Pour l’avocat général de la CJUE, Amazon ne fait pas « usage » de la marque Louboutin
De quoi semelle-t-il ?
Le 06 juin 2022 à 09h09
5 min
Droit
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Amazon fait-elle « usage » de la marque Louboutin lorsqu’elle affiche, parmi ses propres offres, des annonces de produits de vendeurs tiers pour des chaussures contrefaisant la marque à la semelle rouge ? L’avocat général de la Cour de justice de l’UE estime que non, au regard des spécificités de la plateforme de vente.
Les faits remontent à 2019. Louboutin avait attaqué Amazon devant les juridictions luxembourgeoises, mais également belges pour violation de sa fameuse marque. Au menu des revendications, actions en réparation et cessation de ces usages. Le chausseur français reproche en effet à la plateforme de e-commerce de permettre à des vendeurs tiers de faire des annonces pour des chaussures aux semelles rouges et de stocker et livrer ces mêmes produits depuis ses entrepôts.
Un front judiciaire aux conséquences importantes pour le géant du e-commerce. Amazon répond d’ailleurs qu’elle ne peut être tenue pour responsable des usages de la marque par les vendeurs tiers. Quant à ses services accessoires, ils ne permettent pas de déduire qu’Amazon est à l’origine de ces annonces.
Le critère de « l’usage »
Dans ses conclusions rendues le 2 juin dernier, l’avocat général Maciej Szpunar a rappelé la pierre angulaire en matière de défense d’une marque déposée : l’article 9 du règlement de 2017 sur la marque de l'Union européenne.
Cet article habilite le titulaire d’une marque à interdire à tout tiers « de faire usage dans la vie des affaires d'un signe pour des produits ou services ».
Une interdiction très vaste qui permet au détenteur de prohiber par exemple l’apposition de la marque « sur les produits ou sur leur conditionnement », de proposer ces mêmes produits, de les importer ou les exporter, d’utiliser la marque ou encore d’en faire publicité.
Ceci dit, faute de précision atomique dans la lettre du règlement, la jurisprudence européenne a été amenée à décortiquer l’expression d’« usage ».
Elle a ainsi déjà posé que « seul un tiers qui a la maîtrise, directe ou indirecte, de l’acte constituant l’usage est effectivement en mesure de cesser cet usage et donc de se conformer à ladite interdiction ».
En clair ? Pour pouvoir enjoindre une personne à cesser l’usage d’un signe distinctif, encore faut-il que cette personne puisse le faire.
Ce critère est celui du « comportement actif », résume l’avocat général, qui rappelle en outre que, lorsque ce tiers est un intermédiaire sur Internet, il faut que ce dernier ait fait « une utilisation du signe dans le cadre de sa propre communication commerciale ».
La communication commerciale d’Amazon
Est-ce qu’Amazon fait « usage » d’une marque dans sa propre communication commerciale quand ces faits proviennent de vendeurs qui passent par la place de marché ? Est-ce que le critère est vérifié quand Amazon calque son logo sur l’ensemble des offres, mélange dans les résultats ses propres produits et ceux des tiers ?
Pour l’avocat général, la clef doit se trouver dans la perception de l’internaute utilisateur « normalement informé et raisonnablement attentif ».
Or, s’il est vrai que le logo Amazon apparaît dans toutes les ventes, même celles provenant de vendeurs tiers, il est « connu des utilisateurs de la plateforme que sont mises en ligne tant des annonces de produits vendus directement par Amazon que des annonces publiées par des vendeurs tiers ».
De plus, « il est toujours spécifié dans les annonces si les produits sont vendus par des vendeurs tiers ou directement par Amazon ». Est tout aussi connu que les résultats d’Amazon mixent les annonces de ces tiers comme ceux de la plateforme elle-même.
Le critère de la perception
En outre une autre décision de la CJUE a déjà jugé qu’une marque ne peut être considérée comme ayant été utilisée quand l’exploitant d’une place de marché stocke des produits porteurs de ce signe distinctif pour le compte d’un vendeur tiers.
Conclusion ? « L’exploitant d’une plateforme de vente en ligne ne peut être considéré comme faisant usage d’une marque dans une offre de vente publiée par un tiers sur cette plateforme », mais ceci ne vaut que si « de tels éléments ne conduisent pas l’internaute normalement informé et raisonnablement attentif à percevoir la marque en cause comme faisant partie intégrante de la communication commerciale de l’exploitant ».
En somme il reviendrait aux juridictions du fond d’examiner les faits pour mesurer la perception des utilisateurs. Cette solution, qui ne concerne que l'hypothèse d'une responsabilité directe, doit encore être consacrée par la Cour de justice de l’UE.
Les conclusions de l’avocat général sont en effet rendues pour éclairer la cour, sans la lier, quand elle rendra son arrêt dans quelques mois. Vers une décision à marquer au fer rouge ?
Pour l’avocat général de la CJUE, Amazon ne fait pas « usage » de la marque Louboutin
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Le critère de « l’usage »
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La communication commerciale d’Amazon
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Le critère de la perception
Commentaires (15)
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Abonnez-vousLe 06/06/2022 à 09h20
Je ne sais pas ce qui est le plus remarque. Le sous-titre, ou la phrase de conclusion ?
Pour les deux
Le 06/06/2022 à 09h35
Si je comprends bien, en résumé, la place de marché ne peut être tenue pour responsable des actes du vendeur tiers du moment qu’il est explicitement indiqué que s’en est un. Et donc Louboutin devrait plutôt s’attaquer à ces vendeurs tiers.
Mais forcément, un peu plus compliqué du point de vue juridique surtout s’il s’agit de contrefaçon d’origine étrangère. Auquel cas Louboutin ne pourrait-elle pas simplement demander à Amazon le retrait de ces annonces ? Car au final, de ma compréhension, le motif de la plainte est à côté de ses pompes. Si Amazon avait refusé de retirer ces annonces vendant de la contrefaçon, il y aurait eu motif plus légitime à les attaquer de mon point de vue, non ?
Le 06/06/2022 à 10h47
C’était mon point de vue depuis que j’ai vu le pourquoi de la plainte. Et les conclusions de l’avocat général me confortent sur ce point de vue.
Le 06/06/2022 à 11h21
=> J’ai compris ça aussi.
=> Encore faut-il qu’Amazon puisse distinguer le bon grain de l’ivraie. C’est pas parce que quelqu’un débarque en clamant la propriété sur un truc, que c’est forcément la vérité vraie.
Cf. les « take down and notice » abusifs pour la propriété d’images vidéo ou de musiques, particulièrement pénibles pour les auteurs légitimes victimes de la chose (et qui eux, contrairement à l’attaquant, doivent apporter la preuve qu’ils sont bien les auteurs/propriétaires).
Le 06/06/2022 à 11h51
Evidemment il ne faut pas que ce soit non plus des retraits abusifs façon DMCA, qui est, à mes yeux, un non sens en matière d’Etat de droits, c’est de l’arbitraire pur jus. Mais encore, pour des produits physiques je pense qu’il est plus facile de démontrer la contrefaçon que pour un produit virtuel. Surtout quand il s’agit du fabricant qui peut facilement démontrer que le vendeur tiers n’est pas un distributeur avec lequel il a contractualisé.
D’où ma question en deux étapes : le fabricant peut demander à la place de marché de retirer les annonces qui lui paraissent litigieuses. Et si celle-ci refuse (et c’est son droit si aucun contexte légal ne peut l’y obliger), dans ce cas le faire par la biais d’une procédure judiciaire où il y aura forcément obligation de démontrer que la contrefaçon suspectée est avérée. Avec en condition d’entrée le fait de démontrer avoir tenté de communiquer avec le vendeur tiers pour lui demander le retrait des annonces.
Là où attaquer la place de marché directement pour contrefaçon est visiblement une erreur stratégique qui me semble fondée sur un choix de facilité.
Le 06/06/2022 à 12h19
C’est surtout le choix du plus riche.
Le vendeur sur la marketplace est volatil , et quand bien même après enquête ils arriveraient à l’identifier, il serait probablement très peu solvable.
Or ici Lou Boutin vise le pognon, et donc quelqu’un capable de payer. Comment leur en vouloir, c’est une logique qui est devenu la normalité ces dernières années sur internet comme IRL - on s’en fout de celui qui fait les choses tant que quelqu’un paie.
Le 07/06/2022 à 06h54
Après la market place Amazon est devenu une grande blanchisserie mondiale de produits contrefaits au même titres que les plateformes chinoises.
Le 07/06/2022 à 06h59
En lisant cet article, et en repensant à ce que l’Europe a voté (directive droit d’auteur), est-ce que la plainte peut rentrer sur le même axe que la directive droit d’auteur vu qu’Amazon est une plateforme largement utilisée et qu’on peut comparer le vendeur comme un youtubber ?
Le 07/06/2022 à 09h44
Louboutin cherche surtout à ce que la justice déclare l’exploitant de la marketplace responsable pour le forcer à agir à la base contre les vendeurs à sa place. Du DMCA jurisprudentiel pour les marques. C’est bien gentil les chartes anti-contrefaçon…
Le 07/06/2022 à 11h06
Moi je trouve qu’il y a un peu d’hypocrisie aussi dans tout ça.
Le consommateur sais très très bien ce qu’il achète. Quand sur aliexpress ou même amazon t’achète un “sac vuitton” pour 35€ frais de port gratuit …
Le 07/06/2022 à 12h02
Rien de neuf sous le soleil, on trouvait le même au marché de Vintimille avant le web.
Le 07/06/2022 à 15h26
Le problème c’est pas la contrefaçon à prix cassée dont tout le monde sait que c’est de la contrefaçon. Le soucis c’est la contrefaçon à un prix plutôt “bon plan” par exemple le polo Lacoste à 50/60€ soit le même prix qu’on peut trouver en promotion en vente directe par Amazon ou chez Zalando.
Le 07/06/2022 à 20h20
Oui mais donc ? Les marques devraient plutôt attaquer les acheteurs que les vendeurs ? Je sais que légalement l’acheteur peut être condamné, mais ça me paraît encore plus aléatoire qu’attaquer un vendeur de marketplace.
Le 08/06/2022 à 09h12
Le 08/06/2022 à 15h59
Merci !!
Je commençais à croire que c’était passé inaperçu !