Droit à l’oubli : les acteurs du web 2.0 dégomment la consultation de la CNIL
Et la révèlent
Le 30 septembre 2013 à 08h15
7 min
Droit
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La consultation de la CNIL sur le droit à l’oubli va marquer les mémoires. L’Association des services internet communautaires (ASIC), qui réunit dans ses rangs Google, Facebook, Microsoft, Deezer, eBay ou Wikipédia, vient de rendre publique sa réponse, tout en dévoilant ce document (PDF) que la gardienne des données personnelles souhaitait garder secret.
Cet été, la Commission nationale de l'informatique et des libertés (CNIL) a lancé une consultation auprès d’une série d’acteurs, dans laquelle elle proposait plusieurs pistes pour rendre effectif le droit à l’oubli. Ce futur droit est l’un de ceux qui devraient être reconnus par le projet de règlement européen sur les données personnelles. Ce texte en gestation à Bruxelles prévoit une législation unique à toute l’Union européenne. Comme exposé lors de notre émission « 14h42 », montée en collaboration avec Arrêt sur Images, la CNIL cherche l’équilibre parfait pour faire coexister le droit à l’oubli avec d’autres libertés comme la liberté de la presse.
Autre chose : la gardienne des données personnelles compte bien coupler le droit au déréférencement et à l’effacement des caches des moteurs. Comme nous l’a expliqué Édouard Geffray, secrétaire général de la CNIL, ces futurs droits - s’ils sont finalement reconnus, s’appliqueront même à des acteurs non européens dès lors que la donnée personnelle d’un Européen, sera en cause. Voilà pour le cadre.
Déficit de transparence
C’est peu de le dire, les Microsoft, Facebook, Google et autres eBay ou Dailymotion ont mal pris cette idée. Dans sa réponse, l’ASIC, qui représente ces acteurs du web, regrette le déficit de transparence de cette consultation. Lancée en plein mois d’août, elle n’a été transmise qu’à une poignée d’acteurs alors qu’une démarche publique aurait selon elle « permis à l’ensemble des associations, entreprises, startups ou entrepreneurs concernés par ses propositions de faire part de leurs préoccupations. »
D'autre part, Édouard Geffray avait soutenu dans le 14h42 recevoir un millier de demandes relatives au droit à l'oubli chaque année. Calculatrice en main, « ce premier élément étonne les membres de l’ASIC qui, tous réunis, ont reçu très peu (moins d’une cinquantaine, tous membres confondus) de demandes de la CNIL pourtant, semble-t-il, saisie par de nombreux particuliers ».
Droit d’opposition
Outre la manière et les chiffres, les acteurs du web 2.0 mettent également en cause l’utilité de la démarche. Comme encore exposé dans le 14h42, la loi Informatique et Libertés prévoit déjà un droit à l’oubli, sous la houlette du droit d’opposition inscrit à l’article 38 du texte. La CNIL explique même par A+B comment mettre en œuvre ce texte à l’encontre des moteurs et des prestataires de cache (voir ici). Si l’Asic applaudit ce droit d’opposition, elle estime qu'il « est important que cet exercice se fasse dans un cadre permettant à la fois d’assurer son effectivité et de respecter la liberté d’expression et notamment celle de recevoir et émettre des informations. »
L’origine de la donnée personnelle : son propriétaire ou un tiers
Dans le détail, l’association regrette qu’aucune distinction n’ait lieu entre les données publiées par des tiers et celles publiées par la personne elle-même. Dans ce dernier cas, « seul lui peut décider ce qu’il doit advenir des données dont il est à l’origine. Si l’utilisateur ne souhaite plus qu’un contenu dont il est à l’origine soit disponible, il lui reviendra de procéder à sa suppression à partir des outils qui lui sont offerts. Il pourra, de même, s’adresser à un moteur de recherche pour qu’il procède à une réindexation du contenu et non à sa désindexation. »
Pour les données mises en ligne par des tiers, tout ne peut être fait. En particulier, ce droit à l’oubli doit être « équilibré par le principe du “motif légitime” » considère l’ASIC. « Seul un motif légitime est susceptible de trouver l’équilibre nécessaire entre le respect des droits de la personne et le respect des droits des tiers ou de libertés fondamentales ». Appliqué trop largement, ce principe risque en effet de « créer un phénomène de déresponsabilisation qui serait préjudiciable à tous ». L’idée rejoint là celle exposée par le psychanalyste Serge Tisseron dans Libération.
Droit à l’oubli, liberté d’expression et liberté d’information
Mais c’est surtout sur la conciliation du droit à l’oubli avec les autres libertés que l’Asic se montre la plus attentive. Les acteurs du web estiment ainsi qu’il ne faudrait pas que ce droit à l’oubli vienne à contre-courant de la liberté d’expression déjà encadrée par l’action en diffamation ou le droit de réponse. « Si des propos non diffamatoires sont tenus sur internet, expliquent ces acteurs, le droit à l’oubli ne doit pas être utilisé pour en obtenir le retrait. »
Au regard du droit de la presse, la CNIL envisage surtout la piste de la désindexation, de l’anonymisation voire du basculement de l’article dans une zone « abonnement ». Là encore, copie à revoir pour l’Asic qui préfèrerait que soit engagée une concertation « avec les acteurs de la presse en ligne afin d’identifier les manières de concilier » ces deux droits. Dans la même idée, la CNIL serait mieux inspirée de lancer « une grande action de sensibilisation des internautes sur la manière dont ces derniers sont en mesure de gérer et de contrôler la diffusion des informations qu’ils décident de publier sur le Net. »
Droit à l’oubli et intermédiaires techniques
Dans la logique de la CNIL, la personne propriétaire de la donnée devrait pouvoir en exiger le retrait d’un site et la désindexation dans les moteurs. L’Asic juge là encore cette obligation périlleuse. « Un hébergeur est incapable d’estimer si la personne qui le contacte est bien la personne visée dans le contenu qu’il héberge. Il lui sera incapable de gérer les cas des personnes qui seraient gênées par des contenus se rapportant à un de leurs homonymes. »
Autre chose, « un hébergeur retire un contenu. Il ne retire pas un ou plusieurs éléments contenus dans une page. Ainsi, si un site internet contient un article incluant le nom d’une personne (par exemple dans un commentaire, dans une citation, etc.), c’est toute la page qui devra faire l’objet d’une suppression, l’intégralité du contenu et non la donnée nominative incriminée. »
Le spectre du filtrage
À ce jour, l’intermédiaire ne doit retirer le contenu que si celui-ci est manifestement illicite. Or, « en l’espèce, un contenu “visé” par un droit à l’oubli n’est pas “manifestement illicite” au sens de l’interprétation du Conseil constitutionnel ». Le droit à l’oubli viendrait ouvrir en somme une nouvelle brèche dans la responsabilité des intermédiaires. En outre, en pratique, « une telle obligation de suppression reposant sur l’hébergeur imposera à cet intermédiaire de conserver en “mémoire” l’ensemble des contenus qu’il est tenu “d’oublier”. Une telle base de données est, en elle-même, fortement problématique et pourrait avoir des conséquences irréparables en cas de faille informatique ». Pour l’Asic, seul le juge devrait pouvoir mettre en œuvre ce droit à l’oubli et sûrement pas une autorité administrative, même indépendante.
Autre problème : puisque le droit à l’oubli va s’appliquer dès lors qu’une donnée personnelle européenne est en jeu. Mais que se passerait-il par exemple si Archive.org, mémoire du web, refusait de supprimer la donnée nominative d’un citoyen français ? Cette résistance risque du coup de justifier des mesures de blocages contre les acteurs non coopératifs.
Droit à l’oubli : les acteurs du web 2.0 dégomment la consultation de la CNIL
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Déficit de transparence
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Droit d’opposition
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L’origine de la donnée personnelle : son propriétaire ou un tiers
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Droit à l’oubli, liberté d’expression et liberté d’information
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Droit à l’oubli et intermédiaires techniques
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Le spectre du filtrage
Commentaires (23)
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Abonnez-vousLe 30/09/2013 à 09h04
Cet été, la (…) CNIL a lancé une consultation auprès d’une série d’acteurs
Les mecs, on leur dit “vous êtes les acteurs du web, on reconnaît votre expertise dans le domaine qui nous intéresse aujourd’hui, on aimerait donc avoir votre avis avant de foncer dans le tas” et ils s’insurgent, font les pucelles effarouchées (je trouve pas d’autre image appropriée dans ce cas) et bafouent une demande de discrétion genre “regarde comme je m’essuie bien avec ton torchon”.
Franchement, à mes yeux (je vois peut-être pas tout), la CNIL est une des rares Commissions qui fait un travail (c’est déjà ça) utile (en plus), et qui essaie de répondre concrètement à des problématiques d’actualité tout en essayant d’y impliquer ceux qui sont parties prenantes.
Du coup, en plus de se donner une image pas très respectueuse, j’espère que l’ASiC va se faire rentrer dans le tas et prendre une baffe sur ce sujet qui, pour une fois, consiste à donner des droits aux citoyens.
Le 30/09/2013 à 09h07
Le 30/09/2013 à 09h16
ils ont deja oublier le texte de loi??? " />
Le 30/09/2013 à 09h26
Personnellement j’ai trouvé qu’Édouard Geffray nous avais servi de la langue de bois sur la transparence de la consultation avec bottage en touche et arguments fumeux. #14h42
Le 30/09/2013 à 09h41
Qu’est ce que c’est que cette histoire de droit à l’oubli… Ou comment réécrire l’histoire…
Je réagirait sans doute différemment si suite à une rumeur ou autre sombre hasard, dans Google mon nom était associé à un pédo-nazi…
Mais il me semble qu’il y a déjà un éventail d’outil juridique pour lutter contre ce genre de dérive : diffamation, …
En 1980, le mec qui était cité dans un journal pour accusation de fraude et qui est innocenté, il demande pas qu’on brûle tous les journaux ou son nom apparaissait…
Le problème est à mon avis que les gens jugent trop vite… Y a pas de fumé sans feux ma bonne dame… Allez effacer les traces n’est pas la bonne solution… (selon moi…)
Le 30/09/2013 à 09h53
Le 30/09/2013 à 10h26
B’en si les gars à été innocenté, en théorie, le futur nouveau patron devrait retrouver aussi facilement l’article sur son accusation que celui sur sa relaxe… s’il y en a eu un….
Maintenant si les journalistes s’empressent de couvrir les accusations sans relayer les disculpations, c’est pas internet le problème…
Tout comme le filtrage, modifier ou supprimer des données anciennes peut avoir des effets de bords non négligeable. Qui va surveiller qui change quoi ??
C’est la porte ouverte à tout…
Moi je vois cela comme une nouvelle embuche à l’internet libre…
Le 30/09/2013 à 10h29
Le 30/09/2013 à 10h33
Le 30/09/2013 à 11h11
@Dr_plans: t’es sur qu’on vit dans le même monde ? Les articles accusateurs (à raison ou à tord/mensongers/calomnieux) avec des tonnes de détails, quelques belles photos sont en général beaucoup plus suivis que les articles parus sur une demi ligne indiquant qu’il s’agissait d’une erreur de personne … Ne pas oublier que le simple fait d’être convoqué par la police ou le juge d’instruction fait passer en 2 secondes du status de simple citoyen à criminel infâme , en France notamment ou l’expression pas de fumée sans feu est massivement utilisée. C’est le même principe que ce qui intéresse le plus les gens sont les vidéo ou des gars/filles se cassent la gueule plutôt que celles où on les voit juste dans la rue ne faisant rien … Une bonne accusation remue beaucoup plus les foules.
=> Par le principe même de google et consort, les accusations sortiront qui les 40 première pages pour peu qu’il y ait un peu de rebondissement dans ces affaires pour enfin retrouver l’article qui indiquera l’innocence. C’est sur que le patron de l’entreprise va aller jusque là, sans aucun doute …
Accessoirement, on peut aussi parler des gamins de 10-18 ans (avant j’espère qu’il n’ont pas accès au WEB seul) qui font des conneries en publiant n’importe quoi sur le web (beuverie, nudité, …). Certes ils méritent une bonne fessée, de là à dire qu’ils doivent le payer toute leur vie .. Surtout si, en plus, ce n’est pas la “victime” qui a publié mais un bon ami bien intentionné que ça a surement fait beaucoup rire.
Dans la vie, il n’y a pas que les crimes contre l’humanité et les affaires judiciaires des puissants. Il y a aussi la vie de tous les jours des gens qui ont des petits problèmes qui peuvent bien leur pourrir là vie surtout avec le WEB qui a une mémoire énorme avec capacité de dupliquer les info pour qu’il soit extrêmement difficile de les supprimer. Si en plus, il n’y a rien qui aide pour faire pression sur les hébergeurs …
Le 30/09/2013 à 11h37
Hi,
De toute manière, tout ces groupes se foutent complètement de tout ça, ils sont si puissants que ce sont pratiquement eux qui dirigent le monde, alors …
Si vous voulez que des données vous concernant ne traînent pas sur le net, le seul et unique moyen de l’éviter est de na pas les y mettre, sinon un jour ou l’autre, vous reviendrez pleurer pour qu’on les supprime, ce qui est absolument impossible.
:(
Le 30/09/2013 à 12h19
@Chim > Ben oui, justement… c’est bien ce que je dis… Les journalistes (et les gens) ne veulent que du sensationel… Et force est de constater que d’accuser qqn est plus porteur que de le disculper…
Mais donc le problème n’est pas internet…Le problème c’est les gens et les journaliste qui veulent / font du sensationnel… Je vois pas ce que le droit à l’oubli vient faire là dedans…
Concernant les gens bourrés qui font des conneries, comme déjà dis, il y a plein d’outils juridique disponible : droit à l’image, dénigrement, diffamation, abus de confiance (si c’est un ami qui à poster), …
En plus, cela à un effet négatif sur l’éducation des gens… Ils en avaient déjà RAF mais si en plus l’état providence vient le protéger en instaurant un droit à l’oubli, y vont vraiment plus faire attention à rien…
Et puis de toute façon, comme le dit pinkrose, c’est impossible… Une fois lâché sur le web, il n’y a aucun moyen de contrôler la circulation de l’info…
Donc le droit à l’oubli ira rejoindre les autres lois débiles et inefficaces concernant internet… Et on aura perdu encore un peu de nos libertés…. Car certain pourront effacer les éléments de l’histoire qui les dérangent…
Le 30/09/2013 à 22h10
la CNIL a récompensé la thèse sur le droit a l oubli par son prix de thèse crée a cette occasion. depuis le début , ce droit qui n en est pas un, est une idée vaporeuse tandis que la CNIL n est toujours pas capable se simplement consacrer le principe du consentement , se limitant a un droit d opposition ridicule renvoyant a la question du démarchage au début du marketing.
Que l on se débarrasse de cette AAI qui n a jamais démontré son utilité sinon pour se délivrer a elle même des médailles d autosatisfaction, et que l on consacre le principe de la saisine des juges pour trancher des atteintes au respect des données persos (et pas au au pénal)
Le 01/10/2013 à 00h29
Le 01/10/2013 à 05h30
Ah, Microsoft, ces trolls… Quelle hypocrisie de la part de ceux qui exercent régulièrement leur propre petit droit à la censure. Sans parler de Google qui obtempère à ce genre de demandes.
Moi aussi je peux raisonner comme un clampin : le warez, c’est pas Diffamatoire™, pas besoin de le déréférencer " />
Finalement, le droit à l’oubli ça existe déjà, suffit d’avoir un gros portefeuille et tout devient possible :)
Le 01/10/2013 à 10h18
Le 30/09/2013 à 08h33
Allez… encore une couche de législation en vue dans un mille feuilles déjà complexe… " />
Le 30/09/2013 à 08h44
La CNIL est quand même le moteur de la protection de nos données privées en Europe.
Le 01/10/2013 à 11h14
Le 01/10/2013 à 12h40
Le 01/10/2013 à 13h36
Le 01/10/2013 à 15h17
Le 01/10/2013 à 19h57
mina la thèse récompensée en 2009 (première année du prix) traitait notamment du droit a l oubli et des cette époque la CNIL en a fait son cheval de bataille : droit impossible a invoquer devant un juge judiciaire qui s apparente plus a une liberté qu’un droit, qui au mieux ne donnera rien de concret ( comme l essentiel des actions menées par la CNIL prompte pour se lancer a contre temps et avec des outils inefficaces pour pousser des cris de vierge effarouchée dans son rapport annuel sur le non respect de la lil). donc mon post ne critiquait pas la thèse récompensée, mais bien le génie de cette AAI pour se lancer dans des concept foireux