« Pics Or It Didn’t Happen » : la 13e mission de Rocket Lab est un échec

« Pics Or It Didn’t Happen » : la 13e mission de Rocket Lab est un échec

C’est la faute du nombre 13

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Sébastien Gavois

Publié dansSciences et espace

06/07/2020
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« Pics Or It Didn’t Happen » : la 13e mission de Rocket Lab est un échec

Après onze succès d’affilée, Rocket Lab vient d’échouer sur sa 13e mission. Les satellites sont perdus, les causes probables de l’incident ne sont pas encore connues. Le numéro rappelle évidemment les déboires d’Apollo 13 (soulevant ensuite la question de la triskaidékaphobie de la NASA).

Ce week-end, la société américaine Rocket Lab a envoyé dans l’espace une nouvelle fusée Electron, mais tout ne s’est pas passé comme prévu. Quelques minutes après le décollage, le verdict tombait : le lanceur n’avait pas rempli sa mission, l’ensemble des satellites et charges utiles étaient perdus.

La société s’est rapidement excusée auprès de ses clients, une enquête officielle est en cours. Hasard (ou pas ?) de la numérotation, c’était le 13e lancement de Rocket Lab… de quoi remettre une pièce dans la triskaidékaphobie de certains, de rappeler l’histoire d’Apollo 13 et du changement de numérotation des missions de la NASA.

« Pics Or It Didn’t Happen » porte parfaitement bien son nom…

C’est un coup dur pour la jeune entreprise qui avait enchainé onze lancements d’affilée avec succès. Son dernier échec remontait en effet à plus de trois ans, lors de sa première tentative avec la mission « It's a Test ». Les premières minutes s’étaient déroulées correctement, permettant au lanceur de rejoindre l’espace (à plus de 100 km d’altitude, pour rappel), mais une perte de la télémétrie avait poussé la société à terminer sa mission de manière anticipée à environ 220 km d’altitude. Elle n’a ainsi pas pu rejoindre son orbite prévue de 500 km, mais aucun satellite n’était à bord pour cet essai.

Selon son enquête, la cause était liée à « un problème d'équipement au sol d'un partenaire externe, et non d'un problème avec la fusée ». Les succès se sont ensuite enchainés avec la mission « Still Testing » en janvier 2018, « It’s Business Time » en novembre, etc. 

Après trois missions au nom pas franchement amusant – NASA ELaNa-19, DARPA R3D2 et STP-27RD – Rocket Lab est revenu en juin 2019 à des dénominations plus originales : « Look Ma, No Hands », « Running Out of Fingers », « Don’t Stop Me Now » et donc la dernière en date « Pics Or It Didn’t Happen ».

Une « anomalie » quatre minutes après le décollage

Après la mise à feu, le décollage et la séparation des deux étages, Rocket Lab a connu une anomalie. Le problème s'est produit environ quatre minutes après le début du vol de ce 4 juillet 2020, avec comme conséquence « la perte du véhicule en toute sécurité », explique la société. Les charges utiles ont été détruites dans l’incident.

La vidéo du lancement montre en effet une ascension en bonne et due forme, puis un passage au point Max-Q (point de pression dynamique maximale, là où les fusées sont soumises au plus grand stress) aux environs de 90 secondes sans encombre. Suivent la séparation des étages et de la coiffe, environ 200 secondes après le décollage. Durant toutes ces opérations, rien sur la vidéo ne laisse penser à un problème.

La situation change à partir d’un peu plus de 6 minutes : l’altitude du lanceur commence à diminuer au lieu d’augmenter. La vidéo de la fusée avec les indicateurs de vitesse et d’altitude est rapidement coupée, avec un plan sur le centre de contrôle. Le présentateur indique à un peu plus de 7 min 30 que la qualité du signal vidéo est trop mauvaise, mais que « la télémétrie d’Electron est bonne ». Ce n’était visiblement pas le cas.

L’enquête est en cours, d’autres Electron en production

« L’anomalie d’aujourd’hui nous rappelle que le lancement spatial peut être impitoyable, mais nous allons identifier le problème, le corriger et être de retour sur le pad dès que possible », affirme Peter Beck, fondateur et dirigeant de Rocket Lab. L’enquête est en cours avec les autorités compétentes, notamment la FAA (Federal Aviation Administration). La société explique être dans les starting-blocks et que huit fusées sont en cours de production pour les prochaines missions.

Cette treizième mission est donc un cuisant échec, mais heureusement sans perte humaine. Il n’en fallait pas plus pour faire un parallèle avec la célèbre mission Apollo 13 de la NASA (dans les années 70, après que Apollo 11 a conduit des hommes sur la Lune) et sa fameuse citation : « Houston, we've had a problem here », ou « Houston, we have a problem » dans le film éponyme.

Après Apollo 13, la NASA a-t-elle sciemment évité le 13 ?

Selon certaines croyances, la NASA aurait quelques années plus tard décidée de changer sa numérotation pour éviter de se retrouver de nouveau face au nombre 13. Après la mission STS-9 (Space Transportation System), c’était ainsi au tour de… STS-41B. L’explication de ce changement n’est pas aussi simple qu’une peur d’un nombre.

De 1 à 9, les numéros des missions des navettes spatiales étaient simplement incrémentés un par un. Avec STS-41B (STS-10 dans l’ancienne manière de compter), une nouvelle règle était appliquée : « 4 » correspond à l’année (1984), « 1 » à la base du lancement (le Kennedy Space Center, le numéro « 2 » était prévu pour Vandenberg Air Force Base).

Enfin la lettre désignait l’ordre du lancement dans le carnet de commandes de l’année en cours (B pour le second de l’année, STS-9 aurait été STS-41A avec cette dénomination). Pour compliquer un peu les choses, STS-9 a été lancée en novembre 1983, alors pourquoi un « 4 » ? Car, aux États-Unis, l’année fiscale débutait alors au 1er octobre. 

Il y a quelques années, la NASA est revenue sur ce changement et sur une légende urbaine qui l’accompagne : « Certains ont suggéré que ce système avait été créé uniquement pour éviter la triskaidékaphobie de l’administrateur de la NASA, James Beggs » (spoiler, ce n’est pas aussi simple). Selon l’astronaute Paul Weitz « il n'aimait pas le numéro 13. Donc, il n'a jamais voulu de mission numérotée 13, alors nous avons suivi ce système ».

Détail amusant, les astronautes de la mission STS-41C – STS-13 dans l’ancienne numérotation – avaient créé leurs propres badges « STS-13 » avec comme nom de code « chat noir ». Leur mission ne rencontra pas le moindre problème, et ils sont revenus se poser sur Terre sans encombre un vendredi 13. « C’était assez cool », se souvient James van Hoften, un des membres d’équipage.

Elle a surtout fait n’importe quoi avec les dénominations

« Bien qu'il s'agisse d'une histoire attirante, surtout compte tenu des événements malchanceux d'Apollo 13, ce n'est pas l'histoire complète », affirme l’Agence américaine, qui donne sa version des faits. « En réalité, la NASA prévoyait une fréquence de lancements beaucoup plus importante, d’autant que la navette spatiale entrait en service complet sur deux sites. Les plans prévoyaient jusqu'à 50 lancements par an : depuis Vandenberg pour les navettes sur une orbite polaire et Kennedy pour celle équatoriale ». 

Le nouveau système a été conçu pour éviter les confusions causées par des retards et annulations sur l’un ou l’autre des sites. La NASA reconnait elle-même que ce n’était pas du tout un succès : « Les navettes étaient toujours lancées hors service – STS-51B a été lancé trois mois après STS-51C – et certaines dénominations n'ont jamais été utilisées. Par exemple, bien qu'il y ait eu un STS-41G, il n'y a jamais eu de STS-41E ou STS-41F ».

L’Agence est finalement revenue en arrière en janvier 1986 après l’explosion tragique, au bout de quelques dizaines de secondes, de la mission STS-51L (navette spatiale Challenger). Lors du retour en vol en 1988 avec la navette Discovery, la mission portait le numéro STS-26 et, malgré son aspect « 2 x 13 », elle ne rencontra pas de souci majeur. Toujours est-il que STS-13 n’a officiellement jamais eu lieu.

Les numéros se sont ensuite enchainés jusqu’à la dernière mission STS-135 en 2011. Cette nomenclature n’aura pas été épargnée par des numéros « trompeurs » : STS-94 a par exemple décollé deux ans avant STS-93, et ce n’est qu’un exemple parmi d’autres.

Bref, aucune des deux solutions n’a donné le résultat escompté. La NASA explique enfin avoir « envisagé à un moment donné de changer les désignations au fur et à mesure que l'ordre changeait, mais les responsables se sont vite rendu compte que cela aurait rendu trop confus les documents afférents aux missions ».

SpaceX semble n’avoir que faire de cette superstition, voire jouerait avec au contraire. La mission CRS-13 (Commercial Resupply Service pour la Station spatiale internationale) était ainsi la première pour le compte de la NASA avec un premier étage recyclé (qui est revenu se poser en douceur) et une capsule Dragon qui avait elle aussi déjà volé sur une précédente mission. 

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Sommaire de l'article

Introduction

« Pics Or It Didn’t Happen » porte parfaitement bien son nom…

Une « anomalie » quatre minutes après le décollage

L’enquête est en cours, d’autres Electron en production

Après Apollo 13, la NASA a-t-elle sciemment évité le 13 ?

Elle a surtout fait n’importe quoi avec les dénominations

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Commentaires (10)


secouss
Le 06/07/2020 à 11h36

C’est normal la tôle qui fait mine de se détacher à 18:57 ?

Sinon c’est dommage mais la course à l’espace est jalonnée d’echec, la fusée reviendra encore plus fiable :)


KP2
Le 06/07/2020 à 11h47






secouss a écrit :

C’est normal la tôle qui fait mine de se détacher à 18:57 ?

Sinon c’est dommage mais la course à l’espace est jalonnée d’echec, la fusée reviendra encore plus fiable :)



Peut-être un élément de réponse à leur problème ?
Ou alors juste un adhésif sans importance ?



Commentaire_supprime
Le 06/07/2020 à 13h34

Il en ont quand même réussi 11 sur les 13, c’est encourageant.

J’aime bien les noms des missions.


Jonathan Livingston Abonné
Le 06/07/2020 à 13h43






Commentaire_supprime a écrit :

J’aime bien les noms des missions.



Surtout pour celle-ci, ça tombe bien… <img data-src=" />



js2082
Le 06/07/2020 à 13h54

Quand on voit les images, on constate que l’arrêt de la vidéo coïncide avec le ralentissement de l’accélération de la fusée puis de sa diminution.

Cela n’est pas anodin et limite les problèmes possibles.

Je parierai sur une collision avec un petit débris spatial (mais ça serait vraiment pas de bol)


js2082
Le 06/07/2020 à 13h55






Jonathan Livingston a écrit :

Surtout pour celle-ci, ça tombe bien… <img data-src=" />


Sans doute un message caché pour certaines personnes du personnel…<img data-src=" />



vizir67 Abonné
Le 06/07/2020 à 15h06


Je parierai sur une collision avec un petit débris spatial…

c’est, aussi, mon avis !
(surtout à ces vitesses, il suffit ’d’un rien’, et ‘hop’) <img data-src=" />


tazvld Abonné
Le 06/07/2020 à 15h22

Genre un satellite faisant partie d’une constellation pour un réseau téléphonique ? <img data-src=" />


SrBelial
Le 07/07/2020 à 06h48

c’est la faute de Starlink …


Idiogène
Le 08/07/2020 à 12h44

Ce serait trop beau. Et pour ce type de moustique, le Raid permet de faire des trous dans la couche d’ozone. La gravité fait le reste.

Comment ? Houston me signale qu’on parle de plaques minéralogiques en orbite. Le décalage vers le rouge indique une Tesla. <img data-src=" />