MSN au travail : des messages qui relèvent du secret des correspondances, selon la Cour de cassation
Kikou
Le 12 novembre 2019 à 15h59
6 min
Droit
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La Cour de cassation vient de donner gain de cause à une salariée, licenciée pour avoir divulgué des documents confidentiels par l’entremise du logiciel de messagerie instantanée MSN. Les juges ont considéré que ces échanges étaient protégés par le secret des correspondances, car distincts de la messagerie professionnelle de l'intéressée.
Bien que MSN ait désormais totalement disparu (au profit de Skype), l’arrêt rendu le 23 octobre dernier par la chambre sociale de la Cour de cassation pourrait se décliner à de nombreux autres programmes installés par des salariés sur leur poste de travail – WhatsApp, Messenger, etc.
L’affaire examinée par les magistrats remontait à 2006. Un petit retour en arrière s’impose...
Alors que sa secrétaire est en arrêt de travail, un employeur souhaite accéder à son ordinateur professionnel. Il lui demande tout d’abord son mot de passe, par téléphone. Ce que refuse l’intéressée. Après un courrier recommandé, la salariée finit cependant par céder.
Le patron accède ainsi au poste de travail de la secrétaire, et y découvre des « conversation[s] à tout rompre » avec une autre salariée de l’entreprise, tenues par l’entremise du logiciel MSN Messenger.
Licenciée pour vol de fichiers confidentiels
L’employeur constate surtout que la salariée a transmis à sa collègue des documents censés être confidentiels : attestations ASSEDIC, certificats de travail, journal des paies, soldes de tout compte, CV, etc. Un comportement constitutif, à ses yeux, d’une faute grave – synonyme d’un licenciement immédiat, sans préavis ni indemnité.
« Indépendamment des considérations personnelles dont vous pouviez faire état, ou des éléments personnels de votre vie privée, qui sont totalement étrangers au fonctionnement de l’entreprise et qui m’indiffèrent complètement », peut-on lire dans la lettre de licenciement, l’employeur se dit stupéfait que sa secrétaire ait pu transférer des documents issus de « mails privés adressés par [son] cabinet d’expertise comptable à titre strictement confidentiel ».
Après dix-sept années passées au sein de l’entreprise, la secrétaire est remerciée (de même que la collègue avec laquelle elle discutait sur MSN).
L’affaire s’est cependant poursuivie devant les tribunaux, où l’ex-salariée a fini par obtenir gain de cause, en septembre 2017.
Un compte de messagerie « à l’évidence » personnel
La cour d’appel de Paris a en effet estimé que le licenciement de la secrétaire était « abusif », dans la mesure où les conversations litigieuses se trouvaient protégées par le secret des correspondances, car relevant de la sphère privée.
Et pour cause. Les magistrats ont rappelé qu’il découlait de l’article 9 du Code civil (selon lequel « chacun a droit au respect de sa vie privée ») que « le salarié a droit, même au temps et au lieu de travail, au respect de l’intimité de sa vie privée » – ce qui concerne « en particulier le secret des correspondances ».
« L’employeur ne peut dès lors sans violation de cette liberté fondamentale prendre connaissance des messages personnels émis par le salarié et reçus par lui grâce à un outil informatique mis à sa disposition pour son travail et ceci même au cas où l’employeur aurait interdit une utilisation non professionnelle de l’ordinateur », a souligné la cour d’appel.
Suite aux débats, il était apparu que l’employeur avait pu accéder aux messages et fichiers après s’être connecté à MSN « quand bien même il avait été informé préalablement du fait que l’ordinateur professionnel de l’intéressée contenait des données personnelles ».
« À l’évidence, un tel compte de messagerie est personnel et distinct de la messagerie professionnelle, sans qu’il soit besoin d’une mention « personnel » ou encore « conversation personnelle », ce que confirme l’affirmation dans la lettre de licenciement que le président de la SAS a trouvé dans cette messagerie « des éléments personnels de [la] vie privée [de la salariée], qui sont totalement étrangers au fonctionnement de l’entreprise » », a tranché la cour d’appel, pour qui l’employeur a dès lors « violé le secret des correspondances ».
Les magistrats ont ainsi jugé que ces – seuls – éléments ayant justifié le licenciement étaient irrecevables. Ce qui rendait celui-ci infondé. La société a de ce fait été condamnée à verser plus de 50 000 euros d’indemnités à son ex-salariée, dont 1 000 euros de dommages et intérêts pour atteinte à la correspondance privée.
Un renversement de la présomption du caractère professionnel ?
L’employeur s’est cependant pourvu en cassation, estimant que le raisonnement suivi par la cour d’appel de Paris « emportait renversement de la présomption de caractère professionnel des messages échangés à l’aide de l’outil informatique mis à disposition [du salarié] par l’employeur pour accomplir ses fonctions ».
De manière récurrente, la jurisprudence – y compris de la Cour de cassation – considère en effet que les messages ou fichiers présents sur l’ordinateur du salarié (ou même son téléphone) sont professionnels, et donc accessibles à l’employeur, à moins qu’ils n'aient préalablement été identifiés comme privés ou personnels.
La haute juridiction n’a toutefois rien trouvé à redire au jugement de la cour d’appel. « Ayant constaté que les messages électroniques litigieux, échangés au moyen d’une messagerie instantanée, provenaient d’une boîte à lettre électronique personnelle distincte de la messagerie professionnelle dont la salariée disposait pour les besoins de son activité, la cour d’appel en a exactement déduit qu’ils étaient couverts par le secret des correspondances », conclut la Cour de cassation (voir l'arrêt sur Légifrance).
L’affaire en restera donc là, tout du moins sur le plan des juridictions nationales. Son issue aurait pu être totalement différente si l’employeur avait licencié cette salariée pour usage abusif de son outil de travail, ou même si celle-ci avait envoyé ces fichiers depuis sa boîte mail professionnelle.
MSN au travail : des messages qui relèvent du secret des correspondances, selon la Cour de cassation
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Licenciée pour vol de fichiers confidentiels
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Un compte de messagerie « à l’évidence » personnel
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Un renversement de la présomption du caractère professionnel ?
Commentaires (39)
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Abonnez-vousLe 14/11/2019 à 09h35
Du coup quel rapport avec le fait que ce ne soit pas possible ou interdit?
Que les médecins, ou les administrations aient la flemme de le faire, tant pis pour eux. Si leurs employés envoient de la donné sensible c’est de leur responsabilité. Mais si on veut sécuriser ses données, c’est possible. C’est juste cher.
Le 18/11/2019 à 19h01
C’est pas très cher non. Le code est quasiment gratuit aujourd’hui. Les processeurs ont des modules de chiffrement avec implémentation en dur d’AES SHA…
Ce qui en revanche coûte une blinde c’est d’avoir le type en or qui va chercher la merde jusqu’à la trouver (genre managment engine, firmware corrompu, bios alacon etc) et de lui ouvrir les portes afin qu’il participe à la collectivité plutôt qu’à la criminalité numérique (par dépit le plus souvent).
Ne pas croire que la fiabilité coûte, c’était peut-être vrai il y a 25 ans mais aujourd’hui c’est plus simple qu’envoyer un Recommandé avec AR bien que psychologiquement contraignant, certes. " />
Le 12/11/2019 à 17h30
Le 12/11/2019 à 17h43
Heu non sauf erreur dans certains cas la preuve est recevable même si elle a été obtenue frauduleusement dans les affaires les plus graves, comme aux assises par exemple. Et bien heureusement…
EDIT: le droit pénal et la jurisprudence autorisent bel et bien des preuves déloyales:https://fr.m.wikipedia.org/wiki/Preuve_en_droit_p%C3%A9nal_fran%C3%A7ais
Le 12/11/2019 à 21h10
Le 13/11/2019 à 08h13
Ce qui m’étonne, c’est cette histoire d’historique “en ligne”.
Soit on parle d’un MSN que je n’ai pas connu, soit on parle de Messenger, qui avait surtout un historique sous forme de fichier local (de mémoire…)
Le 13/11/2019 à 08h15
Dans la présente actu, il ne s’agit pas de mails, mais de conversations, l’équivalent d’appels téléphoniques mais par écrit.
Il n’y a donc pas ici de notion de sujet de mail, mais plutôt une lecture de toute la conversation, un peu comme si on lisait tous tes emails perso parce que tu utilise ta boite mail depuis ton travail… dérangeant non?
Le 13/11/2019 à 09h25
Je prenais l’exemple du mail parce qu’il reste le plus “connu”. Après qu’on lise mes discussions persos est tout aussi dérangeant pour moi que mes infos RH puissent circuler partout sans que le/la responsable puisse en être inquiété. C’est surtout ça qui me gène dans toute cette histoire.
Le 13/11/2019 à 09h58
Le 13/11/2019 à 10h10
Les commentaires sont un peu WTF.
Voilà un employeur (et son responsable RH) qui n’ont pas fait leur boulot correctement (un dossier pour licenciement ça se construit, entre autre avec des juristes).
Et vous remettez en cause la décision de la justice !?!
Le 13/11/2019 à 10h22
De manière récurrente, la jurisprudence – y compris de la Cour de
cassation – considère en effet que les messages ou fichiers présents sur
l’ordinateur du salarié (ou même son téléphone) sont professionnels, et donc accessibles à l’employeur, à moins qu’ils n’aient préalablement été identifiés comme privés ou personnels.
Donc dans cette affaire, la Cour de Cassation contredit l’avis de la Cour de Cassation ? " />
Sinon, les mots de passe dans les application sont faits pour ça… L’employée pouvait très bien donner son mot de passe de session, pour que donner un accès à son poste et permettre à son patron de faire fonctionner son service, sans pour autant donner accès à se sconversations privées.
Idem pour les connexions automatiques (qui ne servent donc à rien puisque le mot de passe n’est pas demandé à chaque connexion).
Le 13/11/2019 à 10h23
dans cette affaire, y a pas grand monde qui a fait son boulot correctement, à part les juges, en fait " />
Le 13/11/2019 à 10h28
non c’est ce qu’indique la suite : “Ayant constaté que les messages électroniques litigieux, échangés au moyen d’une messagerie instantanée, provenaient d’une boîte à lettre électronique personnelle distincte de la messagerie professionnelle dont la salariée disposait pour les besoins de son activité
Si la secrétaire avait envoyé les truc depuis sa boite pro, le jugement aurait probablement été différent
Le 13/11/2019 à 10h35
Le 13/11/2019 à 10h40
C’est donc uniquement l’adresse e-mail utilisée à l’inscription à la messagerie instantanée qui permet de déterminer si elle est utilisée à des fins personnelles ou professionnelles ?
Je m’inscris sur Skype avec [email protected], c’est pro et mon employeur peut accéder à ce contenu,
Je m’inscris sur Skype avec [email protected], c’est perso et le contenu est interdit à mon boss ?
Le 13/11/2019 à 10h52
Le 13/11/2019 à 11h08
Le 13/11/2019 à 12h12
En fait il y avait des moyens pour l’employeur d’obtenir ses preuves de façon légale, simplement, il ne les a pas du tout appliqué. Il pouvait par exemple déposer plainte et c’est la police, au cours de l’enquête, qui aurait pu avoir accès à sa messagerie personnelle.
Le 12/11/2019 à 16h11
Intéressant, merci pour cet article.
Le 12/11/2019 à 16h40
Du coup on peut déroger au secret des affaires, ou partager des données sensibles (RH dans ce cas) en taggant [PERSO] les mails que l’on partage ? Propre.
Le 12/11/2019 à 16h44
Non, il est interdit de transmettre des documents confidentiels, mais il est aussi interdit à l’employeur de regarder tes messages privés.
Si tu as obtenu une preuve illégalement, bah tu ne peux pas l’utiliser à charge contre quelqu’un…
Le 12/11/2019 à 17h02
Si le seul moyen (hors délation) de prouver un délit est interdit, ça reste bloquant . Je suis pour les lois qui protègent la vie privée et la sanction associée est méritée, mais de la à rendre caduque la preuve et qualifier le licenciement d’abusif, c’est absurde.
Le 12/11/2019 à 17h08
Preuve illégale, donc inutilisable, valable dans tout type de procès. Même si moralement c’est discutable dans ce cas.
Le 13/11/2019 à 12h32
Le 13/11/2019 à 12h38
Oui, c’était dans le cas où il avait déjà des soupçons. Mais il aurait tout à fait pu avoir ces soupçons si son responsable réseau était à moitié compétent et surveillait ce qui transite dans ses tubes.
Le 13/11/2019 à 12h40
oui, la conduite (ou juste l’accompagnement) du changement, c’est souvent le parent pauvre dans ce genre de décision " />
Je préjuge que toi et tes collègues avez un profil un minimum technique et que les décisionnaires se sont juste dit “bah c’est un peu pareil, ils devraient pas être perdus” sans prendre en compte les aspects non techniques (comprendre hors utilisation bête et méchante de l’outil)
Le 13/11/2019 à 13h15
Mouais le fichier des salaires de tout le monde, je l’ai vu tourner dans toutes les entreprises où je suis passé, et sinon il reste la machine à café pour avoir les informations qui finissent toujours par être public à un moment ou un autre " />
Les patrons doivent se rappeler qu’ils travaillent avec des humains, et pas des machines " />
Le 13/11/2019 à 13h42
Le 13/11/2019 à 14h28
ref à Christine Albanel devant l’Assemblée pendant les discussions sur HADOPI qui présentait OpenOffice comme un pare-feu pour se prémunir d’une utilisation usurpée de sa ligne internet (et donc soutenir que l’IP permettait à coup sûr d’identifier un contrevenant)
C’est devenu une espèce de boutade ici ^^
Le 13/11/2019 à 14h37
Le 13/11/2019 à 14h40
Le 13/11/2019 à 14h59
Le 13/11/2019 à 18h44
Ce qui m’étonne, c’est qu’elle ait communiqué son mot de passe à son patron. Dans ma boîte c’est une faute professionnelle.
Le 13/11/2019 à 18h45
Le 13/11/2019 à 23h47
Le 14/11/2019 à 06h29
c’est beau quand meme d’avoir le culot de poursuivre son employeur après avoir divulguer des infos confidentielles.
Le 14/11/2019 à 06h58
J’ai du mal à croire qu’on ne puisse inspecter ce genre de communication perso.
Les communications que tu cites passent par des canaux dédiés. Dans la banque, les chats avec les clients sont tracé, les documents confidentiels sont envoyé depuis des serveurs ou la messagerie pro des conseillers/consultants. J’imagine que dans le médical et le gouvernemental c’est pareil. Et tous ces canaux ont leur proxy dédié.
La messagerie perso passe par un proxy “surf” qui ne devrait voir transiter aucune info confidentielle, et du coup, aucune interdiction à l’interception. Et typiquement, les documents qui transitent vers le coffre fort en ligne, tu les chope quand ils sortent grace au marquage. Idem pour quand ils sont posé sur une clé USB.
Quand tout est bien fait dans une boite parano, riche et équipée, la seule solution qu’il reste de mémoire c’est de faire une capture d’écran avec son téléphone. Et parfois ce dernier est interdit.
Le 14/11/2019 à 08h45
Il peut par contre détecter qu’il y a des conversations privées, en violation du règlement intérieur et de la charte, c’est suffisant pour que l’employé commence à avoir des problèmes.
Le 14/11/2019 à 09h31