Directive Droit d’auteur : au ministère de la Culture, le futur du filtrage des contenus
L'article 17, made in France
Le 20 juin 2019 à 05h30
7 min
Droit
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Exclusif. Hier, Édouard Philippe a annoncé que la future grande loi audiovisuelle serait présentée à l’automne pour une adoption en 2020. En marge de la conférence sur les 30 ans du CSA, Next INpact s’est procuré une pièce maitresse de ce texte : l’avant-projet de transposition de l’article 17 de la directive droit d’auteur. Celui relatif au filtrage.
L’article 13 devenu article 17 de la directive sur le droit d’auteur est l’une des dispositions qui a suscité le plus d’intérêt, mais aussi de critiques lors débats européens. Une manne pour les sociétés de gestion collectives, un risque de censure industrialisée pour les opposants.
Et pour cause, le texte, qui vise les plateformes stockant un grand nombre d’œuvres promues à des fins lucratives, veut leur imposer un sandwich d’obligations.
Comme exposé dans notre schéma, elles doivent d’abord tout faire pour signer un accord de licence avec les sociétés de gestion collective. L’enjeu ? Contractualiser et donc autoriser la présence de contenus protégés dans leurs serveurs, en contrepartie de sommes que les sociétés de perception espèrent rondelettes. C’est le « Value Gap » ou partage de la valeur.
Pour celles qui ne disposent pas d’une telle autorisation, d’autres obligations sont prévues. Elles dépendent de la popularité ou de l’âge de la plateforme en cause et se manifestent alors par des solutions de filtrage, comme l’ont reconnu le ministère de la Culture et même le chef de l’État.
Seulement, une directive n’est pas d’application directe. Elle exige toujours une loi de transposition. Au ministère de la Culture, les travaux avancent vite. Alors que la grande loi sur l’audiovisuel sera examinée en 2020, à la Rue de Valois, a déjà été ébauché un avant-projet de transposition de ce fameux article 17 que Next INpact révèle ci-dessous.
La transposition française ébauchée au ministère de la Culture
La disposition débute par la définition de son périmètre, à savoir qu’elle s’adresse aux fournisseurs de services de partage de contenus en ligne dont l’objectif principal, ou l’un des objectifs principaux, est de stocker et donner accès au public à une quantité importante d’œuvres, uploadées (ou « téléversées ») par leurs utilisateurs, organisées et promues à des fins lucratives.
Comme la directive, l’avant-projet exclut de ce régime les encyclopédies à but non lucratif, les places de marché, les services de cloud entre entreprises ou privé, ou encore les plateformes de développement et de partage de logiciels libres.
Qu’est-ce qu’une « quantité importante d’œuvres » ? Le texte ébauché en France demande, aux juges notamment, de tenir compte de plusieurs facteurs combinés, comme l’audience et le nombre de fichiers uploadés. Il n’y a donc aucun critère quantitatif et il reviendra à chaque plateforme de s’estimer concernée, ou non, par les différentes obligations découlant du texte européen.
Accord ou pas d'accord avec les sociétés de gestion collective
Le texte prévoit ensuite deux situations. Ou bien la plateforme obtient l’autorisation des ayants droit pour reproduire, mais également diffuser l’ensemble des œuvres. Auquel cas, tout va bien. Mieux : les internautes seront également couverts, mais seulement s’ils agissent à des fins non commerciales ou que leurs revenus ne sont pas significatifs.
Mais le cas le plus fréquent risque d’être celui où YouTube (ou un concurrent) ne dispose pas de ce précieux sésame. La plateforme sera alors dans une situation à risque puisqu’elle sera « responsable des actes d’exploitation non autorisés » des œuvres protégées. En somme, elle sera traitée comme le « pirate » ayant mis en ligne une contrefaçon.
Elle ne pourra échapper au couperet des 300 000 euros d’amende et 3 ans de prison que si elle remplit une série de conditions parfois très rugueuses, dictées par le législateur européen. D’abord, prouver avoir fait ses meilleurs efforts « pour obtenir une autorisation auprès des titulaires de droits ».
En outre, elle devra démontrer avoir fourni « ses meilleurs efforts, conformément aux exigences élevées du secteur en matière de diligence professionnelle, pour garantir l'indisponibilité d'œuvres spécifiques pour lesquelles les titulaires de droits ont fourni aux fournisseurs de services les informations pertinentes et nécessaires ».
En tout état de cause, elle devra avoir agi promptement pour bloquer un contenu notifié, ou le retirer, tout en faisant de son mieux pour empêcher sa réapparition.
Le texte français reprend tout autant la logique de proportionnalité prévue par la directive à savoir que plus la plateforme sera importante (en audience, taille, etc.), plus ses obligations seront lourdes au regard des moyens disponibles.
Des obligations spécifiques pour les plus petites structures
Des obligations spécifiques sont prévues pour les plateformes de moins de 3 ans et dont le chiffre d’affaires annuel est inférieur à 10 millions d’euros (deux critères cumulatifs). Celles-ci devront se contenter d’essayer de nouer un accord avec les sociétés de gestion collective, tout en retirant ou bloquant rapidement un contenu notifié.
Si elles enregistrent plus de 5 millions de visiteurs dans l’année, elles devront au surplus éviter la réapparition de ces œuvres, pour lesquels elles devront disposer des empreintes techniques. En somme, une obligation de filtrage, sanctionnée au moindre faux pas.
L'avant-projet de transposition de l'article 17
L'astuce française pour contourner la prohibition de la surveillance généralisée
Pour rassurer les internautes et démagnétiser les arguments des opposants, la directive sur le droit d’auteur a prohibé expressément les mesures de « surveillance généralisée ». Le texte mitonné Rue de Valois n’a pas le choix : il doit respecter cette prohibition, cependant, a été imaginé un système pour permettre malgré tout une vaste surveillance.
Qu’on en juge : « le déploiement des actions mentionnées (…) ne devant pas entrainer une obligation générale de surveillance, le fournisseur d’un service de partage en ligne de contenu agit sur la base des informations et notifications fournies par les titulaires de droits ».
Une manière de contraindre une interprétation très avantageuse pour les industries culturelles. En somme, puisque YouTube surveillera les flux à l’aide des seuls catalogues de la SACEM, de la SPPF, de la SCPP, de la SACD, et des autres sociétés de gestion collective, nécessairement la surveillance sera par définition non généralisée !
Et peu importe si ces catalogues sont garnis de centaines de milliers d’œuvres, si ce n’est plus…
Hadopi : recours extrajudiciaires et contrôle des verrous
On retrouve dans l'avant-projet le mécanisme de recours appelé par la directive. Lorsqu’un internaute voit un contenu bloqué ou retiré, il disposera en cas de désaccord du droit de saisir la justice ou bien, dans une démarche extrajudiciaire, une autorité. Au ministère de la Culture, est envisagée cette fois l’intervention de la Hadopi (ou bien du CSA, si ses compétences lui sont à terme transmises).
La même Hadopi sera chargée d’évaluer l’efficacité et la proportionnalité des mesures de protection des œuvres utilisées par les plateformes en ligne. YouTube et les autres acteurs seront alors tenus de lui déclarer chaque année l’ensemble de verrous mis en place, en décrivant leur fonctionnement, les niveaux d’efficacité et les modalités de collaboration avec les titulaires de droits.
L’autorité indépendante aura en outre la faculté d’émettre de recommandations. Elle disposera aussi du droit d’obtenir toutes les informations utiles auprès des plateformes, des titulaires de droit et des concepteurs des verrous de protection.
Pour l’heure, ce n’est qu’un avant-projet. Les dispositions révélées doivent encore passer le cap de l’avis du Conseil d’État avant d’entamer leur périple parlementaire. En somme, elles sont susceptibles d’évoluer d’ici la présentation du projet de loi audiovisuel, attendu pour l’automne 2019.
Directive Droit d’auteur : au ministère de la Culture, le futur du filtrage des contenus
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La transposition française ébauchée au ministère de la Culture
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Accord ou pas d'accord avec les sociétés de gestion collective
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Des obligations spécifiques pour les plus petites structures
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Hadopi : recours extrajudiciaires et contrôle des verrous
Commentaires (14)
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Abonnez-vousLe 20/06/2019 à 10h05
….cependant, a été imaginé un système pour permettre malgré tout une vaste surveillance
de 2 choses l’une :
mais, cette façon de faire : ‘c’est interdit’, mais y-a moyen de………
heu ! " />
Le 20/06/2019 à 10h17
Qu’on en juge : « le déploiement des actions mentionnées (…) ne devant pas entrainer une obligation générale de surveillance, le fournisseur d’un service de partage en ligne de contenu agit sur la base des informations et notifications fournies par les titulaires de droits ».
Avant d’affirmer cela, ils auraient dû relire l’arrêt du 16 février 2012. Ils auraient vu que l’aspect généralisé concerne le fait de surveiller l’ensemble des fichiers uploadés et que l’on est bien dans ce cas ici. On se moque qu’il faille rechercher dans ces fichiers uploadés toutes les œuvres protégées par le droit d’auteur, seulement celles fournies par les ayants droit ou même une seule œuvre. L’aspect “généralisée” concerne les fichiers surveillés, pas les œuvres.
Il reste au moins 2 raisons toujours applicables dans les points cités pour rejeter la surveillance généralisée :
les points 46 et 47 (atteinte caractérisée à la liberté d’entreprise du prestataire de services d’hébergement)
le point 50 ( porter atteinte à la liberté d’information par risque de sur-blocage)
Cette lecture avec des œillères est contre-productive : la CJUE se prononcera comme dans cet arrêt pour invalider la loi française.
Le 20/06/2019 à 10h25
Le 20/06/2019 à 10h43
Merci Marc pour le boulot !
Le 20/06/2019 à 12h14
Paraplegix t’a fait une bonne illustration,
sinon: “En somme, elle sera traitée comme le « pirate » ayant mis en ligne une contrefaçon.“c’est juste mais c’est un style d’écriture …j’ai bien en soit ça fait plus vrai mais, comme je le dis je m’interroge du coup sur ma propre analyse du sujet.Et pour être clair je ne reproche pas à Marc, c’est son style c’est sa signature. Si cela ne me plait pas je ne lirai pas.Mais est ce que je ne suis pas biaisé dans mon sentiment d’escroquerie des ayants droits pour tout ce qui touche la culture en france à cause des articles de Marc? C’est ça la question.A moi de diversifier mes sources, mais elles ne sont malheureusement pas légion sur ce sujet.
Le 20/06/2019 à 13h26
Si un hébergeur se fait condamner suite au non respect de cette surveillance, il contestera cette condamnation et ça remontera à la CJUE. Sinon, je n’ai pas compris pourquoi la CJUE pourrait refuser de statuer.
Le 20/06/2019 à 05h45
Merci Marc pour cet éclairage. C’est toujours difficile je trouve après avoir lu tes articles sur le sujet de se faire un avis car tu mets bien le doigt sur ce qui dérange avec des terme un petit peu provocateur. Mais merci pour ta pertinence.
Le 20/06/2019 à 06h31
Merci ! " />
Le 20/06/2019 à 07h18
C’est impressionnant comme ils vont vite quand il s’agit d’aider les potes, quand bien d’autres choses plus importantes tournent au ralenti…
Le 20/06/2019 à 07h38
Le 20/06/2019 à 07h57
Le 20/06/2019 à 08h20
Un passage qui je pense peut être représentatif des “ce qui dérange”
Une manière de contraindre une interprétation très avantageuse pour les industries culturelles. En somme, puisque YouTube surveillera les flux à l’aide des seuls catalogues de la SACEM, de la SPPF, de la SCPP, de la SACD, et des autres sociétés de gestion collective, nécessairement la surveillance sera par définition non généralisée !
Et peu importe si ces catalogues sont garnis de centaines de milliers d’œuvres, si ce n’est plus…
Pour en revenir à l’article, et en particulier sur ce morceau, les hebergeur sont obliger d’aller voir les SACEM et autres pour demander le catalogue, et les producteur de contenu doivent aller le donner a la SACEM et autres pour le faire protéger? Pas mal comme coup de main…
Le 20/06/2019 à 08h44
Le 20/06/2019 à 10h04
Ce dérange peut-être c’est le ton utilisé par Marc, qui n’est pas aussi policé que dans d’autres médias. Moi j’aime bien, puisque le fond est impeccable.