La CJUE interdit de gonfler la « taxe » copie privée avec les sources illicites
Quels effets en France ?
Le 10 avril 2014 à 10h19
9 min
Droit
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La Cour de justice vient de décider ce matin (PDF) que la redevance pour copie privée ne peut en aucun cas indemniser les copies illicites. L’affaire avait été soulevée aux Pays-Bas, mais cet arrêt vaut pour tous les pays européens. L'occasion de replacer les pratiques menées en France durant des années sur cette « taxe » (terme impropre, puisqu'il s'agit d'une indemnisation).
Lorsqu’ils déterminent les taux de ponction, les ayants droit effectuent des études d’usages afin d’évaluer les pratiques. Plus elles sont importantes, plus les taux et donc les fruits de la redevance grimpent en flèche.
Des importateurs et fabricants (ACI Adam e.a.) avaient attaqué deux organisations d’ayants droit (la Stichting de Thuiskopie et la SONT) devant la justice hollandaise. Ils faisaient valoir que les montants de copie privée que celles-ci fixent ne peuvent en aucun cas venir combler les dommages résultant des copies de source illégale. En clair, les études d’usages doivent ignorer les copies illicites.
Pourquoi un tel débat ? Simple : l’article 5, paragraphe 2, sous b), de la directive 2001/29, qui fonde la redevance pour copie privée en Europe, ne fait aucune distinction suivant la source des reproductions. Peut-on du coup, comme le soutient une partie des ayants droit, compenser le piratage par la redevance pour copie privée ?
La copie privée ne répare pas les copies illicites
La Stichting de Thuiskopie tout comme les gouvernements néerlandais et autrichien ont fait valoir devant la CJUE que cette disposition serait, faute de mieux, le seul moyen de réparer le préjudice subi par les titulaires de droits.
Mais pour l’avocat général, c’est niet : « l’exception de copie privée n’a pas été instituée dans un tel objectif et il est exclu qu’elle puisse l’être, sauf à remettre en cause les fondements mêmes sur lesquels elle repose. » Il faut dire qu’en Hollande, existe une tolérance sur le téléchargement descendant (downloading) alors que son droit ne réprime que la mise en ligne («uploading» ou téléchargement ascendant).
L’analyse a été suivie aujourd’hui par la Cour de Luxembourg : on ne mélange pas copie privée et source illicite, il n’est pas possible « pour les États membres d’élargir la portée de telles exceptions ou limitations ». La Cour insiste : elle ne peut accepter de législation qui mélange ainsi les torchons et les serviettes. « Admettre que de telles reproductions puissent être réalisées à partir d’une source illicite encouragerait la circulation des œuvres contrefaites ou piratées, diminuant ainsi nécessairement le volume des ventes ou d’autres transactions légales relatives aux œuvres protégées, de sorte qu’il serait porté atteinte à l’exploitation normale de celles-ci ». Ainsi, en butinant de la redevance calculée à partir de sources illicites, les ayants droit ont encouragé par la même occasion le téléchargement illicite. Ce qui n'est pas très beau.
Pire : « si les États membres disposaient de la faculté d’adopter ou non une législation qui permet que des reproductions pour un usage privé soient également réalisées à partir d’une source illicite, il en résulterait, de toute évidence, une atteinte au bon fonctionnement du marché intérieur ».Ce qui est très sale.
Les ayants droit faisaient valoir qu’il n’existe aucune mesure technique applicable pour combattre la réalisation de copies privées illicites. Mais l’argument ne pèse rien pour la CJUE : il « n’est pas de nature à remettre en cause cette constatation ». Bref, si les ayants droit veulent agir contre les copies illicites, ils n’ont qu’à le faire devant les juges, avec leurs deniers, mais sûrement pas en maximisant les entrées d’argent au titre de la copie privée, les mains dans les poches.
Des consommateurs qui payent trop
Mais que se passe-t-il si on mélange copie privée et source illicite ? La réponse de la CJUE est éclairante : tous ceux qui achètent des équipements, appareils ou supports sont « indirectement pénalisés » puisqu’ils contribueraient « nécessairement à la compensation pour le préjudice causé par des reproductions pour un usage privé à partir d’une source illicite qui ne sont pas autorisées par la directive 2001/29 et sont ainsi conduits à assumer un coût supplémentaire non négligeable pour pouvoir réaliser les copies privées couvertes par l’exception prévue par son article 5, paragraphe 2, sous b). »
Décodons : quand les ayants droit compensent par la copie privée les copies de sources illicites, cela augmente mécaniquement les prix des supports et équipements à mémoires vierges. C’est donc finalement la communauté des consommateurs qui est appelée à dédommager les ayants droit pour des copies interdites effectuées par quelques-uns.
Au passage, la CJUE pose aussi que « les États membres qui décident d’instaurer l’exception de copie privée dans leur droit interne sont tenus de prévoir le versement d’une «compensation équitable» au bénéfice des titulaires des droits ». En résumé, pas de copie privée licite, si pas de redevance. Pas de redevance, si pas de copie privée licite.
Quels effets en France ?
La loi du 20 décembre 2011 sur la copie privée a expressément indiqué que seules les copies privées de sources licites devaient être compensées par cette redevance. En pratique cela signifie que dans les études d’usages que payent les ayants droit, ceux-ci ne peuvent sonder que les pratiques des bons consommateurs, non celles des vils pirates. La décision de la CJUE ne change donc rien au cas français.
Avec un bémol cependant.
Depuis la nuit des temps et jusqu’à décembre 2008, les ayants droit français tenaient effectivement comptes des sources illicites pour faire grimper les perceptions de la copie privée. Leurs études d’usage ne faisaient ainsi pas de discriminations entre copies illicites et copies licites. À titre d’aveu, il faut relire les comptes rendus du 16 janvier 2007 de la Commission copie privée, et spécialement les propos de la SACEM qui évoquait cette confortable situation.
Alors que seuls 3% des capacités de l’iPod étaient utilisées pour des copies licites, c’est finalement la majorité du disque dur de ce lecteur qui était frappé. La faute à ces satanées copies illicites : « pour les iPod (…)on sait très bien que moins de 3 % des contenus qui y sont copiés provient d’une source licite. Nous n’aurions évidemment pas fixé les rémunérations telles que celles que nous avons fixées si on avait exclu ce qui est copié sur les iPod en provenance du Peer to Peer ».
Et citons encore cet extrait, du même jour :
Ce n’est qu’après un grondement du Conseil d’État du 11 juillet 2008 que les pendules commencèrent à être remises à l’heure (voir à ce titre la note de l’avocat Cyril Chabert).
Cependant, l’opération consacrée par la loi de 2011 s’est faite sur un coin de table : les ayants droit ont certes gommé les sources illicites des études d’usage, mais ils tiennent désormais compte du critère de la compression (plus on compresse, plus on « copieprive » des données). Et comme par magie, ce remplacement des deux variables a généré des taux de perception… inchangés (les explications de la SACEM). Une mesure qui traduit à elle seule du sérieux de ces travaux.
Les regrets de la Quadrature du net
On indiquera au passage que la Quadrature du net avait regretté le découplage entre copie privée et source illicite imposé finalement par la loi de 2011.
Et pour cause, le critère de la licéité de la source va imposer en pratique à ce que « chacun, pour faire une copie en vue d'un usage privé, se livre à une analyse juridique basée sur des éléments la plupart du temps impossibles à déterminer. La source utilisée pour réaliser l'acte de copie privée était-elle licite ? S'il s'agit d'une diffusion sur Internet, qui l'a mise en ligne ? Cette personne avait-elle une autorisation de l'auteur ? etc. Autant de questions qui n'auront jamais de réponse en pratique, et qui rendront par défaut la copie illicite ».
Et Jérémie Zimmermann de dénoncer qu’« au nom de la rémunération pour copie privée, on veut nous priver de copie ! Une telle négation des droits du public est cohérente avec la politique menée au cours de ces dernières années pour transformer le droit d'auteur en un droit de répression des pratiques culturelles, à la solde des lobbies industriels. »
Quid des prélèvements effectués en trop ?
Qu'on partage ou non l'analyse de la Quadrature, plusieurs questions restent en souffrance dans les pays qui ont mélangé ainsi copie privée et sources illicites : est-ce que les ayants droit rembourseront les sommes prélevées en trop, car appuyées pendant des années sur des sources illicites ? À qui rembourseront-ils ?
Plus grave : est-ce que le fait de prélever des sommes à partir d’une source que l'on sait illicite est ou non un recel, pénalement sanctionné ? Dans le passé un avocat nous citait cet exemple imagé : « imaginons un salon de massage qui fait des prestations annexes de prostitution et qui voit sa rue barrée et sa clientèle désaffectée. Il fait un recours administratif et demande l’indemnisation d’un revenu licite – les massages – et celui consécutif à la perte de clientèle pour les activités de prostitution organisée. Seul le préjudice licite est indemnisable ! »
La CJUE interdit de gonfler la « taxe » copie privée avec les sources illicites
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La copie privée ne répare pas les copies illicites
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Des consommateurs qui payent trop
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Quels effets en France ?
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Les regrets de la Quadrature du net
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Quid des prélèvements effectués en trop ?
Commentaires (49)
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Abonnez-vousLe 10/04/2014 à 10h38
Et si l’on suit le raisonnement de la SACEM, alors la copie privée ne devrait pas représenter plus de 3% de prélèvement, chapeau ! " />
Le 10/04/2014 à 10h43
C’est vrai qu’il y a un truc bizarre à propos des contenus dématérialisés:
quand on télécharge un morceau sur un magasin en ligne, c’est considéré comme un copie qu’il faut compenser alors même qu’on ne «possède» pas d’«original» ?" />
Le 10/04/2014 à 10h47
Le 10/04/2014 à 10h47
Non puisse que lorsque tu achètes sur iTunes par exemple, tu peux déjà avoir un fichier compressé en comparaison du CD. C’est double peine pour tout le monde.
Le 10/04/2014 à 10h50
Le 10/04/2014 à 12h52
Le niveau de la compensation équitable doit prendre en compte le degré d’utilisation des mesures techniques de protection prévues à la présente directive.
Doit-on comprendre qu’une œuvre DRMisée ne doit bénéficier d’aucune compensation financière au titre de la redevance pour la copie privée ?
Le 10/04/2014 à 13h00
Le 10/04/2014 à 13h01
Plus grave : est-ce que le fait de prélever des sommes à partir d’une source que l’on sait illicite est ou non un recel, pénalement sanctionné ?
Marc, ta fausse candeur ne prends pas, tu sais bien que le code penal est dinterpretation stricte et qu’il dispose de la maniere suivante :
Article 321-1
Le recel est le fait de dissimuler, de détenir ou de transmettre une chose, ou de faire office d’intermédiaire afin de la transmettre, en sachant que cette chose provient d’un crime ou d’un délit.
Constitue également un recel le fait, en connaissance de cause, de bénéficier, par tout moyen, du produit d’un crime ou d’un délit.
Le recel est puni de cinq ans d’emprisonnement et de 375000 euros d’amende.
Il n’y a donc la aucune question a poser, c’est bien du recel selon la loi francaise, point final.
Le 10/04/2014 à 13h05
Le 10/04/2014 à 13h13
Si je comprends bien, on paie un “droit de lecture” quand on achète un MP3, ce qui ne nous autorise donc pas à dupliquer/reproduire ce que l’on écoute.
Sachant que l’être humain possède, en général, un cerveau et quelques neurones, je pense qu’il est capable de retenir et reproduire ledit MP3.
Il devrait donc être interdit de chanter sous la douche.
Ou alors, Il devraient nous proposer des forfaits pour utiliser notre ouïe, de même que notre vue. Comme ça pas de problème de copie privée " />
Enfin bref, dans quelques années de toute façon :
YouTube
Le 10/04/2014 à 13h35
" /> CJUE président !
Le 10/04/2014 à 13h53
Le 10/04/2014 à 14h28
Le 10/04/2014 à 14h32
Le 10/04/2014 à 14h39
Le 10/04/2014 à 15h04
Le 10/04/2014 à 16h52
Le 10/04/2014 à 10h53
Le 10/04/2014 à 10h58
Le 10/04/2014 à 11h03
bon, il existe une procédure de remboursement pour les professionnels qui déclarent ne pas faire de copies. Réclamons une procédure de remboursement pour ceux qui déclarent ne faire que des copies illicites " />
Le 10/04/2014 à 11h05
Mais c’est sans compter la magie de la compression ! Tu sais avec la technomagie, tu peux passer plusieurs fois ton fichier dans le même algo de compression pour plus comprimer. Tu t’imagines pas, un jour, on arrivera à stocker 1 CD sans perte dans 1byte
Le 10/04/2014 à 11h06
Le 10/04/2014 à 11h08
réduire le montant de la taxe pour copie privée pour augmenter le pouvoir d’achat des ménages Français dans le secteur du numérique
" />
Le 10/04/2014 à 11h10
Reste que si l’on écoute de la musique libre, on paie toujours une redevance pour copier des contenus libres…
La redevance copie privée devrait se greffer sur les achats culturels. Non sur les supports vierges.
« imaginons un salon de massage qui fait des prestations annexes de prostitution et qui voit sa rue barrée et sa clientèle désaffectée. Il fait un recours administratif et demande l’indemnisation d’un revenu licite – les massages – et celui consécutif à la perte de clientèle pour les activités de prostitution organisée. Seul le préjudice licite est indemnisable ! »
Il aurait du dire “activités de prostitution organisée de mineurs”, cela aurait été délectable de leur opposer un argumentaire syntaxiquement identique à ceux dont les partisans du Minitel nous abreuvent.
Le 10/04/2014 à 11h17
Moi avant la taxe pour copie privée, j’achetais des albums…
Le 10/04/2014 à 11h22
Le 10/04/2014 à 11h25
Le 10/04/2014 à 11h29
Le 10/04/2014 à 11h34
De tout efaçon tout le système est une aberration, si on achete un morceau, en quoi on devrait indemniser qui que ce soit si on veux l’écouter avec n’importe quel appareil.
De toute facon j’ai pas un morceau ni un film qui traine dans l’ensemble de mes DD (peut être 3 terra en tout). Et je ne suis pas prêt a racheter le moindre support de stockage en France.
Le 10/04/2014 à 11h41
Le 10/04/2014 à 11h45
De toute facon, un telle decision n’aura aucun impact en France puis la commission copie privee defini le montant que les majors doivent percevoir AVANT de faire les taux. Autrement dit, ils ne definissent pas un taux multiplié par une quantité pour obtenir un montant, ils font l’inverse.
Et comme y’a pas de garde fous, de controle ou de recours possible, les mecs font ce qu’ils veulent au final.
C’est vraiment enervant…
Le 10/04/2014 à 11h45
Le 10/04/2014 à 11h51
J’ai la vague impression que le tau x de compression des Mp3 pris pour les stats va encore bouger … " />
Le 10/04/2014 à 11h53
Le 10/04/2014 à 11h55
Le 10/04/2014 à 11h58
Le 10/04/2014 à 11h59
Le 10/04/2014 à 12h02
Il y aurait quand même un problème à votre proposition d’inclure le coût de la copie privée au support CD/DVD/… c’est l’augmentation du prix des produits culturels qui est déjà mis en avant comme l’une des raisons du piratage. En gros, ce serait une raison supplémentaire pour pirater au lieu d’acquérir légalement les œuvres en faire payer plus ceux qui achètent ces œuvres même s’ils n’utilisent pas leurs droits à la copies licites.
Pour compenser … je propose une répression impitoyable de toutes les copies illicites allant jusqu’à la pendaison en entrée de ville et le stockage des corps pour nourrir les corbeaux, le pal, l’écartèlement à l’aide de chevaux de labour " />
On pourrait même mettre en place des paris pour savoir quel membre va céder le premier et reversement des gain, à quelle heure/date le corps va choir suite à la pourriture du corps … " />
Désolé, je suis d’humeur joyeuse …. " />
ps: désolé, j’ai un little problem avec mes smiley
Le 10/04/2014 à 12h06
Le 10/04/2014 à 12h10
Le 10/04/2014 à 12h14
Le 10/04/2014 à 12h15
La CJUE interdit de gonfler la « taxe » copie privée avec les sources illicites
Il me semble que c’est déjà illégal en France…
Le 10/04/2014 à 12h20
" /> jour de fete la redevance va baisser de ~97% en France!
Le 10/04/2014 à 12h26
Le 10/04/2014 à 12h27
Le 10/04/2014 à 12h30
Le 10/04/2014 à 12h38
Le 10/04/2014 à 12h40
Le 10/04/2014 à 12h44