Loi Numérique : la mise en Open Data des décisions de justice prendra « plusieurs années »
Jugement dernier
Le 29 décembre 2016 à 16h03
5 min
Droit
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La mise en ligne de l’ensemble des décisions de justice rendues quotidiennement en France, prévue par la récente loi Numérique, n’est pas pour demain. Selon la Chancellerie, ce mouvement prendra même « plusieurs années ».
En vertu des articles 20 et 21 de la « loi Lemaire », les jugements rendus par les juridictions – civiles comme administratives – ont vocation à être « mis à la disposition du public à titre gratuit », en Open Data. Et ce qu’ils soient ou non définitifs.
Autant dire que cette réforme est attendue de pied ferme par les juristes, qui ne peuvent actuellement profiter que d’une sélection de décisions (notamment de la Cour de cassation), publiées par l’intermédiaire du site Légifrance.
Des publications soumises à des « analyses de risque de ré-identification »
Deux décrets en Conseil d'État sont toutefois attendus pour fixer les modalités de mise en œuvre de ces nouvelles dispositions – un premier pour les jurisprudences relevant du judiciaire, le second pour l’administratif. Ces textes devraient être particulièrement importants, puisqu’ils préciseront notamment l’une des conditions posées par le législateur pour cet effort d’ouverture : que chaque publication soit « précédée d’une analyse du risque de ré-identification des personnes ».
Si l’objectif peut paraître légitime (éviter que le nom d’une personne concernée ou citée dans une affaire ne se retrouve jetée en pâture sur le Net), l’instauration d’une telle contrainte technique fut vivement critiquée par la secrétaire d’État au Numérique, Axelle Lemaire, lors des débats au Sénat. « Imposer une analyse du risque à chaque fois reviendrait en pratique à empêcher l'Open Data », avait-elle prévenu.
En commission mixte paritaire, le rapporteur Frassa avait ainsi tenu à rassurer : « L’analyse de risque ne se fera pas au cas par cas, mais constituera un canevas à prendre en compte pour la mise en ligne des décisions de justice. »
Un groupe de travail lancé, des décrets qui pourraient paraître avant avril
Mais près de trois mois après l’entrée en vigueur de la loi Numérique, où en est l’exécutif ? Le site du gouvernement indique que le processus de mise en œuvre de cette réforme « est lancé dans le cadre d’un groupe de travail réunissant les parties prenantes : services judiciaires, Légifrance, Cour de cassation, Conseil constitutionnel/Conseil d’État, CNIL ».
Interrogé par nos soins, le cabinet d’Axelle Lemaire nous répondait en octobre dernier que les décrets, nourris des travaux de ce groupe de travail, avaient « vocation à sortir au 1er trimestre 2017 ».
Un mouvement qui sera « progressif »
En charge de ce dossier, le ministère de la Justice vient de nous donner de plus amples précisions. Un décret en Conseil d'État est en cours de rédaction pour fixer « le périmètre de l'Open Data ». Il s’agira en ce sens de préciser « les décisions de justice susceptibles de faire l'objet d'une diffusion (...) et, dans les décisions diffusées, la nature des informations devant faire l'objet d'une anonymisation ». Enfin, il se penchera bien entendu sur « les modalités de mise en œuvre de la prévention du risque de ré-identification des personnes ».
Ce texte renverra cependant à des arrêtés le soin de « déterminer le calendrier de mise en œuvre de l'Open Data, en tenant compte des contraintes techniques et du calendrier d’évolution des systèmes d’information judiciaires ». Au regard des difficultés identifiées par la Chancellerie, celle-ci prévient que la mise à disposition des décisions de justice ne pourra « qu’être progressi[ve] et sur plusieurs années »...
Vers une intégration automatique des nouvelles décisions
Le premier « enjeu technique », expliquent les services du Garde des sceaux, consiste à « enrichir la base de données tenue par le service de documentation de la Cour de cassation en y intégrant progressivement et de façon automatisée l’ensemble des décisions prononcées ».
Le scénario envisagé ? « Les décisions rendues par les juridictions d'appel seraient les premières à être intégrées au processus d'Open Data. En matière civile, les arrêts des cours seraient intégrés grâce à la base de données « Jurica », actuellement existante à la Cour de cassation. En matière pénale, le déploiement de Cassiopée dans les cours d'appel permettrait d'intégrer les arrêts rendus en matière pénale moyennant le développement d'un applicatif adapté. Les décisions de première instance seraient intégrées à la base de données dans un second temps. »
Le défi de l'anonymisation
La seconde difficulté porte sur le processus d’anonymisation des décisions. Celui-ci est actuellement délégué à la Direction de l’information légale et administrative (DILA). « Un projet d’acquisition d’une solution d’anonymisation a été engagé par la Cour de cassation qui vient de confier une expérimentation d'anonymisation à un organisme de recherche », indique-t-on à la Chancellerie. « La Cour de cassation devrait être en mesure d’internaliser cette tâche d'anonymisation au cours de l'année 2017. »
Bref, les pouvoirs publics semblent avoir encore de longs mois de travail devant eux... Le ministère de la Justice laisse toutefois entendre qu’il a bien avancé puisqu’il est prévu de saisir la CNIL pour avis sur ce projet de décret « très prochainement ».
Loi Numérique : la mise en Open Data des décisions de justice prendra « plusieurs années »
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Des publications soumises à des « analyses de risque de ré-identification »
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Un groupe de travail lancé, des décrets qui pourraient paraître avant avril
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Un mouvement qui sera « progressif »
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Le défi de l'anonymisation
Commentaires (13)
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Abonnez-vousLe 29/12/2016 à 16h39
“Autant dire que cette réforme est attendue de pied ferme par les juristes, qui ne peuvent actuellement profiter que d’une sélection de décisions (notamment de la Cour de cassation), publiées par l’intermédiaire du site Légifrance.“Pas forcément.
Pour plusieurs raisons :
Le 29/12/2016 à 16h45
Le 29/12/2016 à 17h17
quid du temps nécessaire aux greffiers s’ils doivent éventuellement intervenir (anonymisation, etc …), personnellement, je préférerais avoir quelqu’un en ligne rapidement quand j’appelle, avoir mes copies de dossier en temps utiles et qu’on rende mes jugements fixant des consignations dans des délais me permettant de faire les chèques ;
Bein si c’est fait a posteriori par la Cour de cassation avec “une solution d’anonymisation” ça prend pas de temps aux greffiers non ?
on risque d’être noyés sous une masse de
décisions inintéressantes au possible (dans mon TI, à chaque audience,
une bonne partie des dossiers, c’est du locatif, savoir que la dette
loyer de X € de M.X est étalée sur 24 mois, c’est pas ça qui va aider
des masses).
Cest comme de dire qu’on devrait limiter le nombre de page web pour permettre à Google de tout prendre ! C’est pas plutôt aux moteurs de recherche d’être pertinent et d’éliminer les décisions inintéressantes quand l’utilisateur fait des recherches non ?
pour l’exploitation des masses de données
intéressantes, il y aura nécessairement un coût pour mettre en place les
outils la permettant. Les éditeurs juridiques sont déjà sur le coup
(notamment Dalloz sur les préjudices corporels, prestations
compensatoires, …). On pourrait penser que de petites entreprises
naissantes nous feraient ça bon marché, mais quand je prends l’exemple
de “doctrine..fr” qui coûte 130 balles HT/mois soit un peu moins de la
moitié d’un abonnement aux packs civil/pénal/social de Dalloz qui inclue
les codes, les formulaires, les outils dont je parlais, des articles et
encyclopédies auxquelles concourent des auteurs sérieux et pas une
compilation de contenus gratuits …
Les éditeurs font ça depuis 10 ans, mais ça marche les données de masse ?!
Après les abonnements t’en utilises 10 %, genre les données chiffrées j’y touche jamais mais je paie pour. Non ?
Le 29/12/2016 à 17h28
Pourtant beaucoup de données sont déjà en ligne, mais détenues par des sociétés privées.
J’ai fait quelques interventions pour l’une d’entre elles, proposant ses services aux juristes. On a par exemple les décisions sur les divorces dans toute la france. Les données sont anonymisées de façon logicielle (et c’est bête et méchant hein), et probablement (là je n’en sais rien) corrigées à la main si besoin. Ils en sortent plein de données, dont des stats sur les décisions, montants en jeu, etc.
Je ne sais pas si j’ai le droit de citer le nom de la boite parcontre, donc motus :p
Le 29/12/2016 à 18h12
Encours je une peine, ce qui, allant a l encontre de la liberte d expression, serait loin d etre un cas de jurisprudence, si par experience, je denoncerait, le fait que la justice en France, ne desserve que ses propres dessains, baffoue la dignite humaine, deshonneur et divise une des composantes essentielles, d un viable processus democratique ?
Possedant toutes mes capacites cognitives, merci d apporter des critiques constructives, car beaucoup trop ecoute malheureusement le dernier qui a parle…
Le 29/12/2016 à 19h08
Quel que soit le référentiel choisi, la vitesse de la lumière et la lenteur de la justice demeurent constantes.
Le 29/12/2016 à 19h09
Je ne vois pas en quoi cela devrait prendre plusieurs années pour rendre anonyme les décisions de justice avec toute la technologie que l’on a, et les professionnels en informatique qui existent.
Un petit coup de str_replace(’M MICHU’, ’M. X’, name) ça marche pas ? …
Le 29/12/2016 à 19h55
Surtout que le ministère anonymise déjà en internes ses données, le processus est effectivement plutôt simple à mettre en oeuvre. L’appliquer aux décisions de justice en particulier ne doit pas être si compliqué, surtout que toutes ces données sont bien balisées dans les systèmes d’informations.
A mon avis le problème est plutôt d’automatiser l’enregistrement final de la décision, après la double signature du magistrat et du greffier. S’il faut tout renumériser ensuite, ou même juste revalider individuellement chaque décision effectivement signée, ça va effectivement faire du boulot aux services des greffe… Peut-être une fois la signature électronique mise en oeuvre…
Le 29/12/2016 à 22h50
Imaginez 30 secondes si les justiciables/contribuables avaient accès aux données, il ne faudrait pas 6 mois pour que les juges soient lynchés. Il y a 20 ans, on évoquait de laxisme, il y a 10 ans on soupçonnait leur complicité. Aujourd’hui le Président parle de lâcheté et on va jusqu’à parler de haute trahison pour des personnes qui sont sensées agir dans l’intérêt de la Société mais qui s’estiment investi d’un obligation sociale.
On parle beaucoup ces jours-ci de l’agence immobilière La Forêt mais il y n’a pas plus raciste que la Justice française. Mais c’est du “racisme positif” comme ils disent donc pas de polémique.
On délègue à la Justice un pouvoir que nul autre ne possède et aucun contrôle n’est exercé.
Condamner 10 fois un individu sans jamais le sanctionner, c’est de la haute trahison et les Juges ne veulent surtout pas que ces informations puissent être compilées. Ils préfèrent mettre 10 mois “fermes” qui ne seront jamais appliqués plutôt qu’une amende de 1000€.
Le 30/12/2016 à 00h41
Le 30/12/2016 à 01h55
Mais peut-être que le sentiment de justice reviendrait.
Le 30/12/2016 à 01h55
1000€ qui ne seront jamais payés non plus.
Le 30/12/2016 à 09h55