Contre la haine en ligne, des députés militent (encore) pour l’interopérabilité des plateformes
Nouvelle lecture, nouveau combat
Le 13 janvier 2020 à 10h15
8 min
Droit
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Après l’échec de la commission mixte paritaire, la proposition de loi Avia sera examinée en commission des lois pour sa nouvelle lecture à l’Assemblée nationale. Tour d’horizon des premiers amendements où plusieurs députés souhaitent toujours consacrer un droit à l'interopérabilité entre les plateformes.
Obliger les plateformes à retirer en 24 heures les contenus dits haineux. Voilà le cœur de la proposition de loi de la députée Laetitia Avia. La députée LREM a toutefois dû subir de nombreuses critiques sur son texte, et pas des moindres puisque même la Commission européenne a considéré que ce mécanisme n’était pas compatible avec le droit européen (les « observations » bruxelloises, révélées par Next INpact).
Alors que les sénateurs auraient préféré la mise en place d’une obligation de moyen, les députés dont la majorité LREM ont souhaité introduire une obligation de résultat dans le retrait. Concrètement, avec elle, les plateformes concernées (Facebook, Twitter, Instagram, etc.) auraient l’obligation de retirer une série de contenus manifestement illicites dans un délai de 24 heures sous peine de subir une sanction de 1,25 million d’euros. Si cette version se maintient, il reviendra aux services en ligne, ainsi au premier plan, de faire le tri entre les contenus à maintenir et ceux à supprimer, sachant que s’ils risquent une imposante amende en cas de défaut de retrait, la surcensure ne sera pas une infraction en tant que telle.
Après l’échec de la commission mixte paritaire, chargée de trouver un texte de compromis, la « PPL » revient en nouvelle lecture à l’Assemblée nationale et d’abord devant la commission des lois.
Une quarantaine d'amendements déposée
Devant cette instance, une quarantaine d’amendements a déjà été déposée pour l'instant. Emmanuelle Ménard (non inscrite) souhaite la suppression du premier article, non sans s’interroger : « ces opérateurs sont-ils les mieux placés pour exercer cette mission a priori quand il est déjà parfois si difficile pour les juges de le faire a posteriori ? Quelle légitimité auront ces opérateurs à le faire ? ». Elle ne veut pas que ces intermédiaires jouent ainsi le rôle de « censeurs ».
Mêmes vœux de la part de la France Insoumise qui insiste sur la question des moyens. « Tout l’enjeu de cette proposition de loi est de faire glisser la régulation des propos tenus en ligne de la compétence du juge judiciaire vers les plateformes ». Dès lors, il s’agit « d’une opération de privatisation de la justice, qui ne sera pas sans conséquence : cela prive les personnes de droits de la défense que seule permet la procédure judiciaire ». Selon LFI, « il aurait été plus judicieux de s’assurer que les services judiciaires disposaient de suffisamment de moyens pour lutter contre la haine en ligne ».
Dans l’inventaire des infractions soumises à obligation de retrait en 24 heures, la longue liste de la proposition de loi Avia ne satisfait pas non plus. Rappelons que les contenus haineux (racisme, etc.) ne sont pas les seuls à être intégrés puisque le texte oblige les plateformes à retirer les contenus pornographiques ou violents dès lors qu’ils sont simplement accessibles aux mineurs. La mesure pourrait poser des questions épineuses s’agissant des violences filmées durant les manifestations de Gilets Jaunes.
Nier l'État d'Israël , un contenu haineux à retirer en 24 heures
François Puponni (Libertés et Territoires) aimerait pour sa part ajouter à ce train, juste après la mention des « actes de terrorisme et de leur apologie », celle « de la négation de l’existence même de l’État d’Israël et de l’appel à la sa destruction ». Selon lui, la mesure s’impose « face à la résurgence inédite et croissante de l'antisémitisme en France »
Le député Éric Ciotti (LR) défend une autre idée. Il voudrait que les réseaux sociaux notamment ceux dont l’activité dépasse un seuil de nombre de connexions défini par décret exigent « de chaque utilisateur souhaitant accéder à leurs services la fourniture d’un document attestant de leur identité ».
« Concrètement, détaille-t-il, si un individu veut ouvrir un compte Twitter, Facebook, etc.… il devra au préalable fournir une pièce d’identité au site internet ». D’après le parlementaire, cela permettrait de rendre identifiables tous les auteurs des contenus en ligne.
Le député Philippe Latombe (MoDem) a déposé plusieurs amendements. Il veut par exemple que, lorsqu’un contenu est retiré dans les 24 heures, la plateforme transmette à l'utilisateur la décision motivée « afin que celui-ci puisse saisir l'autorité judiciaire compétente », au besoin. Le même souhaite qu’un internaute puisse saisir le CSA aux fins d’être éclairé sur les contenus devant être retirés.
Fermeture des comptes, une décision trop attentatoire à la liberté de communication
La PPL Avia, modifiée par le Sénat, exige des plateformes la mise en place des « moyens nécessaires à la suppression des comptes de leurs utilisateurs ayant fait l’objet d’un nombre de notifications par plusieurs personnes » pour contenus haineux. Cette suppression voulue par les sénateurs peut être contestée par l’utilisateur, mais le député Philippe Latombe estime que la décision de fermeture de compte est trop attentatoire à la liberté de communication. Il demande son retrait du texte, ou du moins à laisser le juge trancher.
Le groupe En Marche, lui-même, s’oppose à cette sanction : « des utilisateurs pourraient, par ce dispositif, se retrouver visés par des comportements malveillants qui notifieraient abusivement leurs contenus dans le seul objectif de faire disparaître leur compte »
L'interopérabilité, un droit à la migration
Plusieurs députés Libertés et Territoires veulent profiter de cette fenêtre de tir parlementaire pour introduire une obligation d’interopérabilité.
Si leur amendement est adopté, quiconque aurait « la capacité de migrer vers des plateformes tierces tout en continuant à communiquer avec les utilisateurs restés sur leur propre plateforme ». Pour parfaire ce droit, les plateformes auraient pour obligation de respecter « des standards techniques d’interopérabilité (…)conformes à l’état de l’art, documentés, stables et qui ne peuvent être modifiés de façon unilatérale. »
« Si l’on veut passer au développement de comportements « digitale éthique » des plateformes, il est fondamental de permettre le renforcement de toute forme d'auto-modération viable, comme cela est possible sur de nombreux forums et plateformes « à taille humaine » qui ont peuplé le Web depuis ses débuts, et qui reposent sur une modération réalisée directement par leur communauté, impliquée et à ce stade généralement bénévole » exposent les élus, inspirés par les propositions de la Quadrature du Net.
Remarquons que Philippe Latombe entend lui aussi introduire un tel droit à la migration.
Lors des séquences antérieures, la députée Laetitia Avia s’était opposée en séance à un tel droit. « Cela revient à dire à une femme que, si elle est victime de sexisme en passant dans tel quartier, elle devrait passer par une autre rue. (…) On ne dit pas à une victime de changer de lieu : c’est le lieu qui doit changer ».
Priver le CSA du droit de sanctionner une plateforme
Dans la PPL Avia, deux types de sanctions existent : celle infligée par l’autorité judiciaire dans le cadre de l’obligation de retrait, et celle décidée par le CSA dans le cadre des obligations de coopération pesant sur les plateformes, édictées par le même conseil et pouvant atteindre 4 % du chiffre d’affaires mondial.
La France Insoumise aimerait détrousser l’autorité administrative de ce pouvoir pour le confier à la seule autorité judiciaire. « Dans un souci de rigueur et de séparation des pouvoirs, nous tenons à ce que les compétences quasi-juridictionnelles du CSA soient transférées au pouvoir judiciaire, d’autant que le CSA ne semble pas tout à fait volontaire pour faire usage des pouvoirs de sanction qui lui sont attribués ».
La République en Marche entend aussi confier au CSA le soin d’encourager les plateformes à définir « les moyens appropriés pour empêcher la rediffusion et l’amplification de façon inhabituelle ou excessive de contenus » haineux. Cette obligation de moyen est sans doute la conséquence des critiques adressées par la Commission européenne puisque le texte voté par les députés en première lecture impose une obligation d’empêcher la réapparition des contenus déjà supprimés, donc une obligation de surveillance généralisée contraire à la directive de 2000 sur le commerce électronique.
Après l'examen en commission des lois, le texte sera examiné en séance le 20 janvier.
Contre la haine en ligne, des députés militent (encore) pour l’interopérabilité des plateformes
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Une quarantaine d'amendements déposée
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Nier l'État d'Israël , un contenu haineux à retirer en 24 heures
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Fermeture des comptes, une décision trop attentatoire à la liberté de communication
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L'interopérabilité, un droit à la migration
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Priver le CSA du droit de sanctionner une plateforme
Commentaires (19)
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Abonnez-vousLe 13/01/2020 à 10h22
Pendant ce temps la dans la rue :
. Ça brule 1200 voitures au jours de l’an
. Ça donne des coups de couteau au pompier
. Ça meurt après un simple contrôle routier
. Ça éborgne des manifestant et même des non manifestant.
. Ça deal 2 milliard de shit l’année ( et 100 000 emplois )
. Les transport en commun chient dans la colle avec la grève
Mais oui, occupons nous d’internet d’abord !
Le 13/01/2020 à 11h20
Je vais mettre les pieds dans ton plat, mais je trouve que, justement, les 3 premiers exemples montrent l’intérêt qu’il y a à essayer d’éliminer la haine en ligne : elle est beaucoup plus facile à exprimer (la haine), caché derrière son clavier. Des tabous sautent. Et lorsqu’ils ont sauté en ligne, l’étape d’après, c’est qu’ils sautent IRL.
Cela dit, je ne suis pas sûr du tout que cette loi puisse y faire quoi que ce soit. Et il y aura bien des cas limites qui “feront le buzz”.
Mais sur le fond, si on pouvait limiter la haine en ligne, ben je serai plutôt pour !
PS: pour moi, dire “cette action est une connerie” est radicalement différent de “ce mec est un con”. Et la difficulté de l’exercice est là : la liberté d’expression sur les actes / l’insulte sur la personne.
Le 13/01/2020 à 11h47
Le 13/01/2020 à 12h11
En vrai, ce que veulent les députés, c’est un intranet à la chinoise, un internet privé, contrôlé de A à Z, avec son moteur de recherche, sa place de marché, ses forums.
Ils ne proposent que de traiter le haine en ligne, sans aucunement se demander pourquoi celle-ci, pourquoi la société devient de plus en plus violente, pourquoi pompier, ambulancier, policier se font caillasser, pourquoi pour faire la fête, on fait des feux de joies de voitures.
Tellement plus facile de faire des lois encore et encore, c’est facile, pas cher, et ça fait plaisir à Mr/Mme Michu qui tremble en ouvrant son journal tout les matins, pour qui c’était mieux avant, sans tout cet internet.
Le 13/01/2020 à 12h20
La haine en ligne n’est que le reflet de la haine dans la société.
Vouloir cacher les conséquences sans s’attaquer aux causes de ces problèmes, c’est stupide.
Avec cette loi, la haine continuera de grandir et on pensera que tout ira bien parce qu’on aura interdit aux gens de s’exprimer.
Ça n’améliorera rien et ça risque même d’accentuer la haine : cette loi est juste stupide et ne fait que mettre de l’huile sur le feu.
A croire que ce n’est pas exactement ce que cherche le gouvernement…" />
Le 13/01/2020 à 12h20
Encore une fois je suis d’accord avec LFI (sur les questions numériques) : faire respecter les lois existantes devrait être envisagé, plutôt que d’externaliser la censure nationale aux GAFAM. Et en +, c’est compatible avec le droit européen, donc applicable, truc de dingue !
tipaul a écrit :
Mais sur le fond, si on pouvait limiter la haine en ligne, ben je serai plutôt pour !
Ouais, la guerre s’pas bien t’as raison.
Désolé c’était un peu gratuit, mais évidemment que tout le monde est d’accord avec ça. C’est sur le “comment” que les gens s’insurgent. Et à raison je pense, vu que ça s’annonce comme inapplicable (techniquement), hors-la-loi (droit européen), attentatoire aux libertés, contre-productif, perte de souverainté au profit des entreprises privées, etc.
Le 13/01/2020 à 12h42
Le 13/01/2020 à 13h32
Un bon gros troll des lundis en premier commentaire " />
Le 13/01/2020 à 15h28
Le 13/01/2020 à 16h53
Le 13/01/2020 à 21h18
L’idée de la carte d’identité pour créer un compte sur fb/twitter/autre pourquoi pas… Mais cela va sens doute permettre des dérives.
Ensuite l’amende à la plate forme en cas de non retrait d’un poste dans les 24h ?
Là je ne comprend pas trop… C’est top pour la censure et l’auteur du poste ne craint rien du tout donc recommencera ?
Le 14/01/2020 à 10h25
On peut déplorer cette attitude et cette tendance à lé.giférer, mais c’est malheureusement une étape indispensable pour dépoubelliser Internet et calmer les trolls de tout bord.
A l’origine, je me souviens de la promesse d’un Internet comme vecteur d’information et d’échange : on en est loin, et son impact sur la société civile et le débat démocratique est très largement négatif.
Plutôt que de pointer la responsabilité de ceux qui cherchent à calmer le jeu, il faudrait peut être se demander pourquoi les abrutis qui rendent ce genre de lois indispensable gardent toute possibilité de nuire
Le 14/01/2020 à 10h54
Ah, ça fait plaisir de voir que certains politiques ont encore la tête sur les épaules !
Sinon, une plateforme utilisant un standard interopérable n’est, par définition, plus une plateforme ? (Cf. “Minitel 2.0”…)
Le 14/01/2020 à 11h50
Le 14/01/2020 à 14h00
Le 14/01/2020 à 14h57
Le 14/01/2020 à 22h11
Le 18/01/2020 à 18h11
Tu as traité quelqu’un d’abruti sur INternet.
Encouragement à la haine => fermeture du compte et suppression des posts.
Le 18/01/2020 à 21h46
Ok.