Le réchauffement climatique redessine la carte des câbles sous-marins pour Internet
Glace à l'eau
La fonte des glaces dans l'Arctique pourrait ouvrir de nouvelles voies pour les câbles Internet qui reposent au fond des océans et transportent la majeure partie du trafic international de données.
Jean-Marc Manach , Sébastien Gavois
Le 04 avril à 09h42
5 min
Internet
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Les câbles sous-marins permettent de passer de très grosses quantités de données avec une latence faible. Un autre moyen de communication est de passer par des satellites géostationnaires, mais ils sont situés à 36 000 km et un aller-retour du signal demande donc de parcourir pas moins de 72 000 km, avec donc une latence importante. Cette dernière est incompressible car elle dépend directement de la vitesse de la lumière.
Les câbles en mer Rouge sous tension
Plus de 90 % du trafic Europe-Asie passe par la mer Rouge. Dans cette région, selon Le Monde, transite « chaque année 12 % du trafic mondial, dont 75 % des exportations européennes ». Des câbles y ont été coupés le mois dernier à la suite d'une mise en garde du gouvernement yéménite contre les attaques des rebelles houthis soutenus par l'Iran, opposés à l’offensive israélienne dans la bande de Gaza. En plus du sabotage, les conflits rendent compliqués les opérations de réparations sur site.
De plus, des gazoducs et câbles de télécommunications de la mer Baltique ont été endommagés l'année dernière, relève Politico, un navire chinois étant « potentiellement suspecté ». Il y a quelques semaines, des câbles longeant les côtes Atlantique de l’Afrique tombaient en panne, probablement à cause « d’un glissement de terrain sous-marin, possiblement lié à des mouvements sismiques ».
Relier l’Europe et le Japon, en passant par l’Arctique
En réponse à ces « goulots d'étranglement », le projet Far North Fiber de câble de 14 500 kilomètres de long vise à relier directement l'Europe au Japon, via le passage du Nord-Ouest dans l'Arctique, avec des sites d'atterrissage au Japon, aux États-Unis (Alaska), en Norvège et en Irlande.
Un projet qui « aurait été impensable il y a encore quelques années, lorsqu'une épaisse couche de glace pluriannuelle rendait la navigation impossible » mais qui, avec le changement climatique et alors que l'Arctique « se réchauffe à un rythme inquiétant, près de quatre fois plus vite que le reste du monde » (la glace de mer diminue de près de 13 % par décennie, ndlr), est devenu envisageable.
« Nous nous trouvons dans une situation idéale où le câble est désormais accessible et où nous pouvons l'installer en toute sécurité, tout en bénéficiant de la protection de la couche de glace pendant une grande partie de l'année contre les menaces humaines, qu'il s'agisse de jets d'ancres ou de tentatives de sabotage », précise à Politico Ik Icard, directeur de la stratégie de Far North Digital, une entreprise travaillant sur le projet.
Cet exemple ne doit rien au hasard, c’est ce qui s’est passé en mer Rouge : « Nous estimons que les dégâts aux câbles sous-marins […] sont le résultat de l’attaque au missile lancée par les Houthis le 18 février contre le Rubymar, qui a coulé depuis […] Elle a contraint l’équipage à jeter l’ancre et à abandonner le navire. Les premières évaluations montrent que l’ancre a vraisemblablement, en raclant les fonds, sectionné les câbles sous-marins », déclarait un responsable du Pentagone.
Ouverture en 2027, cout d’un milliard de dollars
Une fois l'étude marine achevée, Alcatel Submarine Networks, filiale de Nokia, commencera à fabriquer les pièces et les mettra en place d'ici à 2027, date prévue pour la mise en service de Far North Fiber.
L'Union européenne a d'ailleurs consacré environ 23 millions d'euros dans le cadre du CEF Digital, le principal outil financier soutenant la connectivité à travers l'Union. Et ce, alors que la Commission européenne a récemment appelé les gouvernements de l'UE à mieux sécuriser leurs réseaux sous-marins, et souhaite que les nouveaux projets de câbles comblent les lacunes stratégiques.
Le coût du projet, qui s'élève à 1 milliard d'euros, « dépasse de loin celui des autres itinéraires », précise Politico. Un câble traversant l'Atlantique coûterait en effet « environ 250 millions d'euros », explique Alan Mauldin, directeur de recherche à TeleGeography, une société de conseil basée à Washington. Et la pose d'un câble dans le Pacifique pourrait coûter « environ 320 millions d'euros ».
Si le projet se déroule sans encombre, il pourrait bien ouvrir la voie à d'autres acteurs désireux de profiter des possibilités offertes par les eaux « de plus en plus libres » de l'Arctique, souligne Politico. Les scientifiques ont en effet récemment averti que l'océan Arctique pourrait même bientôt connaître ses premiers jours « sans glace ».
Polar Express : un câble Russe aux frontières de l’Europe et de l’Asie
Notez qu’il existe déjà un câble sous-marin de 12 500 km, Polar Express, passant tout près du Japon et de la Finlande, mais ne desservant que des villes en Russie. Il « encercle » donc la Russie par le nord et l’est. Le premier tronçon a été mis en service en 2022.
« Ce projet est mis en œuvre conformément au décret présidentiel sur la "Stratégie de développement de la zone arctique de la Fédération de Russie et la garantie de la sécurité nationale jusqu’en 2035" », peut-on lire sur le site du Polar Express.
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Commentaires (9)
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Abonnez-vousLe 04/04/2024 à 10h46
Modifié le 04/04/2024 à 10h55
Y a bien une début de théorie plus loin dans l'article qui ne va pas dans le sens d'un sabotage et qui n'est qu'une théorie.
Le 05/04/2024 à 08h27
Après, tu l'interprètes comme tu veux, mais c'est une tentative réussie de sabotage indirecte.
Le 05/04/2024 à 11h52
Le bateau a été attaqué le 18 février, les câbles coupés le 2 mars après deux semaines de dérive.
Et bien que les Houthis aient menacé de s'en prendre aux câbles, ils nient l'avoir fait. Ça ne serait pas très logique.
PS : (ancre, pas encre)
Le 04/04/2024 à 15h02
Toutes les nations limitrophes s'en déclare propriétaires pour toucher les royalties, je me demande ce qu'il en sera pour ce câble.
Le 04/04/2024 à 17h02
D'une, le satellite geostationnaire pour la data, c'est un peu has-been non ? Les constellations récentes sont en orbite basse avec une latence beaucoup plus faible. Après, est-ce qu'il y a beaucoup de données passant d'un satellite à l'autre pour faire de la longue distance, je ne crois pas. Le sat le plus proche communique probablement au relais terrestre le plus proche, et on repasse par câble.
De deux, il est à mon humble avis inconcevable aujourd'hui de faire passer une part significative du trafic par satellite. La bande passante totale d'une constellation est probablement bien plus fiable que celle d'un unique câble transatlantique récent (si ça a un sens, je ne suis pas sûr. C'est plutôt la bande passante de satellites de l'éphémèride à un temps T à un endroit donné qui compte).
Le 05/04/2024 à 08h27
Le 05/04/2024 à 10h22
Le 06/04/2024 à 14h22
https://www.radiofrance.fr/franceinter/podcasts/le-code-a-change/le-code-a-change-8-2379866
Bref, un câble qui arrive à Marseille, ce sont des enjeux écologiques, économiques, politiques, géopolitiques, sécuritaires qui s’entrecroisent, parfois convergent, d’autres fois se contredisent.