Panorama des menaces sur la liberté d’expression et la presse au Sénat
Amis internautes...
Le 30 septembre 2016 à 15h00
7 min
Droit
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Le projet de loi sur l’égalité et la citoyenneté sera discuté en séance publique à partir du 4 octobre au Sénat. Retour sur les dispositions relatives à la liberté d’expression et leurs effets sur les publications en ligne, professionnelles ou non.
À l’occasion des débats autour de ce texte d’origine gouvernementale, les parlementaires ont eu pour riche initiative de modifier des pans entiers du droit de la presse. Derrière le vocable, pas de confusion : ce ne sont pas des règles réservées aux seuls journaux, mais bien tout l’arsenal qui permet à une prétendue victime de trainer une personne pour abus de la liberté d’expression, notamment sur les réseaux. Tour d’horizon.
L’arrêt d’un site aux contenus discriminatoires
Depuis 2007, l'article 50 - 1 de la loi du 29 juillet 1881 permet au ministère public et à toute personne ayant intérêt à agir de demander au juge des référés d'ordonner l'arrêt d'un site Internet. Il suffit que celui-ci contienne des messages de provocation publique à la discrimination, à la haine ou à la violence raciale et de contestation des crimes contre l'humanité. Et que ces messages constituent « un trouble manifestement illicite ».
Avec ce projet de loi, le gouvernement et les parlementaires ont étendu ce mécanisme à la diffamation ou l’injure envers une personne ou un groupe de personnes « à raison de leur origine ou de leur appartenance ou de leur non-appartenance à une ethnie, une nation, une race ou une religion déterminée ». Mais aussi à raison de leur sexe, de leur orientation ou identité sexuelle ou de leur handicap.
Un juge pourra ainsi ordonner l’interruption d’un site à raison de ces contenus à caractère discriminatoire. Et puisque le ministère public pourra être à l’origine de cette procédure, il ne sera pas nécessaire d’identifier l’auteur des propos incriminés.
La requalification s’invite dans la loi de 1881
Cette autre brèche a d’abord été ouverte par le gouvernement à l’égard des seuls délits de provocation, de diffamation et d’injures raciale ou discriminatoire.
Contre l'avis de l'exécutif, elle a été étendue en commission au Sénat à tous les abus de la liberté d’expression. Il sera donc possible pour un juge de requalifier les faits dont il est saisi. Ainsi, une procédure en diffamation pourra déboucher sur une sanction pour injure, et inversement.
Aujourd’hui, en cas d’erreur d’aiguillage, le magistrat est lié par la qualification du réquisitoire ou de la plainte avec constitution de partie civile. Demain, si la disposition survit, alors le prévenu ne pourra plus être relaxé, la requalification étant possible à l’audience.
Le point de départ de la prescription
C’est là le gros point noir du texte. Comme déjà vu plusieurs fois dans nos colonnes, la commission des lois du Sénat a modifié les règles de calcul de la prescription en ligne. Les trois mois (délai de droit commun) ou un an (pour certaines infractions) débuteraient non à la date de publication, mais à celle à laquelle cesse la mise à disposition au public d’un contenu en ligne (que soit un journal en ligne, un post sur Facebook, un tweet, un blog, etc.). Pour la presse papier, par contre, on en resterait aux règles actuelles.
Cette disposition a été soufflée par le rapport d'information « L'équilibre de la loi du 29 juillet 1881 à l'épreuve d'Internet », présenté l’été dernier par ses auteurs, François Pillet (LR) et Thani Mohamed Soilihi (PS)
Se souvenant que le Conseil constitutionnel avait épinglé une telle réforme en 2004, le gouvernement refuse une telle réforme : voilà des dispositions « excessives », qui « portent une atteinte disproportionnée à la liberté d’expression ». Et pour cause, il sera possible de poursuivre indéfiniment une personne pour peu qu’un message posté des années avant reste accessible quelque part en ligne.
Extension des possibilités de réparation
Sur initiative des sénateurs Thani Mohamed Soihili, Alain Richard et François Pillet (ici et là), les sénateurs réunis en commission des lois veulent tout autant « permettre une réparation des préjudices nés des abus de la liberté d’expression sur le fondement de la responsabilité civile de droit commun » (article 1382 du Code civil, renuméroté dans quelques heures en 1240), et plus uniquement sur celui de la loi de 1881.
Quelles conséquences ? La mesure, qui vient renverser une jurisprudence de la Cour de cassation, va rendre possible « d’autres réparations que celle associée à la condamnation pour une infraction de presse », explique le rapport de la commission des lois. Cela implique également la possibilité de jouer sur des délais de prescriptions plus longs, sans avoir à s’embastiller dans les trois mois actuels.
Plus d’automaticité de la fin des poursuites
Aujourd’hui, en cas de désistement du plaignant, les procédures engagées s'arrêtent. Le rapport précité plaide pour la fin de cette règle. Le texte examiné au Sénat passe des écrits aux actes.
Selon les auteurs de l’amendement (le trio Thani Mohamed Soihili, Alain Richard et François Pillet), le régime actuel permet à une prétendue victime d’instrumentaliser ce levier : j’engage une poursuite puis je me retire, avec, entre ces deux moments, l’assurance d’une sale période pour le prévenu.
En supprimant la fin de l’automaticité, les sénateurs savent aussi que toute action engagée va permettre de continuer son bonhomme de chemin jusqu’à l’éventuelle condamnation.
Un sujet zappé par la plupart des journaux
Rare sont les journaux à s’être intéressés à ce sujet pourtant sur la table depuis début juillet. Alors que les débats en séance s’approchent, signalons néanmoins ce billet de la presse judiciaire, un encadré du Canard enchaîné, cet article de Mediapart publié aujourd’hui et surtout ce communiqué de plusieurs organisations professionnelles.
Cosigné par le SPILL (dont est membre Next INpact), il dénonce « plusieurs dispositions qui mettent en danger la loi de 1881 sur la liberté de la presse ». Au gouvernement et aux parlementaires, ces syndicats rappellent « la nécessité de préserver la cohérence de cette loi, qui organise l'équilibre entre les garanties individuelles et la protection des libertés fondamentales en démocratie, toujours pertinente à l'ère des médias numériques ».
Quelles suites ?
Une fois adopté, le texte partira en commission mixte paritaire, la navette avec l'Assemblée nationale étant réduite du fait de la procédure accélérée. Au Sénat, il sera néanmoins difficile de freiner l’ardeur des parlementaires. Il suffit en effet de relire quelques échanges relevés par nos soins lors de la présentation du rapport Thani Mohamed Soihili et François Pillet :
- Sur Internet, « chacun se faisant journaliste ou prescripteur d'opinion, les frontières sont diluées : on use et on abuse de la liberté d'expression » (François Bonhomme, rattaché LR).
- « Comment sanctionner les non professionnels qui font tout et n'importe quoi sur Internet ? » (Alain Vasselle, LR)
- « Dans un monde qui favorise la culture du mensonge et de l'anonymat, susceptible d'exacerber les tensions que connait notre société, cela entame la confiance des citoyens dans leurs institutions : quand la justice n'est pas capable de réparer le préjudice, on ne croit plus au système. » (François Zocchetto, UDI)
- « Depuis plus de dix ans progresse l'idée qu'Internet ne saurait être soumis à aucune règle. » (Catherine Tasca, PS)
- « Merci aux rapporteurs de s'être plongés dans le trou noir d'Internet. Est-il judicieux de faire perpétuellement assaut de transparence quand cela ne sert qu'à alimenter un flux continu de prétendues informations, qui assimilent par exemple l'IRFM à du black ? Patrimoine, présence des parlementaires : il y a de quoi s'amuser ! » (Pierre-Yves Collombat, RDSE)
- « Comment définir ces gens - toujours les mêmes, officiellement des particuliers - qui s'érigent en experts plus ou moins éclairés, dont les analyses, souvent lapidaires, ne reposant sur rien, sont pourtant largement diffusées ? » (André Reichardt, LR)
- « Ce rapport ne manquera pas de provoquer les réactions des internautes, qui - je le redis - sont nos amis ! » (Philippe Bas, LR).
Panorama des menaces sur la liberté d’expression et la presse au Sénat
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L’arrêt d’un site aux contenus discriminatoires
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La requalification s’invite dans la loi de 1881
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Le point de départ de la prescription
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Extension des possibilités de réparation
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Plus d’automaticité de la fin des poursuites
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Un sujet zappé par la plupart des journaux
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Quelles suites ?
Commentaires (35)
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Abonnez-vousLe 30/09/2016 à 15h19
L’arrêt d’un site aux contenus discriminatoires.
Oui, seulement s’il est hébergé en France. Sinon procédure pour un blocage niveau DNS chez les FAI. En gros un truc facilement contournable…
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Le 30/09/2016 à 15h39
Certaines des citations valent leur pesant de cacahouètes…
Jean-Luc du troquet du coin va sans doute porter plainte pour plagiat éhonté.
Le 03/10/2016 à 15h54
Si les gens sont prêts à croire n’importe quoi, c’est peut-être parce que les propos de nos “élites” ne sont plus audibles par une population qui se rend de plus en plus compte des duperies de nos dirigeants, et que les grands patrons de presse, copains de ces derniers, passent leur temps à limiter la parole publique à, tout au plus, un tripartisme d’apparence (LR,PS,FN).
Le 30/09/2016 à 15h41
En gros la liberté d’expression, c’est bien quand tu es d’accord " /> avec le pouvoir et les idéologies qui vont avec. Et comme l’as si bien dit onfray, dés que tu dépasses des clous, se déroule la ficelle magique du rétrograde>raciste>homophobe>nazi! et la ficelle devient un peu plus longue avec islamophobe ces temps ci!!!
Le 30/09/2016 à 15h54
tu surestimes le citoyen moyen.
Si cela permet déjà d’épurer les sites web ouvertement nuisible, pour que le péquin moyen ne tombe pas dessus par hasard, on restaurera un peu la foi dans l’humanité :p
Le 30/09/2016 à 15h56
et une machine a gaz en plus, une … " />
Le 30/09/2016 à 16h14
Je crois qu’un très bon exemple serait monsieur valls…
Le 30/09/2016 à 16h47
C’est officiel, ils ne sont plus Charlie… (mais l’ont-ils été autrement qu’à la tv, la main sur le coeur et des trémolos dans la voix ?)
Le 30/09/2016 à 16h51
C’est ouf, juste ouf
Je sais même pas quoi dire d’autre…
Faudrait faire une compil des suppositoires de taille multi-kilométrique qu’on nous enfile pour guérir la société…
Je sais pas si on est un pays particulièrement prolifique en la matière mais c’est incroyable de lire les déclarations et les futures actions de ces dinosaures effrayés par le peuple.
“La France tu l’aimes ou tu la quittes.”
Ça me fendrait le cœur de changer d’avis sur cette problématique pondue par un illustre penseur, mais à un moment donné la couleuvre ne passera plus…
Le 30/09/2016 à 17h04
Le 30/09/2016 à 17h50
Le 30/09/2016 à 17h52
Comment définir ces gens - toujours les mêmes, officiellement des particuliers - qui s’érigent en experts plus ou moins éclairés, dont les analyses, souvent lapidaires, ne reposant sur rien, sont pourtant largement diffusées ? » (André Reichardt
Anéfé, pare feu open office toussa.
Elle est crème celle ci.
Le 30/09/2016 à 19h49
Pour prendre sa défense, la question sur les logiciels libres était mal posée et Albanel s’est emmêlé les pinceaux dans sa réponse. D’alleurs, le questionnant ne lui a pas répondu, preuve pour lui que la réponse était bonne.
Le 30/09/2016 à 22h15
L’article parle de quel pays ? De la France ? Non ?!
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Le 01/10/2016 à 08h01
(simple question))
(car, j”ai dû mal comprendre….alors)
* historique….de comment (tout cela) c’est déroulé ???
Le 01/10/2016 à 08h44
https://framablog.org/2009/04/02/hadopi-albanel-pare-feu-open-office-logiciel-libre/
Framablog ne se moque pas d’Albanel mais reconnaît que son charabia n’a ni queue ni tête.
Christian Paul aurait du (selon moi), formuler sa question ainsi:
“Comment fonctionnera votre dispositif de contrôle dans les systèmes où le code doit être ouvert comme les logiciels libres car cette ouverture rendrait caduque le dispositif que vous proposez? Vous n’oubliez que pour le principe d’égalité devant loi, votre dispositif technique devra être multiplate-formes (c’est-à-dire fonctionner sur Windows, Mac OS et Linux). À moins que le ministère de la culture est indifférent au Logiciel Libre dont il utilise les services au quotidien. ”
https://framablog.org/2009/04/02/hadopi-albanel-pare-feu-open-office-logiciel-li…
Le 01/10/2016 à 08h55
Si on se rappelle le traitement par la presse de l’hadopi, on ne peut que constater au minimum un biais lié à une défense avec les droits d’auteurs d’un corporatisme au dépend de la vérité et des faits. Avec un traitement biaisé de l’information, l’accès aux médias aux seuls experts qui allaient dans le sens de l’hadopi malgré une qualité d’expertise plus que douteuse.
Et les articles lorsque l’on connait un sujet sont très souvent orientés ou mal traité dans le but de faire du buzz. La capacité d’un journaliste à lire une études scientifique est proche de la nullité, ce qui encombre l’espace médiatique d’enquêtes pseudo scientifiques souvent peu étayées lorsque on se penche sur le papier de base avec juste une reprise souvent limité aux seules conclusions. Ou de la mauvaise utilisation des sondages.
Comment remédier à cela quand les journalistes ne font pas leur ménage ou comme le disait le médiateur d’une radios publique, le font en ayant en tête de défendre d’abord leurs confrères.
Le 01/10/2016 à 09h06
Le 01/10/2016 à 09h11
Le 01/10/2016 à 09h24
ils sont en train “d’ouvrir une voie d’eau” dans le Code Pénal, ils sen mordront les doigts
dans 5-10-15 ans !
on va TOUS finir noyés; dans cette histoire ! " />
Le 01/10/2016 à 10h16
Le 01/10/2016 à 12h48
Déjà qu’avec la censure de certains journaux (Le Figaro par exemple) il fallait rester très “bisounours” pour que les messages passent !!!
Nous aurons bientot le droit de la fermer…
Le 01/10/2016 à 17h26
c’est tout a fait ce genre de textes qui “entame la confiance des citoyens dans leurs institutions”…Ces sénateurs veulent de la servilité.
Le 01/10/2016 à 18h09
par “par hasard”, j’entendais par exemple chercher des infos sur l’IVG, et tomber sur les sites prosélytes “pro vie”. Ou rechercher une info sur les rites musulmans, et tomber sur les intégristes…
Le 01/10/2016 à 21h35
Ouais ben ça continue…
Allez pour se dérider,
officiel bisounours d’un côté accessible avec le gentil moteur de
recherche agréé et l’OS agréé ; de l’autre le Darknet (j’aime pas trop
ce mot pour le web caché à Google^^) va devenir de plus en plus
attrayant pour les “déviants” à la pensée admise/doxa.
Effrayant mais pas étonnant, le modèle chinois les fait bander/mouiller (pas de misogynie).
jackjack2 a écrit :
C’est ouf, juste ouf
Je suis plutôt pour “La France tu l’aimes ou tu la quittes les kickes.”
Pour changer de Benjamin Franklin.
Le monde ne sera pas détruit par ceux qui font le mal, mais par ceux qui les regardent sans rien faire. (Albert Einstein).
Le 02/10/2016 à 07h33
S’il n’y avait pas eu les internautes, ACTA, TAFTA, Etc… seraient déjà dans nos assiettes (ces saloperies qu’ont met à toutes les sauces)
Le 02/10/2016 à 11h59
je te remercie !
Le 02/10/2016 à 17h36
tu peux la quitter … d’autres se chargent actuellement de la faire repeupler (leurs retraites obliges), t’inquiètes.
Le 02/10/2016 à 17h59
Je rajouterai qu’à vouloir détruire la “fashosphère” (et les dieudo, soralo onfray etc …) ils vont éclabousser et bousiller tout le reste : c’est beau le fascisme rose.
Le 03/10/2016 à 05h44
Finalement, le gouvernement va réussir là où le terrorisme avait échoué, museler Charlie Hebdo !
Le 03/10/2016 à 07h53
Quand je lis tout ça en gros ce qui les emmerdent c’est que sur les Internet les citoyens peuvent trouver d’autres sources d’informations que celles des grands médias officiels appartenant à des amis de nos politiques.
Ho mon dieu, le peuple pourrait avoir des informations réelles et remettre en doute la sainte parole des Lagardère, Bolloré et compagnie….. et pire il pourrait se réveiller. Vite discréditons les pseudo-journalistes, censurons, contrôlons et sanctionnons tout ça.
Bienvenue dans le monde des bisounours de nos politiques et leurs amis les patrons des grands groupes.
Le 03/10/2016 à 08h15
Le 03/10/2016 à 08h24
« Comment définir ces gens - toujours les mêmes, officiellement des
particuliers - qui s’érigent en experts plus ou moins éclairés, dont les
analyses, souvent lapidaires, ne reposant sur rien, sont pourtant
largement diffusées ? »
Notez que cela marche aussi avec “sénateurs”. On est rarement ébloui par leurs analyses.
Le 03/10/2016 à 09h28
(bug)
je ne peux pas “Citer : Chromosome 3”, j’ai ceci comme réponse –>
—————————————————————————————————————————
L’adresse n’est pas valide
L’URL n’est pas valide et ne peut être chargée.
La syntaxe des adresses web est généralementhttp://www.example.com/ ;
—————————————————————————————————————————–
..S’ils sont en place, c’est parce que on les y a mis …
ça, c’est vrai…voilà pourquoi on devrait pouvoir “les virer” TOUS LES ANS , et non pas tt. les 5 ans !!!
SI…tu fais une faute dans ton travail, ton patron NE DOIT attendre 5 ans pour te virer…hop !
(bien sûr pour des fautes graves : enrichissement perso, détournements…. , taper dans la caisse, etc …)
Le 03/10/2016 à 10h56