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Le CNRS se demande où en est la « révolution quantique ? »

Elle est là, sans être là

Le CNRS se demande où en est la « révolution quantique ? »

Fin 2023, le CNRS et l’Association nationale de la recherche et de la technologie (ANRT) organisaient un événement sur le thème « révolution quantique, horizons et réalités derrière le buzz ». Et justement, que trouve-t-on derrière le buzz ? Le CNRS tente de répondre à cette question, qui cache en fait plusieurs réalités.

Le 07 février à 11h29

Le CNRS commence par un rappel toujours utile : la physique quantique a déjà « profondément bouleversé le XXe siècle, avec des avancées telles que le transistor, le laser, la diode, les horloges atomiques ou encore le GPS ». Le XXIe siècle est placé sous le signe de l’informatique quantique et des qubits, qui mettent pour le moment du temps à se multiplier.

Pascale Senellart (directrice de recherche CNRS, membre du Conseil présidentiel de la science, co-fondatrice et conseillère scientifique de Quandela), propose une analogie pour comprendre l’étendue des enjeux : « Si l’on prend l’image de la Terre, le monde classique ne décrirait que la position du pôle Sud, 0, et celle du pôle Nord, 1. Le monde quantique, lui, donne accès à toutes les informations présentes à la surface du globe ».

Avantage et suprématie quantique, de quoi on parle ?

En guise de mise en bouche, Clarisse Angelier (déléguée générale de l’ANRT) explique que « la communauté scientifique n’est pas unanime sur le degré de maturité de l’informatique quantique et autres technologies associées ». Le CNRS embraye sur la notion d’avantage quantique, qui correspond au moment où un ordinateur quantique dépassera allégrement un ordinateur classique.

S’il ne fait visiblement aucun doute pour le CNRS qu’il sera « atteint un jour », le Centre ajoute qu’il « reste cependant difficile d’estimer quand cela arrivera ». « Nous sommes tous d’accord pour dire qu’une révolution technologique est en marche », ajoute Pascale Senellart. Difficile en effet de prétendre le contraire.

L’avantage quantique justement – le choix sémantique est intéressant, puisqu’il n’est pas question de suprématie dans le cas présent – a déjà été revendiqué en 2021 par… une équipe de chercheurs européens, venant notamment du CNRS.

Le communiqué était limpide : les chercheurs venaient « de prouver qu'une machine quantique peut effectuer une tâche de vérification donnée en quelques secondes alors que le même exercice prendrait un temps équivalent à l’âge de l’univers pour un ordinateur classique ». Il s’agissait alors d’une « démonstration expérimentale ».

Quant à la « suprématie quantique », elle a déjà été revendiquée outre-Atlantique et en Chine. Des déclarations à prendre avec des pincettes dans les deux cas. La première fois, IBM réfutait les affirmations de Google. La seconde, c'était l’organe de presse officiel du Parti communiste chinois qui faisait l’annonce.

La quête du Graal avec l’ordinateur quantique universel

Eleni Diamanti, chercheuse au CNRS et coautrice des travaux dans Nature Communications sur l’avantage quantique européen, nous expliquait le choix des mots. Elle précisait notamment pourquoi « supremacy » n’était pas utilisé dans la publication scientifique :

« Nous avons fait le choix d'être prudents avec l'utilisation de ce terme puisque notre machine quantique qui nous a permis de montrer cet avantage quantique algorithmique ('quantum computational advantage', terme de toute façon préférable à 'supremacy') n'a pas vocation d'amener à terme à un ordinateur quantique universel. Le terme 'supremacy' est souvent associé à ce but final, pour la machine Google par exemple, qui pour l'instant est très loin d'être un ordinateur quantique universel, mais c'est l'objectif ultime ».

Photons, supraconducteurs, semiconducteur…

Pour en revenir à l’informatique quantique, le CNRS rappelle à juste titre qu’il n’y a pas qu’une seule informatique quantique, mais « plusieurs » suivant les technologies employées. Quandela par exemple se concentre sur des qubits à base de photons, la startup Alice & Bob sur les supraconducteurs, C12 sur le spin de nanotubes de carbone, Quobly sur celui des semiconducteurs, etc.

Le CNRS rappelle un point que nous avons déjà expliqué dans l’introduction de notre dossier sur la physique quantique : « les bonnes métriques doivent également être identifiées. Connaître le nombre de qubits ne suffit pas à comparer deux ordinateurs quantiques, car il faut par exemple savoir combien de qubits parviennent à fonctionner ensemble sur un même calcul ». Distinguons également les qubits utiles (ceux utilisables dans un calcul) des qubits physiques. Des dizaines, des centaines, voire des milliers de physiques sont parfois nécessaires pour un seul qubit utile.

Autre point important à prendre en compte : l’aspect pratique. « L’informatique quantique a en effet été longtemps cantonnée à des simulations » faute d’avoir des machines à disposition. C’est désormais le cas, elles sont même accessibles en ligne par tout un chacun, mais avec toujours un nombre aujourd’hui limité de qubits. Et en plus de ces derniers, il faut avoir des portes logiques quantiques et réussir à maintenir le tout dans un état quantique durant l’ensemble des opérations ; c’est tout sauf une mince affaire.

La recherche avance à grande vitesse sur l’informatique quantique, avec des annonces régulières dans la presse de machines avec toujours plus de qubits… mais sans que l’on sache à quoi cela correspond vraiment. Il faut là aussi être prudent.

Éric Brier (vice-président et CTO Cyber Defence Solutions chez Thales) profitait des Assises de la cybersécurité de Monaco pour donner un exemple avec l’annonce par IBM d’une machine avec 433 qubits. On pourrait se dire que « ça commence à faire beaucoup pour de l'AES sur 128 bits : on a quatre fois plus, on est tout bon ? ». Pas si vite, puisqu’il est question de qubits logiques. « Parfois, on est obligé d'utiliser 100 qubits physiques pour arriver à un seul qubit logique. Là, ça nous ramènerait à 4, on est loin du compte ». Combien de qubits logiques/utiles chez IBM ? Ce n’est pas précisé par le fabricant.

Des avancées scientifiques dans une superposition d’états

Mais alors, où en est la révolution quantique pour revenir à la question première ? Pour faire une analogie, dans une superposition d’états : l’avantage quantique a été atteint et « sera sans doute atteint un jour ». Même constat pour les machines, qui ont à la fois des centaines de qubits (physiques) et quelques qubits (utiles). Le quantique, jusqu’au bout des bits donc.

La France serait bien positionnée dans la course quantique avec ses nombreuses start-ups. « On a la chance d’avoir un secteur scientifique fort, ainsi que l’œil attentif du gouvernement, qui a investi plus d’un milliard d’euros dans le cadre de sa stratégie nationale d’accélération pour les technologies quantiques », explique Jean-Luc Moullet, directeur général délégué à l’innovation du CNRS.

Où en est le Plan Quantique de 2021 ?

La France a pour rappel présenté son Plan Quantique en janvier 2021 avec 1,8 milliard d’euros à la clé. Cette somme était prévue pour s’étaler sur cinq ans, avec trois sources de financement : l'État et les organismes affiliés avec 1,05 milliard d'euros, l’Europe pour 200 millions d'euros et le secteur privé pour les 550 millions restants.

Un programme de 150 millions d'euros a été annoncé en septembre 2022 (PEPR Quantique). « Piloté par le CNRS, le CEA et Inria, il se focalisera sur quatre grands axes : les qubits à l'état solide, les atomes froids, l'algorithmique et les concepts de rupture en cryptographie ».

Une plateforme de calcul quantique hybride est attendue (elle était prévue pour 2023). Elle est « dotée d’un budget de 72,3 millions d’euros de France 2030 » et « vise le développement d’une plateforme de calcul hybride, interconnectant systèmes de calcul classiques et dispositifs quantiques, vus alors comme des accélérateurs », explique le gouvernement.

« Un consortium est déjà sur les rails entre la France, l'Allemagne, l'Italie, l'Espagne, l'Irlande et l'Autriche pour développer le premier prototype d'ordinateur hybride doté d'un accélérateur quantique d'au moins 100 qubits à l’horizon 2023 sur le site du Très Grand Centre de calcul (TGCC) à Bruyères-le-Châtel », expliquait le Président de la république. Deux questions sont encore en suspens : combien de retard encore à prévoir et 100 qubits logiques ou physiques ?

Commentaires (6)

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Un ebook libre Comprendre l'informatique quantique

J'ai assisté à une conférence de Julien Bobroff sur la révolution quantique, son livre est ici La révolution quantique
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Merci pour ces liens !
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Le CNRS se demande où en est la « révolution quantique ? »
Il faut demander à Guerlain. Eux, ils sachent, avec leur Crème Nettoyante et Réjuvénante de la Science.
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la révolution quantique, ça passe crème !
avant (Guerlain) je pensais que c’était du flan.
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Je n'ai pas encore lu l'article, le sous titre suffit à me réjouir :bravo:
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Le principal problème des ordinateurs quantiques, c'est qu'en augmentant le nombre de qubit on augmente de façon exponentielle les problèmes de décohérence.

En ajoutant un qubit, on augmente donc certes la puissance de calcul de façon exponentielle, mais la "stabilité" du système s'en trouve dégradée de façon exponentielle.

Alexandre et Michel Gondran exposent cela dans leurs travaux, et proposent d'ailleurs une interprétation très intéressante pour la physique quantique (une extension de la théorie de De Broglie-Bohm). Un petit aperçu de leur théorie de la double échelle est dispo en ligne pour ceux qui aiment les maths.

edit : je rajoute cet article qui traite du problème de décohérence et des limites de l'approche actuelle

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