« Vidéoprotection » : le ministère de l’Intérieur triple les subventions en prévision des JO
Plus vite, plus haut, plus fort…
Évoquant un plan « zéro délinquance » en vue des Jeux olympiques, le ministère de l'Intérieur s'était donné « dix-huit mois pour faire ce travail de harcèlement et de nettoyage », précisant que « ce sera un héritage des JO ». Un « héritage » depuis abondé par les « violences urbaines » suite à la mort de Nahel.
Le 20 février à 16h21
9 min
Économie
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Une enquête de Mediapart révèle que « sous l’impulsion du ministère de l’Intérieur, de nombreuses communes accueillant des épreuves des JO augmentent leurs moyens de vidéosurveillance ».
Interrogé en octobre 2022 par le Sénat à propos de la sécurité de Paris 2024, Gérald Darmanin avait en effet annoncé avoir demandé à chaque préfecture de préparer un plan « zéro délinquance » en vue des Jeux : « Nous avons devant nous dix-huit mois pour faire ce travail de harcèlement et de nettoyage – et ce sera un héritage des JO ».
La loi d'orientation et de programmation du ministère de l'Intérieur de janvier 2023 avait de son côté prévu de tripler les crédits du fonds interministériel de prévention de la délinquance et de la radicalisation (FIPDR) consacrés à la vidéoprotection au cours des cinq années à venir, afin de « cofinancer les projets portés par les collectivités territoriales, notamment des audits des éventuelles failles de sécurité présentes dans les caméras déjà installées ».
400 caméras de plus à Paris, 500 dans les communes limitrophes
« Rien que pour 2024, 44 millions d’euros y seront consacrés », relève Mediapart, qui note que le ministre de l'Intérieur avait évoqué, lors de son audition au Sénat, qu'1 million d'euros serait consacré à l’implantation de 330 caméras à Marseille en 2022.
Il avait aussi prévu d' « ajouter au minimum 400 caméras dans la capitale et nous en ajouterons également au moins 500 dans les communes limitrophes », et précisé que « s'il faut davantage de caméras, nous en installerons davantage ».
Ni le ministère, ni la ville de Marseille ni celle de Paris n’ont répondu aux questions et demandes d'interview de Mediapart.
D'une trentaine à 488 caméras « sous l’impulsion des JO »
Gérald Darmanin avait aussi évoqué un investissement de l’État de 1,5 million d’euros en Seine-Saint-Denis en 2022 pour l’installation de 500 caméras.
« Ville phare des Jeux olympiques » (dont la devise est « Plus vite, plus haut, plus fort… »), Saint-Denis, qui hébergera le village des athlètes, le Stade de France et le nouveau centre aquatique olympique, est ainsi passée en quelques années d'une trentaine de caméras à plus de 400 caméras, « et souhaite monter à 488 à la fin de l’année sous l’impulsion des JO ».
Selon le dernier rapport d’orientation budgétaire, Saint-Denis a dépensé entre 2020 et 2024 6,7 millions d’euros en vidéosurveillance, dont « 40 à 50 % financés par le FIPD », précise la mairie.
Un chiffre qui fait bondir Alexandre Schon, membre du comité de vigilance citoyen JO 2024 à Saint-Denis : « Même subventionnée par l’État, cette somme est considérable dans le budget d’une ville comme Saint-Denis. À titre de comparaison, les investissements ville solidaire et sociale pour 2024 sont d’un peu plus de 1,7 million d’euros, alors que le taux de pauvreté de la ville est de 37 % et que 50 % des ménages sont non imposables. Cela montre les priorités de la mairie. »
395 000 euros pour « vidéoprotéger » une... route départementale
La ville de Torcy (Seine-et-Marne) qui accueillera les épreuves de canoë-kayak et d’aviron, va de son côté devoir installer six caméras sur une route départementale qui sera réservée pendant les JO à l’acheminement des athlètes, officiels et spectateurs à la base nautique de Vaires-sur-Marne.
Or, ladite route est dépourvue de poteaux où placer les caméras, ainsi que de raccordement à la fibre. « Et l'addition est salée : 395 000 euros », note Mediapart, dont 105 000 pris en charge par l'État, 101 000 par la Région, 60 000 par le département, avec un reste à charge pour la commune de 120 à 130 000 euros.
« La situation financière de la commune est difficile », proteste l’élue d’opposition Danielle Klein-Pouchol : « Les agents de Torcy n’ont par exemple pas bénéficié de la “prime de vie chère” en 2023 au motif des difficultés budgétaires. Quelles retombées pour la ville et ses clubs sportifs ? Dans ce dossier, la commune n’a la main sur rien, mais se voit imposer la facture. »
Entre 2018 et 2022, 2 236 projets ont été cofinancés par l'État
Interrogé par deux députés Rassemblement national (RN) sur « la problématique du coût élevé de l'installation d'un système de caméras de vidéoprotection dans les communes », le ministère de l'Intérieur a répondu, en janvier dernier, qu'« outre les crédits disponibles dans le cadre du Fonds interministériel de prévention de la délinquance (FIPD, 82 M€ en 2023), les dotations de soutien à l'investissement des collectivités territoriales (DETR, DPV, DSIL, DSID) soutiennent déjà de nombreux projets d'investissement dans le domaine de la vidéoprotection ».
Ainsi, en 2022, « 648 projets ont été soutenus par l'État, qui a attribué 18,2 M€ de subvention (dont 3,5 M€ au titre de la DETR, 13,9 M€ au titre de la DSIL, 0,2 M€ au titre de la DPV, et 0,6 M€ au titre de la DSID) ».
Entre 2018 et 2022, « 2 236 projets ont par ailleurs été cofinancés par l'État dans ce domaine, soit un montant total subventionné de 69,1 M€ », et « 1742 collectivités ont été accompagnées dans 93 départements ».
Le ministère précisait que « la dépense d'investissements correspondante s'élève à 180,3 M€, soit un effet de levier de 2,6 », et qu' « en plus des projets classiques d'équipements, plusieurs projets de création et d'aménagement de centres de supervision urbains ont d'ailleurs été sélectionnés par les préfets ces dernières années ».
En ce qui concerne les dépenses de fonctionnement liées à ces matériels (entretiens, location, etc.), le soutien de l'État passe par la dotation globale de fonctionnement (DGF), « dont le montant a été accru en 2023 pour la première fois depuis 10 ans, à hauteur de 320 M€ ».
« Nous accentuons par ailleurs les actions de prévention de la délinquance et de la radicalisation en renforçant notamment la vidéoprotection, à laquelle sont consacrés 25 millions d'euros en 2024, contre 22 millions d'euros en 2023 », avait de son côté annoncé Dominique Faure, ministre déléguée auprès du ministre de l'Intérieur chargée des collectivités territoriales et de la ruralité, en décembre 2023, à l'occasion du projet de Loi de finances (PLF) pour 2024.
Elle avait également précisé que « le ministère de l’Intérieur et des outre-mer bénéficiera en fin de gestion 2023 de l’ouverture de 10 millions d’euros supplémentaires de crédits au profit de la vidéoprotection, décision prise à la suite des violences urbaines de cet été », suite à la mort de Nahel.
Obsolescence programmée et politiques publiques
Les deux députés RN évoquaient pour leur part « un défi financier considérable » et un reste à charge pour les communes « particulièrement important, limitant les autres investissements ». Ils soulignaient que le coût d'installation et d'entretien dans le budget des communes de ces systèmes de vidéoprotection représenterait « une véritable inquiétude pour les élus locaux ».
Ils déploraient en outre que « seuls les équipements de vidéoprotection sont subventionnables en section d'investissement au budget des communes », alors même que « ce matériel est victime d'une obsolescence programmée ».
Et ce, d'autant qu'avec les « avancées technologiques », les communes « ayant fait le choix de recourir à la vidéoprotection peuvent se retrouver dans l'obligation de moderniser leur équipement quelques années après son installation, engendrant ainsi de nouvelles dépenses pour le budget communal ».
Des caméras de vidéoprotection à Lempire (123 habitants)https://t.co/NkpKaiX8Zx
12 caméras de vidéoprotection à Frestoy-Vaux (237 ha)https://t.co/ypyw5FvYkj
6 caméras de vidéosurveillance implantées dans la commune de Tilly-sur-Meuse (279 ha)https://t.co/3SjmVg4rFr— jean marc manach @[email protected] (@manhack) January 21, 2024
Une problématique amenée à se généraliser : si la vidéosurveillance a d'abord été déployée dans les grandes villes, pour se répandre dans un second temps dans leurs banlieues et les villes moyennes, ces derniers temps, de très nombreux villages de quelques centaines d'habitants seulement investissent des dizaines de milliers d'euros, en partie subventionnés, pour s'équiper, eux aussi, de caméras.
Une politique activement soutenue par certains édiles locaux. En visite à Crépol, peu après la rixe ayant entraîné la mort de Thomas, Laurent Wauquiez, président de la Région Auvergne-Rhône-Alpes, a annoncé la mise en place de « financements exceptionnels pour doter l'ensemble de nos territoires ruraux d'équipements de vidéoprotection », et qu' « un budget de la Région sera dédié à ça ».
En visite à Crépol (550 habitants) Laurent Wauquiez annonce vouloir débloquer des "financements exceptionnels" pour doter les territoires ruraux d'un "bouclier de protection" de systèmes et caméras de vidéoprotection https://t.co/JLaHvtKZm9 https://t.co/vVOioJtqc5
— jean marc manach @[email protected] (@manhack) December 8, 2023
Sans que l'on comprenne, cependant, en quoi des caméras de « vidéoprotection », au surplus la nuit, aurait pu « protéger » Thomas et les autres personnes qui avaient alors été blessées.
« Vidéoprotection » : le ministère de l’Intérieur triple les subventions en prévision des JO
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400 caméras de plus à Paris, 500 dans les communes limitrophes
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D’une trentaine à 488 caméras « sous l’impulsion des JO »
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395 000 euros pour « vidéoprotéger » une… route départementale
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Entre 2018 et 2022, 2 236 projets ont été cofinancés par l’État
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Obsolescence programmée et politiques publiques
Commentaires (20)
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Abonnez-vousLe 20/02/2024 à 17h11
C'est pourtant simple, elles sont de « vidéoprotection », donc elles protègent. Sinon, elles ne s'appelleraient pas comme ça voyons !
Espérons que Le Maire inclue ces dépenses dans les 10 milliards d'économies annoncées pour cette année.
Le 20/02/2024 à 17h19
Le 20/02/2024 à 17h37
Mais je doute que ceux qui ont écrit le texte de la Ministre nous lisent et apporteront une justification.
J'ose espérer que ce n'est pas en étudiant les vêtements ou la pilosité des personnes (ou que sais-je encore) que l'on détecte la radicalisation.
Le 20/02/2024 à 18h32
Le 20/02/2024 à 18h39
Le 20/02/2024 à 18h41
Modifié le 20/02/2024 à 18h45
Le 20/02/2024 à 20h09
Cf notamment le n° de Cash Investigation que j'avais co-signé : « Le business de la peur ».
Modifié le 20/02/2024 à 22h15
Cela fait des années que je vois les mêmes abus malheureusement.
Après attention. Je dis pas que cela est le seul problème. Mais il y'a de cela aussi (et trop a mon sens)
Le 21/02/2024 à 19h10
Le 21/02/2024 à 19h26
De quelle société et de quel patron s'agit-il ?
Le 22/02/2024 à 10h17
Mais sérieusement je vais rechercher les liens et articles et je les posterai si tu es intéressé, j'avais gardé un dossier sur le pc à l'époque
Le 22/02/2024 à 10h59
La situation avec SKN à qui j'ai répondu est bien différente. J'avais vérifié que l'on obtenait la réponse avec 3 mots (mort de Thomas). Toi, tu ne l'as visiblement pas fait. Pays nordique est probablement trop général pour trouver.
Modifié le 23/02/2024 à 22h12
J'essaye de remettre la main dessus mais ça date de 2007 alors pas certains que je retrouve. La partie dont il est question était celle de ingénierie de chiffrement.
Édit : J'ai effectué plusieurs recherches dans mes archives mais c'était il y a trop longtemps, je suis dégoûté de ne pas remettre la main dessus, dsl.
Le 20/02/2024 à 21h20
Le 20/02/2024 à 23h23
Le 21/02/2024 à 21h43
P'tite question subsidiaire, c'est combien de temps maintenant la rétention des articles pour les non abonnés?
Modifié le 22/02/2024 à 16h44
Sinon, les articles continuent d'être "libérés" un mois après leur parution.
Le 22/02/2024 à 18h34
Merci
Le 21/02/2024 à 07h43
Sachant que la région n’a pas de compétences en matière de sécurité publique, quel est le motif pour ce budget ? En tant que contribuable de la région AURA, quelles sont mes voies de recours pour que mes impôts servent à ce à quoi ils sont censé servir (par exemple les transports, qui sont dans le domaine de compétence de la région, et qui en auraient bien besoin…)