Rachat du Washington Post par Bezos, le Web prend le pouvoir
Parce qu'il le peut, le veut (et le doit ?)
Le 10 août 2013 à 09h11
7 min
Économie
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L'une des actualités majeures de la semaine est sans aucun doute le rachat du Washington Post par Jeff Bezos, le patron d'Amazon. Réalisée à titre personnel (et non pour le compte d'Amazon), cette acquisition soulève de nombreuses questions, notamment sur le devenir des journalistes du Post ou encore sa ligne éditoriale. Cela démontre surtout que le pouvoir est en train de changer de main.
Jeff Bezos, le patron d'Amazon, pas peu fier d'avoir racheté le Washington Post.
Le quatrième pouvoir
Derrière la presse, il est coutume de parler de pouvoir. Après tout, l'expression « quatrième pouvoir » désigne bien les médias, derrière les trois grands pouvoirs que sont l'exécutif, le législatif et le judiciaire. Dans un passé plus ou moins récent, des personnalités politiques ont perdu des élections ou ont été forcées de démissionner du fait de scoops révélés par la presse, ceci dans de nombreux pays dans le monde. Aujourd'hui, l'influence des médias sur la population est encore forte, en particulier la télévision. Cependant, avec l'explosion d'internet, ce pouvoir s'étiole ou tout du moins change de forme.
Mais derrière la presse, se cachent aussi de grands groupes voire de riches personnalités. Les médias totalement indépendants sont rares et ce n'est pas une nouveauté. Et ceux n'appartenant pas à un groupe sont (sauf exception) dépendants de la publicité et le sont donc interdirectement des grandes sociétés qui disposent des budgets marketing destinés à la presse. De tout temps, du fait d'un équilibre financier difficile à tenir, les journaux passent de main en main, tels des jouets pour leurs propriétaires.
Si l'on se contente de la presse française, il est bon de rappeler qu'un grand nombre de journaux et hebdomadaires appartient à des personnalités ou des groupes ayant des intérêts politiques et économiques majeurs :
- Les Échos : Bernard Arnault (LVMH)
- Libération : Édouard de Rothschild, Pierre Bergé, BHL, Henri Seydoux et Pathé
- Le Figaro : Serge Dassault (Socpresse)
- Le Point : François Pinault (Kering/Pinault-Printemps-Redoute)
- Le Parisien : Groupe Amaury (L'Equipe, Tour de France, Dakar, etc.)
- Le Monde : Xavier Niel, Pierre Bergé et Matthieu Pigasse
Bien entendu, toute la presse française n'appartient pas à des personnalités ou à des groupes. Sipa-Ouest-France est ainsi la propriété d'une association loi de 1901, et Le Canard enchaîné, Charlie Hebdo et Mediapart appartiennent essentiellement à leurs journalistes et vivent quasi exclusivement de leurs ventes, et sans aucune publicité qui plus est. Cela ne signifie toutefois pas que ces médias n'ont pas d'orientation politique, bien au contraire. Mais aucun propriétaire extérieur à la rédaction n'a (a priori) d'influence sur les articles.
Reste que les six journaux cités plus haut sont des acteurs majeurs de la presse. Et nous n'avons même pas abordé la télévision et les radios, qui, hors service public, ont aussi des propriétaires souvent riches et puissants. Néanmoins, si les mondes du luxe et des banques tiennent encore de nombreux médias, tout le monde aura remarqué la présence de Xavier Niel, le patron de Free, parmi les propriétaires du Monde.
Racheté il y a trois ans par Xavier Niel (Free), Pierre Bergé (Yves Saint-Laurent) et Matthieu Pigasse (banque Lazard), Le Monde illustre parfaitement le changement de pouvoir qui s'opère au sein des propriétaires. D'un côté, les secteurs du luxe et des affaires sont toujours présents, mais la présence de Niel amène du nouveau dans un monde fermé, pour ne pas dire consanguin. Et la présence de Xavier Niel dans les médias ne s'arrête pas au Monde. Il est ainsi un actionnaire direct ou indirect (mais très minoritaire) de Mediapart, Bakchich, Electron Libre, Causeur, Atlantico, etc. Et à ce jeu-là, le patron de Free n'est pas le seul. Marc Simoncini, le fondateur de Meetic, a aussi quelques billes au sein de plusieurs médias sur internet.
Business Insider, Washington Post : Bezos se place
De l'autre côté de l'atlantique, la logique est similaire, avec une percée des entrepreneurs issus du web. Si le rachat du Washington Post par Jeff Bezos a fait couler beaucoup d'encre ces derniers jours, un autre investissement aurait pourtant dû être relayé plus amplement par la presse : celui de Business Insider. Spécialisé dans les actualités économiques, le site internet américain fondé il y a quatre ans a ainsi annoncé en avril dernier l'arrivée de Bezos parmi ses investisseurs. Cet investissement a été réalisé par l'intermédiaire de Bezos Expeditions, sa société d'investissements qui s'est illustrée en entrant dans le capital de jeunes pousses web notables comme Twitter ou encore Airbnb, ou, hors web, la fameuse Blue Origin, spécialisée dans les vols spatiaux. Si Bezos ne détient pas l'intégralité de Business Insider, le milliardaire impose néanmoins déjà sa présence dans ce milieu. Une présence renforcée avec l'acquisition du Washington Post donc.
Néanmoins, pour le moment, Bezos reste une anomalie, si l'on excepte le rachat l'an passé de The New Republic par Chris Hughes, co-fondateur de Facebook. Les autres milliardaires issus du web n'ont pas (encore ?) investi dans la presse. Sergey Brin et Larry Page (Google) préfèrent investir dans l'énergie verte. Mark Zuckerberg (Facebook) mise sur l'éducation (et la politique). Pierre Omidyar (eBay), le franco-irano-américain investit dans des start-ups et diverses associations. Jack Dorsey (Twitter et Square) accompagne de très nombreuses jeunes pousses, dont Foursquare, Instagram et Flipboard. Il en est de même pour Reid Hoffman (LinkedIn) qui a notamment misé sur Facebook et Zynga à leurs débuts. Jerry Yang et David Filo (Yahoo!) ont pour leur part dépensé une partie de leur fortune dans des associations.
Bezos est donc le premier acteur du Web à rentrer réellement de plain-pied dans les médias, profitant du désintérêt croissant des grandes familles historiques pour la presse américaine. Il est néanmoins plus âgé que la plupart des fondateurs cités ci-dessus, et surtout, il est présent sur la toile depuis une quinzaine d'années, soit bien plus que les autres entrepreneurs (hormis les fondateurs de Yahoo! et d'eBay). Dans quelques années, il pourrait donc être copié par certains d'entre eux. Qui plus est, ajoutons qu'il est bien possible qu'en tant que patron d'Amazon, il ait un intérêt direct à investir dans la presse. Après tout, sa société développe constamment des contenus exclusifs pour alimenter ses Kindle vendues à prix cassés. Sachant que certains estiment que les tablettes tactiles sont le futur (et sauveur) de la presse, on peut aisément imaginer que le Washington Post sera particulièrement mis en avant dans les produits d'Amazon voire sur son site internet. Bien entendu, Amazon pourrait aussi utiliser le Post pour faire passer certaines de ses idées politiques, notamment vis-à-vis des impôts et des taxes. Le quotidien est en effet de loin le mieux placé pour influencer la classe politique américaine. Mais peut-être avons-nous de mauvaises pensées.
Reste que pour bien du monde outre-Atlantique, le rachat du Washington Post était impensable. Désormais, tous les regards sont tournés vers le New York Times. Sera-t-il le prochain sur la liste ?
Rachat du Washington Post par Bezos, le Web prend le pouvoir
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Le quatrième pouvoir
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Business Insider, Washington Post : Bezos se place
Commentaires (32)
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Abonnez-vousLe 10/08/2013 à 15h53
Le 10/08/2013 à 16h24
Le 10/08/2013 à 16h32
Le 10/08/2013 à 16h39
Le 10/08/2013 à 16h49
Le 10/08/2013 à 17h16
Le 10/08/2013 à 17h49
En effet, ne pas confondre neutralité (qui n’existe pas) et indépendance.
Lorsque la première est mise en avant, c’est d’ailleurs bien souvent le signe que la seconde est malmenée…
Le 10/08/2013 à 18h28
Le 10/08/2013 à 20h16
Le 10/08/2013 à 20h16
La chatte
a quat’
papattes.
(double post)..
Le 10/08/2013 à 20h39
Le 10/08/2013 à 21h20
Le 10/08/2013 à 21h52
Le 10/08/2013 à 22h23
Le 11/08/2013 à 15h12
le Web prend le pouvoir
Mais non, mais non, le pouvoir restera toujours entre les mains des Illuminati " />
Le 11/08/2013 à 16h18
Ca m’étonne que personne n’ait encore parlé du cas Berlusconi qui possède un empire médiatique impressionnant et où la dérive est clairement visible.
Malheureusement il semble que la presse indépendante soit bien mal en point " /> (pour peu qu’on considère qu’elle existe encore)
Le 10/08/2013 à 09h39
Je me souviens de mon prof : “Vous verrez, dans 10 ans toute la presse appartiendra aux riches” il avait pas tort le bougre
Le 10/08/2013 à 09h44
Il se sont fait Besoz
Okay je sors de suite…
Mais je souligne au passage pour garantir la liberté éditoriale les bienfaits d’une rédaction indépendante, abonnez vous les gens.
Le 10/08/2013 à 09h48
Pourtant PCi n’est pas prêt de racheter Les Echos " />
Plus sérieusement, mais qu’est ce que c’est que cette fausse naïveté ?
Les groupes de presse papier vont mal, et il faut de toute façon des capitaux pour les faire tourner, qu’y-a-t-il de mal à ce qu’ils appartiennent à des hommes riches voire engagés à partir du moment où c’est connu ?
Ici, j’ai cru lire que si l’on voulait des news neutres, plates, il fallait lire des dépêches AFP. Pourquoi ce double discours ?
Ca me gave tout autant de lire une n-ième news anti-hadopi ou Pro Free ici qu’une news défendant les intérêts d’un homme d’affaires dans un quotidien.
L’arme redoutable pour éviter la manipulation : le cerveau.
Le 10/08/2013 à 10h11
Le 10/08/2013 à 10h54
On avait déjà vu ça avec Time Warner et AOL.
Le 10/08/2013 à 11h33
Le 10/08/2013 à 11h56
Moi je dis que ce sont des mécènes, des bénévoles prêts à assumer les coûts pour permettre aux journalistes de continuer à écrire des articles " />
Oh wait..
Bref, faut être naïf pour croire que ce n’est pas le pouvoir et le contrôle de l’information qui sont recherchés " />
Le 10/08/2013 à 12h01
Le 10/08/2013 à 12h04
Rien de neuf sous le soleil.
A l’époque, AOL ou Bill gates avaient bien aussi investie dans le média papiers.
Mais bizarrement personne ne hurle quand ce sont de gros groupes qui rachètent ou controlent un ensemble de titres comme Bertelsmann, Bolloré, Vivendi, etc…
Le 10/08/2013 à 12h06
Le 10/08/2013 à 12h22
Tient on dévie déja du sujet " />
Ne confondons pas la liberté et l’indépendance avec la qualité de l’information.
Et déja cette information de nos jours, il faut bien souvent aller la chercher nous même. Exemple : la crise tchèque ou autres bien souvent on doit aller chercher sur des sites de journaux étrangers voir américains alors que ça se passe en Europe.
Je pense qu’une bonne partie d’entre vous ont lu cette lettre mais elle illustre aussi la condition actuelle des journalistes et de leurs rédactions :
http://bibliobs.nouvelobs.com/documents/20130731.OBS1691/lettre-d-une-pigiste-perdue-dans-l-enfer-syrien.html
Le 10/08/2013 à 12h23
le Web prend le pouvoir
2031: élection de Larry Page a à la présidence des USA. Suppression de toutes les taxations sur les sociétés (et suppression de la moitié des services publics dans la foulée faute de budget), suppression des lois sur la vie privée, interdiction pour l’Etat de collecter des données sur les individus (ce privilège étant réservé aux sociétés privées), promulgation dans la foulée de la loi sur les polices privées, désormais seules à même de faire ce boulot.
Le 10/08/2013 à 12h24
Le 10/08/2013 à 14h27
Le 10/08/2013 à 14h55
Le 11/08/2013 à 23h04