CNES : une grève contre un « Contrat d’obsolescence programmée » du centre spatial
L’espace privatisé
Le 21 avril 2022 à 09h03
5 min
Sciences et espace
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Jeudi 14 avril, le CNES a vécu un débrayage d’ampleur inédite. Les salariés des quatre sites du Centre d’études spatiales ont protesté contre le nouveau Contrat d’objectifs et de performance (COP) signé le jour même par la direction et le gouvernement. Selon l’intersyndicale, il accentue le transfert de l’argent public vers le privé sans réel contrôle de la qualité et de la faisabilité des projets, et acte une baisse du pouvoir d’achat des salariés du CNES.
« Depuis 29 ans, je n’ai pas connu de mouvement d’une telle ampleur pour des raisons internes », affirme Georges Blaignan, délégué CFDT du CNES et membre de l’intersyndicale.
Si les élus du personnel étaient déjà très critiques sur la feuille de route que visait de mettre en place le projet de nouveau Contrat d’objectifs et de performance (COP) entre l’état et le centre, c’est l’ajout d’une prévision très basse de l’évolution de la masse salariale du CNES dans le COP qui a mis le feu aux poudres.
Baisse du pouvoir d’achat et potentiels licenciements
« Dans le contexte inflationniste que nous connaissons en Europe actuellement, ce COP affiche bravement une augmentation de 0,6 % de la masse salariale en euros courants » constate Georges Blaignan, « de fait, ça consacre une baisse de cette masse salariale en euros constants vu le niveau de l’inflation, ce qui ne garantit plus ni le maintien des effectifs, ni le pouvoir d’achat des salariés ».
Ce COP était en préparation depuis quelques mois et les représentants des salariés tiraient déjà le signal d’alarme en pointant du doigt qu’il « accentue le transfert de l’argent public vers le secteur privé en mettant à la disposition des industriels les moyens du CNES sans que celui-ci puisse réellement influer sur le choix et la réussite des activités menées » explique le délégué syndical.
Aujourd’hui, la revendication principale des salariés du CNES est le retrait de ce contrat et sa réécriture. Réunis en Assemblée générale, les salariés ont rebaptisé l’actuel COP en « Contrat d’obsolescence programmée » du CNES et veulent réécrire un « Contrat d’objectif du personnel » et le porter à la direction.
Même si le plus gros rassemblement a eu lieu devant le Centre spatial de Toulouse avec 600 personnes sur les 1700 du site, la mobilisation a touché jeudi dernier tous les sites du centre que ça soit celui de Daumesnil, de Paris ou de Kourou, où les employés craignent en plus une vague de licenciements due à l’arrêt des lancements de Soyouz depuis la base guyanaise.
« Le « newspace », pourquoi pas, mais pas à n’importe quel prix »
Le CNES, moteur de l’Europe spatiale depuis les années 1960, est habitué à travailler avec l’industrie et les entreprises innovantes. Mais aujourd’hui, ses salariés ont peur que le centre perde sa raison d’être dans la course au « newspace », nouvel eldorado de l’espace pour les startupers et milliardaires en herbe.
« Le newspace, notre direction et le gouvernement n’ont que ce mot-là à la bouche », déplore Georges Blaignan qui rajoute « Le newspace, pourquoi pas, encore que nous voudrions bien en avoir une définition précise, mais il nous semble que le seul objectif est de transférer de l’argent public dans le privé et on ne le veut pas sans contrôle ».
Une politique gouvernementale assumée
Cette stratégie de financement des start-ups à tout prix, Jean Castex l’assumait déjà en décembre dernier aux 60 ans du CNES en annonçant que « des financements sous la forme de concours ou d’appels à projets seront lancés dès l’année prochaine afin de développer de nouveaux segments de marché. »
Ce moment coïncide aussi avec un changement de taille pour le CNES. Depuis 2021, la politique spatiale française n’est plus conduite par le ministère de la recherche mais par celui de l’Économie et le CNES est passé sous la tutelle de la Direction générale des entreprises. Les priorités se sont donc transférées logiquement de la recherche publique vers l’aide aux entreprises.
Si ce changement de responsabilité ministérielle peut expliquer en partie ce basculement, la situation similaire dans d’autres établissements publics comme l’INRIA (racontée par Médiapart récemment) montre une certaine cohérence de politique gouvernementale pour transformer ces établissements publics en agences de financement de start-ups aux prix de frictions avec les salariés.
L’intersyndicale du CNES est d’ailleurs en train de se rapprocher des représentants des autres établissements publics de caractère industriel et commercial (ou EPIC) comme l’Office national d'études et de recherches aérospatiales pour créer une intersyndicale inter-EPIC.
Et maintenant ?
Georges Blaignan n'a pas encore de retour de la direction suite à cette journée de mobilisation et sur les revendications. Les choses devraient bouger rapidement : « Nous allons rencontrer le PDG en visio-conférence vendredi ».
Quoi qu'il en soit, la mobilisation est toujours forte selon le syndicaliste, mais aucune nouvelle journée de grève n'a pour le moment été programmée. Plusieurs assemblées générales sont par contre prévues afin de construire le « Contrat d’objectif du personnel », qui sera ensuite transmis à la direction.
CNES : une grève contre un « Contrat d’obsolescence programmée » du centre spatial
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Baisse du pouvoir d’achat et potentiels licenciements
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« Le « newspace », pourquoi pas, mais pas à n’importe quel prix »
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Une politique gouvernementale assumée
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Et maintenant ?
Commentaires (18)
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Abonnez-vousLe 21/04/2022 à 10h23
Je pensais rejoindre le CNES, c’est pas loin de chez moi.
C’est peut-être pas un bon plan
Le 21/04/2022 à 12h20
Toujours dans la droite ligne éditoriale de NXi.
Tout ce pavé et on n’a pas le début du commencement d’un exemple de ce qui est reproché. On a droit a des généralités mais aucune précision.
Contrairement à ce que dit le rédacteur un appel à projet n’est pas un financement de start up et a toujours été utilisé par le CNES.
Contrairement à ce que dit le syndicaliste quand un projet est externalisé, il est suivi.
En fait ce qui se joue c’est surtout la bascule dans le ministère de tutelle avec certains personnels qui voient le privé comme le mal absolu. Sauf que le monde évolue extrémement vite autour du CNES sur un domaine qui jusqu’à pas longtemps était relativement peu concurentiel: on est sur du pur affrontement idéologique de méthodes et d’objectifs de travail
Le 21/04/2022 à 19h47
assez en accord avec toi sur ce point, j’ai un peu de mal à voir l’orientation de l’article.
Les 3 bouts de scotch et 2 morceaux de ficelle, c’est ce qui a fait le succès de la technologie spatiale russe, il ne faut pas la négliger
Pour le reste, ça relève du procès d’intention. Je ne dis pas que ça n’arrivera pas… mais de temps en temps ça fait du bien aussi d’essayer de faire confiance…
Arianespace se fait tailler des croupières par des entreprises privées de différents états, ou par des états qui ont acquis la technologie spatiale ces dernières années et ont la capacité à lancer des satellites. Mais à part ça, quand on essaie de s’adapter à ces nouveaux paradigmes, on “casse ce qui marche par idéologie ultra-libérale”. Bien sûr. Je vous propose de bien garder la tête dans le sable, on y est bien au chaud et au-moins, quand le monde entier vous passe devant, vous avec le choix de ne rien voir et de n’en rien entendre.
Pour rappel, il y a 20 ans seulement, les puissances spatiales se comptaient sur les doigts d’une main. Aujourd’hui les capacités existent en Inde, au Japon, en Chine, en Israël, en Nouvelle Zélande, en Ira en plus des acteurs traditionnels. Et chez ces derniers, les États-Unis ont vu une explosion du nombre d’acteurs directs. Le monde change, rien n’est acquis.
Le 22/04/2022 à 07h27
« Aujourd’hui les capacités existent en Inde, au Japon, en Chine, en Israël, en Nouvelle Zélande, en Iran en plus des acteurs traditionnels. »
M’étonnerait que ce soit des initiatives strictement du privé ! Pour prendre d’autres exemples, l’industrie des semi-conducteurs se trouve en Corée ou à Taiwan, et derrière tu as une volonté de l’état. Pareil a contrario pour le développement des centrales nucléaires. Le savoir-faire français est parti en Chine ou en Inde - et des ingénieurs. Pareil pour la téléphonie dont la CGE était leader, sauf que la réalisation des matériels était en Chine, et maintenant Huawei a remplacé la CGE.
Public ou privé, je n’ai pas de religion, mais, en France, la désindustrialisation procède du manque de volonté de l’état, lequel justifie son impéritie par des dogmes libéraux appliqués comme une religion.
Le 22/04/2022 à 18h54
Je ne sais pas trop dans quelle langue il faut le dire, mais parler de “dogmes libéraux” dans un pays où l’État contrôle 65% de la richesse produite, ce n’est même plus un oxymore, c’est soit une méconnaissance totale de ce qu’est effectivement le libéralisme - et ça se soigne, il suffit de lire quelques auteurs libéraux (pas besoin d’aller très loin, la France en a produit quelques-uns, et certaines des plus belles lois républicaines ont été écrites sous la IIIe République sous leur inspiration).
Ou alors c’est juste un gros foutage de gueule. Celui-ci, je pense plutôt le trouver du côté des politiques et de certains éditorialistes, qui sont censés avoir un minimum de culture.
Partiellement d’accord sur ce que tu dis sur la désindustrialisation, si ce n’est qu’elle n’est pas liée à des dogmes ultra-libéraux appliqués au plus haut de l’État, mais plutôt à la vision partagée à ce niveau que les usines, c’est sale et que la valeur est créée par des entreprises sans usines. Voir à ce titre la superbe réussite d’Alcatel, qui a été refondée sur cette vision avant de s’écrouler.
Il semble qu’on soit en train de commencer à revenir sur cette idiotie, restera à s’assurer par contre que les infrastructures, production énergétique et autres permettent la réintégration d’usines. Et accepter aussi une dégradation du “bilan carbone” de la France métropolitaine…
je te rejoins sur le fait qu’il ne faut pas oublier la recherche fondamentale, qui était dans l’ADN du CNES ou de l’INRIA, pour ne citer qu’eux.
Le 23/04/2022 à 13h32
« dans un pays où l’État contrôle 65% de la richesse produite »
Qu’entends-tu par là exactement ? Tu veux parler du PIB ?
Le 22/04/2022 à 15h24
La grosse différence, c’est que par rapport aux compagnies privées du “new space”, le CNES fait de la recherche, et donc ne cherche pas forcément à être rentable (au moins au court terme).
Du coup, le fait de changer de ministère de tutelle en dit bien long, et ne présage rien de bon pour le CNES…
Le 21/04/2022 à 12h22
Vas-y sans arrière pensée: le CNES est parmi les endroits avec les meilleurs avantages pour les salariés et sur des thèmes intéressants qui plus est.
Le 21/04/2022 à 12h44
« Faites toujours plus avec toujours moins, merci »
Si même le spatial doit faire avec des bouts de ficelles, ça va devenir être compliqué … Je croyais que Bruno Lemaire avait dit que le spatial était un secteur-clé du pays ? Mais ils vont refiler le bébé à des start-ups ? Start-ups à but lucratif, qui peuvent fermer du jour au lendemain et se tirer avec le pactole (de fonds publics), ou qui vont essayer de se faire racheter par un géant étranger du secteur.
Les déclarations de Lemaire, c’était donc du flan ? J’en tombe de ma chaise didon.
(Désolé pour le sarcasme, mais je sature des déclarations suivie d’actions inverses, avec des saboteurs qui ne feront face à aucune conséquence)
Le 21/04/2022 à 12h53
Bonjour, vous n’etayez pas plus votre propos que le syndicaliste n’étaye le sien (a moins que le journaliste n’en ai pas rapporté l’intégralité
Le 21/04/2022 à 15h09
Le syndicaliste accuse, à lui d’apporter les preuves de ce qu’il avance (principe de base en justice).
Le 21/04/2022 à 13h13
Le projet néo-libéral à l’œuvre au CNES comme ailleurs consiste à casser tout ce qui marche bien en dehors de son modèle, précisément parce que ça marche bien et constitue donc un mauvais exemple scandaleux. Alors, tabula rasa et lance-flamme. Le côté nihiliste ne fait aucun doute. Guerre de religion aussi. Avec extermination des méchants hérétiques, sociale d’abord.
Le 21/04/2022 à 13h42
En interne, j’ai que des bons retours, en presta pas la même. Si tu as un poste sympa, n’hésite pas. Le process de recrutement est un peu vieille école (on demande l’original des diplômes…)
Le 23/04/2022 à 17h57
Sur le côté anecdotique des diplômes:
J’ai des connaissances qui dans la Fonction Publique d’État se sont fait bananer par des faux diplômes (.pdf bidons) déposés par des candidats à des emplois de chefs de mission (encadrement).
Lorsque les RH se sont rapprochés des établissements ayant délivré le diplôme, par 2 fois (sur 12) ils sont tombés sur des personnes soit inconnues au bataillon, soit qui n’avaient pas validé leur année (bien qu’elles aient transmis une copie du diplôme)…donc pas étonnant qu’au CNES, ils vérifient deux fois (car il doit y avoir aussi un check auprès de l’école dont on se prétend diplômé).
Pour en revenir au transfert du ministère de la recherche vers la DGE, je comprends que ça coince un peu…la DGE doit gérer 500 AAP au total, avec peu de moyens de suivi). Si mes infos sont correctes, l’équipe en charge du projet espace à la DGE est de taille réduite et très jeune. Bien qu’elle soit composée de hauts profils (on doit taper dans de l’ingé X-mines, mais avec 2 ans d’expérience), ça fait peu pour animer une institution aussi lourde.
Il n’est donc pas étonnant que des craintes soient émises…
Le 21/04/2022 à 14h58
Cela tombe bien je ne suis pas journaliste et ne le revendique pas.
Concernant les appels à projet, il suffit de chercher
Concernant les conditions de travail, je peux être aussi parcellaire que le rédacteur. En lisant on comprend en quoi les contrats de projets peuvent être un choc pour certains.
Le 21/04/2022 à 16h07
Non. Le CNES a toujours eu des financement de R&T, et des projets de soutien à l’industrie, etc… Pareil que l’ESA d’ailleurs. Mais ce sont des cadres avec un fort suivi technique du CNES et où le but technique est bien identifié et détouré : développement d’un nouvel équipement, d’un nouveau concept, etc…
Ce qu’il y derrière ici c’est le financement de start-ups, donc plutôt des “bourses”. Et donc pas besoin d’un fort suivi technique de ce type de financement, d’où l’inquiétude : si on a plus besoin d’expertise technique, pas besoin de beaucoup de monde pour suivre les projets.
Le 22/04/2022 à 07h17
A court ou moyens termes, si rien n’est fait Arianespace ne disparaitra pas car soutenue par l’UE (enfin sauf si les populistes prennent le pouvoir en Europe) mais verra son activité nettement diminuée.
Du coup ce qui est craint par les syndicalistes arrivera réellement: coupe budgétaire + licenciements.
Les autres acteurs du domaine avancent plus vite que nous et le CNES à l’image de la NASA vit encore dans l’image de son glorieux passé.
Donc non cela ne marche pas bien actuellement: lenteur administrative, manque d’ambitions et d’idées.
Edit: Et non cela ne vient pas uniquement du ministère de tutelle. D’ailleurs il n’y a qu’à voir le discours rapporté dans la news: tout est accès sur l’évolution individuelle (et le salaire) mais aucune proposition plus globale n’est avancée.
Le 22/04/2022 à 09h58
je vois.. les gens comme vous sont au tribunal a tout instant..et ils sont les juges, bien évidemment.
…aller je laisse tomber, vous avez raison, merci pour la leçon , vous etes fort