Déploiement de la fibre : « l’heure n’est vraiment plus à chicailler »
Chicailler : fusion de chicaner et pinailler ?
La semaine dernière, Laure de la Raudière ouvrait le bal de la conférence « Territoires Connectés ». Ce discours permet de faire un point de situation sur la fibre. Le déploiement avance bon train, mais la qualité n’est toujours pas au rendez-vous. La présidente de l’Arcep ne veut plus de chamailleries, mais des résultats et des améliorations concrètes. Et si le régulateur commençait par agir avec son bâton répressif ?
Le 04 octobre à 09h02
10 min
Internet
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Dans son discours d’introduction, la présidente de l’Arcep rappelle qu’une des priorités du régulateur des télécoms est d’apporter une « connexion à Internet à Très Haut Débit partout et pour tous, de qualité ». Ce dernier mot est important, nous allons y revenir.
« J’y ajoute "durable", c’est-à-dire prenant en compte les enjeux de préservation des ressources planétaires, de réduction de l’empreinte carbone et de résilience, afin que les générations futures puissent aussi bénéficier des innovations qu’apporte le numérique », précise-t-elle.
Ce sujet était aussi présent dans la conclusion du discours, dont la prise de conscience serait maintenant bien acquise : « l’impact environnemental du numérique et sa croissance exponentielle si rien n’est entrepris ». Depuis quelques mois, en effet, le régulateur des télécoms multiplie les annonces sur cette thématique. C’était également une des priorités de Laure de la Raudière dans son discours de début d’année.
- Écoconception numérique : l’Arcep adresse ses recommandations à l’Europe
- Écoconception des services numériques : le référentiel est là, avec ses ambitions et limites
- Empreinte du numérique : les prévisions (inquiétantes) de l’ADEME et l’Arcep aux horizons 2030 et 2050
89 % de locaux raccordables, 71 % des abonnés ont sauté le pas
La présidente attaque ensuite la question du déploiement de la fibre, par la face la plus facile pour commencer : « près de 90 % des locaux sont rendus raccordables à la fibre. Mon premier message est donc de vous féliciter pour ce chemin parcouru ».
Si 39,3 millions de locaux sont raccordables, 23 millions ont sauté le pas de l’abonnement, soit 71 % du total. Sur les près de 5 millions de locaux restants, 2,9 millions sont dans les Réseaux d’Initiative Publique (RIP) et 1,5 million dans les réseaux moins denses d’initiative privée. Il en reste toujours 500 000 en zones denses (déployés par les quatre opérateurs nationaux), qui n’avancent que très doucement depuis de nombreux trimestres. Les explications sur les différentes zones de la fibre sont expliquées par ici.
Elle prend ensuite des chemins plus sinueux et met en avant trois conditions pour qualifier le succès de la fibre optique : « En premier, la complétude des réseaux fibre ; en second, leur qualité ; enfin, la réussite du passage du raccordable au raccordé ».
La complétude mène la danse de la fermeture du cuivre
La complétude prend la forme d’un cadre réglementaire qui « prévoit une obligation de complétude des déploiements des réseaux fibre optique de bout en bout ». Elle concerne toutes les zones, sauf les 106 communes les plus denses.
Selon l’Arcep, « la complétude est atteinte dès lors que l’ensemble des locaux sont raccordables ou, dans une faible proportion, "raccordables sur demande", sauf impossibilité dûment justifiée (par exemple, cas de refus des copropriétés ou propriétaires concernés) ». Avec la fermeture du cuivre annoncée pour 2030, c’est un élément incontournable.
L’Arcep sera « intraitable »… vraiment ?
« Nous serons donc intraitables sur la complétude des réseaux, sur le respect des engagements pris par chacun », martèle Laure de la Raudière. Elle rappelle que l’Arcep a mis en demeure Orange et XpFibre au printemps 2024 sur près de 9 000 points de mutualisation (PM) et plus de 600 000 locaux en zone AMII.
De quoi faire trembler les opérateurs ? Peu de chance… C’est en effet rien de moins que la cinquième mise en demeure d’Orange après celle de décembre 2018 (460 PM ou point de mutualisation, généralement une armoire de rue), décembre 2020 (834 PM), décembre 2021 (614 PM) et enfin mars 2022 (1903 PM et 1904 PM), soit un total de 5 715 PM. Pour cette cinquième mise en demeure, il est question de 7 983 PM et 560 000 locaux sont concernés.
Chez XpFibre, c’est la troisième mise en demeure après celles de décembre 2020 (125 PM) et décembre 2021 (44 PM). Avec la troisième mise en demeure, le total passe à 750 PM et 53 000 locaux, soit environ 10 fois moins qu’Orange.
Puisque l’Arcep entend être intraitable, on pourrait se dire qu'après ce nouveau round de mise en demeure, le régulateur va prendre le taureau par les cornes ? Pas vraiment puisque les opérateurs ont jusqu’au 31 décembre 2025 au plus tard, soit encore plus d’un an, pour résorber des retards de plusieurs années déjà. Cette date est également la nouvelle échéance pour les précédentes mises en demeure, que ce soit chez Orange ou XpFibre.
Une nouvelle pique pour les zones très denses
Sur les zones très denses, Laure de la Raudière invite, une nouvelle fois, « les opérateurs à finir les déploiements […] Il n’est pas acceptable, en effet, de voir aujourd’hui certaines grandes métropoles moins bien couvertes que la moyenne nationale ». Là encore, ce constat est dressé depuis des années, et observatoire après observatoire.
Dans le dernier en date, Marseille est à 87 % de déploiement de la fibre, Montpellier à 87 % et Lille à 88 %, alors que la moyenne nationale est donc à 89 %. Paris et Lyon sont largement en tête avec respectivement 98 et 97 %.
« C’est aussi le cas dans certaines communes des zones AMII, où l’Arcep sera particulièrement vigilante au respect par Orange de ses nouveaux engagements pris devant le gouvernement en février 2024 », précise la présidente de l’Arcep.
Fermeture du cuivre : des reports de calendrier sont à prévoir
L’enjeu est important : « pour pouvoir fermer le réseau cuivre, il faut que les réseaux fibre soient complets ». Fermeture qui a déjà commencé. Les 200 000 locaux du lot 1 seront techniquement fermés dans 4 mois, puis les 900 000 du lot 2, les 2,5 millions du lot 3 puis les 7 millions du lot 4, etc.
Pour l’Arcep, cela ne fait aucun doute : « des reports de calendrier seront en l’état à prévoir pour la fermeture commerciale prévue le 31 janvier 2026 ». Orange est en charge d’établir et de transmettre aux opérateurs d’infrastructure une première liste de communes qui feront l’objet de reports.
Captain obvious : « il faut des réseaux bien construits »
Tout ceci n’est presque que du menu fretin par rapport au gros point noir de la fibre : la qualité du déploiement. Nous n’allons pas vous rejouer le refrain et vous invitons à lire nos précédents dossiers si vous ne connaissez pas les problèmes de coupures sauvages, d’armoires de rues vandalisées, de plats de nouilles et sac de nœuds avec les fibres dans les points de mutualisation, de techniciens payés au lance-pierre, d’installations hasardeuses (pour rester poli) des prises optiques dans les logements, etc. N’hésitez pas à (re)lire certains de nos dossiers :
- Le déploiement de la fibre optique face à la dure (et triste) réalité du terrain
- Plan France THD : règlement de comptes à OK Corral
La présidente de l’Arcep le reconnait : « il faut des réseaux bien construits ». Elle affirme que les plans de reprise « des réseaux les plus accidentogènes, notamment ceux en cours par XpFibre ou Altitude, apportent des résultats encourageants dans les communes où les travaux ont été faits ».
Dans la conclusion de son rapport publié en juillet de cette année (lire notre analyse), le régulateur était un peu plus prudent, soulignant (en gras) que « l’évolution des indicateurs portant sur les échecs au raccordement doit donc s’apprécier sur le long terme » car les indicateurs peuvent subir des variations saisonnières importantes.
Un manque flagrant de « résultats concrets et satisfaisants »
Le gros morceau arrive maintenant :
« Le plan d’action de la filière présenté en septembre 2022, il y a deux ans, sur l’amélioration générale des processus de raccordement, qu’il s’agisse de la formation des agents d’intervention, leur labellisation, ou la mise en place des outils de contrôle […], tout ceci tarde à apporter des résultats concrets et satisfaisants pour les Français. Je reçois encore de trop nombreux témoignages des galères vécues de clients, baladés entre leur opérateur commercial et l’opérateur d’infrastructure, se renvoyant la balle de la responsabilité de l’échec au raccordement ».
Nous avons un peu l’impression d’entendre le même discours depuis des années. En 2021, l’Arcep semblait prendre (enfin) conscience des problèmes de qualité de service sur la fibre, tout en affirmant que, de son point de vue, « la situation actuelle [était] difficilement compréhensible ».
Au début de l’année, l’Arcep expliquait déjà que « les difficultés de qualité de service rencontrées encore aujourd’hui » doivent être résolues. Laure de la Raudière parlait alors d’une « prise de conscience un peu difficile pour certains »… et plutôt que de toujours faire le même constat, peut-être faudrait-il être plus incisif ?
De notre côté, nous avons publié un édito sur ce sujet en février de cette année, appelant justement les acteurs à agir, et vite.
- [Édito] Il faut régler les problèmes de qualité de la fibre, et vite
- Jungle dans la fibre optique : pour l’Arcep, la situation est « difficilement compréhensible »
L’heure est aux résultats et à l’amélioration
Pour Laure de la Raudière, « L’heure n’est vraiment plus à chicailler sur la responsabilité du voisin ou sur la mise en œuvre d’un énième process. L’heure est aux résultats et à l’amélioration concrète de la qualité des interventions ». Et si le régulateur commençait par montrer les crocs pour de vrai, plutôt qu’à annoncer de énièmes mises en demeure avec plus d’un an de délai pour se mettre dans les clous ?
Elle revient ensuite sur le plan de fermeture du cuivre et à la question des travaux à réaliser en partie privative pour raccorder les locaux raccordables. « [Comme] ce projet concerne de très nombreux de foyers français [et] va susciter de nombreuses questions, il est l’heure maintenant d’avoir un portage politique de la fermeture du réseau cuivre, une communication d’État, du gouvernement ». Elle milite aussi pour la mise en place d’un dispositif d’accompagnement des ménages les plus modestes.
Déploiement de la fibre : « l’heure n’est vraiment plus à chicailler »
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Commentaires (6)
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Abonnez-vousLe 04/10/2024 à 09h16
Le 04/10/2024 à 09h24
Le truc c’est que pour les opérateurs grand public, vu que ce qui reste en déploiement est lourd et pas forcément rentable ça ne les motive pas.
Ensuite il reste les rip, ça va petit à petit.
Il peut y avoir des bizarreries, dans le village de mes parents, tout le monde est éligible sauf 30 maisons arbitrairement alors que tout est prêt pour le raccordement.
Mais si on regarde les gens raccordés dans le village (car la carte le permet) quasiment toutes les maisons sont raccordés à la fibre. Le taux d’abonnement est super bon.
La 5g c’est différent car ça touchera plus les zones urbaines et périurbaines et c’est aussi une tentative pour augmenter les prix (mais au fait non, car maintenant même les forfait à 10€ en ont).
Les opérateurs tirent un peu la langue mais du coup on arrive à une situation grand public où la fibre et la 5g tend à se banaliser la plupart du temps, avec des exceptions.
Modifié le 04/10/2024 à 10h36
Aujourd'hui, on a 100 Go mensuel pour 10 euros en mobile. C'est 40 euros en fibre et 4G fixe. À part les services des box, le grand public n'utilise pas la fibre pour son potentiel.
Le 11/10/2024 à 08h24
Mais après même si on a de bons réseaux mobiles ça sature quand même beaucoup plus que la fibre car le spectre radio est limité.
Le 11/10/2024 à 09h00
Mais j'ai peut-être un biais dans mon raisonnement : je ne regarde pas la TV, je n'ai pas d'adolescent chez moi, j'ai l'impression que la TV 4K et la VOD 4K est le gros des débits de la plupart des foyers.
Le 04/10/2024 à 12h15
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