Fiscalité des sociétés : pourquoi le Conseil constitutionnel a censuré la taxe Google
Soulagement des GAFA, inquiétude des banques
Le 02 janvier 2017 à 09h30
4 min
Droit
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Jeudi dernier, le Conseil constitutionnel a censuré une disposition qui aurait permis de taxer plus facilement les revenus des GAFA en France. L'arme offrait en effet une part trop belle à l’administration, alors que seul le législateur est compétent pour définir le champ d’application de l’impôt sur les sociétés.
L’article 78 de la loi de finances pour 2017 envisageait d’étendre l’impôt sur les sociétés aux bénéfices réalisés par une personne morale établie hors de nos frontières. Selon le député PS Yann Galut, à l’origine de cette disposition, « l’impôt sur les sociétés payé par Google en 2015 s’est élevé à 6,7 millions d’euros, pour un revenu estimé à plus de 1,5 milliard. Airbnb, dont le résultat est estimé à 65 millions d’euros, n’a payé que 69 000 euros d’impôt ». Autant de montages, regrettait-il, autant de « détournements » réalisés « au détriment de l’État, des services publics, des entreprises locales concurrentes et de tous les citoyens ».
Présomption d’établissement stable en France
Mais que prévoyait cette disposition, concrètement ? D’une part, elle frappait les entreprises établies à l’étranger mais qui conduisent en France une activité de vente ou de prestation de service via une autre personne morale détenue à 50 % ou placée sous leur contrôle. D’autre part, elle permettait de viser également les bénéfices de ces entités, sans démonstration de ces seuils, dès lors qu’il « existe des raisons sérieuses de considérer que l’activité de cette personne morale ou physique a pour objectif d’échapper à l’impôt qui serait dû en France ou d’atténuer son montant ».
La disposition inaugurait donc une présomption d’établissement stable en France afin d’y territorialiser les bénéfices réalisés par les entités étrangères, notamment via des sites Internet. « Actuellement, détaillait un rapport parlementaire préparatoire au projet de loi de finances, l’économie numérique pose une réelle difficulté aux administrations fiscales dans la mesure où elle permet, relativement facilement, d’échapper à la notion d’établissement stable du fait de la dématérialisation des procédures de vente et donc de l’absence de sites physiques sur le territoire des États dans lesquels les ventes sont réalisées ».
Une imposition subordonnée à une procédure de contrôle
Seulement, les parlementaires avaient (curieusement) conditionné ce régime au seul cadre de la vérification de comptabilité. Il revenait donc à une décision de l’administration « d’opposer au contribuable la présomption » précitée.
Et c’est typiquement cette condition qui a fait tiquer le Conseil constitutionnel puisque l'administration aurait eu alors la liberté de choisir, parmi les contribuables, ceux vérifiés qui auraient effectivement été soumis à ce nouvel outil. Or, « si le législateur dispose de la faculté de modifier le champ d'application de l'impôt sur les sociétés, afin d'imposer les bénéfices réalisés en France par des entreprises établies hors du territoire national, il ne pouvait, sans méconnaître l'étendue de sa compétence, subordonner l'assujettissement à l'impôt à la décision de l'administration d'engager une procédure de contrôle. »
En clair, pour passer entre les griffes du Conseil constitutionnel, il aurait fallu décorréler l'article 78 des procédures de vérification de comptabilité afin que toutes les entreprises, même non numériques, soient soumises au même régime prévu par la loi.
Plus de fenêtre parlementaire
Malgré cette explication de texte, Yann Galut a réagi dans les colonnes de Libération pour dénoncer « une décision incompréhensible » où « une fois de plus le Conseil constitutionnel choisit de censurer un texte contre l’évasion fiscale ». Le député socialiste, proche d’Arnaud Montebourg, a promis de revenir avec une nouvelle mouture. Seul hic, il n’y a plus de fenêtre parlementaire d’ici l’élection présidentielle. « Ce sera donc à la prochaine majorité, issue des élections législatives de s’emparer de cette question. »
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Présomption d’établissement stable en France
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Une imposition subordonnée à une procédure de contrôle
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Plus de fenêtre parlementaire
Commentaires (25)
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Abonnez-vousLe 02/01/2017 à 12h40
Si tu y mets l’essentiel de ta R&D (ce qui coût de l’argent) et l’achat d’outils comme des raffineries cela compense les ventes du pétrole sur le territoire national. Mais les autres pays où il n’y a pas ou peu de R&D et pas ou peu de raffineries car cela est fait en France, ce sont des profits à gogo là bas.
Le quart des raffineries de Total sont situés en France. Et ils vendent des produits pétroliers dans l’ensemble du monde (enfin, une bonne partie).
Le 02/01/2017 à 12h56
un groupe multinational peut se permettre de payer l’impôt là où il est le moins élevé dans les différentes régions du Monde, grâce notamment à des filiales qui font des bénéfices là où l’impôt est le plus faible (et ce quelque soit la localisation de ses activités).
Le 02/01/2017 à 13h17
Perso c’est l’état qui est en tort pas que la loi est mauvaise mais si elle s’applique selon l’humeur de nos haut fonctionnaire alors elle n’a pas lieu d’exister, une loi doit s’appliquer pour tous et ne doit discriminer selon le gouv…
Le 02/01/2017 à 13h44
L’exemple de McDonald’s est typiquement l’explication du moyen par lequel les multinationales de l’IT se débrouillent pour l’optimisation fiscale : l’immatériel. C’est sur ce point qu’il faudrait trouver une parade : comment faire pour éviter que ce soit par le truchement d’une redevance sur l’utilisation d’une marque par une filiale que l’évasion fiscale se fasse ?
Le 02/01/2017 à 13h56
Un moyen simple serait de supprimer le concept d’impôt sur les sociétés et les bénéfices qui sont je pense mal conçus à une heure où une entreprise peut vendre dans un pays sans filiale sur place.
Ces taxes seraient compensés par une TVA plus forte et il pourrait y avoir redistribution d’argent auprès des entreprises plus fragiles basées uniquement sur leur volume de vente local (donc TVA) et la quantité d’employés sous contrat de travail français (ce qui est aisé à évaluer).
Comme cela les entreprises auraient tout intérêt à implanter des filiales là où l’activité se produit et non là où la fiscalité est basse. Cela concerne de manière équitable entreprises étrangères et nationales.
Le 02/01/2017 à 14h01
Du zèle ? Non, décision logique. Le texte était mal tourné, c’est la sanction toute naturelle selon moi. L’obligation doit se révéler dès l’application de la loi au J.O., non selon l’humeur d’agents de la DGFIP, même hautement respectables.
Le 02/01/2017 à 14h14
Ton “inquiétude des banques” est ironique j’imagine ? " />
Le 02/01/2017 à 14h25
Le 02/01/2017 à 14h28
Marc, pour reprendre la remarque de RichardD, on sait qui, à l’Assemblée, a “curieusement” ajouté cette bombe à retardement dans le texte ?
Le 02/01/2017 à 16h57
L’article 78 de la loi tel qu’institué était fondamentalement contraire au principe posé par l’article 13 de la Déclaration des Droits de l’homme et du citoyen (qui a valeur constitutionnelle) : Art. 13. Pour l’entretien de la force publique, et pour les dépenses d’administration, une contribution commune est indispensable : elle doit être également répartie entre tous les citoyens, en raison de leurs facultés. Il n’y a donc rien d’étrange dans la décision du Conseil constitutionnel qui fait respecter l’état de droit.
De toute façon, cette disposition est inutile pour deux raisons :
Selon l’administration fiscale, elle n’aurait permis de recouvrir que 2% des sommes fiscales échappant à la France par le biais des moyens d’optimisation fiscale (de la filiale française à la maison mère étrangère).
Bref, un coup d’épée dans l’eau. C’est à l’UE de réagir, mais jusqu’à lors elle a semblé plutôt inefficace.
Je me permets d’ailleurs de vous conseiller l’article de J.-M. Quatrepoint de ce mois au Monde Diplomatique “ Au nom de la loi américaine”, qui explique comment les entreprises françaises se font laminer (et c’est le mot, voir l’exemple d’Alstom, qui a du régler des sommes faramineuses) par les agences américaines. En retour, l’UE c’est le paradis pour les entreprises américaines, les mesures de rétorsion étant trop peu nombreuses.
Le 02/01/2017 à 16h57
Le 02/01/2017 à 17h23
Effectivement, après recherche, c’est un amendement déposé par Yann Galut :
http://www.assemblee-nationale.fr/14/amendements/4271/AN/403.asp
Le rapport sur le texte explique assez bien la problématique :
http://www.assemblee-nationale.fr/14/rapports/r4314-tI.asp (article 46 quinquies)
Le 02/01/2017 à 18h19
Le 02/01/2017 à 19h32
Merci pour l’article et pour toutes les contributions bien intéressantes à lire, un plaisir !
Le lien vers l’article de Quatrepoint (article payant) :
http://www.monde-diplomatique.fr/2017/01/QUATREPOINT/56965
Le 02/01/2017 à 09h42
Une bonne loi protectionniste et qui s’applique au doigt mouillé sur certaines sociétés selon l’humeur du moment. Et en plus le député est tout content de se faire mousser pour son texte anticonstitutionnel et va retenter de le passer en force à la prochaine occasion.
Il y a pas un truc qui déconne dans ce pays et ses dirigeants?
Le 02/01/2017 à 10h02
Le 02/01/2017 à 10h09
En gros, les députés font volontairement de la merde puis engueule le CC parce qu’il fait son boulot.
Le 02/01/2017 à 10h11
Le pire c’est que même si elle passe la seul société qui risque de se faire avoir c’est dailymotion ayant sa base en France
Le 02/01/2017 à 10h17
Arnaud Montebourg et ses soutiens, ceux qui se voient comme un “Jean Jaurès” unifiant le mouvement socialiste en séduisant les ouvriers français (qui votent actuellement plutôt en faveur des thèses nationalistes et patriotiques), sauf que Jean Jaurès était un internationaliste, pas un protectionniste.
Le 02/01/2017 à 10h18
Le 02/01/2017 à 10h22
Seulement, les parlementaires avaient (curieusement) conditionné ce régime au seul cadre de la vérification de comptabilité. Il revenait donc à une décision de l’administration « d’opposer au contribuable la présomption » précitée.
Marc cette condition” curieuse” était-elle prévue dès le départ, ou a-t-elle été ajoutée en commission ? (ou dans l’hémicycle?)
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Le 02/01/2017 à 11h35
Merci pour l’article !
A première vue, le CC sanctionne l’incompétence du legislateur.
Mais selon l’article de Mediapart, c’est le CC qui fait du zèle. Qu’en pensent les juristes lecteurs de nextinpact?
Le 02/01/2017 à 11h55
GAFA : Géants du Web (Google, Apple, Facebook, Amazon)
Le 02/01/2017 à 12h25
Total n’est pas concerné par ce dispositif.
Total c’est la situation inverse que ce que la loi souhaitait faire, les bénéfices de Total sont à l’étranger et ses pertes en France. Et Total a bien entendu une antenne (et son siège social même) en France.
La loi veut imposer les entreprises faisant du bénéfice en France en n’ayant pas d’antennes en France (ou du moins ne déclarant pas les revenus tirés du marché français).
Le 02/01/2017 à 12h31
Je me demande bien comment Total peut enregistrer des pertes en France ?!