QPC sur les données de connexion : interview de Benjamin Bayart
Sans peur et avec des reproches
Le 05 juin 2015 à 15h52
9 min
Droit
Droit
Aujourd'hui, le Conseil d’État a donc transmis au Conseil constitutionnel la Question Prioritaire de Constitutionnalité (QPC) déposée par la Quadrature du Net, French Data Network et FFDN. La cible ? Tout simplement l’or noir de la loi de programmation militaire mais aussi du projet de loi Renseignement : les données de connexion, visiblement mal définies par les textes. C’est ce que nous explique Benjamin Bayart, porte-parole de French Data Network.
Qu'attendent la Quadrature, FDN, FFDN, de cette question prioritaire de constitutionnalité ?
Il y a deux éléments. Premièrement, on veut mettre au clair l’histoire de l’accès administratif aux données de connexion et la définition de ces données. On ne sait pas ce que c’est. Ce n’est pas clair. Il n’est même pas clair que ça se finisse réellement en données de connexion, cette affaire ! En fait, pour le moment, on a un article de loi qui parle d'« informations et documents », ce qui est hyper large, mais cet article de loi est rangé dans un chapitre intitulé « accès administratif aux données de connexion ».
Ces expressions sont-elles identiques ?
He bien voilà, ça, ce n’est pas clair ! Soit on considère que le titre du chapitre a une vraie valeur dans la loi. Il est un élément de la loi. Il a la même portée, la même puissance. Dans ce cas-là, l'expression « informations et documents » est relative au titre du chapitre et donc ne peut être que des données de connexion, et rien d’autre. Ou bien on considère que ce n’est pas le cas, que le titre est décoratif, c’est plutôt de l'ordre du commentaire, pour aider à fixer un peu le Code, sans valeur impérative. Dans ce cas-là, « informations et documents », c’est open bar !
Hier après-midi, il s’est passé un élément clef au Sénat. Pour rendre le truc limpide, un sénateur a proposé de remplacer « informations et documents » par « données de connexion », vu que c’est la même chose. Supposément. Mais le gouvernement a refusé en expliquant « que non, quand même, ce n’est pas tout à fait la même chose, parce que, bon, voyez-vous, dans toutes informations et documents, il y a plus que les données de connexion ». Alors, il y a plus, mais on ne sait pas quoi. Ni combien plus. Ça ne peut pas aller. La loi ne peut pas dire que l’administration a accès à tout ce qu’elle veut, sans passer par un juge, sur tout le monde. Cela va trop loin. Ce n’est pas possible.
Vous espérez donc du Conseil constitutionnel une censure de cette expression ?
Pas forcément. Le Conseil constitutionnel peut très bien nous répondre « mes chers amis, ce texte est parfaitement clair, ça ne peut parler que des données de connexion puisque c’est dans le chapitre Données de connexion ». Et dans ce cas-là, tout ce que les services du renseignement ont l’habitude de demander, qui ne relève pas des données de connexion, eh bien ils vont arrêter. On peut donc très bien avoir une réserve d’interprétation qui produirait le même type de résultat.
Quel est l’autre problème soulevé ?
La procédure d’accès administratif, définie par l’article 20 de la LPM, ne prévoit rien pour les professions dont le secret est protégé. Il y en a deux qu’on développe assez longuement dans la QPC. Les premières sont les journalistes ou plus largement les personnes ayant pour fonction de révéler des informations d’intérêt général au public, comme les blogueurs. Les secondes, les avocats. Typiquement, dans le secret de la relation entre un avocat et un client, le simple fait de savoir que tu es client d’un avocat fait partie du secret. La métadonnée qui te dit que Monsieur Paul Bismuth a appelé Maitre Machin, ça t’informe que Maitre Machin est potentiellement avocat de Monsieur Paul Bismuth. Paul Bismuth étant un nom générique, bien entendu.
Il y a aussi la situation des parlementaires, et…
… Des médecins, des notaires, tout un tas de professions pour lesquelles la notion de secret existe. On a développé ces deux professions, car elles nous paraissaient fournir un angle d’attaque intéressant. En particulier, parce que sur le secret des sources des journalistes, il y a pas mal de travaux ailleurs en Europe. Il y a eu une loi prise en Belgique sur le sujet, porteuse de sens, notifiée par la Cour constitutionnelle Belge, qui dit que ce secret ne peut être restreint aux journalistes, mais à une fonction, celle de l’information générale du public, et donc il faut couvrir les blogueurs avec. On a donc déjà une décision d’un pays européen, dont la Constitution n’est pas très éloignée de la nôtre. Le secret des sources des journalistes est sérieux, mais cela ne nécessite pas de carte de presse.
Quels sont les ponts entre la loi de programmation militaire (LPM) et le projet de loi Renseignement ?
Tout le passage sur les boîtes noires, tout ce qui parle de renseignement sur Internet et les télécoms s’appuie sur les cinq articles que nous avons envoyés devant le Conseil constitutionnel. Si tu suis le fil, il y a des pointeurs qui se renvoient les uns sur les autres. Les boîtes noires, c’est l’article 851 - 4 qui fait référence aux données de l’article 811 - 1. Un 811 - 1 qui est tout neuf, mais quand tu regardes de près, c’est le 246 - 1 du Code de la sécurité intérieure renuméroté. Et le 246 - 1, c’est celui que nous attaquons et qui parle d' « informations et documents ». Donc, ou bien le Conseil constitutionnel casse, il dégage la loi, ou bien il émet une réserve d’interprétation, ce qui est essentiellement équivalent, et ça s’appliquera de facto au projet de loi en discussion.
Des informations ou documents, une liste non limitative le tout rangé parmi les données de connexion.
Me Spinosi, votre avocat, a lourdement suggéré aux parlementaires qui viendraient à saisir le Conseil constitutionnel de s'inspirer de cette QPC (son interview). C’est si important de dédoubler les arguments ?
Ce ne sont pas les mêmes procédures. Le Conseil constitutionnel ne les analyse pas dans les mêmes délais, ni de la même façon. En particulier, les saisines parlementaires ne donnent pas lieu à une audience publique, contrairement à la QPC. Au bout du bout, cependant, le Conseil constitutionnel ne va pas se dédoubler ni se multiplier par quatre : ce sont les mêmes gens qui vont travailler sur les quatre dossiers, puisque tout laisse à annoncer qu’il y aura une saisine par l’exécutif, par les députés et depuis hier, on parle d’une saisine par les sénateurs. Donc, plus la QPC, ça fait quatre.
Ces quatre procédures seront examinées sensiblement au même moment, puisqu’à partir d’aujourd’hui, 5 juin, le dossier est sur le bureau du Conseil constitutionnel. Il a donc jusqu’au 5 septembre pour nous répondre. Ce qui fait dire que l’audience aura lieu probablement fin juillet, début août. Les saisines parlementaires vont tomber début juillet.
Il y a un intérêt à ce que les arguments se rejoignent. Il y a un intérêt à ce qu’ils se complètent aussi. Dans le cadre des saisines parlementaires, nous allons envoyer des arguments, ce qu’on appelle un amicus curiae, une intervention externe dans la procédure, pour dire au Conseil constitutionnel : voilà la lecture qu’on fait du dossier, les éléments qui vont, ceux qui vont pas, ceux qui coincent, ceux qui ne coincent pas, et le CC retiendra ce qu’il a envie.
S’il y a réserve d’interprétation, quelle sera l’utilité de la procédure ?
Si les articles qu’on attaque sont déclarés contraires à la Constitution, tout le volet Internet et télécom du projet de loi Renseignement tombe. Le projet n’a plus de sens puisqu’il s’appuie sur des articles inconstitutionnels. Il n’a plus d’effet. S’il y a une réserve où le Conseil dit « ces articles s’interprètent de telle façon, et il n’y a pas telles autres données qui peuvent circuler », cela veut dire que le projet de loi Renseignement ne transportera que ces données-là, et non pas tout ce que le ministère de l’Intérieur voulait.
Oui, mais vous avez également attaqué le décret d’application de la LPM...
C’est un dommage collatéral. On attaque là la conservation des données de connexion pour faire transposer en droit français l’arrêt de la Cour de Justice de l’Union européenne qui dit que la conservation systématique des données de connexion, ce n’est pas bien. Si jamais on gagnait devant le Conseil constitutionnel, alors de fait, on gagnerait contre le décret, lequel serait abrogé. Les questions que l’on pose sur la conservation des données de connexion tomberaient. C’est pour cela qu’on a lancé une deuxième procédure, pas encore annoncée. Il faut que j’écrive un billet de blog dessus, mais je n’ai pas eu le temps. Elle nous permet d’attaquer cette conservation, quand bien même on aurait gain de cause devant le Conseil constitutionnel sur l’accès administratif à ces mêmes données.
Donc vous avez allumé plusieurs mèches…
Oui, et si jamais une des mèches part trop tôt, cela n’empêchera pas les autres de poursuivre leur chemin.
Merci Benjamin Bayart, et bonne route.
QPC sur les données de connexion : interview de Benjamin Bayart
-
Qu'attendent la Quadrature, FDN, FFDN, de cette question prioritaire de constitutionnalité ?
-
Ces expressions sont-elles identiques ?
-
Vous espérez donc du Conseil constitutionnel une censure de cette expression ?
-
Quel est l’autre problème soulevé ?
-
Il y a aussi la situation des parlementaires, et…
-
Quels sont les ponts entre la loi de programmation militaire (LPM) et le projet de loi Renseignement ?
-
Me Spinosi, votre avocat, a lourdement suggéré aux parlementaires qui viendraient à saisir le Conseil constitutionnel de s'inspirer de cette QPC (son interview). C’est si important de dédoubler les arguments ?
-
S’il y a réserve d’interprétation, quelle sera l’utilité de la procédure ?
-
Oui, mais vous avez également attaqué le décret d’application de la LPM...
-
Donc vous avez allumé plusieurs mèches…
-
Merci Benjamin Bayart, et bonne route.
Commentaires (31)
Vous devez être abonné pour pouvoir commenter.
Déjà abonné ? Se connecter
Abonnez-vousLe 05/06/2015 à 16h29
Bravo à FDN !!
Dire que j’ai écris à mes sénateurs pour leur faire part de mes craintes sur plusieurs point dont notamment cette QPC devant le conseil d’État.
Pas de réponses de leur part, pour l’instant.
Le 05/06/2015 à 16h49
Il va y avoir une nouvelle profession : « exégète amateur » avec un super diplôme qui commence par « Au nom du peuple français » et (sous réserve) un autographe de Bernard et de Manuel.
Grand coup de chapeau à toutes les personnes qui se sont remuées sur ce sujet " />
Le 05/06/2015 à 16h59
“vu que? c’est la même chose”
“ayant pour fonction est de révéler”
“Monsiueur”
Le 05/06/2015 à 17h27
Merci à FDN, LQDN et FFDN de faire mieux le boulot que les politi-pourri-corrompu-ciens de tous bords qui nous gouvernent (qu’ils disent !)
[ Remarque, après la QPC… ça va pas accélérer l’agrément ! ]
Le 05/06/2015 à 18h18
encore merci de tout ce vrai boulot! " />
Le 05/06/2015 à 18h30
Peut-on y croire ?
Et aucun parti politique ne s’élève contre tout ça, ni aucun politique (il est vrai que ça n’entre jamais dans le cadre des interrogations des journalistes dans les interviews, sur les radios par exemple).
En fait, j’en déduis même que les journalistes s’en tapent royalement.
Le 05/06/2015 à 19h29
Oui, ils s’en tapent tellement qu’ils font plein de sujets bien expliqués pour que tout le monde comprene, et interviewe des experts qui apportent des précisions sur ces sujets.
" />
Le 05/06/2015 à 19h30
C’est dommage pour la photo de B. Bayart, il porte des cravates bien plus rigolotes d’habitude …
Mais peut-être que pour passer à NXI, il l’a changé.
" />
Le 05/06/2015 à 21h52
Le 05/06/2015 à 21h52
Ce n’est pas parce que tu ne vois pas le bas de la cravate qu’elle n’est pas rigolote… " />
Le 05/06/2015 à 22h26
Bon, j’ai pas encore fait de dons à QDN cette année, ça ne saurait tarder " />
Le 05/06/2015 à 22h29
Le 05/06/2015 à 22h40
C’est bien possible oui.
Le mouvement était plus jeune à l’époque et on voyait beaucoup plus Jérémie Zimmermann d’ailleurs. J’ai l’impression qu’on le voit moins maintenant, la comm’ s’étant professionnalisée (voir la récente conférence de presse)
En tout cas, “la crédibilisation” a eut lieu, j’ai l’impression, sur ACTA plus que sur le PLJ Renseignement
Le 08/06/2015 à 15h56
Le 08/06/2015 à 16h07
Le 05/06/2015 à 22h48
Je crois que c’était des “anti-Zimmermann” en effet. N’empêche qu’il est à l’origine de la QDN, même si l’exécutif a changé.
Le 05/06/2015 à 23h21
Paul Bismuth étant un nom générique, bien entendu.
" /> au " />-o-meter
Le 06/06/2015 à 04h45
Le 06/06/2015 à 04h46
Le 06/06/2015 à 04h53
Le 06/06/2015 à 08h26
Sans compter le fond Google…
Le 06/06/2015 à 10h30
C’est la mention qui figure en préambule d’un jugement.
Le 06/06/2015 à 11h02
Bon, j’essaie de résumer la position :
On attaque :
Hacker juridiquement les boites noires avant :
est bien entendu nécessaire.
Mais la théorie du château de carte législatif qui s’écroule (le gros projet de loi sur le renseignement, une partie de la LPM) si cet aspect de conservation des données est jugé anti-constitutionnel est elle bien fiable ?
En effet, si la récolte et la conservation des données est, par chance, jugée excessive, ne doutons pas que la réécriture des projets de loi se fera en restreignant les durées de conservation mais tout le reste qui nous préoccupe sera remis sur la table (commission politique de contrôle, absence de juge judiciaire à la récolte des données, absence de CNIL sur le croisement des fichiers) et peut-être même des boites noires plus limitées légalement mais tout de même toujours présentes.
Donc, on pourrait se retrouver in finé avec des lois réécrites mais tout aussi problématiques, où nos données perso se baladent d’officines secrètes en officines secrètes, sans que l’on ne contrôle quoi que ce soit. Et cela sera vraiment plus dur de gueuler une deuxième fois contre la réécriture d’un projet de loi qui prend en compte l’avis du CC.
Car ne l’oublions pas, le problème est moins la durée de conservation des données que le fait de pouvoir installer par force de loi des dispositifs de récolte des données dans le champ numérique public. Cela n’a pas posé de problèmes aux SSecret jusqu’à présent d’être dans l’illégalité sur cet aspect. Donc, votre limite légale de conservation des données, vous pourrez de toute manière vous la carrer s’ils peuvent techniquement aspirer et que le contrôle est fantôche.
Bref, selon moi, puisque les saisines au CC vont se faire par plein de monde (FDN/QDN, AN, Senat, Présidence), il serait bien que certaines n’attaquent pas seulement l’aspect données mais aussi l’aspect contrôle inexistants des fichiers des renseignements, car l’un ne va pas sans l’autre.
Bref, souhaitons que la LPM et le PJLRenseignement attérissent réellement dans les décharges des lois liberticides de l’histoire.
Le 06/06/2015 à 12h19
Je vois mal quelqu’un comme Benjamin Bayart manquait une occasions de troll un dredi " />
Le 06/06/2015 à 12h29
Le 06/06/2015 à 12h44
Le 06/06/2015 à 13h53
Le 06/06/2015 à 14h48
" /> Excellente nouvelle. " />
Le 08/06/2015 à 06h26
Merci aux associations qui se bougent sur ce sujet.
Le 08/06/2015 à 08h49
Admirables Benjamin Bayart et autres qui se bougent sur le sujet.
Pas facile pourtant, inouïe ce que les gens s’en foutent.
Le 08/06/2015 à 09h37