Le régulateur des télécoms veut revenir dans les débats sur le numérique. Les sujets sont nombreux : concurrence, neutralité du Net ou encore tarifs du cuivre sont au cœur des préoccupations de l’ARCEP. L'autorité veut prendre de l’importance aux niveaux français et européen.
Alors que son président vient de changer (voir notre analyse), l'ARCEP va être confronté à de nombreux défis au cours des prochains mois. Les dossiers s’accumulent sur les réseaux français, entre la vente des fréquences 700 MHz, le déploiement du très haut débit, la neutralité du Net (voire des plateformes) ou encore les télécoms d’entreprise. Pour y faire face, le régulateur compte reprendre pied dans le débat public.
Car en dehors du marché des télécoms, l’Autorité n’est plus aussi écoutée qu’avant par l’État. Les lourdes critiques portées contre l’institution par le gouvernement précédent, en 2013, n’ont pas réchauffé les relations. Dans une tribune au vitriol et un rapport interne du ministère de l’Économie, celui-ci attaquait l’indépendance de l’ARCEP, qui n’aurait pas assez écouté le gouvernement (et les opérateurs en place) lors de l’attribution de la quatrième licence mobile à Free Mobile.
Mieux contribuer au débat public
Même en dehors de ces considérations, le gouvernement actuel et le parlement ne solliciteraient plus assez le régulateur, selon nos informations. Cela en partie à cause (ou grâce) aux résultats de Free Mobile, qui a chamboulé le marché et atténué le problème de la (non) concurrence, la principale attribution du gendarme des télécoms. Cette problématique pourrait être réglée avec l’arrivée depuis janvier d’un nouveau président, Sébastien Soriano, ancien de l’ARCEP, de l’Autorité de la concurrence... et de Bercy, où il dirigeait le cabinet de Fleur Pellerin au ministère de l’économie numérique.
Lors de son audition à l’Assemblée nationale en début d’année, pour décider de sa nomination, c’est l’un des sujets qu’il a abordé le plus frontalement, évoquant la lourdeur des relations de l’ARCEP avec les autres autorités : « On peut, à droit constant, mieux contribuer à la stratégie numérique du pays ».
Selon nos informations, l’ARCEP compte se poser en « expert » pour les autres institutions publiques. Pas seulement sur les télécoms, mais sur le numérique en général. L’Autorité compte également sur de nouvelles attributions, contenues par exemple dans la loi Macron, pour prendre plus de poids. « Il faut quelqu'un d'indépendant du politique, pour résister aux pressions. On a besoin d'un arbitre impartial : c'est le rôle de l'ARCEP. Mais indépendant ne veut pas dire indépendantiste » nous résume Soriano.
Un mot d’ordre : la concurrence sur les investissements
L’arrivée de Free Mobile a aussi brouillé le message de l’institution auprès du secteur des télécoms, nous affirme-t-on. L’itinérance de ce dernier sur le réseau Orange, qui a opposé de nombreux enjeux (concurrence, prix pour le consommateur, investissements) et a poussé l’ARCEP à sortir d’un rôle simple sur le mobile qui se limitait bien souvent aux attributions des fréquences et éventuellement à des sanctions si les obligations de couverture ne sont pas respectées.
« Notre logiciel de pensée sur la partie télécom mérite d'être clarifié. Est-ce qu'on doit promouvoir le consommateur, la compétitivité de l'industrie, l'aménagement du territoire ? » nous explique Sébastien Soriano. Il ajoute que l'investissement « c'est à la fois ce qui va donner du grain à moudre au secteur, de meilleurs réseaux aux consommateurs et de la couverture, parce que les opérateurs ont - jusqu'à une certaine limite - intérêt à se faire concurrence sur la couverture pour chercher des clients. Selon moi, les investissements doivent être le Graal pour le secteur ». Rien de très nouveau puisque cela rejoint le discours de Silicani (ancien président de l'ARCEP) en décembre dernier qui souhaitait des investissements « plus efficaces ».
Les investissements et rachats des acteurs les plus faibles feraient, en outre, partie du cycle des télécoms, nous explique-t-on. C’est, en clair, la recette appliquée sur le réseau cuivre il y a une décennie. L’investissement des opérateurs, à savoir le dégroupage, a départagé les plus faibles qui ont été acquis par les plus performants (Darty, Alice, Cegetel, AOL, Club Internet, etc.)
Devenir un acteur central sur le numérique
L’autre défi majeur pour l’ARCEP est son manque de notoriété dans le secteur du numérique. S’il dispose en effet d'un certain pouvoir dans les télécoms, son influence s’arrêterait aux portes du secteur. Sur ce point, Sébastien Soriano évoque lui son passage au cabinet de Fleur Pellerin au ministère de l’Économie : « À Bercy, j'ai travaillé avec les écosystèmes de startups. Ils savaient à peine ce qu'était l'ARCEP ». C’est un des chantiers dans la communication de l’Autorité à l’avenir : s’adresser à l’économie numérique et au milieu des startups. Cela passe par la prise en compte de sa spécialité, les réseaux, qui doivent être raccrochés aux sujets du moment.
« Le sujet des objets connectés est très visible sur la partie startups avec Sigfox, Withings, avec la French Tech... C'est très important. En complément, nous voulons travailler sur les problématiques réseau » nous affirme Soriano. L’institution a d’autres sujets en tête, comme « l'Internet ouvert », qui est au cœur de la révision du paquet télécom européen, un sujet brûlant, là encore déjà évoqué par son prédécesseur. Elle donne de nouvelles missions aux régulateurs nationaux, comme le contrôle de la qualité de l'accès à Internet, qui peut rapprocher l’Autorité du milieu du numérique.
L’Autorité compte d’ailleurs se pencher sur « les télécoms d'entreprise », en clair les offres d’opérateurs pour les entreprises. L’ARCEP estime ne pas assez connaître ce milieu, du point du point de vue des entreprises. « Aujourd'hui, on a une vision du marché des entreprises qui est trop centrée sur les opérateurs. J'ai le sentiment qu'une sorte de mur de l'ignorance nous sépare des préoccupations des PME » affirme M. Soriano, qui veut créer « un dialogue » avec ces entreprises et « cartographier les besoins ». La forme de ce dialogue reste encore à connaître.
De nouvelles cartes du mobile et de l'Open Data
Sur le secteur télécoms, le chantier le plus lourd pour l’Autorité est la tarification du réseau cuivre (ADSL, VDSL2), qui doit évoluer pour suivre le passage aux réseaux très haut débit. Dans ses déclarations devant le parlement, le (futur) président de l’Autorité s’inquiétait de la « trappe à débit » pour les derniers abonnés au réseau cuivre. Avec la migration vers le très haut débit, les prix du réseau en cuivre baisseront, puis remonteront une fois la majorité des abonnés passés au câble ou à la fibre. En clair, les abonnés auront moins d’intérêt à passer au très haut débit, mais les derniers abonnés qui seront coincés en ADSL paieront leur connexion beaucoup plus chère.
Une piste pour éviter cette situation est avancée dans le rapport dirigé par Paul Champsaur sur la transition vers le THD (voir notre analysée détaillée). Il propose de découper le territoire en zones qui, une fois entièrement fibrées, verraient le prix du réseau cuivre augmenter, jusqu’à son extinction. Cette piste ne semble pas (encore) être privilégiée par l'ARCEP, la décision finale devant de toute manière passer par la loi.
Sur le mobile, l’Autorité compte revoir les cartes de couverture, dans une logique d’agrégation. Elle songe ainsi à des cartes plus complètes que celles actuellement fournies par les opérateurs, comprenant la couverture dans les bâtiments, la réception voix, données, les réseaux 2G, 3G, 4G... Ces cartes devraient pouvoir être comparées, contrairement aux actuelles qui nécessitent de passer par les sites des opérateurs.
C’est déjà ce que fournissent des startups comme 4Gmark ou Sensorly, mais qui proposent une vision du réseau vue uniquement par le prisme de certains utilisateurs. Plus globalement, l’ARCEP souhaite produire et certifier les données à l’avenir, plutôt que de simplement les publier. Des discussions avec Etalab seraient déjà engagées, toujours selon nos informations.
Toujours en défense de la neutralité du Net
L'ARCEP est historiquement le garant de la neutralité du Net en France. De sa définition en 2010 aux dernières déclarations de son précédent président, Jean-Ludovic Silicani, l'Autorité s'est toujours posée en fervente partisane d'un Internet neutre. Avec Sébastien Soriano, le régulateur continue dans cette voie.
« La neutralité du Net, c'est cette capacité à se connecter au réseau des réseaux, qui est devenu un véritable "bien commun" essentiel à la société et à l'économie. Je ne vois pas comment on peut organiser une neutralité à plusieurs vitesses » nous déclare Soriano. Une distinction est tout de même opérée entre Internet et la connexion au réseau, celle-ci faisant dans l’idéal transiter un Internet neutre et d’autres flux comme la TNT. Sur le sujet des services gérés, le régulateur semble encore laisser la porte ouverte, le cas ne s’étant pas encore vraiment présenté. Il faudra probablement attendre que cela arrive pour avoir une position officielle de l'ARCEP.
Mais l’avis du président de l’ARCEP n’engage, au final, que peu de monde, car les décisions sont collégiales. De plus, les débats européens font peu cas de l’avis du régulateur français, et encore moins de son président donc, et c’est finalement la position du gouvernement qui compte. La révision du paquet télécom européen, qui décidera entre autres de la portée de la neutralité du Net en Europe, se joue désormais entre les institutions européennes, et moins les régulateurs nationaux.
Le groupement de ces régulateurs nationaux, le BEREC, a tout de même été consulté quand la révision de la législation européenne a été lancée. La Commission européenne doit d’ailleurs encore discuter avec le groupement dans les prochaines semaines. L’Autorité française n’aurait pas eu de responsabilité depuis une décennie, nous dit-on. L’ARCEP pourrait donc tenter sa chance aux prochaines élections, qui ont lieu tous les ans, même si rien ne le confirme encore.
Enfin, l’ARCEP songe à un autre pan de la neutralité, celle des plateformes. Avec l’importance prise par les géants du Net (Amazon, Apple, Facebook, Google, Microsoft...), les conflits avec les opérateurs se sont multipliés et l’importance politique du sujet s’est décuplée. Ce sujet, plus que d’autres, permettrait à l’Autorité de se recentrer dans le débat public sur le numérique.
« Être retiré d'un magasin d'applications, être relégué à la dixième page de résultats d'un moteur de rechercher, c'est une question qui se pose aujourd'hui pour les startups » affirme Sébastien Soriano. « Elle mérite vraiment d'être posée, car l'enjeu c'est, comme pour la neutralité du Net, de garantir un Internet ouvert. Et selon moi, en la matière, l'autorégulation n'est pas suffisante » estime le président du régulateur. « L'ARCEP est le gardien de la neutralité du Net, donc elle contribue naturellement au débat » indique-t-il, sans que cela passe obligatoirement par de nouvelles attributions.
Commentaires (13)
#1
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Sinon pleins de choses intéressantes pour des prochains articles tout cela ;-)
#2
« Un mot d’ordre : la concurrence sur les investissements
#3
Toujours en défense de la neutralité du Net
Va falloir trouver une nouvelle définition de la neutralité des réseaux parce qu’avec les “boîtes noires” du gouvernement chez les FAI et les gros opérateurs, elle est morte. D’ailleurs elle est déjà bien amochée avec les DNS menteurs
#4
”…l’Autorité n’est plus aussi écoutée qu’avant par l’État.”
c’est, déjà bien, de le reconnaître !
“faute avouée, est à moitié pardonnée” ! " />
#5
#6
Laure de la Raudière a souvent de bonnes questions. D’ailleurs merci à Next Inpact pour le lien vers la vidéo de l’audience de Sébastien Soriano à l’Assemblée nationale.
#7
Excellent article.
#8
celui-ci attaquait l’indépendance de l’ARCEP, qui n’aurait pas assez écouté le gouvernement
Une perle de manipulation comme seuls nos polytocards chevronnés savent en pondre. L’ARCEP, bientôt de retour dans le giron grassouillet du créationnisme politique que le monde nous envie.
qui est devenu un véritable “bien commun” essentiel à la société et à l’économie
Allez, encore un effort, un “intérêt de sécurité nationale” à préserver ou un des quelconques buzzwords insensés de la non-pensée de l’étatisme rampant, et une proposition de nationalisation n’apparaitra plus si bizarre.
l’autorégulation n’est pas suffisante
Tu m’étonnes. Il a son poste à conserver et son traitement à faire évoluer : comment y parvenir autrement qu’en régulant comme son maitre ? Copie qu’on forme.
Le mal français dans toute son infirmité contre-productive : le dirigisme au service de la fossilisation.
#9
À Bercy, j’ai travaillé avec les écosystèmes de startups. Ils savaient à peine ce qu’était l’ARCEP
C’est de bonne guerre : sur la centaine de marabouts éconotrophes fonctionnaires de Bercy, à peine 2 ont passé plus d’un an dans une entreprise. Ce n’est pas comme si les entreprises avaient besoin de ces suceurs de vie économique.
#10
Petite précision : l’ARCEP ne prend pas position entre ceux qui estiment que la législation actuelle suffit et ceux qui voudraient de nouvelles régulations pour les GAFA. C’est le sens de leurs interventions récentes, il me semble. Il est donc difficile de parler d’envie de surréguler de leur part, àmha.
Concernant les télécoms d’entreprise, l’Europe constate un retard en France sur la “numérisation” des entreprises (l’usage en interne, la vente par e-commerce, la transition vers le cloud…). L’ARCEP aimerait donc le vérifier et savoir si les offres télécom ont quelque chose à y voir ou non.
Voilà voilà.
#11
#12
#13
L’Arcep veut s’inventer de nouveaux rôles parce qu’elle ne sert plus à rien tant qu’elle n’a pas retrouver un pouvoir de sanction.
Etpicétout!
Et moi pas d’accord pour payer plein de trucs qui servent à rien " />