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Les amendements des députés pour faire entrer le numérique dans la Constitution

Chacun sa charte

Les amendements des députés pour faire entrer le numérique dans la Constitution

Le 26 juin 2018 à 13h45

Alors que la commission des lois entame aujourd’hui l’examen de la réforme constitutionnelle, de nombreux amendements ont été déposés par les députés, afin notamment d’introduire une « Charte du numérique » semblable à la Charte de l’environnement de 2004.

Le projet de charte dévoilé la semaine dernière par le groupe de travail parlementaire sur les « droits et libertés constitutionnels à l'ère numérique » n’aura pas tardé à être repris.

Sans surprise, la députée Paula Forteza (LREM) a déposé un amendement pour introduire cette « Charte du numérique » au sein du bloc de constitutionnalité (lequel comprend la Constitution et différents textes afférents, dont la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789).

Ce texte, qui aurait donc valeur constitutionnelle, est articulé autour de sept grands thèmes :

  • Droit d’accès à Internet (Art. 1). « La loi garantit à toute personne un droit d’accès aux réseaux numérique libre, égal et sans discrimination. »
  • Neutralité du Net (Art. 2). « Dans les limites et les conditions fixées par la loi, les réseaux numériques sont développés dans l’intérêt collectif et respectent le principe de neutralité qui implique un trafic libre et l’égalité de traitement. »
  • Liberté d’expression (Art. 3). « Le numérique facilite la participation de toute personne à la vie publique et l’expression des idées et des opinions. »
  • Droit d’accès aux informations publiques et à l’Open Data (Art. 4). « Toute personne a le droit, dans les limites et les conditions fixées par la loi, d’accéder aux informations détenues par les autorités publiques ou utiles à un débat d’intérêt public et de les réutiliser. »
  • Protection des données personnelles (Art. 5). « La loi garantit à toute personne la protection des données à caractère personnel qui la concernent et le contrôle des usages qui en sont faits. »
  • Droit à l’éducation au numérique (Art. 6). « Toute personne a le droit à l’éducation et à la formation au numérique et à son utilisation. »
  • Portée internationale (Art. 7). « La présente Charte inspire l’action européenne et internationale de la France. »

Paula Forteza estime que l’introduction de cette charte permettrait d’ancrer au plus haut niveau juridique « un noyau dur de droits et libertés qui constituent la vision française du numérique ». « Il s’agit de revenir aux fondamentaux d’un internet ouvert, neutre et non-centralisé et de défendre les valeurs d’un numérique juste, d’un numérique pour tous, à l’heure ou ces principes sont remis en cause dans de nombreux pays », fait valoir l’élue.

Le groupe Nouvelle Gauche (PS) soutiendra un amendement identique, de même que Philippe Latombe (Modem).

À gauche, des députés proposent des chartes plus étoffées

Delphine Batho (ex-PS) a de son côté – largement – remanié les sept articles imaginés par le groupe de travail, manifestement pour en modifier la portée :

  • Art. 1er. « Tout personne, physique ou morale, a droit au secret des informations numériques qui renseignent directement ou indirectement sur elle, conformément aux principes et aux droits et devoirs édictés par la Déclaration des Droits de l’Homme de 1789 et au Préambule de la Constitution de 1946. »
  • Art. 2. « La Nation garantit l’exercice de la souveraineté nationale, ainsi que le respect des droits civiques et des garanties fondamentales accordées aux citoyens pour l’exercice des libertés publiques, dans le cyberespace. »
  • Art. 3. « Les données d’origine personnelles forment un réseau indivisible de données liées qui constitue un bien commun qui n’appartient à personne et dont l’usage est commun à tous. »
  • Art. 4. « Tout personne dispose d’un accès à l’universalité du réseau. Nul ne peut être privé de l’accès à un service à caractère public ou commercial en raison de l’exploitation de données. »
  • Art. 5. « La loi définit les conditions dans lesquelles les données des citoyens sont collectées et traitées, ainsi que les protocoles de chiffrement permettant que les données non-identifiées soient accessibles à tous. Elle établit la domiciliation juridique et fiscale des systèmes d’exploitation à la source des données. »
  • Art. 6. « Les politiques publiques doivent promouvoir le numérique et son développement au bénéfice de l’intelligence collective et du progrès humain. »
  • Art. 7. « La présente Charte inspire l’action européenne et internationale de la France. »

Delphine Batho s’est concentrée sur les questions de souveraineté (sur les données notamment, mais aussi en matière fiscale, lorsqu’il est question de « domiciliation juridique et fiscale des systèmes d’exploitation »).

Le groupe La France Insoumise (LFI) a lui aussi concocté un projet de charte plus étoffé. Celui-ci contient onze articles :

  • Art. 1er. « L’accès à un internet libre et ouvert est garanti, par la loi, à toute personne, dans des conditions permettant une navigation fluide et normale. Les outils informatiques et numériques doivent notamment l’assurer de manière égale aux personnes en situation de handicap. »
  • Art. 2. « La neutralité de l’internet est garantie par la loi. Elle consiste notamment en ce que les fournisseurs d’accès à internet doivent assurer un accès sans restriction, sans surveillance, sans privilégier ni limiter celui-ci aux applications et aux services. »
  • Art. 3. « La souveraineté numérique est garantie par la loi. Elle consiste notamment en ce que :
    • Les outils informatiques et numériques nécessaires à l’exercice des missions fondamentales de service public soient librement modifiables et utilisables, par l’État ;
    • Les données à caractère personnel des résidents du territoire français détenues par les administrations publiques doivent être hébergées sur le territoire de la République sur des serveurs de droit français ;
    • L’État a la maîtrise des infrastructures liées au numérique et aux télécommunications. »
  • Art. 4. « Le contrôle des personnes sur leurs données à caractère personnel est garanti par la loi. Il consiste notamment en le droit à l’oubli, le droit d’accès, de modification, d’effacement, de portabilité, d’opposition des données. »
  • Art. 5. « Toute personne dispose de la liberté d’expression sur les espaces numériques ouverts et publics. »
  • Art. 6. « La loi garantit que les ressources numériques sont protégées par un « domaine commun informationnel », composé du domaine public et de l’ensemble des données, informations et savoirs qui ne sont pas protégés par la propriété intellectuelle. »
  • Art. 7. « La loi garantit à toute personne le droit au respect de sa vie privée numérique, au secret de ses échanges numériques et à l’anonymat sur Internet. »
  • Art. 8. « La loi garantit que toute personne a le droit de connaître le principe de fonctionnement et la finalité des algorithmes qui traitent des informations la concernant. Les algorithmes ne doivent pas discriminer les personnes en fonction de leur genre, opinions politiques, couleur de peau, orientation sexuelle. L’État peut auditer tout algorithme qu’il considère comme potentiellement pouvant contrevenir aux principes de cette charte. »
  • Art. 9. « La loi garantit que toute personne a droit à l’éducation et la formation au numérique. Ces derniers doivent promouvoir les bonnes pratiques tel que l’Internet citoyen, la netiquette, le logiciel libre, ainsi que les droits et devoirs définis par la présente Charte. »
  • Art. 10. « L’accès à l’information publique est garanti, par la loi, et permet à tout citoyen de consulter en toute transparence les documents administratifs entendus comme travaux écrits, codes logiciels, algorithmes, notamment. »
  • Art. 11. « La loi garantit que les outils numériques sont subordonnés à l’être humain et ne peuvent prétendre à lui donner un ordre ou le contrôler. »

Autant dire que cette proposition a un champ bien plus vaste que les deux précédentes : protection contre la surveillance des communications électroniques, promotion de la « netiquette » et des logiciels libres, reconnaissance d’un « domaine commun informationnel », etc.

Graver directement certains principes dans la Constitution ?

Outre ces projets de charte, plusieurs amendements ont été déposés afin d’introduire différents droits ou principes directement dans la Constitution – comme la reconnaissance, dès l’article 1er, de « biens communs fondamentaux ». Delphine Batho souhaite en effet protéger « l’eau, l’air, le climat, la terre, la biodiversité ainsi que les communs informationnels, culturels et numériques », dans la mesure où ils « n’appartiennent à personne » et que leur « usage est commun à tous ».

Le groupe Nouvelle Gauche a de son côté préparé des amendements dits de repli. En cas de rejet de la charte, la commission des lois pourrait malgré tout introduire certaines dispositions (sur la neutralité des réseaux, la protection des données personnelles et l’accès aux informations publiques notamment).

Des amendements pour renforcer la « démocratie numérique »

Autre gros chantier abordé par les députés : la participation des citoyens à la prise de décision publique. Le groupe Nouvelle Gauche propose que « les conditions dans lesquelles les partis politiques et les personnes peuvent participer à la vie démocratique de la Nation grâce aux réseaux numériques » soient impérativement fixées par la loi.

Il s’agit là encore d’une proposition imaginée par le groupe de travail Assemblée/Sénat, mais qui a été délaissée au profit de la « Charte du numérique ». « Le numérique permet de rendre plus effective la participation des citoyens à la vie publique », font valoir les élus PS. « En effet, il en renouvèle et en redéfinit les modalités, à un moment où les citoyens aspirent à être associés plus activement à l’élaboration de l’ensemble des normes qui les concernent ».

S’il était adopté, cet amendement imposerait au législateur de fixer le cadre et les limites de cette participation (par exemple en prévoyant des consultations en ligne, des « amendements citoyens », etc.).

De son côté, le groupe LFI défendra un système de pétitions en ligne, que les citoyens pourraient adresser soit à l’Assemblée nationale, au Sénat, au président de la République ou au Premier ministre. Au-delà d’un certain seuil de soutiens (lequel devrait être fixé par une autre loi, organique cette fois), le destinataire serait obligé de répondre à cette interpellation de la société civile.

Dans un tout autre registre, on pourra noter qu’une trentaine de députés centristes proposent de fixer à dix le nombre de commissions au sein des assemblées (alors que la limite est actuellement de huit). « Ainsi, font-ils valoir, de nouvelles commissions pourront être créées pour étudier des enjeux législatifs actuels et à venir qui ne le sont aujourd’hui pas suffisamment : affaires européennes, outre-mer et domaine maritime, numérique et nouvelles technologies, bioéthique, etc. » L’objectif est également de désengorger la commission des lois, « qui concentre près de 45% des textes examinés par l'Assemblée nationale ».

Les débats doivent débuter aujourd’hui, à 16h30, avant de se poursuivre jusqu’à demain soir. Ils pourront être suivis depuis le portail vidéo de l’Assemblée nationale.

Commentaires (8)

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Le direct de la Commission des lois  http://videos.assemblee-nationale.fr/direct.6298384_5b324ccb06c73 ou sur LCP La Chaîne parlementaire.

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Mdr les seuls propositions centriste sont de créer encore plus de commissions. Comme si on en avait pas assez.

Si LFI pouvait faire passer le logiciel libre et les ressources numériques en plus de la neutralité du net ça serait tiptop.

 

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C’est triste cette obsession, plus présente depuis une vingtaine d’années, de vouloir coller tout et n’importe quoi dans la Constitution. Chacun a son truc qu’il a envie d’y mettre. Déjà qu’on a inscrit le principe de précaution dedans… ce qui ne change rien du tout au fonctionnement pratique des agences sanitaires.

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Rien sur le secret des correspondances par email? Comme ça ne m’étonne pas des fachos au pouvoir <img data-src=" />

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Le débat à la Commission des lois étant terminé, la réforme de la Constitution ne semble pas gagnée. Même si elle passe, elle fera grincer des dents ou elle sera tellement édulcorée que personne n’y comprendra plus rien sans une analyse pointue du Conseil constitutionnel (qui a d’ailleurs d’ores et déjà acté le libre accès à internet dans plusieurs de ses décisions)…

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Oui, je ne comprend pas…

A un moment on ne comprendra plus très bien quelle est la différence&nbsp; entre la constitution et les lois

Logiquement la constitution devrait se contenter de décrire l’organisation des pouvoirs et basta

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On peut se rassurer : “avis défavorable” de la part des rapporteurs, notamment Richard Ferrand qui a fâché les députés par une pointe de mépris alors que les députés ont plutôt le doigt sur la couture du pantalon. Tous ça me semble n’être que de l’esbroufe pour occuper l’espace médiatique et pour occuper&nbsp; les députés.

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Radithor a écrit :



On peut se rassurer : “avis défavorable” de la part des rapporteurs, notamment Richard Ferrand qui a fâché les députés par une pointe de mépris alors que les députés ont plutôt le doigt sur la couture du pantalon. Tous ça me semble n’être que de l’esbroufe pour occuper l’espace médiatique et pour occuper  les députés.





lesquels se plaignaient il y a peu d’avoir des agendas trop chargés <img data-src=" />


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  • Graver directement certains principes dans la Constitution ?

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