les fournisseurs de téléservices liés par convention à FranceConnect ou à l'Agence nationale des titres sécurisés.
Elles seront conservées pour certaines sur l’appareil mobile, jusqu’à désinstallation de l’application ALICEM. D’autres données seront centralisées aux fins de contrôle.
Le décret instaurant le fichier TES est au passage modifié. Son article 3 mis à jour prévoit que les données inscrites dans la puce du passeport pourront dorénavant être lues par le traitement ALICEM, « à l'exclusion de l'image numérisée des empreintes digitales ».
Le texte cosigné du Premier ministre et du ministre de l’Intérieur n’a toutefois pas laissé insensible la CNIL.
Une solution taillée pour Android, non rooté
Son avis est précieux déjà parce qu’il détaille le mode opératoire : ce dispositif fonctionnera uniquement sur Android pour l’heure (système non « rooté »). À la création d’un compte sur l’application ALICEM, l’utilisateur saisira son mail, son numéro de téléphone et un mot de passe. Une lecture optique se fera de la bande MRZ des passeports et les données contenues dans la puce embarquée seront lues sans contact. Les données d’État civil, l’adresse et la photographie de l’utilisateur seront enfin transmises.
Pour contrôler le titre, une interrogation de DOCVERIF sera opérée. Un utilisateur disposant d’un titre valide pourra alors se créer d’identité numérique. À défaut, la porte lui sera fermée.
L’activation de l’application se fera par vérification d’un traitement biométrique par reconnaissance faciale à partir d’une vidéo prise en temps réel.
L’utilisateur devra réaliser plusieurs « défis » comme cligner des yeux, bouger sa tête, son visage. La vidéo est alors adressée à l’Agence nationale des titres sécurisés qui comparera une des photos extraites de la vidéo avec celle enregistrée dans le titre. Ces traces seront ensuite détruites. C’est seulement après ce tunnel de vérifications qu’une identité numérique pourra être effectivement générée.
La biométrie et le RGPD : un consentement non libre, sans alternative
Sans surprise, c’est sur l’autel du RGPD que la commission a analysé ce système. L’autorité prend note que le consentement de la personne est la pierre angulaire du traitement, en ce sens que l’utilisateur devra donner son feu vert. Néanmoins, l’autorité indépendante rappelle qu’un consentement n’est libre « que si le traitement de données est strictement nécessaire à la fourniture du service demandé par la personne, ou si une alternative est effectivement offerte par le responsable de traitement à la personne concernée ».
C’est là que la CNIL fronce des sourcils. Le refus du traitement biométrique engendre l’impossibilité de se doter d’une identité numérique. Or, la commission reproche à l’Intérieur cette alternative basique alors qu’il est pourtant possible « de recourir à des dispositifs alternatifs de vérification », autre que la biométrie.
Des dispositifs alternatifs ? La CNIL cite plusieurs exemples comme un face à face en préfecture, un appel vidéo avec un agent de l’ANTS ou pourquoi pas l’envoi manuel de la vidéo.
Certes le ministère pourrait toujours fonder ces traitements par « des motifs d'intérêt public important », une autre des justifications de l’article 9 du RGPD, mais pour l’heure le dossier est trop maigre, faute d’ « éléments de démonstration complémentaires ».
La CNIL a suggéré donc que des solutions alternatives soient trouvées « afin de vérifier de l’identité alléguée par la personne créant son compte » et surtout respecter l’article 9.1 s’agissant du consentement libre, spécifique, éclairé et univoque. Ces alternatives n’étant pas prévues dans le texte publié au J.O., l’interdiction de principe des traitements biométriques posée par l’article 9.1 du RGPD devrait persister. Nous avons contacté la CNIL pour connaître l'évolution de ce dossier. Nous y reviendrons une fois sa réponse obtenue.
ALICEM : la biométrie de l’identité numérique sur mobile fait tiquer la CNIL
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Des données stockées sur mobile, d'autres centralisées
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L'accès et la transmission de ces données personnelles
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Une solution taillée pour Android, non rooté
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La biométrie et le RGPD : un consentement non libre, sans alternative
Commentaires (23)
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Abonnez-vousLe 16/05/2019 à 16h09
Mais quel bénéfice on entend tirer de ce Décret que l’actuel fonctionnement de FranceConnect ne permet pas déjà ?
Sauf à prendre le risque de voir fuiter des gabaries biométriques et des images de visages, voire que ces informations soient détournées pour d’autres finalités (renseignement par exemple), pourquoi aller chercher le biométrique pour créer une identité numérique au regard de la sensibilité de telles informations ?
Pourquoi ne pas prévoir qu’on peut se faire identifier en mairie (comme c’est déjà le cas) par exemple, comme alternative à ce système biométrique totalement disproportionné et qui va soulever, à tort ou à raison, des interrogations sur les arrières pensées du gouvernement ?
Le 16/05/2019 à 16h22
Et surtout comment alourdir les démarches normalement simple des citoyens.
Le 16/05/2019 à 17h02
Le 16/05/2019 à 17h13
Étonné, qu’il n’est pas demandé un séquençage ADN dans la foulé." />
Le 16/05/2019 à 18h22
Le 16/05/2019 à 18h55
Je crois que tu as trouvé toi-même les éléments de réponse.
Le 16/05/2019 à 21h46
Le 17/05/2019 à 05h41
Le plus drôle avec ce genre de système c’est que l’application qui glanera toutes ce infos sera soumis au CGV de Google et Apple… Et je doute que l’application sera open source et mise sur F-Droid…
Je suis aller regarder d’ailleurs rapidement, 1 tracker pour l’appli Ameli, 4 pour Pôle Emploi
Le 17/05/2019 à 06h20
La différence majeure c’est que mobileconnectetmoi.fr n’est qu’un des moyens optinnel pour créer un compte. Tu peux également simplement utiliser ton login / mdp des impôts par exemple pour créer le lien France Connect vers tous les autres services de l’état.
Si tu gardes d’autres moyens de créer un compte y’a pas franchement de sécurité : la sécurité de la plateforme se résume à celle du maillon le plus faible. (en gros intercepter un des courriers où c’est écrit en gros “Fiche d’impot” sur l’enveloppe :-o )
A sinon j’oubliais RGPD n’est pas rétroactif, ce qui a été fait avec mobileconnectetmoi.fr n’est visiblement plus forcément autorisé.
Le 17/05/2019 à 07h12
Le 17/05/2019 à 07h31
Il y a un autre service qui permet ça, c’est l’identité numérique de La Poste. Il suffit de se créer un compte, d’y joindre une photo de la CI et de prendre rendez-vous avec son facteur pour qu’il valide le compte en face à face. Et ensuite c’est utilisable sur FranceConnect. Mais ce n’est que du niveau 1 et ça ne permet pas de faire de la signature eidas de niveau 2 ou 3 car il n’y a pas de gestion de clé prévue pour le moment…
Le 17/05/2019 à 07h40
Le RGPD s’applique ici par service d’identité pas globalement pour France Connect.
Sur la rétroactivité : le RGPD doit être respecté maintenant même si l’appli a été faite avant pour tout nouveau utilisateur. Donc, mobileconnectetmoi devrait être traité de la même façon par la CNIL (si les traitements sont comparables).
Le 17/05/2019 à 08h40
merci pour les infos. ;)
Le 17/05/2019 à 10h25
Le 17/05/2019 à 10h29
Le 17/05/2019 à 12h48
Le 17/05/2019 à 12h52
Le 17/05/2019 à 13h19
pas qu’eux, dans le cadre de la facturation électronique tu dois avoir un certificat RGS qui te permet également la signature eIDAS ( par contre dans le cadre du boulot, c’est payant dans les 800€ les 3 ans)
Le 17/05/2019 à 13h20
Hum, concernant le RPGD, ce n’est pas tout a fait la problématique.
Le problème concerne la certification EIDAS des services d’authentification, signature électronique, recommandé électronique…
Ceux qualifiés avant l’été 2018 (en gros) ne seraient plus forcément acceptés aujourd’hui, car les règles de l’ANSSI sont maintenant plus strictes (indépendamment du règlement). Par exemple, les OTP par SMS ne sont plus autorisés, alors qu’ils l’étaient avant.
Le portail FranceConnect pourra prochainement proposer des identifications “Niveau 2 substantielle” et “Niveau 3 forte”, mais tous les fournisseurs d’identité FConnect n’en seront pas capable.
Parmis les fournisseurs compatible, on s’attend à avoir :
Bref, et tout ce merdier vient du fait qu’on a refusé la carte d’identité numérique, qui aurait permis quelque chose de beaucoup plus simple, comme en belgique ou lituanie, avec un simple certificat sur carte à puce…
Aujourd’hui, a part les certificats, quasiment le seul moyen “simple” et qualifié, correspond a une feuille A4 avec une grille de code, remise en main propre par un agent assermenté…
Le second étant l’identité numérique de la poste, le facteur étant agent assermenté.
Le 17/05/2019 à 13h26
Le 18/05/2019 à 09h48
Je voudrais juste rappeler que la signature numérique est légale depuis 2001, et qu’elle figure au programme du C2i (obligatoire pour obtenir une Licence) depuis au moins 2005 :
www.c2imes.org/PDF/A2.pdf#page=79
Mais visiblement les gouvernements successifs ne se sont pas donné la peine de mettre les moyens pour en faire une réalité !
D’autre part, une signature numérique implique de faire confiance aux logiciels et matériels à l’aide desquelles elle est effectuée.
Donc les équipements où l’utilisateur n’as pas d’accès administrateur sont exclus d’office, comme :
Le 18/05/2019 à 13h20
Au tout début de la page mise en lien :
Le cryptage des fichiers.
Je me suis arrêté là.
Ensuite, je ne suis pas sûr que l’ANSII ait la même vision de la confiance que toi.
Le 18/05/2019 à 13h51
Certes, mais le principal ici ce n’est pas tant la compétence du cours en question, mais son existence…
En parlant de confiance : Ils n’ont pas la même vision ou alors ils n’en ont pas les moyens ?
Alors, on pourrait dire que la sécurité c’est toujours un compromis et que donner à l’utilisateur le contrôle total de sa machine n’en vaut pas le coup… mais on parle bien ici d’une signature officiellement reconnue par l’État Français, avec des conséquences légales - par exemple, combien de temps avant que l’on puisse l’utiliser pour voter ?