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La Russie a demandé de l’aide à la Chine pour améliorer le contrôle, la surveillance et la censure du Net

KGB 2.0

La Russie a demandé de l'aide à la Chine pour améliorer le contrôle, la surveillance et la censure du Net

Le 28 juin 2023 à 08h04

Une fuite de près de 500 GB de documents montre comment la Chine et la Russie travailleraient de concert, depuis des années, afin d'améliorer leurs technologies et programmes de surveillance de la dissidence et de contrôle de l'Internet. Où l'on découvre que la Russie serait bien moins en pointe que la Chine en la matière.

Distributed Denial of Secrets (DDoSecrets), une ONG qui, depuis 2018 et dans la foulée de WikiLeaks, publie des fuites de données de documents d'intérêt public, a reçu et partage 489 GB de documents issus de réunions à huis clos tenues en 2017 et 2019 entre des responsables de la Cyberspace Administration of China (CAC), son principal régulateur de l'Internet, et Roskomnadzor, l'agence gouvernementale chargée de contrôler l'Internet russe.

Les documents, qui comprennent des notes de réunion, des enregistrements audio et des courriels, ont été fournis à Kiborg (Cyborg, en ukrainien et russe) News, un site d'information ukrainien créé après l'invasion russe et regroupant journalistes, professionnels de l'informatique et « pirates qui récupèrent les informations des ordinateurs des occupants » afin de « combattre l'agresseur dans l'espace de l'information ».

DDoSecrets a indexé les documents et permis à Radio Free Europe/Radio Liberty (RFE/RL), une entreprise privée financée par le Congrès américain, d'y accéder en exclusivité. Les documents, qu'ils ont vérifiés et qui dateraient de 2017 à 2019, montrent que « les responsables russes demandent des conseils et un savoir-faire pratique à leurs homologues chinois sur toute une série de sujets, notamment sur la manière de perturber les outils de contournement tels que les VPN et Tor ».

Ils chercheraient également des moyens de pirater le trafic Internet chiffré, ainsi que des conseils tirés de l'expérience chinoise en matière de régulation des plateformes de messagerie. La Chine, pour sa part, a demandé de l'aide à la Russie en matière de répression de la dissidence. 

95 % des contenus interdits en Russie sont produits à l'étranger 

En juillet 2017, Aleksandr Zharov, qui a dirigé Roskomnadzor jusqu'en 2020, avait par exemple demandé à une délégation chinoise dirigée par Ren Xianling, alors ministre adjoint de la CAC, d'aider à organiser une visite de spécialistes russes en Chine, afin qu'ils puissent étudier les opérations du projet bouclier doré – le système global de censure et de surveillance d'Internet surnommé Grand Firewall de Chine.

Aleksandr Smirnov, le chef du département des relations publiques du Kremlin, qui supervise la politique d'information au nom du président Poutine, avait invité Zharov à un forum des médias russo-chinois qui se tenait en parallèle à une visite officielle du président de la république populaire de Chine Xi Jinping.

Un courrier adressé au chef de Roskomnadzor par Aleksandr Smirnov lui demandait de rencontrer le CAC pour « échanger des expériences en matière de régulation de la sphère Internet », à la demande des Chinois.

Russie Chine Roskomnadzor CAC

Photo de la réunion des délégations de Roskomnadzor et de l'Administration du cyberespace de Chine, le 4 juillet 2017.

Selon des documents et des enregistrements audio examinés par RFE/RL, les discussions auraient duré plus de deux heures, impliquant Zharov, deux de ses adjoints et un assistant côté russe, ainsi que Ren et trois fonctionnaires de la CAC côté chinois, plus des traducteurs pour chaque partie.

Les discussions se seraient rapidement orientées vers des demandes pratiques d'expertise, M. Zharov posant des questions sur les « mécanismes d'autorisation et de contrôle » des médias de masse, des médias en ligne et des « blogueurs individuels », ainsi que sur l'expérience chinoise en matière de réglementation des applications de messagerie, des services de chiffrement et des réseaux privés virtuels.

Le chef de Roskomnadzor aurait ensuite demandé l'autorisation d'envoyer une équipe en Chine pour étudier le fonctionnement du Grand Firewall de Chine, car « plus de 95 % » des contenus interdits en Russie sont « produits à l'étranger ». 

M. Zharov aurait également suggéré que le CAC envoie une équipe de spécialistes en Russie afin d'y étudier les aspects techniques du système russe de blocage des contenus en ligne, qui, selon lui, fonctionne avec une « grande efficacité » à l'intérieur du pays.

M. Ren aurait de son côté réclamé des détails sur les types d'informations bloquées en Russie, la manière dont elle surveille les discussions en ligne et traite les données personnelles, comment elle régule la couverture médiatique des manifestations à l'échelle du pays, et demandé des méthodes sur la façon qu'aurait la Russie d'utiliser l'Internet pour « former une image positive » à l'intérieur et à l'extérieur du pays.

Un ordre mondial pour gouverner l'information et le cyberespace

Roskomnadzor aurait ensuite compilé et partagé un résumé des discussions avec le Service fédéral de sécurité de la fédération de Russie (FSB), le service de renseignement intérieur qui a succédé au KGB. M. Zharov appelait à une accélération des efforts conjoints avec la Chine pour améliorer le blocage des informations et la nécessité d'un « échange d'expériences au niveau des spécialistes techniques » entre les deux pays.

« 2017 a été une période cruciale qui a permis de décider de la direction à donner à l'Internet russe », explique à RFE/RL Andrei Soldatov, journaliste d'investigation russe et coauteur de Red Web, une histoire des tentatives de Moscou de contrôler l'Internet :

« C'est à cette période que la Russie a cherché à construire le système plus sophistiqué qu'elle a maintenant mis en place, et il semble que les Russes aient appris quelque chose sur la façon de le faire de la part des Chinois. »

RFE/RL souligne en effet que nombre des mesures mises en place par les autorités russes pour étouffer la liberté d'expression en ligne « ont trébuché dans la pratique, notamment une tentative maladroite d'interdire l'application de messagerie Telegram en 2018, tandis que d'autres outils tels que les VPN et Tor ont également échappé la plupart du temps aux censeurs russes ».

En 2019, ces efforts auraient cela dit atteint « un zénith » avec l'entrée en vigueur d'une loi controversée sur l' « Internet souverain » permettant au Kremlin de renforcer le contrôle sur l'Internet russe en acheminant le trafic web via une infrastructure contrôlée par l'État, et en créant un système national de noms de domaine.

Cette loi visait aussi à mettre au pas les entreprises technologiques étrangères telles que Google, Facebook et Twitter, en leur imposant des amendes et en introduisant des lois obligeant les entreprises à localiser leurs employés en Russie, les exposant ainsi à des risques d'arrestation potentielle.

Lors d'une réunion à Moscou en juin 2019, précise RFE/RL, Xi et Poutine avaient en outre annoncé une amélioration de leurs liens pour en faire un « partenariat stratégique global », avec une coopération en matière d'information et de gouvernance de l'internet au premier plan. 

Les deux dirigeants avaient déclaré qu'ils partageaient le besoin de « paix et de sécurité dans le cyberespace sur la base d'une participation égale de tous les pays » et s'étaient engagés à « promouvoir la construction d'un ordre mondial pour la gouvernance de l'information et du cyberespace ».

Un accord de lutte contre la diffusion des informations interdites

En juillet 2019, les représentants de Roskomnadzor avaient par ailleurs sollicité l'expertise chinoise en matière de lutte contre les tentatives de contournement du blocage de l'Internet, Zharov citant en exemple les tentatives infructueuses de l'agence pour bloquer Telegram en 2018. Les Russes souhaitaient également apprendre comment la Chine utilisait l'intelligence artificielle pour identifier et bloquer les « contenus interdits ». 

Des fonctionnaires du CAC chinois avaient de leur côté demandé à Roskomnadzor de bloquer une série de liens liés à la Chine vers des articles de presse et des interviews qu'ils avaient jugés « de nature dangereuse et préjudiciables à l'intérêt public ». 

En marge de la Conférence mondiale sur l'Internet qui s'était tenue à Wuzhen, en Chine, en octobre 2019, Roskomnadzor et le CAC avaient en outre signé un accord de coopération sur la lutte contre la diffusion d' « informations interdites ».

Les responsables chinois voulaient censurer un article de la BBC sur la « révolution des toilettes » en Chine (une campagne gouvernementale lancée en 2015 pour améliorer l'assainissement du pays), un article de blog discutant de rumeurs selon lesquelles Xi souffrirait d'une blessure au dos (et ayant reçu « moins de 4 000 pages vues », souligne RFE/RL), des liens sur GitHub décrivant des moyens de contourner le pare-feu chinois à l'intérieur du pays, et une vidéo d'un couple ouïghour en train de danser.

La Chine voulait également pouvoir censurer le profil VKontakte d'un étudiant chinois qui avait partagé une interview vidéo de l'ancien président chinois Jiang Zemin réalisée en 2000 dans le cadre de l'émission 60 Minutes de CBS et archivée sur le réseau américain à but non lucratif C-SPAN. L'interview abordait en effet des questions relatives aux droits de l'homme, aux relations entre les États-Unis et la Chine et à la liberté religieuse en Chine.

RFE/RL précise ne pas avoir trouvé de réponses de Roskomnadzor aux demandes chinoises, mais relève qu'au moment de la publication de son enquête, les liens étaient toujours accessibles en Russie.

Si les mesures prises par la Russie seraient encore loin de celles mises en place en Chine, elles n'en seraient pas moins « toujours plus avancées sur le plan technologique et plus restrictives », note RFE/RL, un processus qui s'est en outre accéléré depuis l'invasion de l'Ukraine par la Russie en février 2022.

DDsSecrets souligne que c'est la troisième fuite de documents qu'il publie au sujet de Roskomnadzor.

La première, datée de mars 2022, contenait « des preuves de la façon dont l'État a fabriqué le consentement à la guerre en Ukraine à partir de 2020 © en utilisant « un nouveau système de surveillance automatisé appelé Bureau de l'interaction opérationnelle (AS KOV) ».

La deuxième comportait des listes de sites web que l'agence avait interdits ou sélectionnés pour un contrôle supplémentaire, ainsi que des détails sur les fermes à robots de la Russie, et une méthodologie visant à insulter le président Vladimir Poutine. 

Elle contenait également une copie du document judiciaire utilisé pour bloquer ddosecrets.com en Russie.

Ironie de l'histoire, cette dénonciation du splinternet (ou balkanisation d'Internet) russo-chinois, dans un média initialement créé par la CIA pour contrer le bloc communiste, sur fonds de guerre froide, aura été rendue possible par la guerre en Ukraine. Et par l'entremise d'un collectif créé par des personnes queers, anarchistes, antiracistes et antifascistes, qui avait précédemment publié 73 fuites de données liées aux États-Unis, contre 64 liées à la Russie.

Commentaires (8)

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Quoi de mieux que la plus grande dictature du monde pour aider les plus petites dictatures à se moderniser…

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“c’est la magie de ce métier qui fait qu’il y a toujours des hommes pour enfoncer d’autres hommes… et les enfoncer jusqu’au bout” ( Dupontel - les pourris d’or)

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Merci Ceced! J’adore Dupontel et j’étais passé à côté de ce sketch.

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C’est clair qu’en matière de contrôle d’internet, les chinois sont bien ceux qui possèdent la meilleure expertise.

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Entre dictateurs, il faut bien s’entraider et s’épauler un peu face aux coups de butoir des pays démocratiques.



Mais bon la Russie n’arrivera jamais au niveau de la Chine, où parait-il il y aurait 2 millions de petites mains du Ministère de l’information qui sont à la tache tous les jours pour effacer toute trace de ce qui pourrait déplaire au Leader Supreme.



Ca rappelle furieusement 1984 de George Orwell dont le personnage principal, son job a plein était de faire des copiés collés au ciseau et à la colle de photos officielles à… trafiquer selon les désirs de Big Brother…



Pour info, le mot le plus censuré en 2015 a été… “Winnie l’Ourson” . Histoire d’orgueil et d’ego complètement stupide.



Winnie L’Ourson



Winnie l’Ourson et Tigrou



Winnie l’Ourson qui defile
.
.



Et pour avoir passé 2 ans à Shenzhen il y a quelques années, j’ai pu assister “en direct” pendant quelques mois aux tests mis en place dans le “Great Firewall” (allusion au “Great Wall”, la muraille de Chine) pour bloquer WhatsApp (ca passait mal, les pièces jointes encore moins, et puis encore plus mal, les pièces jointes, plus du tout et enfin… c’est mort, c’est plié….Même les messages, ça c’est bloqué. Allez, on lance une session VPN … qui tient en moyenne 2-3 min avant de se faire gicler et on recommence).



Evidemment je ne parle même pas de Google, Gmail, Google Drive, Facebook, Messenger, Dropbox, Telegram…. ainsi que tous les sites de Q qui sont systématiquement blacklistés (sans doute pour que le prolétaire n’ait des envies trop pressantes à satisfaire contraire à la ligne du parti).



Après il y a aussi les caméras de tout partout avec reconnaissance faciale et le scoring social par individu chinois qui peut vous empêcher de réserver un billet d’avion ou de train pour les fêtes si vous n’avez pas un gentil garçon.



Que du bonheur quoi…. Parce contre Bing, pas de souci, après que Microsoft ait accepté de signer un accord avec le PCC (Parti Communiste Chinois)….

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Ne vous inquiétez pas. Nos politicards occidentaux y pensent très fort aussi. Ils envient fort les moyens déjà en place dans ces grandes “démocraties populaires”. Regardez l’exemple de Bologne en matière de crédit social et vous verrez que nous y sommes presque.

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Oui, en lisant l’article je me suis souvenu très fort de ces émissions de télé montrant les téléréalités aux US et aux Pays-Bas avec des «intellectuels» de plateau outrés répétant que de telles choses étaient impossibles en France.
Il n’a pas fallut attendre deux ans pour voir débarquer Loft story puis les variations sur le même thème…

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On peut pas dire qu’on est vraiment surpris mais c’est toujours intéressant d’avoir des preuves de ces rapports et surtout des niveaux de coopération entre ce genre d’acteurs. J’imagine que c’est compliqué en soit pour des organisations aussi autoritaires et fermées sur elles-mêmes de coopérer.

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  • 95 % des contenus interdits en Russie sont produits à l'étranger 

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