#BigBrotherBercy : un million d’annonces ciblées, 68 000 euros recouvrés
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Le 26 décembre 2023 à 09h55
5 min
Droit
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« Fraude fiscale : le gouvernement veut continuer à surveiller les réseaux sociaux », titre Le Monde, pour qui Bercy dresse un bilan « encourageant » de son dispositif « permettant l’aspiration en masse des données en ligne », malgré des résultats qualifiés de « timides » et « limités » par le quotidien.
Notre confrère s'est procuré le « bilan définitif » de l’expérimentation qui permet au ministère de l’Économie, depuis 2021, de « récupérer en masse des données en ligne pour détecter plusieurs formes de fraudes », malgré les « importantes réserves » de la Commission nationale de l’informatique et des libertés (CNIL).
Surnommée #BigBrotherBercy, l'expérimentation, discutée à partir de 2019 et validée par le Conseil d'État en 2022, avait moult fois été chroniquée dans nos colonnes.
Le Monde rappelle que « si la loi devait permettre à l’administration de récupérer des données sur toutes sortes de plates-formes en ligne, elle ne s’est pas risquée sur les réseaux sociaux, comme Facebook, en raison de limites posées par la CNIL et le Conseil constitutionnel ».
Surveiller les annonces en ligne
Le fisc et les douanes se sont dès lors focalisés sur les annonces postées sur les sites de vente en ligne, comme Leboncoin ou des plates-formes de location de tourisme.
En juin 2023, ils avaient effectué 17 « salves d'aspiration », qui ont d'abord ciblé des « prestations de coiffure, de déménagement, de plombier... », puis des ventes de voitures et locations meublées, « qui représentent un enjeu financier bien plus important ».
Or, et après avoir aspiré et analysé plus d’un million d’annonces de biens et de services depuis 2021, « seuls 160 dossiers d’activité occulte ont été repérés et dix-sept contrôles fiscaux ont été lancés » par la direction générale des finances publiques (DGFiP).
De plus, au 1er juillet 2023, « seuls deux de ces contrôles avaient été clôturés, pour un montant total de 68 000 euros » relève Le Monde, qui note cela dit que « ces chiffres sont cependant très provisoires, compte tenu du nombre d’enquêtes encore en cours et de la longueur des procédures ».
Des SIREN inconnus, des « activités occultes »
Le rapport précise que, lors de la première campagne, sur les 13 227 annonces collectées, 4 426 (soit un tiers) publiées par 719 utilisateurs indiquaient des numéros SIREN « inconnus dans les référentiels de la DGFiP ou qui correspondaient à des entreprises officiellement cessées ».
Les résultats « ont été très positifs et montré la pertinence des travaux de collecte ». Les enquêtes réalisées par les services de recherche durant l'été 2021 ayant permis de « confirmer le caractère occulte de l'activité pour 18 % des annonceurs et de la présumer pour 45 %, ce qui est très élevé ».
Une seconde campagne a ensuite permis la collecte d'environ 280 000 offres de véhicules et d'identifier 6 380 annonces correspondant à 1 434 vendeurs de véhicules « a priori occultes ». Sur ces 1 434 vendeurs, 645 avaient pu être identifiés, « correspondent in fine à 416 personnes différentes ». Cette fois, « l'activité occulte a été confirmée dans 18 % des dossiers ».
Une troisième campagne, basée sur un ciblage affiné des dossiers sélectionnés, a permis de confirmer une « activité occulte » dans 23 % des 84 dossiers envoyés, « alors que 48 % des dossiers sont encore en cours d'analyse et dans 43 % des 44 dossiers dont l'examen est achevé ».
Une expérimentation estimée à 1,4 million d'euros
Plus de 70 000 annonces de vente de tabac et d’armes ont par ailleurs été aspirées par la douane, qui n'a cela dit procédé qu'à dix-neuf enquêtes seulement. Des chiffres « là encore provisoires en raison de la longueur des enquêtes », soulignent nos confrères.
Le quotidien relève que cette expérimentation aurait d'ores et déjà coûté, « sans prendre en compte les moyens humains internes à l’administration et les dispositifs informatiques préexistants, un peu plus de 1,4 million d’euros ».
L'administration estime néanmoins que « les campagnes réalisées confirment nettement l’intérêt de l’expérimentation », à mesure que « la collecte de ces données permet d’identifier des situations que les applications traditionnelles de la DGFiP ou les moyens classiques d’investigation n’auraient pas permis d’appréhender, ou auraient appréhendé de manière moins industrielle ».
Un projet « élargi » pour 2024
Le projet de loi de finances pour 2024, définitivement adopté la semaine passée, a d'ailleurs prolongé, mais également élargi, pour deux ans cette expérimentation.
Le Conseil constitutionnel et la CNIL avaient en effet empêché Bercy de créer des comptes sur les plates-formes visées, l'empêchant de traquer les fraudes à la domiciliation sur les réseaux sociaux.
Le Monde relève a contrario que le fisc et la douane « ont réussi à convaincre le législateur de lever ce verrou dans la loi de finances pour 2024, qui prévoit explicitement que les limiers de Bercy puissent créer un compte ».
Le rapport reconnaît à ce titre qu' « il n’y a aucune garantie scientifique de réussite de la détection des fraudes à la domiciliation et c’est l’objet même de l’expérimentation de vérifier si cela est faisable ou pas ».
« Une chose est sûre », conclut Le Monde : « elle devra aspirer bien davantage de données, bien plus personnelles que celles qui figurent dans des annonces sur des sites de vente en ligne ».
#BigBrotherBercy : un million d’annonces ciblées, 68 000 euros recouvrés
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Surveiller les annonces en ligne
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Des SIREN inconnus, des « activités occultes »
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Une expérimentation estimée à 1,4 million d’euros
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Un projet « élargi » pour 2024
Commentaires (9)
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Abonnez-vousLe 26/12/2023 à 13h33
Et donc en langage gouvernemental, un franc succès.
Le 26/12/2023 à 13h57
Là où ça commence à poser problèmes c'est sur la question de la vie privée et sur la surveillance de masse et généralisée
Le 27/12/2023 à 11h37
A voir aussi sur le long terme. Car comme précisé, le coût indiqué c'est le coût "sans prendre en compte les moyens humains internes à l’administration et les dispositifs informatiques préexistants". Donc c'est plutôt un coût de développement et de mise en place, c'est-à-dire un coût "oneshot" et pas un coût "régulier".
Notons également l'effet dissuasif que cela peut avoir, et si certains rentrent dans les clous "par peur", c'est autant de montant qui ne seront pas récupérés via les contrôles, mais pourtant récolés indirectement grâce à ce dispositif.
Donc parler de rentabilité (ou non), aujourd'hui, me semble un peu prématuré.
Le 26/12/2023 à 15h45
Modifié le 26/12/2023 à 16h09
Le 26/12/2023 à 20h39
Le 27/12/2023 à 09h02
Comme cela a déjà été dit en commentaires, il faut que le nombre d'enquêteurs suive derrière pour avoir des résultats concrets.
Et effectivement, les perspectives en matière d'aspiration de données personnelles à tout va sont effrayantes.
Merci Jean-Marc pour cet article.
Le 27/12/2023 à 13h27
J'imagine que c'est sur les enquêteurs (et leurs moyens) qu'on va rencontrer un vrai défi car ça doit pas être des process tranquilles, surtout si ça part en justice, appel, re-appel et je-ne-sais-quoi.
Le 27/12/2023 à 13h30